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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/2591/2022

DCSO/520/2022 du 16.12.2022 ( PLAINT ) , REJETE

Normes : lp.22.al1; cc.2; lp.67.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2591/2022-CS DCSO/520/22

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 15 DECEMBRE 2022

 

Plainte 17 LP (A/2591/2022-CS) formée en date du 16 août 2022 par A______, élisant domicile en l'étude de Me Pascal Petroz, avocat.

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du ______ à :

-       A______

c/o Me PETROZ Pascal

Perréard de Boccard SA

Rue du Mont-Blanc 3

Case postale

1211 Genève 1.

- B______

c/o Me BUSSARD Michel

SIASSI McCUNN BUSSARD

Avenue de Champel 29

Case postale 344

1211 Genève 12.

- Office cantonal des poursuites.


EN FAIT

A. a. Par contrat "de gérance libre" non daté, C______ et A______, en qualité de "propriétaires du fonds de commerce à l'enseigne Pizzeria Restaurant D______", ont confié à B______ la "gérance libre" de cet établissement à compter du 1er janvier 2008 pour une durée initiale de trois ans par la suite reconduite, moyennant versement par ce dernier, d'une part, du loyer et des charges dus au propriétaire des locaux et, d'autre part, d'une "redevance de gérance" d'un montant de 5'038 fr. par mois.

b. B______ ayant accumulé du retard dans le paiement des redevances de gérance prévues par ce contrat, C______ et A______ ont engagé à son encontre, par réquisition du 4 mars 2022, une poursuite en paiement des montants de 35'194 fr. plus intérêts au taux de 5% l'an à compter du 15 février 2021 et de 15'114 fr. plus intérêts au taux de 5% l'an à compter du 15 janvier 2022, allégués être dus au titre de redevances mensuelles pour les mois de novembre 2020 à mai 2021, respectivement de décembre 2021 à février 2022.

B______ a formé opposition au commandement de payer, poursuite n° 1______, qui lui a été notifié le 10 mai 2022. Le 20 juin 2022, C______ et A______ ont requis la mainlevée de cette opposition.

Ces derniers ont également introduit à l'encontre de B______ une seconde poursuite, n° 2______, en paiement des montants de 15'114 fr. plus intérêts au taux de 5% l'an à compter du 15 avril 2022 et de 11'124 fr. plus intérêts au taux de 5% l'an à compter du 15 avril 2022, allégués être dus au titre de redevances mensuelles, respectivement de loyers, pour les mois de mars à mai 2022. Le commandement de payer notifié le 8 juillet 2022 à B______ a lui aussi été frappé d'opposition.

Par avis du 24 mai 2022, C______ et A______ ont par ailleurs déclaré résilier le bail les liant à B______ pour le 30 juin 2022. Ce dernier a quitté les locaux du restaurant le 1er juillet 2022.

c. Le 12 juillet 2022, B______ a engagé à l'encontre de A______ une poursuite ordinaire tendant au paiement d'un montant de 840'000 fr. plus intérêts au taux de 5% l'an, allégué être dû au titre de "trop-perçu loyers de gérance «D______» art. 208 CO".

Un commandement de payer, poursuite n° 3______, a été établi le 18 juillet 2022 par l'Office cantonal des poursuites (ci-après : l'Office) conformément aux indications figurant sur la réquisition de poursuite et notifié le 6 août 2022 à A______, lequel a formé opposition.

B. a. Par acte adressé le 16 août 2022 à la Chambre de surveillance, A______ a formé une plainte au sens de l'art. 17 LP contre le commandement de payer, poursuite n° 3______, concluant à son annulation, à la constatation de la nullité de la poursuite et à la radiation de celle-ci du Registre des poursuites. Selon lui, l'introduction par B______ de la poursuite litigieuse était sans rapport avec le but d'une procédure de poursuite, constituant en réalité une mesure de représailles aux démarches engagées à son encontre par C______ et lui-même en recouvrement des arriérés qui leur étaient dus et à la résiliation du bail du restaurant "D______". En témoignait le fait que le montant réclamé au titre de redevances de gérance non dues excédait en réalité la totalité des sommes versées par B______ pendant les quatorze années au cours desquelles il avait exploité le restaurant; à cela s'ajoutait que la référence à l'art. 208 CO, relatif à la résolution d'un contrat de vente, était incompréhensible.

La poursuite n° 3______ était ainsi constitutive d'un abus de droit, ce qui emportait sa nullité.

b. Dans ses observations du 9 septembre 2022, l'Office s'en est rapporté à justice sur le bien-fondé de la plainte.

c. Par détermination du 7 septembre 2022, B______ a conclu au rejet de la plainte, expliquant que le montant réclamé dans le cadre de la poursuite litigieuse ne correspondait pas à des redevances de gérance acquittées par le passé mais au prix pour lequel il aurait été en mesure de vendre le fonds de commerce à un tiers si A______, contrairement à une promesse qu'il lui avait faite dès le début des relations entre les parties, ne s'y était pas finalement opposé, allant jusqu'à résilier le bail avec effet au 30 juin 2022. Il a produit à cet égard copie d'un courriel reçu d'une entreprise de courtage évoquant un prix de 800'000 fr. à 850'000 fr. pour la cession du fonds de commerce du restaurant "D______".

La poursuite litigieuse visait ainsi à interrompre la prescription d'une créance due et à commencer une procédure de recouvrement, et non à exercer des représailles à l'encontre de A______. Elle n'était donc pas abusive.

d. Par réplique spontanée du 26 septembre 2022, A______ a persisté dans ses conclusions. Selon lui en effet, les explications données par B______ dans sa détermination sur plainte sur la cause de la créance invoquée dans la poursuite litigieuse, qui ne correspondaient pas aux indications figurant sur le commandement de payer, étaient dénuées de tout fondement dès lors que celui-ci n'avait jamais été propriétaire du fonds de commerce concerné.

e. En l'absence de duplique, la cause a été gardée à juger le 13 octobre 2022.

 

EN DROIT

1. Déposée en temps utile (art. 17 al. 2 LP) et dans les formes prévues par la loi (art. 9 al. 1 et 2 LALP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicables par renvoi de l'art. 9 al. 4 LALP), auprès de l'autorité compétente pour en connaître (art. 6 al. 1 et 3 LALP; art. 17 al. 1 LP), à l'encontre d'une mesure de l'Office pouvant être attaquée par cette voie (art. 17 al. 1 LP) et par une partie lésée dans ses intérêts (ATF
138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3), la plainte est recevable.

2. 2.1.1 Saisi d'une réquisition de poursuite répondant aux exigences de l'art. 67 LP, l'Office est tenu d'y donner suite par la rédaction et la notification d'un commandement de payer (art. 69 et 71 al. 1 LP), sans avoir à se soucier de la réalité de la créance indiquée dans la réquisition de poursuite (parmi d'autres arrêts du Tribunal fédéral 7B.36/2006 du 16 mai 2006 consid. 2.2 et les références citées : Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, n° 16 ad art. 67 LP; Amonn/Walther, Grundriss des Schuldbetreibungs- und Konkursrechts, 7e éd., Berne 2003, § 17 n° 1).

Le commandement de payer contient les indications prescrites pour la réquisition de poursuite, soit le nom et le domicile des créancier et débiteur, le montant de la créance exprimé en valeur légale suisse en principal et intérêts ainsi que la cause de la créance, cas échéant le titre de créance et sa date ou, à défaut de titre, la cause de la créance (art. 67 al. 1 et 69 al. 2 ch. 1 LP).

Le "titre de la créance" sera, par exemple, un jugement, une décision condamnatoire, un contrat, un document intitulé "reconnaissance de dette", etc. A défaut d'un tel document, et de la mention de la date de naissance de la prétention invoquée, le poursuivant doit indiquer la "cause de l'obligation", à savoir la source de la prétention déduite en poursuite. Le but de cette exigence n'est pas de permettre à l'Office de procéder à un examen de l'existence de la prétention, mais de répondre à un besoin de clarté et d'information du poursuivi quant à la prétention alléguée afin de lui permettre de prendre position; toute formulation relative à la cause de la créance qui permet au poursuivi, conjointement aux autres indications figurant sur le commandement de payer, de discerner la créance déduite en poursuite suffit. En d'autres termes, le poursuivi ne doit pas être contraint de former opposition pour obtenir, dans une procédure de mainlevée subséquente ou un procès en reconnaissance de dette, les renseignements sur la créance qui lui est réclamée (ATF 121 III 18 consid. 2; 141 III 173 consid. 2.2.2).

Un commandement de payer n'indiquant le titre ou la cause de la créance en poursuite, ou ne l'indiquant que de manière non reconnaissable pour le débiteur, n'est pas nul mais seulement annulable (ATF 121 III 18 consid. 2a). Il appartient ainsi au débiteur, s'il ne lui est pas possible d'identifier la cause de la créance sur la base de l'ensemble des informations résultant du commandement de payer, d'en demander l'annulation par la voie de la plainte.

2.1.2 Sont nulles les poursuites introduites en violation du principe de l'interdiction de l'abus de droit, tel qu'il résulte de l'art. 2 al. 2 CC (ATF
140 III 481 consid. 2.3.1). La nullité doit être constatée en tout temps et indépendamment de toute plainte par l'autorité de surveillance (art. 22 al. 1 LP).

La nullité d'une poursuite pour abus de droit ne peut être admise par les autorités de surveillance que dans des cas exceptionnels, notamment lorsqu'il est manifeste que le poursuivant agit dans un but n'ayant pas le moindre rapport avec la procédure de poursuite ou pour tourmenter délibérément le poursuivi; une telle éventualité est, par exemple, réalisée lorsque le poursuivant fait notifier plusieurs commandements de payer fondés sur la même cause et pour des sommes importantes, sans jamais requérir la mainlevée de l'opposition, ni la reconnaissance judiciaire de sa prétention, lorsqu'il procède par voie de poursuite contre une personne dans l'unique but de détruire sa bonne réputation, ou encore lorsqu'il reconnaît, devant l'Office des poursuites ou le poursuivi lui-même, qu'il n'agit pas envers le véritable débiteur. L'existence d'un abus ne peut donc être reconnue que sur la base d'éléments ou d'un ensemble d'indices démontrant de façon patente que l'institution du droit de l'exécution forcée est détournée de sa finalité (ATF 140 III 481 consid. 2.3.1; ATF 115 III 18 consid. 3b; arrêts du Tribunal fédéral 5A_1020/2018 du 11 février 2019, 5A_317/2015 du 13 octobre 2015 consid. 2.1, 5A_218/2015 du 30 novembre 2015 consid. 3; DCSO/321/10 du 8 juillet 2010 consid. 3.b).

La procédure de plainte des art. 17 ss LP ne permet par ailleurs pas d'obtenir l'annulation de la poursuite en se prévalant de l'art. 2 al. 2 CC, dans la mesure où le grief pris de l'abus de droit est invoqué à l'encontre de la créance litigieuse. L'autorité de surveillance n'est en effet pas compétente pour statuer sur le bienfondé matériel des prétentions du créancier déduites en poursuite qui relèvent de la compétence du juge ordinaire; elle n'est notamment pas compétente pour déterminer si le poursuivi est bien le débiteur du montant qui lui est réclamé; ce dernier doit utiliser les moyens que lui offre la procédure de poursuite, soit notamment l'opposition au commandement de payer, l'action en libération de dette, l'annulation de la poursuite, l'action en constatation de l'inexistence de la dette ou l'action en répétition de l'indu. C'est une particularité du droit suisse que de permettre l'introduction d'une poursuite sans devoir prouver l'existence de la créance; le titre exécutoire n'est pas la créance elle-même, ni le titre qui l'incorpore cas échéant, mais seulement le commandement de payer passé en force. Il est donc pratiquement exclu que le créancier obtienne de manière abusive l'émission d'un commandement de payer. L'Office ou l'autorité de surveillance ne peut ainsi exiger des explications sur la nature de la prétention ni refuser d'émettre un commandement de payer, même si la cause de la créance semble peu plausible voire imaginaire (parmi d'autres ATF 136 III 365 consid. 2.1, avec la jurisprudence citée, ATF 115 III 18 consid. 3b, ATF 113 III 2 consid. 2b = JdT 1989 II 120; arrêts du Tribunal fédéral 5A_250-252/2015 du 10 septembre 2015 consid. 4.1, 5A_76/2013 du 15 mars 2013 consid. 3.1, 5A_890/2012 du 5 mars 2013 consid. 5.3, 5A_595/2012 du 24 octobre 2012 consid. 5).

2.2.1 Il faut concéder en l'espèce au plaignant que l'indication de la cause de la créance figurant dans le commandement de payer – telle que reprise de la réquisition de poursuite – apparaissait déjà confuse avant que l'intimé ne l'explicite dans sa détermination sur plainte, dans la mesure où elle mentionnait à la fois un trop-perçu sur des montants déjà versés et une disposition relative à la restitution réciproque des prestations en cas de résolution d'un contrat de vente. Au vu des explications postérieures du poursuivant, cette indication est même fausse ou en tout cas incompréhensible : on voit mal en effet comment, à sa lecture, et même en la mettant en relation avec les autres informations résultant du commandement de payer, le plaignant aurait pu reconnaître que l'intimé lui demande la réparation d'un dommage qu'il allègue avoir subi en raison de la violation du prétendu engagement contractuel qu'aurait souscrit le poursuivi de lui laisser la disposition du fonds de commerce du restaurant qu'il exploitait.

Cela étant, ce n'est pas en raison du manque de précision, respectivement de l'inexactitude, de cette indication de la cause de la prétention déduite en poursuite que le plaignant a formé plainte, de telle sorte qu'il n'y a pas lieu d'annuler le commandement de payer litigieux en raison de ce vice. On ne voit d'ailleurs pas quel intérêt légitime le plaignant pourrait encore avoir à cette annulation, dès lors que la procédure de plainte lui a permis d'obtenir des précisions sur la cause de la prétention invoquée par l'intimé à son encontre et qu'il a préservé ses droits en formant opposition à la poursuite.

2.2.2 Le plaignant fait valoir pour le surplus que l'introduction de la poursuite litigieuse à son encontre constituerait une mesure de représailles consécutive aux poursuites que C______ et lui-même avaient engagées et à la résiliation du bail portant sur le restaurant exploité par l'intimé.

Il est exact à cet égard que le contexte conflictuel régnant entre les parties, de même que la proximité temporelle entre les démarches judiciaires engagées par le plaignant et C______ et l'introduction de la poursuite litigieuse, peuvent apparaître comme des indices d'une volonté de l'intimé d'utiliser la procédure de poursuite à des fins étrangères à son but, afin de tourmenter le plaignant. Jusqu'aux explications fournies par l'intimé dans sa détermination sur plainte, l'importance du montant réclamé et son caractère apparemment arbitraire étaient également de nature à susciter des doutes sur les intentions réelles de ce dernier.

Au vu des précisions apportées depuis lors cependant, ces indices ne sont pas suffisants pour admettre que, en engageant la poursuite litigieuse, l'intimé aurait agi dans un but n'ayant pas le moindre rapport avec la procédure de poursuite. On comprend en effet de ses explications que ce dernier considère – à tort ou à raison – que le plaignant n'aurait pas respecté une promesse qu'il lui avait faite et lui aurait ainsi causé un dommage dont il entend obtenir réparation. Savoir si les prétentions de l'intimé sont fondées, vraisemblables ou même plausibles ne relève pas de la compétence de la Chambre de céans mais de celle du juge civil. Il suffit, dans le cadre de la présente plainte, de constater que les éléments du dossier ne permettent pas de retenir que, comme le soutient le plaignant, l'intimé aurait agi dans le seul but de le tourmenter et sans aucune intention d'obtenir le paiement de tout ou partie du montant faisant l'objet de la poursuite litigieuse.

L'abus de droit n'étant ainsi pas établi, la plainte doit être rejetée.

3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :


A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 16 août 2022 par A______ contre le commandement de payer, poursuite n° 3______.

Au fond :

La rejette.

Siégeant :

Monsieur Patrick CHENAUX, président; Madame Ekaterine BLINOVA et
Monsieur Denis KELLER, juges assesseurs; Madame Christel HENZELIN, greffière.

 

Le président :

Patrick CHENAUX

 

La greffière :

Christel HENZELIN

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.