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Décisions | Chambre des prud'hommes

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C/21462/2012

CAPH/188/2016 du 01.11.2016 sur JTPH/38/2016 ( OO ) , REFORME

Recours TF déposé le 06.12.2016, 4A_688/2016
Descripteurs : INTÉRÊT(FRUIT CIVIL); CONTRAT DE TRAVAIL ; INTÉRÊT JURIDIQUE(PROCÉDURE CIVILE)
Normes : CPC.59.2
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/21462/2012-4 CAPH/188/2016

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des prud'hommes

DU 1er novembre 2016

 

Entre

A______ SA, sise ______ Genève, appelante d'un jugement rendu par le Tribunal des prud'hommes le 20 janvier 2016 (JTPH/38/2016), comparant par Me Emma LOMBARDINI, avocate, Poncet Turrettini, Rue de Hesse 8-10, Case postale 5715, 1211 Genève 11, en l'Étude de laquelle elle fait élection de domicile,

d'une part,

et

Monsieur B______, domicilié ______ Genève, intimé, comparant par Me Laurent NEPHTALI, avocat, Rue du Mont-de-Sion 8, 1206 Genève, en l'Étude duquel il fait élection de domicile,

d'autre part.


EN FAIT

A.           Par jugement JTPH/38/2016 du 20 janvier 2016, reçu le lendemain par les parties, le Tribunal des prud'hommes (ch. 1 du dispositif) a déclaré recevable la demande formée le 4 décembre 2012 par B______ contre A______ SA (ci-après: A______) ainsi que (ch. 2) l'expertise du 6 mai 2015 réalisée par le Dr. C______.

Au fond, il a constaté (ch. 3) que le courrier envoyé par B______ à A______ depuis ______ (Indonésie) le 26 décembre 2010 était nul et sans portée juridique, (ch.4) que le contrat de travail liant les précités n'avait pas été valablement résilié au 28 février 2011 et (ch. 5) a débouté les parties de toute autre conclusion.

Enfin, (ch. 6) il a arrêté les frais de procédure à hauteur de 6'566 fr. 50, les a mis à la charge de B______ à raison de 2'188 fr. 85 et de A______ à raison de 4'377 fr. 65, (ch. 7) a dit que le montant de 2'188 fr. 85 était compensé par l’avance de frais effectuée par B______, (ch. 8) a condamné A______ à verser à B______ la somme nette de 3'571 fr. 15 à titre de remboursement des frais judiciaires et enfin, (ch. 9) a condamné A______ à verser la somme nette de 806 fr. 50 aux services financiers du Pouvoir judiciaire.

B. a. Par acte déposé le 19 février 2016 au greffe de la Cour de justice, A______ a formé appel du jugement et conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation des chiffres 1, 2, 3, 4 et 6 à 9 du dispositif dudit jugement.

Elle conclut également à ce que l'action en constatation de droit déposée par B______ le 4 décembre 2012 soit déclarée irrecevable en tant qu'elle tend à dire et constater que le courrier envoyé depuis ______ (Indonésie) le 26 décembre 2010 serait nul et sans portée juridique ainsi qu'à dire et constater que le contrat de travail n'aurait pas été valablement résilié au 28 février 2011.

Elle conclut enfin à ce que l'expertise du 6 mai 2015 réalisée par le Dr. C______ soit déclarée irrecevable.

A______ invoque la violation de l'art. 88 CPC en lien avec la recevabilité des conclusions de l'intimé. S'agissant de l'expertise, elle estime que son droit d'être entendue a été violé en raison du fait que l'expert a procédé de façon autonome à des investigations. A cet égard, elle considère en outre que l'expertise est incomplète, inexacte et contradictoire. Enfin, elle estime que le premier juge a omis de prendre en compte certains faits pertinents dans sa détermination sur la capacité de discernement de B______ au 26 décembre 2010, tout comme il a omis de retenir la ratification a posteriori de la démission du précité par le biais des courriers de son avocate envoyés à A______ en février 2011.

b. Par réponse déposée le 15 avril 2016 au greffe de la Cour de justice, B______ a conclu au rejet de l'appel formé par A______, avec suite de frais et dépens.

c. Par réplique et duplique envoyées respectivement le 9 et 11 mai 2016, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

Le 13 mai 2016, elles ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent du dossier soumis à la Cour:

a. A______ est une société anonyme dont le siège se situe à Genève et dont le but social est l'exploitation d'une banque, y compris l'exercice à titre professionnel du commerce de valeurs mobilières.

B______ a été engagé par cette banque, en qualité de « Foreign Exchange Sales Dealer », à partir du 1er septembre 2003, par contrat de travail à durée indéterminée signé le 20 août 2003.

b. A la fin de l’année 2010, B______ a sollicité de son employeur un congé sans solde pour la période du 19 novembre 2010 au 31 janvier 2011, qui a été accepté, par courrier du 23 novembre 2010 de A______, le retour au travail étant prévu le 1er février 2011.

Durant ce congé, qu'il a passé à Bali, B______ a tenu un blog sur lequel il parlait de ses expériences, notamment spirituelles.

c. Par courrier du 26 décembre 2010 envoyé depuis ______ (Indonésie), B______ a résilié le contrat de travail le liant à A______.

A cette occasion, il a émis le souhait de pouvoir récupérer ses actions bloquées de A______ afin de lui permettre de réaliser et concrétiser son nouveau départ. Il a notamment indiqué dans son courrier qu'il rentrerait le 26 janvier et a demandé quelles étaient les prochaines démarches à entreprendre. Il a offert ses services pour les deux mois d'échéance avant la fin effective des rapports de travail mais a proposé de travailler depuis son domicile. Il a également offert de partager son savoir récemment acquis.

Par courrier du 30 décembre 2010, A______ a accusé réception de la lettre précitée, a pris acte de la résiliation du contrat de travail pour le 28 février 2011 et a également libéré B______ de son obligation de travailler, par courrier daté du 18 janvier 2011 qui lui a été remis en mains propres par D______.

d. Le 18 novembre 2011, B______, par le biais de son ancien conseil
Me E______, a écrit à A______ en faisant référence à sa démission et en réclamant sa participation au plan d’intéressement des employés de la banque.

Par courrier du 23 novembre 2011, A______ a refusé d’entrer en matière sur cette demande.

e. Par courrier du 23 janvier 2012, B______, par le biais de Me F______, a indiqué à A______ qu’il était privé de sa capacité de discernement lors de la rédaction de sa lettre de démission du 26 décembre 2010. Il demandait par conséquent d’admettre la nullité de cette résiliation et de soumettre le cas à l’assureur perte de gain maladie.

Le 1er février 2012, A______ a intégralement contesté le courrier précité.

f. B______ a formé une requête de conciliation le 22 octobre 2012 à l’encontre de A______. L'audience de conciliation du 26 novembre 2012 n'ayant pas abouti, une autorisation de procédé a été délivrée au précité.

Par action en constatation de droit à l’encontre de A______ parvenue au greffe du Tribunal des prud’hommes le 4 décembre 2012, B______ a conclu à dire et constater que le courrier envoyé depuis ______ (Indonésie) le 26 décembre 2010 est nul et sans portée juridique, à dire et constater que le contrat de travail n’a pas été valablement résilié au 28 février 2011, et à dire et constater que les parties sont toujours liées par un contrat de travail.

A l'appui de ses conclusions, le demandeur a, en substance, allégué qu'il avait rédigé la lettre de démission du 26 décembre 2010 dans un état d’incapacité de discernement. Trois semaines auparavant, il avait ouvert un blog délirant afin de parler de ses expériences et en avait adressé les coordonnées au Président Directeur Général de la défenderesse. Son état de santé psychique n’avait fait que d’empirer par la suite.

Puisqu’il était en incapacité de discernement le 26 décembre 2010, il n’avait pas pu percevoir la portée de son acte en exprimant sa volonté de mettre fin au contrat de travail, et la résiliation était par conséquent nulle et de nul effet.

A l’appui de ses allégués, il a produit plusieurs attestations médicales, établies respectivement les 16 janvier, 16 février, 21 août et 12 septembre 2012, qui indiquent toutes que son état de santé au moment de sa démission était mauvais, en raison d'un trouble psychiatrique et que cette circonstance avait eu une influence négative sur son comportement.

g. La valeur litigieuse de l'action a été fixée à 276'144 fr, ce montant étant basé sur différentes créances en paiement de salaires et indemnités liées à l'incapacité de travail pour cause de maladie.

h. Par mémoire de réponse déposé au greffe du Tribunal des prud’hommes le 6 mai 2013, A______ a conclu au déboutement de son adverse partie avec suite de frais et dépens.

Elle a fait valoir que B______ était capable de discernement lors de la rédaction de sa lettre de démission du 26 décembre 2010. A cet égard, elle a notamment allégué que ladite lettre avait été rédigée en des termes cohérents et que B______ avait parfaitement compris la teneur de son entretien du
18 janvier 2011 avec D______, laquelle lui avait remis le courrier du même jour, le libérant de son obligation de travail. S’agissant des attestations médicales précitées, produites par B______, A______ a souligné qu’elles étaient toutes postérieures à sa lettre de démission du 26 décembre 2010 et qu’elles n'avaient aucune valeur probante.

i. Le 23 septembre 2013, sur demande de A______, B______ a produit les documents démontrant ses démarches effectuées, et leurs résultats, auprès de l’assurance-invalidité et de l’assurance-chômage.

Il ressort de ces documents que, par décision du 19 avril 2012, la caisse de chômage UNIA a refusé à B______, le droit à des indemnités de chômage à partir du 24 février 2012. Le 17 janvier 2012, ce dernier a fait une demande de prestations AI pour adultes. Après lui avoir fait bénéficier de mesures professionnelles depuis le mois de juillet 2012, l’Office cantonal AI lui a reconnu le droit à une rente entière dès le 1er février 2013 sur la base d’une invalidité de 100%.

j. A l’audience de débats principaux du 4 février 2014 devant le premier juge, les parties ont confirmé leurs conclusions respectives.

Le 25 mars 2014, lors d’une nouvelle audience de débats principaux, le Tribunal a entendu deux témoins, soit G______, médecin psychiatre et ami de la famille de B______, ainsi que H______, médecin psychiatre, qui avait suivi le précité de 2002 ou 2004 à 2012.

A une troisième audience de débats principaux du 13 mai 2014, d'autres témoins ont été entendus: I______, psychologue, qui avait suivi B______ pour des problèmes d’alcool dès septembre 2007, alors que les HUG le suivaient pour un trouble bipolaire, J______, médecin psychiatre, qui avait suivi le demandeur de mai 2012 à octobre 2013 et D______, employée au département des ressources humaines de A______ au moment des faits litigieux.

k. Le 6 novembre 2014, le Tribunal a ordonné une expertise et nommé le
Dr. C______ en tant qu'expert. Par ordonnance du 6 mars 2015, le Tribunal, après avoir interpellé les parties, a précisé la mission de cet expert et, pour mener à bien l’expertise, le Tribunal a transmis à ce dernier l’ensemble des pièces de la procédure jusqu’à l’ordonnance d’instruction du 6 novembre 2014.

Les questions sur lesquelles l'expert devait se déterminer étaient les suivantes:

1.      B______ était-il incapable de discernement lors de la rédaction de sa lettre de démission du 26 décembre 2010 postée depuis Bali [si oui, veuillez indiquer si ladite incapacité de discernement peut être considérée comme possible (25% de probabilité), probable (50% de probabilité), hautement vraisemblable (75% de probabilité) ou certaine (100% de probabilité)] ?

2.      Est-il dans le cours ordinaire des choses qu’une personne incapable de discernement puisse manifester un comportement social et professionnel inadéquat pouvant aller à l’encontre de ses intérêts ?

3.      Dans le cas où l’incapacité de discernement du demandeur est retenue, veuillez indiquer si celle-ci est en lien de causalité avec la rédaction de sa lettre de démission du 26 décembre 2010 ?

Le Tribunal a transmis à l'expert l'ensemble des pièces de la procédure à cette date, y compris l'ordonnance d'instruction du 6 novembre 2014.

l. Le 6 mai 2015, le Dr C______ a déposé son rapport d’expertise, fondé sur différents entretiens, notamment avec l'intimé, et sur deux documents ne figurant pas à la procédure, soit un rapport établi le 28 avril 2015 par la Dresse K______, ainsi que le dossier de l’expertisé détenu par le Département de psychiatrie des Hôpitaux universitaires de Genève.

L'expert a répondu positivement à la première question, avec 100% de probabilité. S'agissant de la deuxième question, il a indiqué qu'il était dans le cours ordinaire des choses qu’une personne incapable de discernement en raison d’un épisode maniaque manifeste un comportement social et/ou professionnel inadéquat, pouvant aller à l’encontre de ses intérêts. Enfin, il a répondu positivement à la troisième question.

Par courrier du 3 juin 2015, la défenderesse a demandé à ce que l’expertise soit écartée de la procédure puisque l’expert avait outrepassé sa mission. Elle reprochait notamment à l’expert d’avoir procédé personnellement à des investigations sans avoir au préalable demandé l’autorisation du Tribunal.

Lors d’une nouvelle audience de débats principaux du 1er septembre 2015, le
Dr. C______ a expliqué qu’il n’avait pas reçu d’autorisation spéciale du Tribunal concernant ses investigations, mais qu'il avait estimé devoir utiliser tous les moyens nécessaires pour établir son rapport. Aucun élément en particulier ne l’avait amené à conclure que B______ était incapable de discernement lors de sa démission et il s’était plutôt fondé sur un faisceau d’indices, tel qu’en particulier la teneur de la lettre de démission.

 

EN DROIT

1. La Cour examine d'office si les conditions de recevabilité du recours sont remplies (art. 59 et 60 CPC; Reetz, in Kommentar zur Schweizerischen Zivil-prozessordung, Sutter-Somm/Hasenböhler/Leuenberger [éd.], 2ème éd. 2013, n. 50 ad Vorbemerkungen zu den Art. 308-318 CPC; Tappy, Les voies de droit du nouveau Code de procédure civile, in JdT 2010 III p. 115 ss, p. 141; Chaix, Introduction au recours de la nouvelle procédure civile fédérale, in SJ 2009 II p. 257 ss, p. 259).

1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC), dans les causes non patrimoniales ou dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 308 al. 2 CPC).

D'après l'art. 236 al. 1 CPC, une décision est finale, lorsqu'elle met fin au procès, soit sur le fond, soit sur la recevabilité.

Selon l'art. 311 al. 1 CPC, l'appel, écrit et motivé, est introduit auprès de l'instance d'appel dans les 30 jours à compter de la notification de la décision motivée ou de la notification postérieure de la motivation.

1.2 En l'espèce, le jugement JTPH/38/2016 prononcé le 20 janvier 2016 par le Tribunal des prud'hommes est une décision finale.

S'agissant de la valeur litigieuse, non contestée, celle-ci a été estimée à 276'144 fr. par l'intimé en première instance et le Tribunal a admis qu'elle était supérieure à 75'000 fr. Partant, la valeur litigieuse de 10'000 fr. est atteinte.

Déposé dans les délais et forme légaux (art. 130, 131, 142 al. 1 et 311 al. 1 CPC), par une partie qui dispose d'un intérêt pour agir (art. 59 al. 2 let. a CPC), le présent appel est, de ces points de vue, également recevable.

1.3 La question de la recevabilité de l'appel contre la décision du premier juge au sujet de l’admissibilité de l'expertise du Dr. C______ peut rester ouverte au vu de ce qui suit.

2. 2.1 En premier lieu, l'appelante fait grief au premier juge d'avoir, à tort, déclaré recevable l'action en constatation de droit déposée le 4 décembre 2012 par l'intimé, en tant qu'elle tendait à constater que son courrier de congé envoyé depuis ______ (Indonésie) le 26 décembre 2010 était nul et sans portée juridique, de sorte que le contrat de travail entre les parties n'avait pas été valablement résilié avec effet au 28 février 2011.

2.1.1 Avec l’action condamnatoire et l’action formatrice, l’action en constatation constitue le troisième type d’action principal prévu par le CPC. Le Tribunal fédéral a reconnu sa portée générale déjà avant l'entrée en vigueur du CPC car elle est liée à la réalisation du droit civil matériel fédéral (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006, FF 6841, 6901).

Le droit de procédure ne sert pas à juger des questions juridiques abstraites sans effets sur des rapports de droit concrets. Ceci vaut pour tous les types d'actions prévues par le CPC. Dès lors, si plusieurs actions entrent en concurrence, le principe de subsidiarité doit en outre être respecté, de sorte qu’il convient d’introduire celle qui est susceptible d’apporter immédiatement au demandeur l’avantage qu’il recherche (ATF 122 III 279 consid. 3a, JdT 1998 I 605).

Chaque demandeur, qui introduit une action dans le but de faire constater l'existence ou l'inexistence d'un droit ou d'un rapport de droit, doit donc en justifier les raisons, à moins que cette action ne soit prévue expressément dans une loi spéciale. Ainsi, contrairement à l’action condamnatoire et formatrice, l’intérêt à protéger – qui est une condition de recevabilité (art. 59 al. 2 CPC) – ne va pas de soi en cas d’action en constatation (Message du Conseil fédéral du 28 juin 2006, FF 6841, 6901).

L'action en constatation de droit est ouverte si le demandeur a un intérêt important et digne de protection à la constatation immédiate de la situation de droit. Il n'est pas nécessaire que cet intérêt soit de nature juridique, il peut s'agir d'un pur intérêt de fait, mais il doit être important et immédiat (BOHNET, in CPC, Code de procédure civile, Bohnet et al. [éd.], 2011, n. 6, p. 288). La condition est remplie notamment lorsque les relations juridiques entre les parties sont incertaines et que cette incertitude peut être levée par la constatation judiciaire (ATF 141 III 68 consid. 2.2 et 2.3). Pour cela, n'importe quelle incertitude ne suffit pas, il faut au contraire que l'on ne puisse pas exiger de la partie demanderesse qu'elle tolère plus longtemps la persistance de cette incertitude, parce que celle-ci l'entrave dans sa liberté de décision (ATF 123 III 414 consid. 7b, JdT 1999 I 251; ATF 120 II 20 consid. 3a, JdT 1995 I 130; ATF 110 II 352 consid. 2, JdT 1985 I 354; ATF 131 III 319 consid. 3.5, SJ 2005 I 449)

En définitive, l'intérêt pratique à une constatation de droit fait normalement défaut pour le titulaire du droit lorsque celui-ci dispose d'une action en exécution, en interdiction ou d'une action formatrice, immédiatement ouverte, qui lui permettrait d'obtenir directement le respect de son droit ou l'exécution de l'obligation. Seules des circonstances exceptionnelles pourraient conduire à admettre l'existence d'un intérêt à la constatation de droit bien qu'une voie d'exécution soit ouverte. Le créancier qui dispose d'une action en exécution ne peut en tout cas pas choisir d'isoler des questions juridiques pour les soumettre séparément au juge par la voie d'une action en constatation, comme s'il sollicitait un avis de droit (ATF 114 II 253 consid. 2, JdT 1989 I 333 ; ATF 135 III 378 consid. 2.2).

2.1.2 Enfin, l'absence d'un intérêt digne de protection doit être relevée d'office, à tous les stades de la procédure. Si le juge constate l'absence d'intérêt, alors il doit rendre une décision d'irrecevabilité et ne pas entrer en matière sur le fond (arrêt du Tribunal fédéral 4P.239/2005 du 21.11.2005 consid. 4.1). Aussi, l'intérêt doit exister au moment du jugement (arrêt du Tribunal fédéral 4A_280/2015 du
20 octobre 2015 consid. 6.2.1; ATF 127 III 41 consid. 4c, JdT 2000 II 98, SJ 2001 I 190; TC/FR du 2 mai 2012 (101 2011 288) consid. 3).

2.2 En l'espèce, l’intimé n’avait aucun intérêt digne de protection important et immédiat à la constatation de la situation de droit existant entre les parties au moment du jugement entrepris.

Sa demande n'étant fondée sur aucune base légale spéciale, il était tenu d’en justifier les fondements, ce qu’il n’a pas fait, se contentant d'en expliquer l'objet.

Dans sa réponse au présent appel, il s’est borné à rappeler, au regard de la recevabilité de son action en constatation, les bases légales, la jurisprudence et la doctrine majoritaire applicables, sans toutefois alléguer concrètement un quelconque intérêt à cette action.

Certes, il existait une certaine incertitude quant à la situation juridique entre les parties au moment du dépôt de sa demande devant le premier juge, en raison principalement de la maladie dont souffrait l'intimé au moment de la rédaction de son courrier de démission. Cependant, il apparaît qu'une action condamnatoire était prépondérante, déjà à ce moment-là, à une action en constatation.

En effet, en cherchant à faire admettre que le congé qu’il avait donné à l’appelante avait été sans portée juridique, il apparaît que l'intimé cherchait à obtenir de ladite appelante qu'elle fasse intervenir son assurance perte de gain en raison de son incapacité de travailler.

Par ailleurs, l'intimé a procédé à des démarches administratives après sa démission, sans que la question de la validité de son congé ne soit tranchée et en cours de procédure devant Tribunal, l’AI lui a reconnu une invalidité à 100 %, ce qui lui a ouvert le droit à une rente entière dès le 1er février 2013.

Il ressort dès lors à l’évidence de ce qui précède que l’intimé n’a pas été entravé dans sa liberté de décision ni s’est trouvé dans une situation insoutenable du fait de son incertitude juridique alléguée au sujet de la persistance ou non de sa relation de travail avec l'appelante.

De plus, l’intérêt digne de protection de l’intimé peut également être remis en cause au regard du principe de la bonne foi (art. 52 CPC), puisqu’avant d'intenter son action en constatation, il avait contacté l'appelante en 2011 pour réclamer sa part au plan d'intéressement de l’appelante en se fondant sur sa démission.

Au vu de ce qui précède, le premier juge aurait dû déclarer irrecevable l'action en constatation de l'intimé, faute d'intérêt digne de protection au sens de l'art. 59 al. 2 let. a CPC.

Le présent appel sera donc admis, le jugement entrepris annulé et l'irrecevabilité de la demande de l'intimé prononcée.

2.3. Compte tenu de la solution adoptée ci-dessus, il n'y a pas lieu d'entrer en matière sur les autres griefs formulés par l'appelante.

3. 3.1 Lorsque l'autorité d'appel statue à nouveau, elle se prononce sur les frais de première instance (art. 318 al. 3 CPC).

La quotité des frais judiciaire de première instance en 6'566 fr. 50 n'étant pas contesté, ils seront confirmés.

Ils seront mis à la charge de l’intimé, qui succombe entièrement dans ses conclusions (art. 95 al. 1 et 106 al. 1 CPC) et partiellement compensés avec les avances de frais qu’il a versées à hauteur de 5'760 fr. au total (art. 111 al. 1 CPC).

L'intimé sera condamné à verser un montant supplémentaire de 806 fr. 50 aux Services financiers du Pouvoir judiciaire au titre de ces frais judiciaires.

Il sera également condamné à rétrocéder à l'appelante la somme de 3'571 fr. 15 qu’elle avait été elle-même condamnée par le premier juge à lui verser au titre de remboursement de frais judiciaires de première instance.

Les Services financiers du Pouvoir judiciaire seront en outre invités à rembourser à l'appelante la somme de 806 fr. 50 qu'elle leur avait versée au titre de complément à sa charge de frais judiciaires de première instance.

Il n'est pas alloué de dépens devant le premier juge (art. 22 al. 2 LaCC).

3.2 Les frais judiciaire d'appel seront arrêtés au montant de 2'000 fr (art. 69 et 71 RTMFC).

Ils seront intégralement compensés avec l'avance de frais de même montant versée par l'appelante qui reste acquise à l'Etat (art. 111 al. 1 CPC).

Ils seront mis à la charge de l'intimé, qui succombe entièrement dans ses conclusions (art. 95 al. 1 et 106 al. 1 CPC) et qui sera dès lors condamné à rembourser cette avance de frais de 2'000 fr. à l’appelante.

Il n'est pas alloué de dépens d’appel (art. 22 al. 2 LaCC).

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS,

La Chambre des prud'hommes, groupe 4 :

A la forme :

Déclare recevable l'appel formé par A______ SA le 19 février 2016 contre le jugement JTPH/38/2016 prononcé le 20 janvier 2016 par le Tribunal des prud'hommes dans la cause C/21462/2012.

Au fond :

Annule ce jugement et cela fait, statuant à nouveau:

Déclare irrecevable la demande dirigée par B______ contre A______ SA.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais de première instance :

Confirme la quotité des frais judiciaires de première instance, arrêtés à 6'566 fr. 50.

Les met à la charge de B______ et dit qu’ils sont partiellement compensés avec les avances déjà versées par ce dernier, totalisant 5'760 fr., qui restent ainsi acquises à l'Etat.

Condamne B______ à verser en outre la somme de 806 fr. 50 aux Services financiers du Pouvoir judiciaire au titre du solde dû de ces frais judiciaire de première instance.

Condamne B______ à rembourser la somme de 3'571 fr. 15 à A______ SA.

Ordonne aux Services financier du Pouvoir judiciaire de rembourser la somme de 806 fr. 50 à A______ SA.

Sur les frais d’appel :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 2'000 fr. et les compense entièrement avec les avances de même montant déjà versées par A______ SA, qui restent acquises à l’Etat.

Les met à la charge de B______.

Condamne dès lors B______ à rembourser la somme de 2'000 fr. à A______ SA.

Dit qu'il n'est pas alloué de dépens.

 

Siégeant :

Madame Valérie LAEMMEL-JUILLARD, présidente; Madame Nadia FAVRE, juge employeur; Madame Christine PFUND, juge salariée, Madame Véronique BULUNDWE-LEVY, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours et valeur litigieuse :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000.- fr.