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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/4405/2016

DCSO/425/2017 du 24.08.2017 ( PLAINT ) , ADMIS

Descripteurs : EXPERTISE
Normes : ORFI.9
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4405/2016-CS DCSO/425/2017

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 24 AOÛT 2017

Demande de nouvelle expertise (A/4405/2016-CS) formée en date du 22 décembre 2016 par A______ et B______ SA, élisant domicile en l'étude de Me Cyrille PIGUET, avocat.

* * * * *

 

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du 4 septembre 2017
à :

- A______
B______ SA
c/o Me Cyrille PIGUET, avocat
Rue du Grand-Chêne 8
Case postale 5463
1002 Lausanne.

- C______ SA
c/o Me Daniel TUNIK, avocat
Lenz & Staehelin
Route de Chêne 30
Case postale 615
1211 Genève 6.

- Office des poursuites.


EN FAIT

A.           a. B______ SA est propriétaire de la parcelle n° 1______ sise D______, commune de E______. Il s'agit d'un bienfonds comportant deux villas.

b. Dans le cadre des poursuites n° 14 xxxx80 J et 14 xxxx39 U diligentées contre A______ et B______ SA, C______ SA a requis la réalisation de cette parcelle. L'Office des poursuites (ci-après : l'Office) a mandaté F______, architecte, afin de déterminer la valeur vénale de celle-ci.

c. Dans son rapport d'expertise du 16 novembre 2016, F______ a estimé à 16'727'000 fr. la valeur vénale de la parcelle, exposant que celle-ci correspondait à la valeur intrinsèque du bien. Il a additionné la valeur de l'ouvrage (8'614'119 fr. 10) à la valorisation du terrain (8'112'325 fr. 76).

Ce rapport contient un descriptif de la localisation de la parcelle (situation, zone villa de standing, éloignée des commerces, absence de nuisances dues au trafic, présence de végétation), de la forme du terrain (orthogonale régulière et allongée), son orientation, la déclivité vers le lac et de la vue partiellement dégagée ainsi que la servitude (restriction au droit à bâtir). Les aménagements intérieurs et extérieurs des bâtiments 1 (terminé) et 2 (en chantier), notamment la destination des pièces (piscine intérieure, hammam, salle de gym, bar, salle de cinéma, salle de jeux etc.) et le nombre de mètres carrés y relatifs, sont également décrits. Le type d'architecture (moderne à volumétrie cubique avec des toitures plates), les matériaux utilisés, le type de chauffage (à sondes géothermiques, au sol, ventilation minergie des espaces sanitaires et cuisine) sont aussi mentionnés. La hauteur des niveaux, les surfaces et le volume de ceux-ci ainsi que la valeur de chacune des constructions, y compris de la piscine extérieure ont été pris en compte. L'expert qualifie l’objet de haut standing, situé dans une zone résidentielle très prisée. Il s'est fondé sur une estimation de la valeur au regard d'une vente forcée.

d. Par décision du 9 décembre 2016, l'Office a informé A______ et B______ SA que, sur la base de cette expertise, il estimait à 16'727'000 fr. la valeur vénale présumée de l'immeuble.

B.            a. Par requête du 22 décembre 2016 adressée à la Chambre de surveillance, A______ et B______ SA ont sollicité qu'il soit procédé à une nouvelle expertise du bien immobilier, estimant que la valeur vénale retenue était sous-évaluée. Ils ont produit quatre expertises privées, établies en 2012 et 2011, estimant ce bien à plus de 31'200'000 fr.

b. Par ordonnance du 6 janvier 2017, la Chambre de surveillance a imparti à A______ et B______ SA, sous peine d'irrecevabilité de leur requête, un délai de dix jours pour procéder à l'avance de frais et a désigné G______, architecte, en qualité de nouvel expert pour estimer la valeur de l'immeuble.

L'avance de frais a été payée dans le délai imparti.

c. L'expert judiciaire a pu visiter les lieux le 10 mai 2017.

d. Dans son rapport d’expertise du 16 juin 2017, G______ a estimé la valeur intrinsèque de l'immeuble à 16'990'400 fr.

Ce rapport décrit la surface de la parcelle, les servitudes l'affectant, sa localisation et son environnement. Il est notamment précisé que les nuisances auxquelles celle-ci est exposée sont inférieures aux valeurs limites. Les caractéristiques de ce bien, qui comporte une maison dont la surface a été diminuée ("maison pour les invités") et une nouvelle maison ("maison principale"), au nord de la parcelle, sont également détaillées, y compris les matériaux utilisés. L’expert retient que les deux maisons sont très proches l'une de l'autre et que la vue présente une "échappée" sur le lac et une vue sur les parcelles avoisinantes. Les travaux en cours dans les deux maisons ne sont pas terminés. La nouvelle maison n'est, en outre, pas habitable en l'état.

L'expert a relevé que l'estimation de la valeur vénale de ce type de bien est devenue aléatoire. La clientèle à la recherche de ce type d'objets s'est réduite ces dernières années, de sorte que le prix des terrains a baissé, en particulier dans les quartiers chics en zone 5. Il est possible d'indiquer une valeur de remplacement basée sur une estimation intrinsèque. En revanche, l'indication d'une valeur vénale est dépendante de l'intérêt d'un client potentiel. Cet intérêt diminue fortement pour un objet qui nécessite encore d'importants travaux, qui se chiffrent à plusieurs millions et dureront plusieurs mois. Lors de la vente de biens immobiliers de luxe, la valeur subit une décote importante (entre 20 % et 30 %) par rapport à la valeur vénale ou un prix probable de vente estimé.

La surface habitable est de l'ordre de 560 m2. La surface calculée sur la base des plans transmis par le propriétaire, qui ne sont pas les plans d'autorisation de construire, est légèrement supérieure (environ de 10 %). Il n'est donc pas possible d'affirmer que les conditions mentionnées dans l'autorisation de construire ont été scrupuleusement respectées, tant s'agissant des surfaces et volumes que des exigences techniques (performances énergétiques HPE). Tout acquéreur potentiel devrait requérir une expertise technique afin de s'assurer que la nouvelle réalisation réponde aux exigences techniques.

L'expert a estimé la valeur de remplacement en retenant pour l'ancienne villa un prix au m3 de 1'400 fr. pour la partie habitation au rez-de-chaussée et au premier étage et de 900 fr. pour la partie aménagée au sous-sol, dont il fallait déduire 40 % en raison de la vétusté, des travaux et de la dégradation résultant des locaux inoccupés. En tenant également compte de ces derniers critères pour la nouvelle habitation, il a retenu un prix par m3 de 1'600 fr. pour le rez-de-chaussée et le premier étage, de 1'200 fr. pour la partie aménagée au sous-sol et de 800 fr. pour les locaux techniques et les garages. Le prix du m2 pour les deux terrains était de 3'700 fr.; ce montant se fondait sur la comparaison avec des transactions immobilières récentes pour des objets similaires se trouvant à proximité, sur la situation et l'orientation du bien ainsi que l'indice d'utilisation du sol. Il résultait de ces paramètres une valeur intrinsèque de 16'990'000 fr.

L’expert a transmis sa note d'honoraires de 3'600 fr. datée du même jour à la Chambre de céans.

e. A______ et B______ SA font valoir que, selon le marché immobilier, la valeur du bien est bien plus élevée, comme le démontrent les quatre expertises privées déjà produites ainsi que celle du 1er août 2015, qui estiment le bien entre 29'662'500 fr. et 35'000'000 fr. Depuis le Brexit, les agents immobiliers constataient un certain regain d'intérêt pour l'immobilier de luxe, notamment de la part de la clientèle anglaise. Au vu de ces éléments, la valeur du marché est supérieure à la valeur intrinsèque et doit être estimée au minimum à 20'000'000 fr.

f. L'Office s'en est rapporté à justice, alors que la créancière ne s'est pas déterminée.

EN DROIT

1. Aux termes de l'art. 9 al. 2 ORFI, chaque intéressé a le droit d'exiger, en s'adressant à l'autorité de surveillance dans le délai de dix jours de l'art. 17 al. 2 LP et moyennant avance des frais, qu'une nouvelle estimation soit faite par des experts. Il s'agit là d'un droit inconditionnel (arrêts du Tribunal fédéral 7B.79/2004 du 10 mai 2004, consid. 3.2 et 7B.126/2003 du 31 juillet 2003).

En l'espèce, après avoir eu connaissance du résultat de l'expertise réalisée par l'architecte mandaté par l'Office, les débiteurs poursuivis ont requis de la Chambre de céans, dans les délai et forme prescrits par la loi, qu’une nouvelle estimation soit effectuée par un second expert. L’avance de frais afférente a été payée en temps utile par les débiteurs.

La demande de nouvelle expertise est ainsi recevable.

2. En vertu de l'art. 97 al. 1 LP, l'Office procède à l'estimation des biens immobiliers saisis et peut s'adjoindre des experts à cette fin. Selon l'art. 9 al. 1 ORFI, l'estimation doit déterminer la valeur vénale présumée de l'immeuble et de ses accessoires, sans égard au montant de la taxe cadastrale ou de la taxe de l'assurance contre l'incendie. La valeur d'estimation d'un bien immobilier doit être fixée en fonction du produit prévisible de sa vente aux enchères forcées (de Gottrau, in Commentaire romand LP, 2005, n. 6 et 8 ad art. 97 LP).

L'estimation du bien à réaliser aux enchères ne vise pas à déterminer si celui-ci devrait suffire à couvrir la créance à recouvrer et ne révèle rien quant au produit effectivement réalisable lors de ces enchères. Elle donne tout au plus aux intéressés un point de repère à propos de l'offre défendable. C'est pourquoi l'estimation ne doit pas être la plus élevée possible, mais doit déterminer la valeur vénale présumée de l'immeuble. La loi ne prescrit pas de méthode pour estimer cette valeur. L'estimation doit tenir compte des facteurs pouvant avoir pour effet de diminuer la valeur de l'immeuble, comme son état, sa situation, son éventuelle pollution, l'existence de contrats de baux, etc. (ATF 134 III 42 consid. 4; 120 III 79 consid. 3; JdT 1996 II 1999; arrêts du Tribunal fédéral 5A_450/2008 et 5A_451/2008 du 18 septembre 2008, consid. 3.1; Gilliéron, Commentaire de la loi sur la poursuite pour dettes et la faillite, 2000, n° 16 ad art. 97).

Compte tenu du fait que l'estimation d'un immeuble fait appel à des connaissances spécialisées dans le domaine de l'immobilier et de la construction, l'Office de même que, sur demande de nouvelle expertise, la Chambre de surveillance s'en remettent en principe à l'avis d'un expert, pour autant que celui-ci soit dûment motivé. En présence d'estimations différentes, émanant d'experts aussi compétents l'un que l'autre, la Chambre de surveillance ne peut trancher pour un moyen terme entre les deux estimations en présence que si les deux expertises effectuées retiennent toutes deux des critères appropriés et tiennent compte des circonstances pertinentes, et qu'ainsi la fixation du montant à retenir au titre de l'estimation des biens à réaliser relève pleinement de son pouvoir d'appréciation (ATF 120 III 79 consid. 1 et 2b).

3. En l'espèce, l'expertise judiciaire comporte une description plus minutieuse du bien à réaliser que celle effectuée à la demande de l'Office. Le second expert tient également compte du fait que les travaux réalisés sur la parcelle ne sont pas entièrement conformes à ceux figurant dans l'autorisation de construire et relève la difficulté particulière d'estimer un bien de haut standing, dont les travaux ne sont pas terminés. Dès lors que ces critères sont susceptibles d'influer sur la valeur du bien, la Chambre écartera la première expertise au bénéfice de la seconde, qui paraît plus complète.

L'expert a exposé de manière détaillée les raisons pour lesquelles l'estimation de la valeur vénale de la parcelle était aléatoire. D'une part, la clientèle à la recherche d'un tel bien s'était fortement réduite ces dernières années. D'autre part, l'intérêt pour ce type d'objet diminuait fortement lorsque celui-ci nécessitait encore d'importants travaux se chiffrant à plusieurs millions de francs et requérant plusieurs mois de travaux. Lors de la vente de ces biens, leur valeur subissait souvent une décote importante (entre 20 % et 30 %) par rapport à la valeur vénale ou probable de vente.

Les débiteurs opposent à ces éléments l'affirmation selon laquelle, selon les agents immobiliers installés à Genève, il y aurait actuellement un regain d'intérêt de la clientèle de Grande-Bretagne pour les objets tel celui à vendre. Or, cette affirmation n'est étayée d'aucune pièce; rien ne permet ainsi de remettre en question l'avis de l'expert sur ce point.

En outre, l'expert a expliqué que le fait qu'il s'agisse d'un bien de standing, que les deux constructions sur la parcelle sont proches l'une de l'autre, que les travaux ne sont pas terminés et que ceux restant à faire sont importants et frappés d'une incertitude relative aux autorisations nécessaires rendent aléatoire la détermination de la valeur vénale et qu'il a ainsi procédé à l'établissement de la valeur intrinsèque. Ces explications paraissent convaincantes. Les poursuivis ne les critiquent d'ailleurs pas, se bornant à soutenir que la valeur du bien sur le marché immobilier serait plus élevée. Il n'y a donc pas lieu de s'écarter de la méthode d'estimation choisie par l'expert judiciaire. Il convient à cet égard de noter que le premier expert a également opté pour cette méthode, retenant, en sus, que la valeur intrinsèque correspondait, in casu, à la valeur vénale.

A la suite de ces explications, l'expert judiciaire a déterminé la valeur du terrain selon le prix du marché (3'700 fr./m2) ainsi que la valeur des deux habitations (hors sol et sous-sol) en tenant compte de l'état des travaux, de la "vétusté/ dépréciation" des villas ainsi que de la valeur des aménagements extérieurs et des raccordements, pour aboutir à la valeur intrinsèque de 16'990'400 fr., arrondie à 16'990'000 fr. Il a précisé que la comparaison avec d'autres biens immobiliers permettait de conforter cette estimation. Aucune critique n'est formulée quant au prix du m2 ou m3 retenu ni quant aux autres paramètres de calcul utilisés; ceux-ci ne présentent, au demeurant, aucune contradiction ou imprécision.

Partant, la Chambre de céans retiendra le montant articulé par l'expert judiciaire, qu'elle arrondira à 17'000'000 fr.

4. Le second expert a arrêté ses honoraires à 3'600 fr. TTC, montant qui paraît conforme aux tarifs usuellement pratiqués dans la branche. Sa note d'honoraires du 16 juin 2017 peut donc être approuvée.

La nouvelle expertise ayant été requise par les débiteurs poursuivis, son coût restera à leur charge (art. 9 al. 1 1ère phr. ORFI), étant précisé que l'avance versée par eux couvre l'intégralité des coûts de l'expertise.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la demande de nouvelle expertise de la parcelle 1______ de la commune de E______, sise au D______ formée le 22 décembre 2016 par A______ et B______ SA dans le cadre des poursuites n° 14 xxxx80 J et 14 xxxx39 U.

Au fond :

Fixe à 17'000'000 fr. la valeur d'estimation de la parcelle 1______ précitée de la commune de E______.

Fixe à 3'600 fr. les frais de la nouvelle expertise effectuée par G______ et invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à lui verser ce montant.

Met ces frais à la charge de A______ et B______ SA et les compense avec l'avance du même montant, qui a été fournie.

Siégeant :

Madame Valérie LAEMMEL-JUILLARD, présidente; Madame Florence KRAUSKOPF et Monsieur Patrick CHENAUX, juges; Madame Marie NIERMARECHAL, greffière.

 

La présidente :

Valérie LAEMMEL-JUILLARD

 

La greffière :

Marie NIERMARECHAL

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.