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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3712/2017

ATAS/40/2020 du 28.01.2020 ( AI ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3712/2017 ATAS/40/2020

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 28 janvier 2020

1ère Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée à GENÈVE, comparant avec élection de domicile en l'étude de Maître Pierre-Bernard PETITAT

 

recourante

 

contre

OFFICE DE L'ASSURANCE-INVALIDITÉ DU CANTON DE GENÈVE, sis rue des Gares 12, GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

1.        Madame A______ (ci-après : l'assurée ou la recourante), née le ______ 1954, ressortissante portugaise établie en Suisse depuis 1988, a exercé en dernier lieu une activité de femme de chambre, ce jusqu'en 2002, date à compter de laquelle elle a été en incapacité de travail en raison de fortes douleurs lombaires.

2.        Après avoir tenté une reprise de travail à plein temps comme vendeuse dans une boulangerie dès avril 2005, elle a dû interrompre cette activité à fin novembre 2005 en raison de la recrudescence de ses douleurs.

3.        Le 23 novembre 2005, l'assurée a déposé une demande de prestations AI auprès de l'office de l'assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : OAI ou l'intimé).

4.        Les docteurs B______, spécialiste FMH en médecine interne et rhumatologie, et C______, spécialiste FMH en psychiatrie, tous deux médecins du service médical régional de l'OAI (ci-après : SMR), ont examiné l'assurée. Dans leur rapport du 3 octobre 2007, ils ont diagnostiqué, avec répercussion sur la capacité de travail, des lombalgies chroniques persistantes dans le cadre de troubles statiques et dégénératifs avec discopathies étagées de L2 à S1, protrusion discale foraminale latérale gauche L3-L4 et hernie discale médiane-para-médiane droite L5-S1. Sans répercussion sur la capacité de travail, ils ont retenu une dépression anxieuse persistante avec dysthymie (F34.11) et un trouble somatoforme douloureux persistant (F45.4).

Depuis l'été 2005, la capacité de travail était nulle dans l'activité habituelle de femme de chambre, de 80% dans l'activité de vendeuse en boulangerie et de 100% dans une activité adaptée ne comprenant pas le soulèvement régulier de charges d'un poids excédant 5 kg, le port de charges d'un poids excédant 7 kg, le travail en porte-à-faux statique prolongé du tronc, et permettant l'alternance de la position assise et debout deux fois par heure.

5.        À la suite du recours formé contre une décision du 1er février 2008 rejetant la demande de prestations, le Tribunal cantonal des assurances sociales (ci-après : le TCAS) - alors compétent - a, par arrêt du 26 juin 2008 (ATAS/792/2008), considéré que la fibromyalgie dont souffrait l'assurée n'était pas invalidante au sens de la loi sur l'assurance-invalidité et de la jurisprudence fédérale et a confirmé les conclusions des médecins du SMR selon lesquelles l'assurée présentait une capacité de travail de 100% dans une activité adaptée, respectivement de 80% dans celle de vendeuse. Il a cependant constaté que l'OAI n'avait pas procédé à la comparaison des revenus pour calculer le degré d'invalidité. Il a dès lors partiellement admis le recours, annulé la décision et renvoyé le dossier à l'OAI à cet effet.

6.        Par décision du 5 janvier 2009, l'OAI a nié le droit de l'assurée à toute prestation de l'assurance-invalidité, le degré d'invalidité issu de la comparaison des revenus dans l'activité exigible à 100% étant nulle.

7.        Par arrêt du 19 mai 2009 (ATAS/596/2009), le TCAS a très partiellement admis le recours interjeté par l'assurée contre ladite décision. Il a confirmé les degrés d'invalidité retenus par l'OAI, tant dans une activité adaptée que dans celle de vendeuse en boulangerie, qui étaient insuffisants pour justifier le droit à une rente d'invalidité. Il a constaté que l'assurée ne pouvait pas non plus prétendre à des mesures de réadaptation, mais qu'elle pouvait être mise au bénéfice d'une mesure d'aide au placement, si elle le demandait.

8.        Du 2 au 16 avril 2009, l'assurée a été hospitalisée dans le service de rhumatologie des Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), et du 22 juin au 2 juillet 2009 à la clinique de Montana.

9.        Le 1er décembre 2009, l'OAI a accordé à l'assurée une aide au placement sous forme d'orientation professionnelle et dans ses recherches d'emploi.

10.    Le 18 octobre 2011, l'assurée a présenté une nouvelle demande de prestations AI tendant à l'octroi d'une réadaptation professionnelle et d'une rente, au motif qu'elle souffrait de douleurs à la colonne, d'absence de force dans les bras et les jambes, de diabète et de douleurs articulaires.

11.    Par décision du 14 mars 2012, l'OAI a refusé d'entrer en matière sur la nouvelle demande. Il a considéré que l'assurée n'avait pas rendu plausible une péjoration de son état de santé depuis janvier 2009, date à laquelle sa précédente demande de prestations avait été rejetée.

12.    Par arrêt du 26 juin 2012 (ATAS/858/2012), la chambre des assurances sociales - compétente depuis le 1er janvier 2011 -, a admis le recours, annulé ladite décision et renvoyé la cause à l'OAI pour instruction complémentaire quant à une aggravation de l'état de santé de l'assurée.

13.    Dans leur rapport d'expertise du 28 mars 2014, les docteurs D______, médecine interne, E______, psychiatre, et F______, rhumatologue, du Centre d'expertise médicale (ci-après : CEMed), mandatés par l'OAI, ont diagnostiqué, sur le plan psychique, une dysthymie/dysphorie (F34.1), un syndrome douloureux somatoforme persistant (F45.4) et un processus d'invalidation avancée (F68.0).

Ils ont considéré que la capacité de travail de l'assurée était nulle depuis 2002, dans son activité de femme de ménage, tout comme dans celle de vendeuse, en tant qu'elle comportait des ports répétés de charges ou des positions debout prolongées sans possibilité de s'asseoir. Dans une activité légère ou dans une activité assise avec possibilité de changer régulièrement de positions, sans geste fin répété avec les mains surtout à droite en revanche, sa capacité de travail était en théorie de 100%. Les experts n'ont pas retenu de caractère invalidant au syndrome douloureux somatoforme persistant, l'assurée ne présentant ni comorbidité psychiatrique importante ou grave, ni affection corporelle chronique, ni perte d'intégration sociale, ni état psychique cristallisé, ni processus défectueux de résolution de conflit et il n'y avait eu aucun échec de traitement. Les experts n'excluaient toutefois pas qu'il y ait eu une aggravation psychiatrique en 2012 autour de la mort du fils de l'assurée, mais probablement limitée à une période de six à douze mois au maximum. La capacité de travail de l'assurée n'avait ainsi pas évolué depuis 2002, exception faite de la période mentionnée de 2012.

14.    Par décision du 26 juin 2014, l'OAI a rejeté la nouvelle demande, au motif que le degré d'invalidité était nul. Il a retenu une capacité de travail nulle dans l'activité de femme de chambre depuis le 27 juin 2005, une capacité de travail de 80% comme vendeuse en boulangerie et une capacité de travail entière dans une activité adaptée.

15.    Par arrêt du 20 octobre 2015 (ATAS/801/2015), la chambre de céans a admis le recours, annulé ladite décision et renvoyé le dossier à l'intimé pour instruction complémentaire et pour nouvelle décision. Elle a considéré que la nouvelle jurisprudence du 3 juin 2015 relative aux affections psychosomatiques et assimilées, selon laquelle il fallait examiner si les répercussions fonctionnelles de l'atteinte à la santé étaient prouvées de manière définitive et sans contradiction avec une vraisemblance (au moins) prépondérante au moyen d'indicateurs standards, s'appliquait à l'assurée. Or, l'expertise du 28 mars 2014 ne contenait pas un tel examen.

16.    Dans un complément d'expertise daté du 2 juillet 2016, le Dr E______, à nouveau mandaté par l'OAI, a retenu, sans incidence sur la capacité de travail, les mêmes diagnostics que dans son expertise du 28 mars 2014, à l'exception du processus d'invalidation avancée (F68.0) qu'il a remplacé par une majoration de symptômes pour des raisons psychologiques et sociales (F68.0).

S'agissant de la capacité de travail, d'un point de vue théorique, toutes les activités antérieures exercées par l'assurée étaient exigibles. Dans une activité adaptée et définie selon les critères somatiques, la capacité de travail était entière d'un point de vue psychique. La capacité de travail était stable depuis l'achèvement du deuil et il n'y avait pas de diminution de rendement dans une activité adaptée, d'un point de vue psychique. L'expert a relevé que sur le plan rhumatologique, un certain nombre de limitations fonctionnelles avaient été retenues, sans qu'il n'y ait eu de réflexion sur l'activité adaptée, ni de démarche pour aider l'assurée à trouver une telle activité adaptée. L'assurée était une femme simple avec des moyens d'adaptation limités qui avait besoin d'aide pour une telle démarche.

17.    Dans un rapport du 14 novembre 2016, la Dresse G______ a fait état d'une nette aggravation de l'état général de l'assurée, depuis environ un an, avec un diabète fortement décompensé. La capacité de travail était nulle quelle que soit l'activité envisagée.

18.    Dans un rapport du 20 février 2017, la Dresse H______ a diagnostiqué, avec effet sur la capacité de travail, un trouble dépressif récurrent - épisode actuel sévère - sans symptômes psychotiques (F 33.11), et a confirmé les autres diagnostics somatiques mentionnés dans son premier rapport.

L'activité habituelle n'était plus exigible et le rendement était réduit pour les mêmes raisons que dans son rapport du 24 décembre 2012.

19.    Par décision du 21 juillet 2017, l'OAI a rejeté la demande de rente, au motif que l'assurée présentait depuis toujours une capacité de travail entière dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles et que le degré d'invalidité résultant de la comparaison des revenus était de 0%. Une aide au placement lui avait été octroyée en octobre 2009, ainsi qu'en avril 2014, et d'autres mesures de réadaptation professionnelle n'étaient pas nécessaires dans la situation de l'assurée.

20.    L'assurée a interjeté recours le 12 septembre 2017 contre ladite décision. Elle a contesté la valeur probante du rapport d'expertise du Dr E______ du 2 juillet 2016 et conclu principalement à l'octroi d'une rente entière d'invalidité.

21.    Dans sa réponse du 10 octobre 2017, l'OAI a quant à lui considéré que les expertises du CEMed et du Dr E______ avaient pleine valeur probante et que l'état de santé de la recourante et son influence sur sa capacité de gain étaient inchangés depuis la décision initiale, de sorte qu'il n'existait aucun motif de révision.

22.    Jointe à son écriture du 27 octobre 2017, l'assurée a produit une attestation du
25 octobre 2017 rédigée par la doctoresse I______, endocrinologue et diabétologue FMH. Celle-ci traitait l'assurée pour son diabète depuis le début de l'année 2017 et a expliqué que ce diabète décompensé était la cause de complications infectieuses telles que des abcès récurrents de la peau, des infections urinaires et des mycoses.

Sur la base de ses observations de ces dix derniers mois et de son expérience, la Dresse I______ a considéré que la pathologie psychiatrique de l'assurée était bien plus sévère que la dépression diagnostiquée dans le passé, de sorte que la capacité de travail était nulle. Elle sollicitait une évaluation psychiatrique.

23.    Dans sa détermination du 16 janvier 2018, l'OAI a indiqué que le SMR s'était prononcé sur le courrier de l'endocrinologue le 15 janvier 2018 et s'en était tenu à ses précédentes conclusions.

Selon le SMR en effet, le courrier de l'endocrinologue confirmait l'absence de cause diabétologique à l'incapacité de travail. S'agissant du volet psychiatrique, le Dr E______ et les médecins traitants n'avaient retenu aucune pathologie psychiatrique incapacitante. En revanche, le Dr E______ avait signalé une nette composante comportementale et des facteurs extra-médicaux, qui pouvaient tout à fait justifier l'attitude très particulière relevée par la Dresse I______.

24.    Par ordonnance du 13 décembre 2018 (ATAS/1163/2018), la chambre de céans a considéré que l'expertise réalisée par le Dr E______ le 28 mars 2014 et son complément du 2 juillet 2016 n'avaient pas valeur probante et a mandaté le Pr J______, pour expertise. Celui-ci a établi son rapport le 24 mai 2019. Il a retenu les diagnostics du syndrome douloureux somatoforme dès 2002, de dysthymie dès 2002, de troubles de personnalité paranoïaques (sensitives) dès 2009, de troubles dépressifs récurrents, épisode actuel moyen, dès 2009 et de démence vasculaire sous-corticale débutante dès 2014.

Il a constaté qu'

« Il s'agit d'une situation clinique complexe qui a évolué vers une aggravation à partir de l'installation définitive de l'expertisée en Suisse en 2000. Les premières manifestations cliniques ont été celles d'un syndrome douloureux somatoforme associé à une dysthymie. En échec existentiel après la séparation avec ses enfants qui ont in fine préféré rester au Portugal, de retour en Suisse où elle n'arrive pas à retrouver un emploi, épuisée après avoir tenté pendant de nombreuses années à assumer ses enfants sans réussir à s'intégrer, l'expertisée a présenté un syndrome douloureux somatoforme qui a été identifié tant par les médecins et psychiatres traitants que lors du séjour à la clinique de Montana (2009). Le vécu douloureux est associé à une vision pessimiste et résignée de son parcours de vie, une humeur chroniquement basse et une irritabilité palpable qui seront rapportés dans l'examen bi-disciplinaire de 2007 et dans l'expertise de 2013. Progressivement son humeur s'est péjorée dans un contexte d'isolement psychosocial grandissant au cours de la période allant de 2003 à 2009. Le diagnostic de trouble dépressif récurrent est évoqué par le médecin traitant et le psychiatre de l'époque, mais il reste peu étayé jusqu'en 2009. À partir de cette date et la survenue du suicide de son fils, ce diagnostic ne souffre d'aucun doute (rapporté lors de l'hospitalisation à la clinique de Montana en 2009, répété par la psychiatre traitante à maintes reprises à partir de 2012 et identifié également dans cette expertise). L'apparition du trouble dépressif moyen va de pair avec une aggravation des traits de personnalité prémorbide du registre paranoïaque qui franchissent alors le seuil du trouble. La méfiance face au corps médical et l'AI, la conviction que les traitements antidépresseurs pourraient la nuire (avec crainte d'empoisonnement), mais aussi et surtout l'élaboration d'une idéation délirante en lien avec le suicide de son fils (à visée antidépressive) témoignent de cette évolution. À l'heure actuelle, le trouble de la personnalité paranoïaque du registre sensitif est patent sur la base de ce qui précède, mais aussi de l'hyperesthésie affective, du sentiment de discrimination négative et de préjudice, et des réactions d'orgueil avec vécu de dévalorisation. On peut considérer que tout au long de son long parcours juridique contre l'AI, l'expertisée présentait au premier plan un trouble dépressif récurrent moyen et un trouble de la personnalité paranoïaque (sensitive) en sus des diagnostics de syndrome douloureux somatoforme et de dysthymie (toujours présents également à l'heure actuelle). Dulcis in fundo, l'expertisée présente à partir de 2014 une détérioration cognitive d'origine vasculaire sous-corticale (comme identifiée à l'IRM et au bilan neuropsychologique en présence d'un diabète difficile à équilibrer avec hypertension artérielle) compatible avec une démence débutante. Les modifications comportementales rapportées par sa fille sont très évocatrices de ce dernier palier de détérioration ».

Le Pr J______ a précisé que les diagnostics avaient été objectivés par l'examen clinique, mais aussi par le bilan neuropsychologique détaillé et l'IRM cérébrale.

Selon lui, « la complexité du tableau clinique actuel laisse peu d'espoir en termes de récupération des capacités de travail de l'assurée. La survenue d'une démence débutante en 2014 ne fait que péjorer l'état clinique, assombrissant les perspectives en termes d'évolution clinique et ajoutant des limitations fonctionnelles en lien avec la perte de ses fonctions cognitives. La capacité de travail est évidemment de 0% dans tous les milieux ».

Le Pr J______ a indiqué qu'il n'avait retrouvé aucune preuve de majoration des symptômes notamment sur un plan neuropsychologique, bien que le syndrome douloureux somatoforme reste présent comme une des expressions de son mal-être, il ne représente aucunement la source d'invalidité principale à l'heure actuelle.

Le suivi psychiatrique a été continu mais laborieux. Le récit de la psychiatre traitante montre la difficulté au niveau de la compliance médicamenteuse, la fragilité de l'alliance thérapeutique et la structure survenue par sentiment d'inutilité de la prise en soin en 2018.

Le traitement pharmacologique de la dépression a induit des effets secondaires et a été interrompu rapidement.

Les limitations du niveau d'activité sont uniformes et touchent la sphère professionnelle et privée. L'activité sociale est allée en diminuant depuis la fin 2009 avec repli sur soi, irritabilité et adoption d'un style de vie stéréotypé. Sur ce plan, la situation s'est résolument péjorée après 2014 avec le début d'un syndrome de Diogène classique (incurie à domicile, hygiène personnelle en dégradation, accumulation d'objet) et d'une utilisation d'alcool qui est en augmentation. Aucune activité lucrative n'est exigible depuis fin 2009.

Le pronostic est très sombre et la nécessité de soins pour éviter l'installation d'un syndrome de Diogène grave avec en sus une dépendance à l'alcool ne fait aucun doute aux yeux de l'expert.

Les ressources sont en voie de diminution à cause de la détérioration cognitive. Le soutien de sa fille est une ressource exploitable. Par ailleurs, elle garde encore une bonne capacité d'interaction lorsqu'elle est sécurisée dans un cadre relationnel.

Il est probable que l'expertisée se montre très réticente aux actes de soins avec manifestation d'une idéation paranoïde en lien avec son trouble de la personnalité.

Le comportement de l'expertisée, et notamment la syllogamie, le repli sur soi et la dégradation de son hygiène, reflète l'effet négatif de trois pathologies : le trouble dépressif récurrent, le trouble de la personnalité paranoïaque et la démence débutante. Il est donc conforme aux pathologies en présence, mais en décalage clair par rapport à la normalité.

25.    Les parties ont été invitées à se déterminer.

26.    Par courrier du 1er juillet 2019, l'assurée, par l'intermédiaire de son avocat, a relevé qu'il convenait d'accorder pleine valeur probante à l'expertise convaincante du
Pr J______ et persisté dans ses conclusions.

27.    Le 8 juillet 2019, l'OAI a indiqué qu'il avait soumis l'expertise du Pr J______ au SMR pour appréciation et que celui-ci, par avis du 1er juillet 2019, a considéré que les conclusions de son rapport final du 2 mai 2017 continuaient d'être d'actualité. Le médecin du SMR a en effet rappelé que le Dr E______ n'avait relevé aucune aggravation psychique entre 2013 et 2016 et n'avait retenu qu'une thymie neutre. Il en déduit que la thymie triste et les moments de désarroi avec un discours confus mal délimité, la baisse d'élan vital avec aboulie et apathie, dont fait état le Pr J______ dans son rapport du 24 mai 2019, ne sont survenus que postérieurement à l'expertise du Dr E______ de juillet 2016. Selon le médecin du SMR, on peut certes admettre que la démence vasculaire a une conséquence sur la capacité de travail, lorsque la Dresse I______ fait part de son inquiétude face à l'incapacité de l'assurée à comprendre les conséquences de sa non adhérence aux traitements antidiabétiques ou lorsqu'elle indique que le raisonnement de sa patiente est illogique et confus, une telle conclusion n'est toutefois valable qu'à partir d'octobre 2017, soit après que la décision du 21 juillet 2017 ait été rendue.

L'OAI relève en conséquence que l'analyse du SMR apporte suffisamment d'éléments objectivement vérifiables pour remettre en cause les conclusions du Pr J______, dans la mesure où s'il existe bien une aggravation de l'état de santé, celle-ci est postérieure à la décision litigieuse. L'OAI maintient dès lors ses précédentes conclusions.

28.    Ce courrier a été transmis à l'assurée et la cause gardée à juger.

EN DROIT

1.        Conformément à l'art. 134 al. 1 let. a ch. 2 de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 56 de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur l'assurance-invalidité du 19 juin 1959 (LAI - RS 831.20).

Sa compétence pour juger du cas d'espèce est ainsi établie.

2.        Interjeté dans la forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable (art. 56 et 60 LPGA; art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - [LPA-GE - E 5 10]).

3.        Le litige porte sur le droit de l'assurée à des prestations AI.

4.        La chambre de céans a déjà exposé les dispositions légales et le jurisprudence applicables dans son ordonnance du 13 décembre 2018, de sorte que l'on peut y renvoyer.

Il suffit de rappeler qu'on parle d'atteinte à la santé mentale ou psychique quand, en raison d'une infirmité congénitale, d'un accident ou d'une maladie, il existe un trouble des fonctions mentales, intellectuelles, cognitives ou émotionnelles, permanent ou de longue durée, qui persiste malgré les mesures thérapeutiques et entraîne une incapacité de travail durable, partielle ou totale. Il incombe dans chaque cas au médecin de juger, en se basant sur le dossier ou sur les résultats de ses propres examens, si l'assuré présente une atteinte à la santé mentale ou psychique. La présence d'une atteinte à la santé mentale ou psychique doit être prouvée par des constatations objectives, fiables et attestée par un dossier. Pour l'appréciation d'un rapport médical ou d'une expertise médicale, il convient de tenir particulièrement compte du fait que les plaintes alléguées par l'assuré ne peuvent pas être considérées comme des constatations objectives. En cas de doute, il est nécessaire de compléter le rapport ou l'expertise en demandant des renseignements supplémentaires ou en renvoyant le document concerné. Les services médicaux régionaux peuvent aussi, dans de tels cas, confirmer la fiabilité des constatations par un examen de l'assuré. Toute atteinte à la santé mentale ou psychique doit faire l'objet d'un diagnostic selon le CIM-10. Pour l'évaluation du rapport médical ou de l'expertise médicale, il convient de rechercher tout particulièrement des contradictions entre les critères diagnostiques cités dans le CIM-10 et les indications figurant dans le rapport. Toute diminution des facultés intellectuelles (oligophrénie, imbécillité, idiotie, démence) doit être quantifiée au moyen de séries de tests adéquats. Un quotient intellectuel inférieur à 70 s'accompagne en règle générale d'une capacité de travail réduite. Il est toutefois nécessaire de procéder dans chaque cas à une description objective des conséquences sur le comportement, l'activité professionnelle, les actes ordinaires de la vie et l'environnement social. L'indication de l'étiologie est indispensable pour les troubles psychiques d'origine organique. L'atteinte, notamment celle des aptitudes cognitives, doit être quantifiée (expertise neuropsychiatrique ou neuropsychologique). Une évaluation pronostique est également nécessaire. (Circulaire sur l'invalidité et l'impotence dans l'assurance-invalidité - CIIAI nos 1007 ss).

Il y a également lieu de relever que le Tribunal fédéral des assurances a, dans un arrêt du 5 octobre 2001 (ATF 127 V 294), précisé sa jurisprudence relative aux atteintes à la santé psychique. Ainsi, les facteurs psychosociaux ou socioculturels ne figurent pas au nombre des atteintes à la santé susceptibles d'entraîner une invalidité au sens de l'art. 4 al. 1er LAI. Pour qu'une invalidité soit reconnue, il est nécessaire, dans chaque cas, qu'un substrat médical pertinent, entravant la capacité de travail (et de gain) de manière importante, soit mis en évidence par le médecin spécialisé. Plus les facteurs psychosociaux et socioculturels apparaissent au premier plan et imprègnent l'anamnèse, plus il est essentiel que le diagnostic médical précise s'il y a atteinte à la santé psychique qui équivaut à une maladie. Ainsi, il ne suffit pas que le tableau clinique soit constitué d'atteintes qui relèvent de facteurs socioculturels ; il faut encore que le tableau clinique comporte d'autres éléments pertinents au plan psychiatrique tels que, par exemple, une dépression durable au sens médical ou un état psychique assimilable, et non une simple humeur dépressive. Une telle atteinte psychique, qui doit être distinguée des facteurs socioculturels, et qui doit de manière autonome influencer la capacité de travail, est nécessaire en définitive pour que l'on puisse parler d'invalidité. En revanche, là où l'expert ne relève pour l'essentiel que des éléments qui trouvent leur explication et leur source dans le champ socioculturel ou psychosocial, il n'y a pas d'atteinte à la santé à caractère invalidant (ATF 127 V 294 consid. 5a in fine ; VSI 2000 p. 155 consid. 3).

5.        La chambre de céans rappelle enfin que le juge ne s'écarte pas sans motif impératif des conclusions d'une expertise médicale judiciaire, la tâche de l'expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l'éclairer sur les aspects médicaux d'un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut constituer une raison de s'écarter d'une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions ou qu'une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d'autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l'expert, on ne peut exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d'une nouvelle expertise médicale (ATF 125 V 351 consid. 3b/aa).

6.        a. En l'espèce, l'OAI a, par sa décision du 21 juillet 2017, nié le droit de l'assurée à des prestations AI, au motif que les expertises du Dr E______ avaient pleine valeur probante et que l'état de santé de l'assurée et son influence sur sa capacité de gain étaient restés inchangés depuis la décision initiale du 5 janvier 2009, de sorte qu'il n'existait aucun motif de révision.

Par ordonnance du 13 décembre 2018 toutefois, la chambre de céans a considéré que l'expertise réalisée par le Dr E______ le 28 mars 2014 et son complément du 2 juillet 2016 n'avaient pas valeur probante et a mandaté le Pr J______ pour expertise.

Dans son rapport du 24 mai 2019, le Pr J______ a retenu les diagnostics du syndrome douloureux somatoforme et de dysthymie dès 2002, de troubles de personnalité paranoïaques (sensitives) et de troubles dépressifs récurrents, épisode actuel moyen dès 2009, et de démence vasculaire sous-corticale débutante dès 2014. Il a indiqué que les limitations du niveau d'activité touchaient la sphère professionnelle et privée. L'activité sociale était allée en diminuant depuis la fin 2009 et s'était résolument péjorée après 2014 avec le début d'un syndrome de Diogène classique (incurie à domicile, hygiène personnelle en dégradation, accumulation d'objet) et d'une utilisation d'alcool qui est en augmentation. Aucune activité lucrative n'était exigible depuis fin 2009.

b. Le rapport d'expertise du Pr J______ est en l'occurrence fondé sur un dossier médical complet. Il contient une anamnèse personnelle et sociale. Il est basé sur cinq entretiens avec l'assurée, sur deux entretiens téléphoniques avec sa fille, sur un entretien téléphonique avec la Dresse H______, une évaluation neuro-psychologique et une IRM du 25 avril 2019. L'expert a posé ses diagnostics en motivant ceux-ci. Il a répondu aux questions posées dans la mission d'expertise et ses réponses sont convaincantes. L'expertise du 24 mai 2019 répond ainsi aux réquisits pour se voir reconnaître une pleine valeur probante, étant au surplus rappelé que le juge ne s'écarte pas sans motif impératif des conclusions d'une expertise médicale judiciaire.

Il y a dès lors lieu de prendre en considération les conclusions du rapport d'expertise du 24 mai 2019, lesquelles correspondent du reste aux constatations des médecins traitants et de retenir que l'assurée présente une incapacité entière de travailler, quelle que soit l'activité envisagée.

7.        a. Le médecin du SMR a pris connaissance des conclusions de l'expert et admis que l'état de santé de l'assurée s'était aggravé. Il considère toutefois, se référant aux constatations du Dr E______ et les comparant à celles du Pr J______, qu'il n'a pas à en tenir compte du fait que l'aggravation est survenue postérieurement à la décision litigieuse. Selon lui, les conclusions de son rapport final du 2 mai 2017 restent en conséquence valables. L'OAI maintient sur cette base ses précédentes conclusions.

b. La chambre de céans constate que l'analyse du médecin du SMR repose plus particulièrement sur le fait que le Dr E______ n'avait relevé aucune aggravation psychique entre 2013 et 2016 et n'avait retenu qu'une thymie neutre. Le médecin du SMR en déduit que la thymie triste et les moments de désarroi avec un discours confus mal délimité, la baisse d'élan vital avec aboulie et apathie, dont fait état le Pr J______ dans son rapport du 24 mai 2019, ne sont survenus que postérieurement à l'expertise du Dr E______ de juillet 2016. Selon le médecin du SMR, on peut certes admettre que la démence vasculaire a une conséquence sur la capacité de travail, lorsque la Dresse I______ fait part de son inquiétude face à l'incapacité de l'assurée à comprendre les conséquences de sa non adhérence aux traitements antidiabétiques ou lorsqu'elle indique que le raisonnement de sa patiente est illogique et confus, on doit toutefois souligner que ce médecin ne rapporte ces constatations qu'à partir d'octobre 2017, soit après que la décision du 21 juillet 2017 ait été rendue.

c. Il parait utile de rappeler que la valeur probante des rapports du Dr E______ sur lesquels se fondent le médecin du SMR et l'OAI a été niée par la chambre de céans dans son ordonnance du 13 décembre 2018. On ne comprend dès lors pas pour quelles raisons il y est fait encore référence.

d. Il est vrai que le juge n'a pas à prendre en considération les modifications de droit ou de l'état de faits postérieurs à la date déterminante de la décision litigieuse (ATF 132 V 215 consid. 3.1.1 ; 129 V 1 consid. 1.2). Il s'agit en l'espèce de comparer les faits lors de la décision initiale, celle du 5 janvier 2009, avec ceux existants au moment de la décision litigieuse, celle du 21 juillet 2017.

Or, la chambre de céans constate à cet égard que selon le Pr J______, le syndrome douloureux somatoforme dont souffre l'assurée a été identifié par les psychiatres traitants et par les médecins de la clinique de Montana, lors de son séjour effectué du 22 juin au 2 juillet 2009. Le diagnostic de trouble dépressif récurrent, évoqué par le médecin traitant et le psychiatre de l'époque, est confirmé depuis 2009, et répété par la psychiatre traitante à maintes reprises à partir de 2012. Le trouble dépressif moyen accompagne l'aggravation des traits de personnalité prémorbide du registre paranoïaque qui sont alors qualifiés de trouble. Enfin le diagnostic de démence débutante est posé depuis 2014.

On ne saurait dès lors soutenir, au vu de ce qui précède, que l'aggravation de l'état de santé de l'assurée ne serait survenue qu'après la décision du 21 juillet 2017. Un motif de révision est, partant, présent.

8.        L'assurée étant incapable de travailler à 100% dans toute activité, il n'est pas nécessaire de chiffrer précisément les revenus avec et sans invalidité, le degré d'invalidité se confondant dans ce cas avec le taux d'incapacité de travail (cf. notamment l'arrêt du Tribunal fédéral 9C_260/2013 du 9 août 2013 consid. 4.2).

9.        L'assurée a, au vu de ce qui précède, droit à l'octroi d'une rente entière d'invalidité à compter d'avril 2012, soit 6 mois après le dépôt de sa demande de prestations, ce conformément à l'art. 29 LAI.

10.    Aussi le recours doit-il être admis et la décision du 21 juillet 2017 annulée.


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L'admet et annule la décision du 21 juillet 2017.

3.        Dit que l'assurée a droit à l'octroi d'une rente entière d'invalidité à compter d'avril 2012.

4.        Condamne l'OAI à verser à l'assurée la somme de CHF 2'000.- à titre de dépens.

5.        Met un émolument de CHF 200.- à la charge de l'OAI.

6.        Informe les parties de ce qu'elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Nathalie LOCHER

 

La présidente

 

 

 

 

Doris GALEAZZI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu'à l'Office fédéral des assurances sociales par le greffe le