Aller au contenu principal

Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2211/2013

ATAS/574/2015 du 30.07.2015 ( AI ) , PARTIELMNT ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2211/2013 ATAS/574/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 30 juillet 2015

3ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée à GENÈVE, représentée par PROCAP Service juridique

recourante

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITE DU CANTON DE GENEVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

intimé

 


 

EN FAIT

 

1.        Madame A______ (ci-après : l'assurée), née en 1958, ressortissante algérienne, est domiciliée en Suisse depuis décembre 2002.

2.        Le 29 mars 2004, elle est tombée dans un bus des transports publics, lorsque celui-ci a freiné brusquement.

3.        Le 24 novembre 2005, l’assurée a déposé auprès de l’Office cantonal de l’assurance-invalidité (OAI) une première demande de prestations, rejetée par décision du 23 octobre 2008.

L’OAI a considéré que les limitations fonctionnelles relatives aux discopathies ne limitaient pas la capacité de l’assurée à exercer une activité adaptée auxdites limitations. Pour le surplus, en l’absence de comorbidité psychiatrique, le diagnostic de syndrome somatoforme douloureux persistant de degré modéré et stabilisé ne pouvait être considéré comme invalidant.

Cette décision a été rendue à l’issue d’une instruction ayant permis de recueillir notamment les éléments suivants :

-          un rapport établi le 28 juillet 2004 par le docteur B______, spécialiste FMH en rhumatologie, précisant que l’assurée avait souffert, suite à sa chute, de contusions prédominant dans les régions para-dorsale et la crête iliaque droites; de fortes douleurs assez diffuses étaient rapidement apparues et la situation s'était progressivement détériorée avec l'apparition de douleurs rachidiennes paradoxales et paralombaires droites, irradiant fortement et de façon diffuse dans la fesse et le membre inférieur droits ; la patiente se plaignait également de fortes douleurs paracervicales irradiant dans l'épaule droite, de céphalées bilatérales, de troubles du sommeil, d’une diminution de la vision, de vertiges et d’inappétence ; le médecin précisait que sa patiente bénéficiait d'un suivi psychologique ; il émettait l’avis que l'ensemble des symptômes douloureux associé aux multiples autres plaintes était à replacer principalement dans le cadre d'un syndrome de stress post-traumatique dont les répercussions semblaient devenir majeures ;

-          un rapport rédigé le 2 décembre 2004 par la doctoresse C______, spécialiste FMH en médecine interne, confirmant le diagnostic d’état de stress post-traumatique (ESPT), accompagné d’un état dépressif majeur avec idées suicidaires et d’un trouble anxieux avec phobie et trouble panique ; le médecin évoquait en outre un état migraineux et un syndrome douloureux chronique majoré par les troubles thymiques ;

-          un rapport établi le 24 janvier 2006 par le docteur D______, chirurgien-orthopédiste FMH, diagnostiquant une entorse cervicale, une fracture/tassement de la vertèbre D1, un syndrome de stress post-traumatique - tous apparus le 29 mars 2004, date de l’accident - ainsi qu'un glaucome ; l’assurée se plaignait de douleurs diffuses du rachis prédominant aux niveaux cervical et dorsal haut, d’une hypoesthésie et de paresthésies mal systématisées du membre supérieur gauche, d’insomnies et d’idées noires ; les divers examens radiologiques révélaient une discopathie étagée relativement importante C5-C6 et C7 de type dégénératif et un tassement de D1 sans compression neurale fonctionnelle ; selon le médecin, aucune activité professionnelle n’était envisageable, essentiellement en raison du problème psychiatrique ; il signalait en outre un glaucome sévère, avec menace de décompensation à court ou moyen terme, ainsi que des vertiges ;

-          un rapport du 29 janvier 2006 - modifié le 9 janvier 2007 -, rédigé par le docteur  E______, psychiatre et psychothérapeute FMH, confirmant les diagnostics d’ESPT (F43.1) et de syndrome douloureux somatoforme persistant (F45.4) ; le médecin concluait à une totale incapacité de travail en précisant qu’il n’y avait aucune influence due à des particularités comportementales de nature sociale, culturelle ou familiale et que les troubles psychiques étaient réactionnels à des événements de vie adverses ;

-          un rapport établi le 6 mars 2006 par le docteur F______, oto-rhino-laryngologue et chirurgien cervico-facial FMH, relatant que la patiente avait souffert par le passé d’un brusque déficit vestibulaire dont il restait encore des séquelles et ajoutant qu’il n’était pas évident de savoir quelle était la participation de l’atteinte vestibulaire séquellaire à l’entretien des plaintes ;

-          un questionnaire rempli en date du 20 mars 2006 par l’assurée afin de déterminer son statut, dans lequel elle affirmait que, si elle avait été en bonne santé, elle aurait exercé l’activité d'aide-soignante à plein temps tout en admettant n’avoir jamais travaillé à plein temps ;

-          un rapport rédigé le 12 avril 2006 par la doctoresse G______, psychiatre et psychothérapeute FMH, confirmant les diagnostics d’ESPT et de syndrome douloureux chronique et mentionnant au surplus, en précisant qu’elle était sans répercussion sur la capacité de travail, une autre modification durable de la personnalité (F 62.0) depuis le 26 mai 2004 ; le médecin concluait à une totale incapacité de travail depuis le 29 mars 2004 ;

-          un rapport rédigé le 1er août 2004 par Madame H______, psychologue et psychothérapeute FSP, notant un grave état dépressif réactionnel à l’accident, un trouble anxieux, des phobies, un trouble panique, de même qu'une perte d'acuité visuelle et une hypersensibilité à la lumière, expliquant que ces symptômes étaient systématiquement observés chez les patients souffrant de traumatismes crâniens consécutifs à des accidents, qu’ils étaient difficilement objectivés sur le plan neurologique mais pouvaient être attestés par un ophtalmologue ;

-          un rapport du 26 mars 2007 de la doctoresse I______, médecin-adjoint du service de neurochirurgie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), relevant qu’immédiatement après l’accident, la patiente avait été hospitalisée directement et exclusivement par le service de psychiatrie, qu’elle avait été vue à trois reprises en trois jours pour « douleurs sur contusions » sans qu’aucun trait pathologique thymique n’ait été noté ; selon le médecin, la parésie du membre supérieur gauche était grandement influencée par un phénomène algique ou même supra-tensoriel ;

-          un rapport du 17 juillet 2007 du docteur J______, ophtalmologue FMH, indiquant avoir pratiqué, les 16 et 23 janvier 2007, une iridotomie en raison d’un risque de glaucome, notant une lente dégradation de l’acuité visuelle due à un fort astigmatisme hypermétrope et à une presbytie ;

-          un nouveau rapport du Dr F______, daté du 24 août 2007, exposant que l’assurée avait chuté dans sa salle de bain, suite à un brusque vertige, le 3 mars 2007, qu’il y avait eu impact au niveau de la tête, à gauche, qu’on avait constaté une importante perforation de la membrane tympanique gauche et que l’audiogramme avait révélé une surdité mixte sévère, avant tout de perception, et une hypoacousie de perception de degré moyen à gauche ;

-          un avis émis par le docteur K______, spécialiste en médecine interne FMH et médecin auprès du Service médical de l’assurance-invalidité (SMR), daté du 5 février 2008, estimant que les modifications dégénératives de la colonne cervicale avaient été décompensées par l’entorse cervicale, que la persistance, durant deux ans, de douleurs intenses, associées à l’absence de corrélations radiocliniques et électrophysiologiques permettait de poser le diagnostic de syndrome douloureux somatoforme persistant, qu’il y avait en revanche lieu de se montrer réservé - vu l’absence d’expérience de vécu d’une situation de mort imminente ou de violence extrême - quant au diagnostic d’ESPT également retenu par les médecins ;

-          un rapport daté du 9 mai 2008 de la doctoresse L______, rhumatologue FMH, diagnostiquant un status après traumatisme cervical du 31 mars 2004 suivi d’algies persistantes cervico-brachiales à prédominance gauche, vertiges rotatoires intermittents avec instabilité sur base de déficit vestibulaire périphérique et status post-chute à domicile en mars 2007 suivie d’une vaste perforation tympanique gauche ; le médecin faisait état d’une aggravation ; la patiente se plaignait depuis une année environ d’une faiblesse du membre inférieur gauche avec électricité et fourmillements jusqu’au talon, accompagnés de blocages au lever ou à la marche ; elle ne pouvait plus ni conduire, ni manger et dépendait de son entourage pour les activités quotidiennes ; elle se plaignait aussi de ce que sa vue avait beaucoup baissé ;

-          un rapport de la Clinique romande de réadaptation (CRR), où la recourante avait séjourné du 23 au 26 juin 2008 et avait fait l’objet d’une expertise par les docteurs M______, chirurgien-orthopédiste FMH, N______, rhumatologue FMH et O______, psychiatre et psychothérapeute FMH ; le Dr M______ faisait état de très nombreux signes de non-organicité parasitant l’examen clinique et le rendant très difficilement interprétable : malgré un examen du membre supérieur droit absolument normal, toutes les fonctions articulaires et musculo-tendineuses étant présentes, l’assurée tenait son bras pendant le long du corps et ne l’utilisait que peu ou pas ; l’examen clinique du rachis était pratiquement impossible en raison de multiples hypertonies d’opposition ; l’examen du membre inférieur droit était aussi absolument normal, car toutes les fonctions articulaires et musculo-tendineuses étaient présentes ; étaient retenus à titre de diagnostics : des cervicalgies sur discopathies C5-C6 et C6-C7 et des lombalgies sur discopathies L4-L5 ; un syndrome douloureux somatoforme persistant (F45.4) chez une personnalité à traits histrioniques et dépendants était également mentionné, tout en précisant qu’il était sans répercussion sur la capacité de travail ; sur le plan somatique, les discopathies entraînaient quelques limitations, consistant à devoir éviter les positions statiques prolongées, les travaux lourds et le port de charges supérieures à 5 kg ; toutes pathologies confondues, les médecins estimaient que, dans une activité adaptée respectant ces limitations, une capacité de travail entière était exigible ;

-          un rapport du 1er juillet 2008 de la Dresse O______ disant avoir constaté un mal-être avec perte de plaisir et d’intérêt, un sentiment de vide intérieur avec manque de confiance en soi, une anticipation des échecs et une autolimitation des activités sans idées suicidaires ou de ruine cependant, ni symptômes d’un état dépressif.

4.        Saisi d’un recours de l’assurée, le Tribunal cantonal des assurances sociales - alors compétent - l’a rejeté par arrêt du 18 juin 2009 (ATAS/747/2009), confirmé sur recours par le Tribunal fédéral (arrêt 9C_682/2209 du 13 avril 2010).

Le Tribunal fédéral a jugé que le rapport d’expertise pluridisciplinaire de la CRR satisfaisait aux réquisits jurisprudentiels relatifs à la force probante de tels documents. En conséquence de quoi, il a écarté la demande de complément d’expertise requis par l’intéressée. Quant au caractère invalidant du trouble somatoforme douloureux, le TF s’est référé à l’avis de la Dresse O______.

5.        Le 11 mars 2011, l’assurée a déposé une nouvelle demande de prestations.

A l’appui de sa demande, elle a produit un courrier rédigé le 10 mars 2011 par le Dr J______, spécialiste FMH en ophtalmologie, faisant état d’une atteinte concentrique de son champ visuel. Le médecin préconisait la mise sur pied d’une expertise, soit au service de neurologie des HUG, soit au service de neuro-ophtalmologie de l’Hôpital Jules GONIN.

Le même médecin avait déjà évoqué une atteinte concentrique importante bilatérale en mai 2010, expliquant que des défauts de concentration ou d’attention ou un glaucome pouvaient donner ce type d’atteinte. Le médecin préconisait alors un examen du champ visuel par périmétrie de type Goldman afin de déterminer exactement la mesure de l’atteinte. Cette même atteinte avait déjà été confirmée par le Dr J______ en novembre 2008 et en février 2007.

6.        Le 11 février 2011, le Dr F______ a rendu un bref rapport au terme duquel il a conclu à une surdité bilatérale très modérée à droite, nettement plus sévère à gauche, correspondant à la prise en charge d’un appareillage simple pour l’oreille gauche.

7.        Le dossier de l’assurée a été soumis au SMR, plus particulièrement au docteur R______ qui, le 22 juin 2011, a émis l’avis qu’une expertise ophtalmologique était nécessaire pour évaluer l’atteinte, ses causes probables et ses répercussions sur la capacité de travail théorique. Certes, l’atteinte ophtalmologique n’était pas au premier plan dans les déclarations de l’assurée, ni le motif de l’incapacité de travail prescrite depuis 2004, mais il avait été mentionné par le Tribunal dans son arrêt et le médecin ophtalmologue déclarait désormais que l’atteinte du champ visuel pouvait également avoir des répercussions sur la capacité de travail.

8.        Le 13 octobre 2011, le Dr F______, après avoir revu la patiente pour contrôle après adaptation d’une prothèse acoustique, a conclu que le gain prothétique était tout à fait bon, avec une amélioration de 50% d’intelligibilité.

9.        L’assurée a été adressée pour expertise à l’Hôpital ophtalmique Jules GONIN, plus particulièrement au docteur  P______, chef de clinique, qui a rendu son rapport en date du 20 décembre 2011.

L’expert a commencé par rappeler que l’accident à l’origine de la symptomatologie décrite par la patiente avait eu lieu en mars 2004 : l’assurée était passagère dans un bus qui avait freiné brusquement ce qui avait occasionné sa chute contre un siège avec réception sur le bassin et le front. Elle n’avait ni perdu connaissance ni présenté de plaies. Elle avait décrit immédiatement des douleurs au niveau de la nuque et était rentrée à domicile après avoir reçu un traitement antalgique. Trois mois plus tard, elle avait décrit une baisse progressive de l’acuité visuelle bilatérale de loin et de près, associée à une photophobie.

L’expert a retenu à titre de diagnostic ayant une répercussion sur la capacité de travail une suspicion d’atteinte fonctionnelle. A l’examen subjectif de la patiente se présentait une diminution bilatérale de l’acuité visuelle à 0,25 avec correction. Selon une visite effectuée deux ans après l’accident, en août 2006, l’acuité visuelle corrigée était de 1.0 des deux côtés. L’expert en a tiré la conclusion qu’il était donc peu probable que la diminution de l’acuité visuelle soit en lien avec l’accident survenu en mars 2004.

Il a expliqué que l’examen neuro-ophtalmologique auquel il s’était livré avait mis en évidence plusieurs discordances lui faisant suspecter une composante fonctionnelle : par exemple l’impossibilité de générer des mouvements oculaires en demandant à la patiente de suivre une cible contrastant avec la présence d’une motilité oculaire lors du test au miroir oscillant, ou encore la forte discordance des résultats de l’examen du champ visuel selon la technique utilisée. Qui plus est, l’aspect même du champ visuel cinétique de l’œil gauche montrait un aspect étoilé avec plusieurs croisements des différents isoptères, ce qui n’était pas compatible avec une atteinte organique.

En définitive, l’expert a estimé que, dans ces conditions, il n’était pas en mesure de se prononcer sur la capacité visuelle de la patiente : sur le plan totalement objectif, hormis une hypermétropie, un astigmatisme et une presbytie corrigée, l’examen oculaire était dans les limites de la norme, sans séquelle visible d’une éventuelle lésion occasionnée par l’accident. Une telle atteinte ne pouvait toutefois être formellement exclue.

Dans l’incapacité également de se prononcer sur une éventuelle influence sur la capacité de travail et sur une réadaptation professionnelle, l’expert suggérait une évaluation sur le plan neuropsychiatrique.

10.    Interpellé par l’OAI, le 4 mai 2012, le Dr D______, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, a indiqué ne pas avoir réalisé d’imagerie approfondie permettant de mesurer l’aggravation anatomique des troubles dégénératifs post-traumatiques chez l’assurée, troubles dont il a indiqué que le rôle dans les douleurs sévères et multiples était toujours difficile à pondérer. Néanmoins, selon le médecin, on notait une aggravation subjective, une raideur rachidienne de plus en plus marquée et une dépendance totale à la collerette cervicale. Etaient également récemment apparus des troubles de l’équilibre - à mettre peut-être en relation avec la problématique de l’oreille ou le traitement médicamenteux, toujours très lourd. Le médecin a également noté une forte suspicion de névralgie d’Arnold à droite, pouvant être la conséquence des troubles dégénératifs cervicaux mais également du port constant de la collerette. Il a conclu que l’incapacité de travail était totale et définitive, en tout cas dans le marché libre du travail.

11.    Le dossier de l’assurée a été soumis une nouvelle fois au SMR, plus particulièrement à la doctoresse Q______ qui, le 19 septembre 2012, a relevé que les résultats obtenus lors de l’expertise ophtalmologique n’étaient pas compatibles avec une atteinte organique et faisaient suspecter une composante fonctionnelle. Le médecin en a tiré la conclusion qu’à défaut de collaboration de l’assurée, on ne pouvait conclure à une aggravation de son état de santé, d’autant qu’aucun élément objectif de l’examen oculaire ne parlait en faveur d’une atteinte organique.

12.    Le Dr J______, après avoir pris connaissance de l’expertise ophtalmologique du 20 décembre 2011, s’est exprimé le 24 septembre 2012.

Relevant que l’expertise avait été rendue difficile par la fatigabilité de sa patiente, que l’examen multifocal avait dû être interrompu, que plusieurs discordances avaient été mises en évidence, il a émis l’avis qu’il était important que l’expertise soit répétée, soit dans le même centre, soit auprès d’un autre. Il a également noté que son confrère avait suggéré une évaluation sur le plan neuropsychiatrique, dont il a estimé qu’elle ne répondait pas, sur le fond, aux atteintes de sa patiente.

13.    Le 5 février 2013, le SMR a émis l’avis que l’expertise du Dr P______ était convaincante, qu’il n’était pas nécessaire de procéder à un bilan neuropsychologique, puisque ni les médecins somaticiens ni le psychiatre n’avaient jamais préconisé un tel examen et que le Dr J______ lui-même ne l’estimait pas adéquat. Qui plus est, la réalisation d’un bilan neuropsychologique nécessiterait une importante collaboration de l’assurée. La dernière évaluation psychiatrique réalisée en juillet 2008 ne retenait pas de pathologie invalidante, de sorte qu’il était inutile de réexaminer la situation sous cet angle.

14.    Le 22 février 2013, a été adressé à l’assurée un projet de décision dont il ressortait que l’OAI se proposait de rejeter sa nouvelle demande.

15.    Le 11 avril 2013, l’assurée a manifesté son désaccord en faisant remarquer que jamais auparavant son atteinte ophtalmique n’avait été évaluée en termes de répercussions sur sa capacité de travail. Elle a rappelé que, par ailleurs, une surdité bilatérale plus sévère à gauche avait été mise en évidence. Enfin, elle a reproché au SMR d’avoir ignoré les troubles de l’équilibre attestés par le Dr D______ et les troubles cervicaux évoqués par la Dresse L______.

16.    Dans un certificat médical du 11 avril 2013, le Dr E______ a attesté que sa patiente souffrait toujours d’un syndrome douloureux somatoforme persistant et d’un épisode dépressif d’intensité sévère, diagnostics auxquels il a ajouté celui de dépendance aux benzodiazépines. Il a conclu à une totale incapacité de travail.

17.    Le 26 avril 2013, la Dresse L______ a attesté que s’étaient surajoutés aux douleurs de sa patiente des troubles statiques et dégénératifs rachidiens. L’aggravation était observable tant au niveau cervical (hernie discale C5-C6 légèrement plus prononcée en 2011, couverte par une ostéophytose et associée à une incarthrose) qu’au niveau lombaire (canal lombaire rétréci en L4-L5 par de l’arthrose postérieure à prédominance gauche sur le scanner de 2011). Plus récemment, il y avait également eu épanchement douloureux liquidien au niveau du genou gauche, possiblement en relation avec une gonarthrose débutante. Selon le médecin, les problèmes oculaires et auditifs associés, d’une part, la prise d’une médication lourde et non exempte d’effets secondaires, d’autre part, avaient pour effet conjugué que sa patiente n’était plus capable d’effectuer la moindre activité.

18.    Le dossier de l’assurée a été soumis une nouvelle fois au SMR, qui a émis l’avis que les médecins de la CRR, en juillet 2008, s’étaient déjà penchés sur toute la problématique douloureuse post-traumatique, que les vertiges et troubles de l’équilibre étaient déjà évoqués et pris en compte et que le Dr D______ n’amenait aucun élément objectif démontrant une aggravation ; il appréciait simplement différemment une situation pourtant similaire à celle prévalant lors de l’expertise de 2008.

19.    Par décision formelle du 5 juin 2013, l’OAI a rejeté la nouvelle demande de prestations au motif que la capacité de travail prévalant lors de sa décision précédente du 23 octobre 2008 était restée globalement la même.

20.    Par écriture du 2 juillet 2013, l’assurée a interjeté recours contre cette décision. Elle conclut à la mise sur pied d’une expertise pluridisciplinaire, subsidiairement, au renvoi du dossier à l’intimé pour ce faire, et, quant au fond, à l’annulation de la décision litigieuse.

En substance, la recourante fait valoir que les avis du SMR ne sont pas suffisants pour qu’il soit renoncé au complément d’instruction suggéré tant par l’expert ophtalmologue que par son ophtalmologue traitant.

Elle rappelle en outre que le Dr D______ a attesté de l’apparition de troubles de l’équilibre en mai 2012, qu’il a évoqué une suspicion de névralgies d’Arold à droite, une aggravation subjective avec raideur rachidienne de plus en plus marquée et que, sur le plan rhumatologique, la Dresse L______ a également attesté d’une aggravation des troubles dégénératifs au niveau des cervicales et des lombaires.

Elle en tire la conclusion que de nombreux troubles sont survenus depuis l’expertise de la CRR pratiquée en 2008 et que l’on ne saurait, en l’état, conclure à l’absence de modification déterminante de son état de santé.

Qui plus est, elle fait remarquer que son psychiatre traitant atteste désormais d’un état dépressif de gravité sévère et d’une dépendance aux benzodiazépines, alors qu’en 2008, elle ne bénéficiait que d’un suivi psychiatrique occasionnel et le tableau clinique, s’il montrait certes quelques signes dépressifs, ne permettait de conclure qu’à un état dépressif de degré modéré, à inclure dans le trouble somatoforme douloureux retenu.

21.    Invité à se déterminer, l’intimé, dans sa réponse du 29 juillet 2013, a conclu au rejet du recours.

En substance, l’intimé fait valoir qu’aucune aggravation de l’état de santé de l’assurée n’aurait été objectivement démontrée, toutes les atteintes à la santé alléguées par l’intéressée étant déjà connues.

22.    Par écriture du 30 août 2013, la recourante a persisté dans ses conclusions.

23.    Une audience d’enquête s’est tenue en date du 4 septembre 2014 au cours de laquelle a été entendu le Dr D______, lequel suit l’assurée depuis 2005.

Le témoin a indiqué que, de son point de vue et sur le plan strictement orthopédique la capacité de travail de sa patiente est extrêmement réduite, voire nulle, point de vue qu’il sait partagé par les autres médecins qui la suivent.

Tous sont tombés d’accord sur le diagnostic de trouble somatoforme douloureux car les multiples investigations menées n’ont permis de mettre en évidence aucune atteinte grave. Il existe en revanche passablement de lésions dégénératives au niveau de la colonne vertébrale.

En revanche, la patiente est dans l’obligation de se soumettre à un traitement médicamenteux lourd (anxiolytiques, antidépresseurs, antidouleurs à base de morphine et neuromodulateurs permettant de diminuer la perception de la douleur), traitements puissants qui, pris quotidiennement comme ils le sont en l’occurrence, entraînent l’impossibilité de se concentrer ou d’avoir une activité coordonnée, même dans la vie quotidienne.

Il a été essayé plusieurs fois de diminuer les doses mais cela s’est immédiatement traduit par une résurgence des douleurs.

Le témoin a indiqué une légère aggravation entre 2013 et 2014 : depuis lors, l’assurée ne peut plus venir seule en consultation ; elle doit être accompagnée d’un membre de sa famille en raison des problèmes ophtalmologiques qui ont été documentés, ainsi que des vertiges dus à ses problèmes d’oreille interne, mais également de la médication à laquelle elle est soumise.

En revanche, son état sur le plan strictement orthopédique est resté stationnaire. Les paramètres objectifs des membres supérieurs n’ont pas montré d’atteinte nerveuse significative chez la patiente.

Le témoin a conclu que même si une activité en atelier protégé pouvait entrer en ligne de compte, il ne voyait pas comment sa patiente pourrait se déplacer hors de son domicile.

24.    Dans un bref rapport établi le 15 septembre 2014, le Dr D______ a ajouté que, s’agissant des problèmes de vertige et d’équilibre de sa patiente, il convenait de se référer à l’avis du Dr F______, lequel était désormais à la retraite. En ce qui concernait les épanchements bilatéraux des genoux, il les avait lui-même constatés à plusieurs reprises ; leur caractère fluctuant ne l’avait cependant pas incité à pratiquer des investigations radiologiques et, à sa connaissance, aucun autre médecin n’avait été consulté pour ce problème.

25.    Les enquêtes se sont poursuivies en date du 13 novembre 2014 avec l’audition du Dr  E______, psychiatre traitant depuis décembre 2005.

Le témoin a indiqué qu’à l’époque, tant le médecin traitant que la psychologue et lui-même avaient conclu à un état dépressif majeur. En 2008, celui-ci s’était aggravé avec l’apparition d’idées suicidaires. Depuis lors, son état restait fluctuant, même si les idées suicidaires étaient pour le moment absentes. L’état dépressif restait cependant majeur (troubles de la concentration, vertiges, fatigue, perte de plaisir, manque d’énergie, repli sur soi, idées noires, sans être suicidaires au point de redouter un passage à l’acte).

L’assurée a dû être hospitalisée en urgence le 30 août 2007 pour abus médicamenteux et alcoolique. Elle a été hospitalisée une deuxième fois en soins intensifs pour abus médicamenteux le 18 septembre 2009. Enfin, elle est venue le consulter en urgence en juin 2014.

Le témoin a confirmé que l’assurée ne sort plus de chez elle.

Il a indiqué n’avoir pour sa part pas observé de traits histrioniques, vu l’absence de toute théâtralité et de traits dépendants (si l’assurée est dépendante aux benzodiazépines, elle ne l’est pas aux personnes).

Enfin, le témoin a exprimé l’avis que l’état dépressif est certainement lié aux douleurs : si celles-ci avaient pu être traitées, l’état dépressif aurait également diminué ; il est cependant invalidant en soi.

26.    Entendu à son tour, le Dr J______, ophtalmologue de l’assurée depuis 2006, a souligné que l’atteinte concentrique dont souffre sa patiente est une conséquence typique d’un traumatisme tel que celui qu’elle a subi : cette atteinte concentrique du champ visuel est due à un problème attentionnel et de concentration.

Le témoin a expliqué que l’examen de Goldman tel qu’il a été pratiqué est un examen très difficile. Par définition, le résultat des examens est variable en fonction de la capacité d’attention du sujet. Pour sa part, il n’a cependant jamais obtenu le résultat de 1.0 cité dans l’expertise. Le maximum observé a été de 0.7 partiel.

Il a ajouté que l’assurée est atteinte d’une hypermétropie importante (+4) et d’astigmatisme.

Questionné sur le caractère organique de l’atteinte, le témoin a reconnu que, sur le plan objectif, seules peuvent être mises en évidence les atteintes cervicales et les discopathies pour lesquelles il n’est pas compétent.

Il a émis l’opinion que l’avis d’un expert psychiatre est indispensable.

Le témoin a évalué la capacité de travail, sur un plan strictement ophtalmologique, à 0%, en raison des problèmes de positionnement (l’assurée souffre d’exophorie, c'est-à-dire ses yeux partent vers l’extérieur lorsqu’elle se concentre), de son importante photophobie et de sa fatigabilité.

27.    Par écriture du 11 décembre 2014, la recourante a persisté dans ses conclusions, estimant qu’elle devrait se voir reconnaître le droit à une rente entière d’invalidité depuis mars 2011 (date de sa nouvelle demande).

28.    L’intimé s’est également prononcé le 11 décembre 2014 en concluant au rejet du recours. Selon lui, les nouvelles pièces médicales produites n’apportent pas d’élément susceptible de modifier son appréciation. Une fois encore, il a souligné qu’aucune maladie organique de l’œil n’avait été mise en évidence chez la patiente.

 

EN DROIT

 

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ; RS E 2 05) en vigueur dès le 1er janvier 2011, la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA; RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI; RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        La LPGA, entrée en vigueur le 1er janvier 2003, de même que les modifications de la LAI du 21 mars 2003 (4ème révision), entrée en vigueur le 1er janvier 2004, ont entraîné la modification de nombreuses dispositions légales dans le domaine de l'assurance-invalidité. Conformément au principe selon lequel les règles applicables sont celles en vigueur au moment où les faits juridiquement déterminants se sont produits (ATF 130 V 445), le droit litigieux doit être examiné à l'aune des dispositions de la LAI en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002 pour la période courant jusqu'à cette date, puis à celle de la nouvelle réglementation pour la période postérieure au 1er janvier 2003, respectivement au 1er janvier 2004, étant précisé que le juge n'a pas à prendre en considération les modifications du droit ou de l'état de fait postérieures à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 129 V 1 consid. 1.2). Cela étant, les notions et les principes développés jusqu'alors par la jurisprudence en matière d’évaluation de l'invalidité n'ont pas été modifiés par l'entrée en vigueur de la LPGA ou de la 4ème révision de la LAI (voir ATF 130 V 343).

Par ailleurs, la loi fédérale du 16 décembre 2005 modifiant la LAI est entrée en vigueur le 1er juillet 2006 (RO 2006 2003), apportant des modifications qui concernent notamment la procédure conduite devant le Tribunal cantonal des assurances (art. 52, 58 et 61 let. a LPGA). Le présent cas est soumis au nouveau droit, dès lors que le recours de droit administratif a été formé après le 1er juillet 2006 (ch. II let. c des dispositions transitoires relatives à la modification du 16 décembre 2005).

3.        Le recours interjeté respectant les forme et délai prévus par la loi (art. 56 à 60 LPGA), il y a lieu de le déclarer recevable.

4.        Le litige porte sur la question de savoir si l'état de santé de l'assurée s'est aggravé depuis la décision initiale du 23 octobre 2008 au point de lui ouvrir droit aux prestations de l’assurance-invalidité.

5.        a) Lorsque la rente ou l'allocation pour impotent a été refusée parce que le degré d'invalidité était insuffisant ou parce qu'il n'y avait pas d'impotence, la nouvelle demande ne peut être examinée que si l'assuré rend plausible que son invalidité ou son impotence s'est modifiée de manière à influencer ses droits (art. 17 LPGA; art. 87 al. 3 et 4  du règlement sur l’assurance-invalidité du 17 janvier 1961 [RAI]). Cette exigence doit permettre à l'administration qui a précédemment rendu une décision de refus de prestations entrée en force, d'écarter sans plus ample examen de nouvelles demandes dans lesquelles l'assuré se borne à répéter les mêmes arguments, sans alléguer une modification des faits déterminants (ATF 130 V 68 consid. 5.2.3, 117 V 200 consid. 4b et les références).

b) Lorsqu'elle est saisie d'une nouvelle demande, l'administration doit commencer par examiner si les allégations de l'assuré sont, d'une manière générale, plausibles. Si tel n'est pas le cas, l'affaire est liquidée d'entrée de cause et sans autres investigations par un refus d'entrée en matière. A cet égard, l'administration se montrera d'autant plus exigeante pour apprécier le caractère plausible des allégations de l'assuré que le laps de temps qui s'est écoulé depuis sa décision antérieure est bref. Elle jouit sur ce point d'un certain pouvoir d'appréciation que le juge doit en principe respecter. Ainsi, le juge ne doit examiner comment l'administration a tranché la question de l'entrée en matière que lorsque ce point est litigieux, c'est-à-dire quand l'administration a refusé d'entrer en matière en se fondant sur l'art. 87 al. 4 RAI et que l'assuré a interjeté recours pour ce motif. Ce contrôle par l'autorité judiciaire n'est en revanche pas nécessaire lorsque l'administration est entrée en matière sur la nouvelle demande (ATF 109 V 114 consid. 2b), ce qui est précisément le cas en l'espèce.

c) Lorsque l'administration entre en matière sur la nouvelle demande, elle doit examiner l'affaire au fond et vérifier que la modification de l'invalidité ou de l'impotence rendue plausible par l'assuré est réellement intervenue; elle doit donc procéder de la même manière qu'en cas de révision au sens de l'art. 17 LPGA, c'est-à-dire en en comparant les faits tels qu'ils se présentaient au moment de la décision initiale de rente et les circonstances régnant à l'époque de la décision litigieuse (ATF 130 V 351 consid. 3.5.2 ; 125 V 369 consid. 2 et la référence; 112 V 372 consid. 2b et 390 consid. 1b) afin d'établir si un changement est intervenu.

Si l'administration arrive à la conclusion que l'invalidité ou l'impotence ne s'est pas modifiée depuis sa précédente décision, entrée en force, elle rejette la demande. Dans le cas contraire, elle doit encore examiner si la modification constatée suffit à fonder une invalidité ou une impotence donnant droit à prestations, et statuer en conséquence. En cas de recours, le même devoir de contrôle quant au fond incombe au juge (ATF 117 V 198 consid. 3a, 109 V 114 consid. 2a et b).

6.        Est réputée incapacité de travail toute perte, totale ou partielle, de l’aptitude de l’assuré à accomplir dans sa profession ou son domaine d’activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d’une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique. En cas d’incapacité de travail de longue durée, l’activité qui peut être exigée de l'assuré peut aussi relever d’une autre profession ou d’un autre domaine d’activité (art. 6 LPGA).

Est réputée incapacité de gain toute diminution de l’ensemble ou d’une partie des possibilités de gain de l’assuré sur un marché du travail équilibré dans son domaine d’activité, si cette diminution résulte d’une atteinte à sa santé physique, mentale ou psychique et qu’elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (art. 7 LPGA).

Est réputée invalidité l’incapacité de gain totale ou partielle présumée permanente ou de longue durée (art. 8 al. 1 LPGA et 4 al. 1 LAI).

7.        Il y a lieu de préciser que selon la jurisprudence, la notion d'invalidité, au sens du droit des assurances sociales, est une notion économique et non médicale; ce sont les conséquences économiques objectives de l'incapacité fonctionnelle qu'il importe d'évaluer (ATF 110 V 275 consid. 4a, 105 V 207 consid. 2). L’atteinte à la santé n’est donc pas à elle seule déterminante et ne sera prise en considération que dans la mesure où elle entraîne une incapacité de travail ayant des effets sur la capacité de gain de l’assuré (MEYER-BLASER, Bundesgesetz über die Invalidenversicherung, Zurich 1997, p. 8).

Lorsqu’en raison de l’inactivité de l’assuré, les données économiques font défaut, il y a lieu de se fonder sur les données d’ordre médical, dans la mesure où elles permettent d’évaluer la capacité de travail de l’intéressé dans des activités raisonnablement exigibles (ATF 115 V 133 consid. 2, 105 V 158 consid.1). La tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l'assuré (ATF 125 V 261 consid. 4, 115 V 134 consid. 2, 114 V 314 consid. 3c, 105 V 158 consid. 1), étant rappelé que l'obligation pour l'assuré de diminuer le dommage est un principe général du droit des assurances sociales (ATF 129 V 463 consid. 4.2, 123 V 233 consid. 3c, 117 V 278 consid. 2b, 400 et les arrêts cités).

Dès lors, le juge ne peut pas se fonder simplement sur le travail que l'assuré a fourni ou s'estime lui-même capable de fournir depuis le début de son incapacité de travail, ceci pour éviter que le recourant soit tenté d'influencer à son profit, le degré de son invalidité (ATF 106 V 86 consid. 2 p. 87).

8.        Pour qu’une invalidité soit reconnue, il est nécessaire, dans chaque cas, qu’un diagnostic médical pertinent soit posé par un spécialiste et que soit mise en évidence une diminution importante de la capacité de travail (et de gain; ATF 127 V 299). Ainsi, pour pouvoir calculer le degré d'invalidité, l'administration (ou le juge, s'il y a eu un recours) a besoin de documents que le médecin, éventuellement aussi d'autres spécialistes, doivent lui fournir.

L’instruction des faits d'ordre médical se fonde sur le rapport du médecin traitant destiné à l'Office AI, les expertises de médecins indépendants de l'institution d'assurance, les examens pratiqués par les Centres d'observation médicale de l'AI (ATF 123 V 175), les expertises produites par une partie ainsi que les expertises médicales ordonnées par le juge de première ou de dernière instance (VSI 1997, p. 318 consid. 3b; Stéphane BLANC, La procédure administrative en assurance-invalidité, thèse Fribourg 1999, p. 142).

Lors de l'évaluation de l'invalidité, la tâche du médecin consiste à porter un jugement sur l'état de santé et à indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l'assuré est incapable de travailler. En outre, les données médicales constituent un élément utile pour déterminer quels travaux on peut encore, raisonnablement, exiger de l'assuré (ATF 125 V 261 consid. 4, 115 V 134 consid. 2, 114 V 314 consid. 3c, 105 V 158 consid. 1 in fine).

9.        Selon le principe de libre appréciation des preuves, pleinement valable en procédure judiciaire de recours dans le domaine des assurances sociales (cf. art. 61 let. c LPGA), le juge n'est pas lié par des règles formelles, mais doit examiner de manière objective tous les moyens de preuve, quelle qu'en soit la provenance, puis décider si les documents à disposition permettent de porter un jugement valable sur le droit litigieux.

En cas de rapports médicaux contradictoires, le juge ne peut trancher l'affaire sans apprécier l'ensemble des preuves et sans indiquer les raisons pour lesquelles il se fonde sur une opinion médicale et non pas sur une autre. L'élément déterminant pour la valeur probante d'un rapport médical n'est ni son origine, ni sa désignation, mais son contenu. A cet égard, il importe que les points litigieux importants aient fait l'objet d'une étude fouillée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu'il prenne également en considération les plaintes exprimées, qu'il ait été établi en pleine connaissance du dossier (anamnèse), que la description des interférences médicales soit claire et enfin que les conclusions de l'expert soient bien motivées (ATF 125 V 352 ss consid. 3).

S'agissant de la valeur probante des rapports établis par les médecins traitants, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l'expérience, le médecin traitant est généralement enclin, en cas de doute, à prendre parti pour son patient en raison de la relation de confiance qui l'unit à ce dernier. Ainsi, la jurisprudence accorde plus de poids aux constatations faites par un spécialiste qu'à l'appréciation de l'incapacité de travail par le médecin de famille (ATF 125 V 353 consid. 3b/cc et les références, RJJ 1995, p. 44 ; RCC 1988 p. 504 consid. 2)

Quant aux rapports et expertises établis par les médecins des assureurs, le juge peut leur accorder pleine valeur probante aussi longtemps que ceux-ci aboutissent à des résultats convaincants, que leurs conclusions sont sérieusement motivées, que ces avis ne contiennent pas de contradictions et qu'aucun indice concret ne permet de mettre en cause leur bien-fondé. Le simple fait que le médecin consulté est lié à l'assureur par un rapport de travail ne permet pas encore de douter de l'objectivité de son appréciation ni de soupçonner une prévention à l'égard de l'assuré. Ce n'est qu'en présence de circonstances particulières que les doutes au sujet de l'impartialité d'une appréciation peuvent être considérés comme objectivement fondés. Étant donné l'importance conférée aux rapports médicaux dans le droit des assurances sociales, il y a lieu toutefois de poser des exigences sévères quant à l'impartialité de l'expert (ATF 125 V 353 consid. 3b/ee, ATFA non publié du 13 mars 2000, I 592/99, consid. b/ee).

10.    En l’espèce, la décision initiale de l’intimé retenait qu’en l’absence de comorbidité psychiatrique suffisante, le trouble somatoforme douloureux diagnostiqué ne pouvait se voir reconnaître de valeur invalidante.

Certes, sur le plan strictement orthopédique, l’état de l’assurée est resté stationnaire. Sa nouvelle demande, cependant, est motivée par une aggravation de son état dépressif et, surtout, par une aggravation des problèmes ophtalmologiques et des vertiges, ainsi que par les conséquences du cocktail médicamenteux auquel elle est soumise. A cet égard, le médecin traitant a expliqué que le traitement pris par sa patiente entraîne une impossibilité à se concentrer ou à avoir une activité coordonnée.

Force est de constater, au vu des rapports médicaux versés à la procédure, que des aggravations sont bel et bien alléguées par les médecins traitants sur les plans ophtalmologique et psychique.

Or, l’intimé ne s’est pas prononcé quant à l’aggravation psychique alléguée, qu’il n’a pas investiguée et ce, alors même que l’expert ophtalmologue qu’il a mandaté préconisait une investigation neuropsychiatrique.

Contrairement à ce que soutient l’intimé, il subsiste ainsi de nombreuses zones d'ombre quant à l’origine, à l'étendue et à l’aggravation éventuelle de la perte fonctionnelle des yeux dont souffre l'assurée et ses conséquences. En l'état, il n'est pas possible d'admettre ou d'exclure au degré de la vraisemblance prépondérante que le traumatisme qu’elle a subi ait entraîné une atteinte physique dont les effets ont conduit à une altération de la vue. La même retenue s'impose en ce qui concerne la conclusion d'une origine psychique du trouble visuel, conclusion posée par défaut, en l'absence d'un diagnostic somatique, et sans examen personnel de l'intéressée par un psychiatre. Or, une telle évolution - au caractère pour le moins inhabituel - devrait être étayée par une explication médicale circonstanciée sur les mécanismes psychiques susceptibles de mener une personne à développer, après coup et sans substrat physique évident, un état comparable à celui d'une perte de la fonction visuelle.

En définitive, il faut constater que de nombreuses questions médicales restent ouvertes - en particulier l'existence éventuelle d'une affection psychiatrique susceptible d'expliquer les symptômes de l'assurée - questions auxquelles le juge ne saurait répondre à la place du médecin et qui doivent être élucidées pour permettre l'examen des répercussions en termes de capacité de travail et de gain.

Vu la complexité du cas, une approche pluridisciplinaire, intégrant une discussion de synthèse entre les divers experts consultés (psychiatre, neuropsychiatre et ophtalmologue) qui auront accès à l'ensemble du dossier médical de l'assurée s'avère donc nécessaire.

Eu égard aux considérations qui précèdent, le recours est partiellement admis et la cause renvoyée à l’intimé pour investigations complémentaires et nouvelle décision.


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

A la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet partiellement au sens des considérants.

3.        Annule la décision du 5 juin 2013.

4.        Condamne l’intimé à verser au recourant la somme de CHF 3'500.- à titre de participation à ses frais et dépens.

5.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l’intimé.

6.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Marie-Catherine SECHAUD

 

La présidente

 

 

 

 

Karine STECK

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le