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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/2111/2020

JTAPI/235/2022 du 10.03.2022 ( LCI ) , ADMIS

PARTIELMNT ADMIS par ATA/1004/2022

Descripteurs : RÉTABLISSEMENT DE L'ÉTAT ANTÉRIEUR;MONUMENT;MESURE DE PROTECTION;TRAVAUX SOUMIS À AUTORISATION;ZONE À PROTÉGER
Normes : LCI.89; LCI.1; RCI.56.letA
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2111/2020 LCI

JTAPI/235/2022

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 10 mars 2022

 

dans la cause

 

A______, représentée par Me Mark MULLER, avocat, avec élection de domicile

 

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

 


EN FAIT

1.             A______ (ci-après : A______) est propriétaire de la parcelle n° 1______ de la commune de Genève – B______, sur laquelle est érigé un immeuble de logements et activités.

2.             Par courrier du 16 mars 2020, le département du territoire, soit pour lui l'office des autorisations de construire (ci-après : OAC), s'est adressé à A______ en indiquant qu'un constat effectué sur place avait permis de constater que les fenêtres d'origine avaient été remplacées par des fenêtres en PVC blanc et ce, sans aucune autorisation de construire. A______ était invitée à se prononcer sur les infractions légales que cette situation était susceptible de constituer.

3.             Par courrier du 30 avril 2020, la régie en charge de l'immeuble a répondu au nom et pour le compte de A______ en indiquant que les fenêtres avaient été remplacées plus de 20 ans auparavant et qu'aucun de document pouvant attester d'une quelconque autorisation de construire n'avait été retrouvé.

4.             Par décision du 11 juin 2020, l'OAC, tout en prenant note des explications fournies par A______, a ordonné le rétablissement d'une situation conforme au droit en procédant au remplacement des fenêtres existantes par des menuiseries en bois sur le modèle de celle d'origine, comportant répartition des fenêtres d'origine et dans les règles se basait sur le principe FEN.b. Le délai d'exécution de ces travaux était fixé au 30 septembre 2020. Les détails d'exécution devraient être soumis à l'office du patrimoine et des sites pour approbation avant la commande des travaux. Une sanction administrative demeurait en l'état réservée.

5.             Par acte du 13 juillet 2020, A______ a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) en concluant à son annulation. Préalablement, le tribunal était invité à ordonner un transport sur place.

Dans les années 1990, il était apparu que les fenêtres de l'immeuble étaient vétustes et qu'elles n'étaient plus adaptées aux nouvelles normes énergétiques. En automne 2001, elles avaient été remplacées par des fenêtres en PVC conformes aux standards énergétiques. A______ a produit à cet égard un courrier daté par erreur du 24 juin 2020, adressé à l'une des locataires de l'immeuble en cause. Se référant « aux travaux concernant la pose de nouvelles fenêtres ayant lieu en l'immeuble précité », ce courrier indiquait à la locataire que l'entreprise en charge des travaux n'avait pas pu la joindre et invitait l'intéressée à prendre contact avec cette entreprise au plus tard le 15 octobre 2001 en vue de convenir d'un « rendez-vous très urgent. En effet, la pose ayant été effectué dans les autres appartements, les travaux devraient prendre fin à cette date ». Lorsque ces travaux avaient eu lieu, l'immeuble ne faisait l'objet d'aucune mesure de protection particulière. Il ne figurait notamment pas sur la liste des ensembles protégés. Ce n'était qu'en 2014 et 2017 que, dans le cadre de sa campagne de recensement du patrimoine, la Commission des monuments, de la nature et des sites (CMNS) avait répertorié l'immeuble en question et l'avait intégré à l'ensemble n° 15______.

En substance, A______ a soutenu, d'une part, que l'immeuble n'était pas assujetti à des mesures de protection du patrimoine lorsque les travaux avaient eu lieu en 2001 et, d'autre part, que les fenêtres ne faisaient pas partie des éléments visés par de telles mesures de protection. Par ailleurs, la décision litigieuse violait le principe de la proportionnalité : le coût de remplacement des fenêtres serait vraisemblablement très élevé, alors que les travaux litigieux avaient eu près de 20 ans auparavant.

6.             Par écritures du 14 septembre 2020, le département a conclu au rejet du recours. Le problème ne consistait pas dans le fait de n'avoir pas déposé de demande d'autorisation de construire avant d'entreprendre les travaux contestés, mais dans le fait d'avoir porté atteinte à l'unité architecturale de l'ensemble. La date à laquelle l'immeuble en cause avait été identifié en tant qu'élément d'un tel ensemble n'importait pas, puisque la liste prévue à cet égard par la loi n'était qu'indicative. S'agissant du principe de la proportionnalité, A______ n'avait pas démontré que l'ordre de remise en état constituerait pour elle un préjudice financier difficile à supporter.

7.             A______ a répliqué le 5 novembre 2020, reprenant son argumentation précédente. Elle a produit à cette occasion un devis de l'entreprise de menuiserie C______ du 7 octobre 2020, chiffrant le remplacement des fenêtres de l'immeuble par de nouvelles fenêtres en chêne, avec un vantail ou deux vantaux suivant les situations, ainsi que des croisillons, à un coût total de plus de CHF 395'000.-. En outre, la décision litigieuse violait le principe d'égalité de traitement. En effet, la situation des trois immeubles sis 4______, 6______ et 10______, rue D______, était parfaitement identique, dès lors qu'ils faisaient partie du même plan de site. Or, quand bien même les fenêtres des immeubles sis 4______ et 6______, rue D______, avaient été remplacées par des fenêtres en PVC une vingtaine d'années auparavant, il semblait qu'après avoir interpellé à ce sujet les propriétaires concernés en mars 2020, le département n'y avait pas donné suite par des ordres de remise en état.

8.             Le département a dupliqué le 1er décembre 2020 en estimant notamment que le coût des travaux à hauteur de CHF 395'000.- n'était pas tel qu'il pouvait mettre en péril sa situation financière, étant précisé que l'état locatif de l'immeuble au 30 septembre 2020 était évalué à plus de CHF 522'000.-.

9.             Par jugement du 28 janvier 2021 (JTAPI/2______), le tribunal a partiellement admis le recours. En substance, il a retenu que l'immeuble en question méritait en soi une protection au titre d'ensemble du XIXème ou du début du XXème siècle et que les embrasures de façade et les menuiseries extérieures n'étaient en principe pas des éléments mineurs parmi ceux qui donnaient une valeur patrimoniale à ce type d'immeuble. Au surplus, le tribunal s'est référé à un autre jugement rendu le 5 novembre 2020 (JTAPI/1______), dans lequel il avait confirmé une obligation de remplacement de fenêtres en PVC par des fenêtres en chêne. Il a relevé à cet égard que la présente espèce se distinguait de cette affaire-là par l'ancienneté des travaux effectués de manière illégale, de sorte qu'il a finalement retenu la solution consistant à confirmer l'ordre de remise en état sur le principe, tout en reportant le délai d'exécution de cette mesure au 31 décembre 2031 au plus tard.

10.         Sur recours de A______, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a annulé le jugement JTAPI/2______ par arrêt du 18 mai 2021 (ATA/3______).

C'était à juste titre que A______ n'avait pas soutenu devant la chambre administrative que son immeuble ne jouirait pas d'une protection conférée par la loi au titre d'ensemble du XIXème ou du début du XXème siècle. Le tribunal avait cependant exposé trop succinctement les raisons pour lesquelles l'immeuble en question méritait en soi une protection « en raison de ses qualités intrinsèques, sans qu'il importât qu'il ait été identifié comme immeuble protégé à une date ultérieure aux travaux », de même que les raisons pour lesquelles les fenêtres ne pouvaient être considérées comme des éléments mineurs de ce type d'immeuble, renvoyant à cet égard à son jugement JTAPI/1______ auquel A______ n'était pas partie. Il en résultait une violation du droit d'être entendu de cette dernière. Si effectivement, élément que A______ ne remettait pas en cause, son immeuble méritait en soi une protection, la question de savoir si cette dernière portait déjà effet avant son inscription sur la liste des ensembles protégés, respectivement l'adoption du plan de site n° 4______ du 1er juin 2016, en particulier à l'égard de ses fenêtres, lors de leur remplacement en 2001, devait faire l'objet d'un examen approfondi et d'un développement circonstancié. En outre, le tribunal n'avait pas traité la question de la prétendue violation du principe de l'égalité de traitement, pourtant expressément invoquée par A______. Or, le dossier ne contenait pas les éléments suffisants et nécessaires pour déterminer que les autres propriétaires de l'ensemble protégé dont les fenêtres pourraient également être en PVC et non en bois, comme à l'origine, se seraient également vus intimer un ordre de remise en état.

La cause devait être ainsi renvoyée au tribunal pour complément d'enquête s'il l'estimait nécessaire sur ce point et nouvelle décision dans le sens des considérants.

11.         Il convient encore de mentionner que la chambre administrative a relevé la nécessité de trancher la question du droit applicable, relevant à cet égard que l'art. 56A du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI – L 5 05.01), dans sa teneur au moment des travaux litigieux, ne prévoyait en effet aucune obligation en lien avec les fenêtres d'un immeuble protégé, ce qui était en revanche désormais le cas. Ainsi, s'il devait être retenu que l'ancien droit ne comportait aucune base légale pour exiger des propriétaires d'immeubles protégés qu'ils remplacent les fenêtres par des éléments du matériau d'origine et correspondant aux critères esthétiques d'antan, une condition de l'ordre remis en état pourrait faire défaut en l'espèce, à savoir celle selon laquelle « les installations en cause ne doivent pas avoir été autorisées en vertu du droit en vigueur au moment de leur réalisation ».

12.         Par courrier du 6 octobre 2021, le tribunal a invité le département à produire l'ensemble des dossiers d'infraction qu'il aurait ouverts à l'encontre des propriétaires des immeubles situés aux 4______ à 14______ rue D______ (numéros impairs), s'agissant de travaux effectués en façade de façon non conforme ou sans autorisation, dans la mesure où l'ouverture de ces dossiers serait contemporaine au présent dossier (environ trois ans avant ou après ce dernier). Ces dossiers seraient considérés comme pièces confidentielles et seraient donc communiquées à A______ selon les formes prévues dans un tel cas par les dispositions de procédure. Par ailleurs, le département était invité à indiquer de manière circonstanciée, cas échéant, les raisons pour lesquelles certains des propriétaires concernés n'auraient pas été visés par des dossiers d'infraction.

13.         Le département a répondu le 12 novembre 2021, précisant que les travaux qui avaient eu lieu sur l'immeuble situé au 4______, rue D______ apparaissaient faire l'objet de la prescription trentenaire, selon les indications communiquées par l'office du patrimoine et des sites. Pour cette raison, aucune procédure n'avait été mise en œuvre. Quant aux immeubles situés aux 6______, 12______ et 14______ de la rue D______, ils avaient fait l'objet d'une procédure dont les dossiers étaient joints.

14.         Par courrier du 19 novembre 2021, le tribunal a fait parvenir à A______ copie de la réponse du département du 12 novembre 2021. S'agissant des pièces jointes, il était possible d'en faire le résumé suivant.

Concernant l'immeuble situé au 6______, rue D______, le département avait informé le propriétaire, par courrier du 16 mars 2020, que lors d'un constat effectué sur place par l'OPS, il avait été constaté que les fenêtres des appartements avaient été remplacées par des fenêtres en PVC blanc, ce qui constituait éventuellement une infraction à la LPMNS et à la LCI. Invité à se prononcer à ce sujet, le propriétaire avait répondu par courrier du 20 mars 2020 en renvoyant à un courrier adressé le 19 décembre 2018 à l'OPS, lui-même renvoyant à des procès-verbaux de la « commission immobilière » des 1er et 2 septembre 1999 mentionnant l'existence des fenêtres en bois-métal. Par ailleurs (toujours selon le courrier du 19 décembre 2018) le propriétaire confirmait que la campagne de travaux envisagée pour 2019 ne prenait pas en compte les fenêtres incriminées. En revanche, il s'engageait formellement à remplacer à l'avenir tout ou partie de ces fenêtres au gré de leur obsolescence en concertation avec l'OPS et dans le respect notamment des « règles patrimoniales ».

Concernant les immeubles situés au 12______ et au 14______, rue D______, ils avaient fait l'objet d'un traitement identique : par décisions séparées du 11 juin 2020, le département avait ordonné aux propriétaires respectifs de ces immeubles (représentés par la même régie) de procéder au remplacement des fenêtres existantes par des menuiseries en bois sur le modèle de celles d'origine en respectant les règles découlant du principe FEN.b. Par courriers du 14 septembre 2021, les propriétaires avaient confirmé au département avoir terminé les travaux qui leur avaient été ordonnés et avaient produit à cet égard un reportage photographique.

Ces éléments, et en particulier ceux qui résultaient du dossier d'infraction relatif à l'immeuble situé au 6______, rue D______, conduisaient le tribunal à revenir sur la solution qu’il avait proposée dans son jugement du 28 janvier 2021. Indépendamment des aspects juridiques qui avaient conduit A______ à contester ce jugement avec succès auprès de la chambre administrative, il apparaissait qu’une solution pratique pourrait tout de même être envisagée en fixant pour l'exécution des travaux un terme acceptable pour les deux parties. Une telle issue apporterait à A______ une sécurité juridique que ne lui offrait pas la procédure actuellement pendante. Dans ce cadre, A______ était invitée à reprendre cas échéant contact avec le département afin d'envisager la possibilité d'une solution négociée. Si cette proposition ne lui convenait pas, elle était invitée à adresser au tribunal ses observations au sujet de ce qui précédait d'ici au 10 décembre 2021.

15.         Par courrier du 10 décembre 2021, A______ a relevé que certains des griefs qu'elle avait invoqués au cours de la procédure n'avaient jamais été examinés ni par le tribunal, ni par la chambre administrative. En effet, elle avait souligné notamment que les travaux relatifs aux fenêtres avaient été exécutés conformément au droit au vigueur en 2001 et étaient dès lors tout à fait licites. Selon l'arrêt rendu par la chambre administrative, la question de savoir si les dispositions relatives aux ensembles du XIXème ou du début du XXème siècle déployaient déjà leurs effets avant l'inscription de l'immeuble sur la liste des ensembles protégés n'avait pas été examinée. En outre, elle contestait que son immeuble fasse partie d'un tel ensemble. Enfin, la question de l'application de l'ancien art. 56A RCI, qui ne prévoyait aucune obligation en lien avec les fenêtres d'un immeuble protégé, devait également être tranchée. Par conséquent, elle sollicitait que le tribunal examine ensemble de ces griefs et persistait intégralement dans les conclusions prises dans son mémoire de recours du 13 juillet 2020.

 

EN DROIT

1.             Le tribunal a déjà admis sa compétence ainsi que la recevabilité du recours dans son jugement du 28 janvier 2021 (JTAPI/2______), points qui n'ont été contestés par aucune des deux parties, de sorte que le présent jugement doit simplement faire l'examen des points sur lesquels ont porté les critiques de la chambre administrative dans son arrêt du 18 mai 2021 (ATA/3______).

2.             Pour reprendre l'ordre dans lequel la recourante a exposé ses griefs dans son recours du 13 juillet 2020, il convient en premier lieu d'examiner si, au moment des travaux litigieux, en 2001, l'immeuble de la recourante faisait l'objet d'une mesure de protection. La recourante souligne à ce sujet que le plan de site n° 4______ a été adopté postérieurement, soit le 1er juin 2016. Par ailleurs, « si par impossible » le tribunal devait considérer qu'en 2001 déjà, son immeuble était soumis aux art. 89 et ss de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), il conviendrait encore de constater que les travaux d'entretien tel que le remplacement des fenêtres n'étaient pas assujettis à autorisation de construire.

3.             S'agissant de la protection patrimoniale dont faisait l'objet immeuble de la recourante, l'argumentation de cette dernière consiste donc, d'une part, à relever que le plan de site du 1er juin 2016 ne saurait s'appliquer rétroactivement à des travaux effectués en 2001 (ce qui est incontestable et ne mérite pas d'autre développement), mais également, d'autre part, à contester que lors de ces travaux, l’immeuble était soumis aux art. 89 et ss LCI. On peine cependant à trouver dans son recours ou dans sa réplique une quelconque motivation à l'appui de cette dernière position. Au demeurant, la chambre administrative a relevé que la recourante ne soutenait pas, à juste titre, que son immeuble ne jouirait pas d'une protection conférée par les art. 89 et ss LCI (consid. 2) et que si effectivement, élément que la recourante ne remettait pas en cause, son immeuble méritait en soi une protection au sens de ces dispositions légales, la question de savoir si cette protection portait déjà effet avant son inscription sur la liste des ensembles protégés, en particulier à l'égard des fenêtres lors leur remplacement en 2001, devait faire l'objet d'un examen plus approfondi (consid. 7).

La question n’est donc pas de savoir si l’immeuble en cause doit actuellement être considéré comme faisant partie d’un ensemble protégé au sens des art. 89 et ss LCI – ce dont atteste son intégration à l'ensemble n° 15______ suite à la campagne de recensement du patrimoine menée en 2014 et 2017 – mais si tel était déjà le cas en 2001, avant qu’il ne soit formellement répertorié.

4.             Les art. 89 ss LCI protègent les « ensembles du XIXe siècle et du début du XXe siècle », selon le titre de la section 2 dudit chapitre IX.

L'art. 89 al. 1 LCI dispose que l’unité architecturale et urbanistique des ensembles du XIXe siècle et du début du XXe siècle situés en dehors des périmètres de protection de la Vieille-Ville et du secteur sud des anciennes fortifications, ainsi que du vieux Carouge, doit être préservée. Sont considérés comme ensemble les groupes de deux immeubles ou plus en ordre contigu, d’architecture identique ou analogue, ainsi que les immeubles séparés dont l’emplacement, le gabarit et le style ont été conçus dans le cadre d’une composition d’ensemble dans le quartier ou dans la rue (art. 89 al. 2 LCI).

5.             La jurisprudence retient que la qualification d'ensemble protégé au sens de l'art. 89 LCI ne dépend pas de l'existence d'un document ayant une portée juridique ou de l'intégration du site dans la liste indicative dressée par le DALE (art. 90 al. 4 LCI). Le fait que la construction soit postérieure à la période fazyste n'est pas davantage un obstacle à cette qualification (ATA/495/2009 du 6 octobre 2009 consid. 6 ; ATA/613/2008 du 9 décembre 2008 consid. 5 ; MGC 1983/II 2202 p. 2207).

Le choix du législateur d’une liste indicative, au sens de l'art. 90 al. 4 LCI, laisse une grande marge d’appréciation au département chargé de l’application de ces dispositions. Au cas par cas, le département a fait bénéficier de la protection des art. 89 et ss LCI des ensembles ne figurant pas sur la liste indicative. Cette manière de faire a régulièrement été confirmée par la chambre de céans en raison du caractère indicatif de la liste (ATA/169/2016 du 23 février 2016 consid. 6d ; ATA/1366/2015 du 21 décembre 2015 ; ATA/539/2009 du 27 octobre 2009).

Par ailleurs, la qualification d’ensemble dépend d’une volonté d’unité et d’harmonie dans la conception de l’espace aménagé pour les différents éléments formant un tout projeté et cohérent. À cet égard, les préavis des instances spécialisées en matière de protection du patrimoine sont déterminants. L’art. 90 al. 4 LCI mentionne la compétence du département, notamment par le biais de ses instances spécialisées, tel que l’OPS (art. 6 al. 1 let. e du règlement sur l'organisation de l'administration cantonale du 1er juin 2018 - ROAC - B 4 05.10), lequel comprend notamment le SMS (ch. 3) (ATA/1066/2018 du 9 octobre 2018 consid. 8).

6.             Quant à l'ignorance où prétendrait se trouver un propriétaire au sujet de la protection patrimoniale à laquelle serait soumis son immeuble au sens des art. 89 et ss LCI – dans l'hypothèse où cet immeuble ne figurerait pas sur les listes indicatives dressées par le département - on rappellera tout d'abord qu'un propriétaire d'immeuble doit assumer toutes les conséquences de sa situation, notamment sur le plan de ses obligations juridiques. De ceci découle, conformément à l'adage selon lequel nul n'est censé ignorer la loi, que le propriétaire doit savoir notamment que certaines catégories d'immeubles dans le canton de Genève sont soumises à la protection prévue par les art. 89 et ss LCI ; il est dès lors tenu de faire ce qui peut être raisonnablement attendu de lui pour connaître sous cet angle le statut de son bien. À cela s'ajoute qu'une liste « indicative » est une dénomination qui signifie que son contenu est donné à titre indicatif, c'est-à-dire comme « un renseignement, au moins approximatif » ou comme « élément de référence, au moins provisoirement » (définition tirée du site du centre national de ressources textuelles et lexicales CNRTL: https://www.cnrtl.fr/definition/indicatif ; consulté le 28 février 2022). Il s'agit d'une sorte d'avertissement terminologique qui sert à attirer l'attention sur le caractère non exhaustif de la liste et donc sur le fait qu'un groupe d'immeubles qui n'y figure pas pourrait néanmoins constituer un ensemble protégé, ce que la jurisprudence a au demeurant déjà constaté, comme rappelé ci-dessus. Dans le même ordre d'idée, la jurisprudence a également constaté que les informations officielles données au sujet de la protection conférée par les art. 89 et ss LCI attiraient précisément l'attention du public sur le fait que les renseignements établis et publiés à titre informatif par l'Etat ne dispensaient pas de s'adresser aux instances spécialisées pour vérifier si tel immeuble particulier pourrait être soumis à ces règles (ATA/1066/2018 du 9 octobre 2018). C'est dire, là encore, que sous l'angle des art. 89 et ss LCI, un propriétaire ne saurait se prétendre de bonne foi s'il se contente de son appréciation personnelle au sujet de son immeuble et du fait qu'il n'a trouvé à son sujet aucun indice le rattachant à un ensemble protégé.

7.             Les principes jurisprudentiels qui viennent d’être rappelés reviennent en réalité à dire qu’un ensemble est protégé au sens des art. 89 et ss LCI en raison de ses qualités intrinsèques, qui le caractérisent en tant que tel, et non pas seulement au moment où l’autorité compétente a repéré cet ensemble et fait formellement le constat de ses qualités. A défaut, cela signifierait que le fait d'engager des travaux sans autorisation suffirait pour empêcher l'application des art. 89 et ss LCI, nonobstant le constat de la valeur patrimoniale effectué a posteriori lors de la régularisation de ces travaux, tandis qu'une demande d'autorisation permettant un examen a priori de ces qualités conduirait à la situation inverse. L'interprétation de ces dispositions légales ne saurait aboutir à un tel paradoxe, où celui qui crée un état de fait contraire au droit parviendrait dès cet instant à bloquer définitivement la correcte application de la loi.

8.             En l'occurrence, quand bien même l’immeuble en cause n’avait pas encore été répertorié en tant qu’élément d’un ensemble protégé au sens des art. 89 et ss LCI, ni ne figurait sur la liste indicative existant lors des travaux de 2001, il découle de ce qui précède que l'immeuble litigieux constituait déjà à cette époque l'un des éléments d'un tel ensemble, indépendamment du fait que son propriétaire n'avait pas consulté les services compétents pour s'assurer du contraire.

9.             Reste encore à examiner si les travaux d'entretien tels que le remplacement des fenêtres étaient assujettis à autorisation de construire. La recourante le conteste en relevant la différence de traitement réservée par la loi sur la protection des monuments, de la nature et des sites du 4 juin 1976 (LPMNS - L 4 05), d'une part, aux immeubles classés et à ceux compris dans le périmètre d'un plan de site et, d'autre part, à ceux qui font partie d'un ensemble au sens des art. 89 et ss LCI. Toujours selon la recourante, ces dernières dispositions n'étendent pas le champ des travaux soumis à autorisation de construire prévu par l'art. 1 LCI et n'ont pas vocation à protéger les éléments qui ne participent en rien à l'unité urbanistique ou architecturale de l'immeuble, ni à la composition d'ensemble dans le quartier ou dans la rue, ou encore à l'unité et à l'harmonie dans la conception de l'espace aménagé. La recourante relève encore que le projet de fiche de recensement relatif à l'immeuble litigieux n'identifie pas les fenêtres parmi les éléments dignes de protection et que, sur les photographies de la façade jointes au projet de fiche, des nouvelles fenêtres sont visibles, et non les anciennes. En conclusion, les fenêtres d'origine de l'immeuble n'étaient pas des éléments méritant d'être protégés, dès lors qu'elles ne possédaient pas une valeur esthétique particulière et qu'elles ne participaient en rien à l'unité urbanistique ou architecturale de l'immeuble.

10.         Comme le souligne à juste titre la recourante, il est nécessaire de déterminer si le remplacement des fenêtres est, ou plus précisément était, en 2001, un acte soumis à autorisation. L’opinion contraire de l’autorité intimée, qui soutient qu’il n’est pas reproché à la recourante de n’avoir pas requis une telle autorisation, mais uniquement d’avoir dégradé l’immeuble en posant des fenêtres en PVC au lieu de fenêtres en matériau d’origine, découle du fait qu’elle pense pouvoir faire application à cet égard de l’art. 56A RCI (dont il sera question plus loin). Il est vrai que cette disposition légale impose en la matière aux propriétaires immobiliers des obligations qui s’appliquent de manière autonome, indépendamment du type de procédure – ou de l’absence de procédure – conduisant au changement de fenêtres. Or comme l’a relevé la chambre administrative dans son ATA/3______ du 18 mai 2021, l’art. 56A RCI, dans la teneur où l’autorité intimée l’a appliqué dans sa décision litigieuse, est entré en vigueur postérieurement aux travaux de 2001. Il n’est donc pas possible d’en tirer directement argument pour soutenir que les obligations qui découlent de l’art. 56A RCI s’imposaient à la recourante indépendamment de la question de savoir si les travaux en question étaient ou non soumis à autorisation de construire.

11.         Selon l'art. 1 al. 1 LCI, sur tout le territoire du canton nul ne peut, sans y avoir été autorisé, notamment élever en tout ou partie une construction ou une installation, notamment un bâtiment locatif, industriel ou agricole, une villa, un garage, un hangar, un poulailler, un mur, une clôture ou un portail (let. a); modifier même partiellement le volume, l'architecture, la couleur, l'implantation, la distribution ou la destination d'une construction ou d'une installation (let. b), démolir, supprimer ou rebâtir une construction ou une installation (let. c), modifier la configuration du terrain (let. d).

Il ressort clairement de cette disposition légale, rédigée de manière très générale, que la modification des aspects extérieurs d'une construction est en principe soumise à autorisation (outre sa distribution et sa destination).

L'art. 1 al. 4 précise qu'en zone à bâtir, l’édification de constructions de très peu d’importance telles que définies par l’alinéa 5, n’est pas soumise à autorisation de construire. Demeurent réservées les dispositions relatives à la protection du patrimoine.

Selon l'art. 1 al. 5 LCI, sont réputées constructions de très peu d'importance au sens de l'alinéa précédent :

a) les cabanes amovibles de dimension modeste, soit de l'ordre de 5 m2 au sol et 2 m de hauteur;

b) les pergolas non couvertes;

c) les antennes paraboliques dont le diamètre n'excède pas 90 cm pour les installations individuelles et 130 cm pour les installations collectives;

d) en cinquième zone, la création de jours inclinés en toiture d’une surface totale inférieure à 1 m2.

À teneur de l'art. 90 al. 1 LCI, les ensembles dont l'unité architecturale et urbanistique est complète sont maintenus. En cas de rénovation ou de transformation, les structures porteuses, de même que les autres éléments particulièrement dignes de protection doivent, en règle générale, être sauvegardés. L’art. 12 est en outre applicable.

En cas de transformation ou de rénovation, des mesures de rationalisation énergétique doivent être entreprises. Des dérogations sont accordées lorsque le maintien d’éléments patrimoniaux de valeur l’exige. Des panneaux solaires thermiques ou photovoltaïques peuvent être autorisés en toiture (art. 90 al. 2 LCI).

Selon l'art. 93 LCI, les demandes d’autorisation, à l’exception de celles instruites en procédure accélérée, concernant des immeubles visés à l’article 89 sont soumises, pour préavis, à la commission des monuments, de la nature et des sites (al. 1). Les demandes d’autorisation instruites en procédure accélérée ainsi que les travaux de réfection de façades et de toitures sont soumis, pour préavis, à l’office du patrimoine et des sites (al. 2).

12.         Lors de l'adoption de la LCI en 1988, l'art. 93 al. 1 LCI prévoyait que « Les demandes d'autorisation, ainsi que les travaux de réfection de façade et de toiture concernant les immeubles visés à l'art. 89 sont soumis aux préavis de la commission d'architecture et de la commission des monuments, de la nature et des sites ». Cette disposition a été modifiée le 17 février 2006, prévoyant dès lors que « Les demandes d'autorisation, ainsi que les travaux de réfection de façades et de toitures concernant des immeubles visés à l'article 89 sont soumis, pour préavis, à la commission des monuments, de la nature et des sites ». La dernière modification de cette disposition a été adoptée le 22 septembre 2017, donnant lieu au texte actuel.

13.         Dans le cadre du dernier recensement effectué conjointement par le canton et par la Ville de Genève pour identifier, sur le territoire de cette dernière, les ensembles au sens de l'art. 89 LCI, le service de l'inventaire des monuments d'art et d'histoire au sein de l'office du patrimoine et des sites a rédigé une note explicative intitulée « Recensement architectural des immeubles formant des ensembles maintenus du XIXe siècle et du début du XXe siècle dans la commune de Genève » (http://etat.geneve.ch/geodata/SIPATRIMOINE/SI-EVI-OPS/EVI/edition/fiches/RAIM/Documents/RAIM_presentation.pdf ; consulté le 28 février 2022).

Il y est notamment indiqué que « pour saisir ce qui « fait » un ensemble, autrement dit pour pouvoir l'identifier en tant que tel, l'approche formelle s'impose naturellement. C'est sur la base de celle-ci que l'on reconnaît, ou pas, un air de famille entre des immeubles, qu'ils soient contigus, en vis-à-vis ou en ordre dispersé.

Un immeuble appartient à un ensemble lorsqu'il partage un certain nombre de caractéristiques avec d'autres immeubles situés à proximité. Par caractéristiques, il faut entendre notamment le traitement de la façade et de la toiture, le gabarit, les niveaux d'étages, le rythme des ouvertures, mais aussi des éléments plus discrets comme les consoles de balcons ou les revêtements de sol des cages d'escalier. Si certains de ces éléments sont dictés par des dispositions réglementaires, comme le gabarit ou l'alignement, d'autres relèvent du goût ou de grammaires constructives propres à leur époque. Du début du XIXe siècle au début des années 1930, plusieurs types de bâtiments sont ainsi identifiables.

1. L'immeuble faubourien, marqué par l'économie des matériaux et la modestie du décor, tel qu'on le trouve encore aux Grottes, aux Pâquis, à Plainpalais, aux Eaux-Vives (1830-1885).

2. L'immeuble « fazyste », inspiré des exemples haussmanniens, orné de motifs d'inspiration classique (pilastres, frontons, etc.), de garde-corps en ferronnerie et de balcons filants (1850-1895).

3. L'immeuble «post-fazyste», plus sculptural que l'immeuble «fazyste», aux façades souvent chargées de motifs classiques ou baroques, et parfois doté de bow-windows (1895-1920).

4. L'immeuble «Heimatstil», coiffé de toitures spectaculaires, misant sur l'expressivité des matériaux bruts, l'irrégularité et le pittoresque (1895-1915).

5. L'immeuble «Art déco», à la géométrie épurée, souvent doté de balcons aux angles arrondis (1915-1940).

A cela s'ajoutent quelques exemples d'immeubles Art Nouveau, dont les motifs décoratifs inspirés par la nature sont facilement reconnaissables (1895-1910) ».

14.         Quant à la LPMNS, elle a pour but, selon son art. 1 :

a) de conserver les monuments de l’histoire, de l’art ou de l’architecture, les antiquités immobilières ou mobilières situés ou trouvés dans le canton ainsi que le patrimoine souterrain hérité des anciennes fortifications de Genève;

b) de préserver l’aspect caractéristique du paysage et des localités, les immeubles et les sites dignes d’intérêt, ainsi que les beautés naturelles;

c) d’assurer la sauvegarde de la nature, en ménageant l’espace vital nécessaire à la flore et à la faune, et en maintenant les milieux naturels;

d) de favoriser l’accès du public à un site ou à son point de vue;

e) d’encourager toutes mesures éducatives et de soutenir les efforts entrepris en faveur de la protection des monuments, de la nature et des sites;

f) d’encourager les économies d’énergie et la production d’énergies renouvelables lors de la rénovation d’immeubles au bénéfice d’une mesure de protection patrimoniale.

S'agissant des immeubles classés, l'art. 15 al. 3 LPMNS prévoit que les simples travaux ordinaires d’entretien et les transformations de peu d’importance peuvent être autorisés par l’autorité compétente, pour autant qu’ils aient fait l’objet d’un préavis favorable de la part de la Commission des monuments, de la nature et des sites et d’une demande d’autorisation ordinaire au sens de l’article 3, alinéa 1, de la loi sur les constructions et installations diverses, à l’exclusion des procédures accélérées prévues à l’article 3, alinéas 7 et 8 de ladite loi.

Par ailleurs, les immeubles désignés par un plan de site comme à maintenir (art. 38 al. 2 let. a LPMNS) ne peuvent, sans l’autorisation du Conseil d’Etat, être démolis, transformés ou faire l’objet de réparations importantes (art. 38 al. 4 LPMNS).

15.         Il a été rappelé plus haut que l'art. 1 al. 1 LCI, couplé avec ses al. 4 et 5, étend largement la notion de travaux soumis à autorisation de construire. Selon la lettre de cette disposition, il en va ainsi, notamment, pour la modification même partielle de la couleur d'une construction, tandis qu'à l'inverse, seules des antennes paraboliques de petite taille, ou, en cinquième zone, la création de jours inclinés d'une surface n'excédant pas 1 m², échappent à l'obligation de déposer une demande d'autorisation de construire. Dans un arrêt du 25 octobre 2015, la chambre administrative a confirmé une amende prononcée pour divers travaux effectués sans autorisation en zone 4B protégée, parmi lesquels le changement des fenêtres de l'immeuble concerné (ATA/1151/2015), alors qu’aucune disposition légale ne soumet spécifiquement à autorisation de construire le changement de fenêtres en zone 4B protégée. À cela s'ajoute, conformément à la note explicative intitulée « Recensement architecturale des immeubles formant des ensembles maintenus du XIXe siècle et du début du XXe siècle dans la commune de Genève » (citée plus haut), que les ensembles protégés au sens des art. 89 et ss LCI peuvent mériter cette protection notamment en raison de divers éléments de façade. On ne peut donc qu'arriver à la conclusion que ces différentes dispositions légales imposaient déjà en 2001 de déposer une demande d’autorisation de construire (indépendamment de la forme de cette autorisation) pour procéder au remplacement et la modification de fenêtres, à tout le moins s'agissant d'un immeuble bénéficiant d'une forme de protection patrimoniale, et notamment de la protection prévue par les art. 89 et ss LCI.

16.         Les dispositions de la LPMNS citées ci-dessus et auxquelles se réfère la recourante ne conduisent pas à une autre conclusion. Paraphrasant l'art. 15 al. 3 LPMNS en indiquant que « le régime légal applicable aux immeubles classés prévoit que les simples travaux ordinaires d'entretien et les transformations de peu d'importance doivent faire l'objet d'une autorisation », la recourante en trahit la véritable portée, qui est en réalité d'alourdir les procédures normalement prévues par la LCI pour de tels travaux, à savoir la procédure accélérée et la procédure par annonce de travaux prévues respectivement par l'art. 3 al. 7 et 8 LCI. Par conséquent, la conclusion de la recourante selon laquelle, pour les immeubles qui font partie d'un ensemble et qui ne sont pas visés par une disposition analogue à l'art. 15 al. 3 LPMNS, les travaux d'entretien ou les transformations de peu d'importance ne seraient pas du tout assujettis à une procédure d'autorisation, s'avère erronée. Pour ces immeubles, en l'absence de disposition légale spécifique, les travaux d'entretien et les transformations de peu d'importance restent aujourd'hui simplement soumis aux procédures simplifiées de l'art. 3 al. 7 et 8 LCI – dispositions dont la teneur en 2001 ne modifie en rien ce raisonnement. Quant à l'art. 38 al. 4 LPMNS, sa véritable portée consiste principalement à confier au Conseil d'État, plutôt qu'au département, le soin d'examiner la démolition, la transformation ou les réparations importantes effectuées sur un immeuble désigné par un plan de site comme bâtiment à maintenir. Cette disposition légale n'a donc aucun rapport avec la question de savoir si le remplacement des fenêtres d'un immeuble appartenant à un ensemble protégé était en 2001 une opération soumise à autorisation.

17.         Pour les raisons qui viennent d'être rappelées, il convient de répondre affirmativement à cette question.

18.         À ce stade du raisonnement, la recourante soutient encore que les fenêtres ne font pas partie des éléments pris en compte dans la protection prévue par les art. 89 et ss LCI, de sorte que dans le cas d'espèce, rien n'autorisait l'autorité intimée à ordonner la remise en état des fenêtres suite aux travaux réalisés dix-neuf ans auparavant. Cependant, à partir du moment où l'on retient que ces travaux auraient dû être soumis à une procédure d'autorisation, cette question ne peut être résolue que dans le cadre d'une telle procédure, après avoir été examinée par les instances spécialisées, ce qui n'a pas été le cas dans le cadre de la procédure pour infraction ouverte par l'autorité intimée. Le tribunal ne saurait se substituer à ces instances dans le cadre du présent litige, non seulement parce qu'il n'en a pas les compétences, mais encore parce que la recourante perdrait ainsi un degré de juridiction.

19.         Par application du droit d'office (art. 69 al. 1 LPA) et par substitution de motifs, il convient ainsi d'admettre le recours, d'annuler la décision litigieuse et de renvoyer l'affaire à l'autorité intimée afin qu'elle ordonne à la recourante le dépôt d'une demande visant à régulariser les travaux visés par la décision litigieuse. Dans le cadre de l'instruction de cette demande, il s'agira tout d'abord de déterminer si les fenêtres d'origine constituaient en elles-mêmes des éléments dont la valeur patrimoniale aurait nécessité de les maintenir ou du moins de les remplacer à l'identique (indépendamment du contexte juridique actuel lié à l'art. 56A RCI). En cas de réponse négative à cette question, il s'agira encore de déterminer si les nouvelles fenêtres posées en 2001 auraient pu être autorisées à l'époque, c'est-à-dire si leur impact sur les caractéristiques conférant à l'immeuble sa valeur patrimoniale aurait été admissible. Il conviendra à cet égard de garder à l'esprit que le plan de site n° 4______ du 1er juin 2016 n'était pas encore applicable. En cas de réponse positive à la première question ou de réponse négative à la seconde, l'autorité intimée pourra refuser la régularisation des travaux de 2001 et, si les conditions lui en paraissent réalisées, ordonner la remise en état. Dans ce dernier cas, l'attention des parties est attirée sur le fait que le tribunal a retenu récemment que l'art. 56A RCI dans sa teneur actuelle s'applique dans un tel contexte, quand bien même les travaux effectués illégalement auraient eu lieu avant l'entrée en vigueur de cette norme (JTAPI/1278/2021 du 16 décembre 2021 consid. 28, publié)

20.         S'agissant des frais de la procédure, il faut admettre que la recourante a eu raison de contester la décision litigieuse, de sorte que l'on ne saurait mettre un émolument à sa charge (art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Son avance de frais de CHF 900.- lui sera ainsi restituée. S'agissant de l'indemnité de procédure, il convient, d'une part, de relever que ce ne sont pas les mérites du recours qui aboutissent à son admission et, d'autre part, de reconnaître néanmoins que la recourante était tout de même contrainte de faire appel à un avocat pour contester la décision litigieuse et en obtenir l'annulation. Par conséquent, le tribunal lui allouera une indemnité réduite de CHF 800.-, à charge de l'Etat de Genève, soit pour lui l'autorité intimée (art. 87 al. 2 LPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 13 juillet 2020 par A______ contre la décision du département du territoire du 11 juin 2020 ;

2.             l'admet ;

3.             annule la décision du département du territoire du 11 juin 2020 et renvoie le dossier au département pour la suite à y donner au sens des considérants ;

4.             dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

5.             ordonne la restitution à la recourante de son avance de frais de CHF 900.-;

6.             alloue à la recourante, à charge de l'Etat de Genève, soit pour lui l'autorité intimée, une indemnité de procédure de CHF 800.- ;

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les trente jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

 

Siégeant : Olivier BINDSCHEDLER TORNARE, président, Bénédicte MONTANT et Julien PACOT, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

Le président

Olivier BINDSCHEDLER TORNARE

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière