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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3157/2021

ATAS/1026/2022 du 24.11.2022 ( CHOMAG ) , REJETE

*** ARRET DE PRINCIPE ***
Descripteurs : EMPLOI(TRAVAIL);ENTREPRISE;RÉSILIATION;SITUATION FINANCIÈRE;JUSTE MOTIF;AIDE AU RETOUR
Normes : LMC.30; LMC.36B; RMC.30.leta
Résumé : Procédant à l’interprétation de l’art. 30 let. a RMC, la Cour de céans a retenu que la notion de « motifs économiques avérés » doit être interprétée de manière restrictive, de sorte que seul l’employeur, dont l’existence est mise en danger par la poursuite du contrat de travail du collaborateur pour lequel il bénéficie d'une allocation de retour en emploi, peut résilier ledit contrat sans devoir restituer les prestations reçues. En l’occurrence, la situation financière de l’employeur ne permet pas de retenir l’existence d’un motif économique avéré qui justifierait le licenciement de sa collaboratrice au bénéfice d’une allocation de retour en emploi. C’est par conséquent à bon droit que l’intimé en a réclamé la restitution.
En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3157/2021 ATAS/1026/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 24 novembre 2022

 

 

En la cause

A______ SA, sise ______, Petit-Lancy

 

recourante

contre

OFFICE CANTONAL DE L'EMPLOI, représenté par son Service juridique, sis rue des Gares 16, Genève

 

 

 

intimé

 


 

 

EN FAIT

 

A. a. A______ SA est une société anonyme inscrite au registre du commerce depuis le ______ 1968, dont le but est défini ainsi : « étude et réalisation de tout projet de publicité et de réclame, ainsi que de toute affaire d'édition et de librairie, recherche et étude de marché, sondage d'opinions et toute activité de relations publiques, productions photographiques et cinématographiques à des fins publicitaires et, d'une manière générale, toute activité en rapport avec la publicité ». Son administrateur-président, avec signature individuelle, est Monsieur B______.

b. Le 31 janvier 2020, A______ SA (ci-après : l’employeur) a engagé Madame C______ (ci-après : la collaboratrice), en qualité d’assistante administrative et financière, à compter du 17 février 2020, pour une durée indéterminée, à un taux d’occupation de 70%, pour un salaire de CHF 3'791.65 par mois, versé 13 fois l’an.

B. a. Le 31 janvier 2020 également, l’employeur a sollicité, en faveur de la collaboratrice précitée, l’octroi d’une allocation de retour en emploi (ARE) à compter du 17 février 2020.

b. Par décision du 10 mars 2020, l’office cantonal de l’emploi (ci-après : l’OCE) a accepté la demande d’ARE pour la période du 25 février 2020 au 24 novembre 2021, pour un salaire mensuel moyen brut de CHF 3'792.-. L’allocation en question a été accordée à hauteur de CHF 326.90 pour février 2020, de CHF 1'896.- par mois de mars 2020 à octobre 2021 et de CHF 1'596.10 pour novembre 2021.

C. a. Le 25 février 2021, l’employeur a licencié la collaboratrice avec effet au 30 avril 2021.

b. Par décision du 10 juin 2021, l’OCE, considérant que ce licenciement n’était pas justifié par de justes motifs, a révoqué sa décision du 10 mars 2020 et réclamé le remboursement du montant de CHF 24'974.90, correspondant à celui versé à l’employeur au titre de l’ARE entre février 2020 et mars 2021.

c. Le 9 juillet 2021, l’employeur s’est opposé à cette décision en expliquant en substance que le licenciement avait été motivé tant par la situation économique de la société que par les performances insuffisantes de l’employée. Qui plus est, le remboursement réclamé représentait une charge financière bien trop importante pour la société.

d. Par décision du 16 juillet 2021, l’OCE a rejeté l’opposition. Le fait que les prestations de l’employée ne soient pas jugées suffisantes ne pouvait être qualifié de juste motif. Son licenciement n’était pas non plus justifié par des motifs économiques avérés, puisque la société bénéficiait, au 31 décembre 2020, de fonds propres atteignant CHF 292'575.-.

D. a. Le 1er septembre 2021, l’employeur a interjeté recours contre cette décision.

En substance, il allègue que s’il a mis fin au contrat de travail pour le 30 avril 2021, c’est en raison de motifs économiques, sérieux et justifiés.

b. Invité à se déterminer, l’intimé, dans sa réponse du 12 octobre 2021, a conclu au rejet du recours.

Selon lui, le fait que la société ait subi une perte de CHF 40'781.- en 2020 n’est pas suffisant pour admettre l’existence de motifs économiques avérés.

c. Dans sa réplique du 1er novembre 2021, le recourant a persisté dans ses conclusions, répétant qu’il se trouvait dans une situation financière très délicate en 2021. Il admet cependant ne pas avoir mis un terme à l’ARE « dans les règles de l’art ».

d. Dans sa duplique du 19 novembre 2021, l’intimé a persisté dans ses conclusions.

e. Le 1er mars 2022 s’est tenue une audience de comparution personnelle, à l’issue de laquelle la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 3 let. b de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît, en instance unique, des contestations prévues à l'art. 49 de la loi en matière de chômage du 11 novembre 1983 (LMC - J 2 20) en matière de prestations cantonales complémentaires de chômage.

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             La décision querellée a trait aux prestations cantonales complémentaires de chômage prévues par la LMC. Cette dernière ne contenant aucune norme de renvoi, la LPGA n’est pas applicable (cf. art. 1 et 2 LPGA).

3.             Interjeté dans les forme et le délai prévus par la loi, le recours est recevable (cf. art. 49 al. 3 LMC et art. 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 [LPA - E 5 10]).

4.             Le litige porte sur le bien-fondé de la décision de l’intimé de réclamer à la recourante le remboursement de l’ARE allouée en faveur de la collaboratrice, suite au licenciement de cette dernière avant le terme de la mesure, singulièrement sur l’existence de « motifs sérieux et justifiés » audit licenciement.

5.             Aux termes de l’art. 30 LMC, les chômeurs ayant épuisé leur droit aux indemnités fédérales peuvent bénéficier d’une ARE s’ils retrouvent un travail salarié auprès d’une entreprise active en Suisse.

La décision relative à l’ARE est révoquée si, après la période d’essai, l’employeur notifie la résiliation du contrat de travail avant la fin de la mesure ou dans les trois mois qui suivent. L’employeur est tenu de restituer à l’État la participation au salaire reçue. Sont réservés les cas de résiliation pour des motifs sérieux et justifiés (art. 36B LMC).

L’art. 30 du règlement d'exécution de la loi en matière de chômage (RMC - J 2 20.01) précise la notion de « motifs sérieux et justifiés » et stipule que sont notamment considérés comme tels : un licenciement pour des motifs économiques avérés (let. a), des prestations durablement insuffisantes du travailleur, malgré les efforts d'encadrement et de formation qu'on était raisonnablement en droit d'attendre de l'employeur (let. b).

6.             En l’espèce, l’employeur a licencié la collaboratrice le 25 février 2021, avec effet au 30 avril 2021, soit après le temps d’essai, mais pendant la durée de la mesure. A l’appui de cette décision, la recourante invoque, d’une part, des prestations durablement insuffisantes de l’intéressée (cf. opposition du 9 juillet 2021 p. 7), d’autre part, l’existence d’un motif économique avéré, à savoir son endettement à 211,6% fin 2020 et une perte de marge brute projetée de CHF 180'453.- et de CHF 60'900.-, liée à la perte de deux clients importants (les sociétés DEVRED et AUBERT), fin 2020.

L’intimé considère pour sa part que la collaboratrice a été licenciée sans motifs sérieux et justifiés, en particulier sans aucun motif économique avéré, dès lors que la société disposait, au 31 décembre 2020, des fonds propres d’un montant de CHF 292'575.-. À cet égard, l’intimé précise ne pas avoir de pratique établie en lien avec la notion de « motifs économiques avérés ». Dans le cas d’espèce, son service administratif et financier a procédé à une analyse de la situation et est arrivé à la conclusion que, même si la perte provisionnée pour 2021 était susceptible de créer un déficit plus important qu’en 2020, elle n’était pas de nature à mettre la société recourante dans une situation de surendettement pouvant conduire à sa faillite.

C’est le lieu de préciser que la recourante a admis, par l’intermédiaire de son administrateur-président, ne pas avoir été en péril (cf. audience de comparution personnelle des parties du 1er mars 2022, p. 2).

7.             La recourante a, dans un premier temps, essentiellement invoqué l’incompétence professionnelle de sa collaboratrice.

Si ce reproche a certes été évoqué et détaillé dans l’opposition du 9 juillet 2021, tel n’a plus été le cas dans le recours et la réplique.

Cela étant, force est de constater que figurent au dossier comporte plusieurs courriels émettant des critiques à l’encontre du travail de la collaboratrice, plus particulièrement ceux envoyés en dates des 20 avril, 24 juin, 19 octobre et 9 décembre 2020, ainsi que le 3 février 2021. Concrètement, il en ressort que la collaboratrice a fait des erreurs de saisie de dates (courriels des 20 avril 2020 et 19 octobre 2020), que le directeur n’a pas compris un courriel rédigé par ses soins (courriel du 9 décembre 2020) et qu’elle aurait pris une initiative de facturation qui s’est avérée erronée (courriel du 3 février 2021). On peut enfin supposer, à la lecture du courriel du 24 juin 2020, que la collaboratrice a envoyé un mauvais contrat de bail. On est ainsi en présence de cinq reproches différents et relativement mineurs, échelonnés sur une période d’un an, de sorte qu’on ne saurait parler de prestations « durablement insuffisantes ».

La recourante a également allégué que son directeur avait eu plusieurs réunions avec la collaboratrice (ch. 14 de l’opposition du 9 juillet 2021), sans donner toutefois de précisions, ni quant à la date desdites réunions, ni quant à leur contenu (par le biais de la production des comptes rendus y relatifs, par exemple), de sorte que, là encore, on ne saurait considérer comme établie l’insuffisance des prestations de la collaboratrice dans la durée.

En réalité, les courriels produits permettent de retenir des erreurs ponctuelles, dont certaines semblent consécutives à un manque d’informations ou de formation (cf. courriel du 3 février 2021).

Il n’y avait donc pas là de motif suffisant pour justifier le licenciement de l’intéressée en cours d’ARE.

8.             Il s’agit à présent d’examiner si ce licenciement était justifié par des « motifs économiques avérés » au sens de l’art. 30 RMC. Cette notion étant vague, il convient de l’interpréter.

En matière d'interprétation de dispositions légales, il faut, en premier lieu, se fonder sur la lettre de la disposition en cause (interprétation littérale). Si le texte de cette dernière n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation avec d'autres dispositions, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté de son auteur telle qu'elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique). Le sens que prend la disposition dans son contexte est également important (ATF 128 II 347 consid. 3.5 ; ATF 128 V 105 consid. 5 ; ATF 128 V 207 consid. 5b ; ATF 125 II 484 consid. 4).

Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme; en particulier, il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 143 II 202 consid. 8.5 ; ATF 143 I 109 consid. 6.1 ; ATF 134 I 184 consid. 5.1).

Par ailleurs, les dispositions d'exception ne doivent être interprétées ni restrictivement ni extensivement, mais conformément à leur sens et à leur but, dans les limites de la règle générale (ATF 131 V 279 consid. 2.4 ; ATF 130 V 229 consid. 2.2 ; ATF 130 V 472 consid. 6.5.6 ; ATF 118 Ia 175 consid. 2d ; ATF 117 Ib 114 consid. 7c ; ATF 114 V 298 consid. 3e).

L'interprétation littérale consiste en substance à tirer tous les renseignements possibles du sens littéral de la règle. Il s'agit ainsi de comprendre la signification de chaque mot pris individuellement et de se concentrer sur les relations grammaticales entre les mots telles que résultant de la syntaxe (accords, objet d'une négation) ainsi que de l'usage de la ponctuation. En outre, la manière dont le législateur a ordonné les alinéas d'un article, dont il a divisé le texte (au moyen de titres, sous-titres, etc.) et structuré les notes marginales relève également de l'interprétation littérale.

Quant à l'interprétation systématique, elle vise à prendre la mesure de la structure formelle dans laquelle la règle s'intègre : l'ordonnancement des titres, des notes marginales, des alinéas et des phrases donnant un rapport hiérarchique aux règles, ce qui permet souvent d'en déterminer le champ d'application. Il y a également lieu d'examiner les liens établis par le texte légal entre certaines règles, au moyen de renvois plus ou moins explicites à d'autres dispositions. Relève également de l'interprétation systématique le fait de comparer des normes et, lorsqu'elles ont des éléments communs et des différences, d'en tirer des conclusions sur les intentions du législateur (STEINAUER, Le Titre préliminaire du Code civil et Droit des personnes, 2e éd., 2009, n° 262 et ss, p. 87 et ss).

Conformément à la méthode téléologique, la loi s'interprète pour elle-même, c'est-à-dire selon sa lettre, son esprit et son but, ainsi que selon les valeurs sur lesquelles elle repose. Le juge s'appuiera sur la ratio legis, qu'il déterminera non pas d'après ses propres conceptions subjectives, mais à la lumière des intentions du législateur. Le but de l'interprétation est de rendre une décision juste d'un point de vue objectif, compte tenu de la structure normative, et doit aboutir à un résultat satisfaisant fondé sur la ratio legis. Ainsi, une norme dont le texte est à première vue clair peut être étendue par analogie à une situation qu'elle ne vise pas ou, au contraire, si sa teneur paraît trop large au regard de sa finalité, elle ne sera pas appliquée à une situation par interprétation téléologique restrictive (ATF 121 III 219 consid. 1d; ATF 128 I 34 consid. 3b; ATF 128 III 113 consid. 2a et les arrêts cités). Si la prise en compte d'éléments historiques n'est pas déterminante pour l'interprétation, cette dernière doit néanmoins s'appuyer en principe sur la volonté du législateur et sur les jugements de valeur qui la sous-tendent de manière reconnaissable, tant il est vrai que l'interprétation des normes légales selon leur finalité ne peut se justifier par elle-même, mais doit au contraire être déduite des intentions du législateur qu'il s'agit d'établir à l'aide des méthodes d'interprétations habituelles (ATF 121 précité; ATF 128 I 34 consid. 3b).

9.              

9.1 L’interprétation littérale ne permettant pas de se déterminer sur le sens à donner à la notion de « motifs économiques », il y a lieu d’appliquer les autres méthodes d’interprétation.

Comme précédemment indiqué, l’interprétation téléologique consiste à rechercher le but poursuivi, l'intérêt protégé par la disposition légale. Cette méthode est proche de l'interprétation historique, dont le but est de déterminer la volonté du législateur telle que ressortant des travaux préparatoires. Le but poursuivi par la disposition à interpréter pouvant se recouper avec la volonté du législateur, il est difficile de procéder à une interprétation téléologique et à une interprétation historique séparément. Ces deux méthodes seront donc examinées ensemble pour des questions pratiques.

9.2  

9.2.1 La loi genevoise en matière de chômage vise à favoriser le placement rapide et durable des chômeurs dans le marché de l'emploi et à renforcer leurs compétences par l'octroi de mesures d'emploi, de formation et de soutien à la réinsertion. Elle institue pour les chômeurs des prestations cantonales complémentaires à celles prévues par l'assurance-chômage fédérale (art. 1 let. b à d LMC), parmi lesquelles figure notamment l'ARE (art. 30ss LMC).

L'ARE a été introduite en 1997. Cette mesure a pour objectif, grâce à l'aide financière de l'État, d'encourager les chômeurs à retrouver une place de travail et d'inciter les employeurs à engager des chômeurs en fin de droit (MGC 1996 37/VI 5692). Lors des débats menés en lien avec la modification des conditions d'octroi de l'ARE en 2017, Monsieur Mauro POGGIA - Conseiller d'État alors en charge du département de l'emploi, des affaires sociales et de la santé (DEAS) - et certains députés ont rappelé le but de l’ARE (Rapport PL 11804-A p. 5). Il a été souligné que l'employeur qui engage un chômeur de longue durée fait face à un « challenge » concernant la rentabilité de cette personne (Rapport PL 11804-A p. 5). Le but de la mesure est donc d'encourager un employeur à prendre ce risque, consistant à engager une personne inconnue qui n'a pas eu d'activité professionnelle pendant une longue durée (Rapport PL 11804-A p. 53), permettant ainsi à une personne plus ou moins éloignée du marché du travail d'y revenir (Rapport PL 11804-A p. 56).

9.2.2 Dans sa teneur en vigueur jusqu’au 30 septembre 2017, l’art. 32 LMC stipulait que si l'employeur mettait un terme au contrat de travail avant la fin de la durée totale de la mesure, il était tenu de restituer à l'État la participation au salaire reçue. N’étaient réservés que les cas de résiliation immédiate du contrat de travail pour justes motifs au sens de l'art. 337 CO.

9.2.3 Le 13 janvier 2016, le Conseil d’État a déposé auprès du secrétariat du Grand Conseil un projet de loi modifiant la LMC, lequel comportait notamment un nouvel art. 36B al. 2, prévoyant que la décision relative à l'ARE en emploi est révoquée si, après la période d'essai, l'employeur résiliait le contrat de travail avant la fin de la mesure ou dans les trois mois suivants. L'employeur était alors tenu de restituer à l'État la participation au salaire reçue. N’étaient là encore réservés que les cas de résiliation immédiate du contrat de travail pour justes motifs au sens de l'art. 337 CO.

Le projet de loi PL 11804 du Conseil d’État a été renvoyé sans débat à la commission de l'économie.

Le 1er juin 2017, celle-ci a résumé ses travaux et la décision de la majorité. Lors des travaux en question, le DEAS, représenté par M. POGGIA, accompagné par Madame D______, directrice du service juridique de l’OCE, a proposé à la commission de remplacer la notion de « justes motifs au sens de l’art. 337 CO » prévue à l’art. 32 LMC par celle de « cas de résiliation pour des motifs sérieux et justifiés ». M. POGGIA a notamment expliqué que les justes motifs étaient difficiles à établir et que la formulation de l’art. 32 LMC, dans son ancienne teneur, était de nature à décourager certains employeurs. La nouvelle formulation devait permettre à l’autorité d’examiner ces motifs de manière plus large et visait à ne pas pénaliser l’employeur (rapport de la Commission de l’économie chargée d’étudier le projet de loi du Conseil d’État modifiant la loi en matière de chômage PL 11804- A, p. 75, publié en ligne ( https://ge.ch/grandconseil/data/texte/PL11804A.pdf). Mme D______  a renchéri, expliquant qu’il s’agissait d’être plus souple que le CO. Le cas de la personne ne donnant pas satisfaction pourrait ainsi constituer un motif sérieux et justifié, tout comme celui de l’employeur qui n’aurait plus les moyens financiers de poursuivre son activité. Les employeurs n’étaient pas tous de mauvaise foi. L’administration souhaitait pouvoir apprécier la situation (rapport de la Commission de l’économie chargée d’étudier le projet de loi du Conseil d’État modifiant la loi en matière de chômage PL 11804-A, p. 77, publié en ligne à l’adresse https://ge.ch/grandconseil/data/texte/PL11804A.pdf).

La Commission a accepté la proposition de M. POGGIA par 11 voix pour, 3 absentions et 1 voix contre, et l’art. 36B al. 2 LMC, dans sa nouvelle teneur, a été adopté par le Grand conseil au terme du troisième débat par 87 oui, contre 4 non (cf. https://ge.ch/grandconseil/memorial/seances/010404/17/10/).

Par ailleurs, parallèlement à la modification de la LMC, le Conseil d’Etat a introduit un nouvel art. 30 dans le RMC.

9.3 Il ressort ainsi des interprétations historique et téléologique que le législateur a modifié l’art. 36B al. 2 LMC afin de permettre le licenciement d’un collaborateur au bénéfice d’une ARE non seulement pour de justes motifs au sens de l’art. 337 CO, mais également lorsque des motifs sérieux empêchent la continuation du contrat de travail. Parmi ces motifs figurent les employés ne donnant pas satisfaction et les motifs économiques avérés, cette dernière notion visant notamment les situations dans lesquelles l’employeur n’aurait plus les moyens financiers de poursuivre son activité sans licencier le collaborateur en question.

10.         L’interprétation systématique va dans le même sens que les interprétations téléologique et historique.

10.1.1 Dans le domaine de l’assurance-chômage, on retrouve la notion de « facteurs d’ordre économique » à l’art. 32 al. 1 let. a de la loi fédérale sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité du 25 juin 1982 (loi sur l’assurance-chômage, LACI - RS 837.0).

Selon cette disposition, contenue dans le chapitre sur l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT), une perte de travail peut être prise en considération lorsqu’elle est due à des facteurs d’ordre économique et est inévitable (let. a) et qu’elle est d’au moins 10% de l’ensemble des heures normalement effectuées par les travailleurs de l’entreprise (let. b).

Il ressort de la doctrine et de la jurisprudence relative à l’art. 32 al. 1 let. a LACI que le droit à l’indemnité en cas de RHT suppose notamment que la perte de travail soit due à un motif économique susceptible de mettre en danger l’existence de l’entreprise (RUBIN, commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 22 ad art. 31 et n°9 ad art. 32 ; voir SVR 1995 ALV n°28 consid. 4a en matière de cas de rigueur). Ces facteurs d'ordre économique comprennent en réalité essentiellement ceux liés à la conjoncture. Ils peuvent toutefois également englober des facteurs structurels (DTA 2004 p. 127 consid. 1.3 p. 128 ; 2000 p. 53 consid. 4a p. 56 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_291/2010 du 19 juillet 2010 consid. 4.1 ; arrêts du Tribunal fédéral des assurances C 279/05 du 2 novembre 2006 consid. 2.2 ; C 24/99 du 11 juin 2001 consid. 4a ; C 203/95 du 8 janvier 1997 ; RUBIN, op. cit. n. 6 ad art. 31 et les références citées). Le recul de la demande des biens ou des services normalement proposés par l'entreprise concernée est caractéristique pour apprécier l'existence d'un facteur économique (DTA 1985 p. 109 c. 3a).

10.1.2 L’art. 12 de l’ordonnance sur l'assurance-chômage obligatoire et l'indemnité en cas d'insolvabilité du 31 août 1983 (ordonnance sur l’assurance-chômage, OACI - RS 837.02) se réfère également à la notion de motif économique.

Cette disposition, qui porte sur la période de cotisation des assurés à la retraite anticipée, prévoit, en son alinéa 2, que l’alinéa 1 n’est pas applicable lorsque l’assuré a été mis à la retraite anticipée pour des raisons d’ordre économique ou sur la base de réglementations impératives entrant dans le cadre de la prévoyance professionnelle (let. a) et qu’il a droit à des prestations de retraite inférieures à l’indemnité de chômage à laquelle il a droit en vertu de l’art. 22 LACI (let. b).

En lien avec l’art. 12 OACI, la doctrine considère qu’il y a licenciement pour motifs économiques, lorsque ce licenciement est causé par la suppression de postes de travail ou par une restructuration entraînant une suppression d'emploi (Vincent CARRON, Panorama en droit du travail, 2009, p. 670 ; Hans-Ulrich Stauffer: Vorzeitige Pensionierung, Abgangsentschädigung und Berufliche Vorsorge für Arbeitslose, in RSAS 1998 p. 282, p. 283 ; voir également l’arrêt AL.2004.00079 du Tribunal des assurances du canton de Zurich du 25 juin 2004 consid,. 3.3).

10.2 La notion de « motifs économiques » apparaît également en droit du travail, à l’art. 335a al. 2 CO. Selon cette disposition, lorsque l’employeur a manifesté son intention de résilier le contrat de travail ou qu’il l’a résilié pour des motifs d’ordre économique, des délais de congé plus courts peuvent être prévus en faveur du travailleur, par accord, contrat-type de travail ou convention collective.

Dans ce contexte, les motifs économiques de licenciement se définissent comme des motifs non inhérents à la personne du salarié, c'est-à-dire des raisons liées à la situation économique de l'entreprise, comme sa fermeture totale ou partielle, sa restructuration ou sa rationalisation, qui rendent nécessaires la suppression ou la modification de postes de travail (ACAPH/46/2007 du 14 mars 2007 consid. 3.3.3, in JAR 2008 p. 390 et les références citées ; voir également Aline BONARD, in Commentaire du contrat de travail, 2013, n° 10 ad Art. 335a CO; Jürg BRÜHWILER, in Einzelarbeitsvertrag – Kommentar zu den Art. 319-343 OR, n° 2 Ad Art. 335a CO ; voir également Manfred REHBINDER / Jean-Fritz STÖCKLI, Berner Kommentar, Das Obligationenrecht – Der Arbeitsvertrag – art. 331-355 und Art. 361-362 OR, 2014, n° 4 Ad Art. 335a CO et Adrian STAEHELIN, Zürcher Kommentar – Obligationenrecht – Teilband V 2c – Der Arbeitsvertrag – Art. 330b – 355, Art. 361-362 OR, 2014, n° 11 Ad Art. 335a CO ou encore Ullin STREIFF/Adrian VON KAENEL/Roger RUDOLPH, Arbeitsvertrag – Praxiskommentar zu Art. 319 – 362 OR, 2012, n°5 ad Art. 335a CO).

Il ressort de ce qui précède que l’art. 335a al. 2 CO a été rédigé en faveur du travailleur, afin de permettre à celui-ci de pouvoir bénéficier de délais de congés plus favorables, raison pour laquelle la définition des motifs économiques est très large. Cette notion ne saurait ainsi être transposée, sans autre, dans le domaine de l’assurance-chômage.

10.3 Dès lors que l’ARE est versée pour des chômeurs ayant épuisé leur droit aux indemnités fédérales, cette mesure s’inscrit dans la politique cantonale en matière de chômage, c’est la notion de « motifs économiques » prédominant dans ce domaine – qui rejoint celle dégagée par les interprétations téléologique et historique – qui doit être retenue. Or, en assurance-chômage, la notion de « motifs économiques » implique une mise en danger de l’existence de l’employeur.

11.         En résumé, l'octroi d’ARE n’a pas pour but de subventionner la main d’œuvre des entreprises, mais vise la réinsertion de personnes au chômage. Prévoir la restitution des prestations perçues lorsque le licenciement n’intervient pas pour des motifs sérieux et justifiés permet à la fois de contribuer au succès de la réinsertion professionnelle grâce à un engagement de durée en principe indéterminée, tout en évitant le recours abusif aux ARE par les entreprises (ATAS/1039/2018 du 8 novembre 2018 consid. 9c).

Un employeur n’est pas empêché de licencier un collaborateur au bénéfice d’une ARE. Il peut le faire sans devoir restituer les montants reçus lorsque le licenciement a lieu pendant le temps d’essai ou lorsqu’il est prononcé en raison de motifs particuliers. Jusqu’en 2017, si elles ne voulaient pas devoir restituer les ARE perçues, les entreprises ne pouvaient licencier leur collaborateur que pour un juste motif au sens de l’art. 337 CO; la situation financière de l’employeur ou l’incompétence du collaborateur n’en faisaient pas partie. Cette règle restrictive pouvait dissuader les employeurs d’engager des chômeurs en fin de droit, raison pour laquelle le législateur genevois a décidé d’élargir les possibilités de licenciement sans restitution et remplacé la notion de « juste motif » au sens de l’art. 337 CO par celle de « motifs sérieux et justifiés », dont le « motif économique avéré » est un cas d’application.

Au vu de ce qui précède, et en particulier des travaux préparatoires, la Cour de céans considère que la notion de « motifs économiques avérés » doit être interprétée de manière restrictive, et qu’il faut donc que l’existence même de l’employeur soit mise en danger par la poursuite du contrat de travail. Seul un employeur dans une telle situation doit pouvoir licencier un collaborateur pour lequel il bénéficie d’une ARE sans devoir restituer les allocations reçues. C’est d’ailleurs la même solution qui prévaut en matière de RHT.

12.         Il convient dès lors d’examiner si, dans le cas d’espèce, l’existence même de l’employeur était en danger.

Pour examiner la situation financière de la société, on peut se référer à l’art. 725 CO, relatif à la perte de capital et au surendettement d’une société anonyme.

12.1 A teneur de l’art. 725 CO, s’il ressort du dernier bilan annuel que la moitié du capital-actions et des réserves légales n’est plus couverte, le conseil d’administration convoque immédiatement une assemblée générale et lui propose des mesures d’assainissement (al. 1). S’il existe des raisons sérieuses d’admettre que la société est surendettée, un bilan intermédiaire est dressé et soumis à la vérification d’un réviseur agréé. S’il résulte de ce bilan que les dettes sociales ne sont couvertes ni lorsque les biens sont estimés à leur valeur d’exploitation, ni lorsqu’ils le sont à leur valeur de liquidation, le conseil d’administration en avise le tribunal, à moins que des créanciers de la société n’acceptent que leur créance soit placée à un rang inférieur à celui de toutes les autres créances de la société dans la mesure de cette insuffisance de l’actif (al. 2).

12.2 Une société éprouve une perte de capital, nécessitant des mesures d’assainissement, lorsqu’elle réalise l’une des deux conditions suivantes : les pertes sont supérieures à 50% des fonds propres (FP) imposés par la loi (soit pertes > 50% des FP) ou la différence entre l’actif social (AS) et les fonds étrangers (FE) est inférieure à 50% des FP imposés par la loi (soit ([AS – FE] < 50% des FP ; cf. Henry PETER / Francesca CAVADINI in Commentaire romand – Code des obligations II, 2017, n° 18 ad Art. 725 CO).

Une société est surendettée lorsque son actif social est inférieur aux FE ou que ses FP sont inférieurs aux pertes (cf. Henry PETER / Francesca CAVADINI, op. cit., n° 32 ad Art. 725 CO). À noter que le surendettement ne doit pas être confondu avec l’insolvabilité, cette dernière notion signifiant que la société ne dispose pas de liquidités suffisantes pour payer ses dettes exigibles (cf. Henry PETER / Francesca CAVADINI, op. cit., n° 34 ad Art. 725 CO).

13.          

13.1 En l’espèce, il ressort des états financiers de la recourante qu’au 31 décembre 2020, l’AS, de CHF 911'709.-, permettait largement de couvrir les FE, de CHF 619'134.-. La société n’était donc pas surendettée au sens de l’art. 725 al. 2 CO.

Par ailleurs, la perte encourue en 2020, de CHF 40'781.-, est inférieure à la moitié des FP imposés par la loi (1/2 de CHF 100'000.- de capital-actions + CHF 50'000.- de réserve légale issue du bénéfice, soit CHF 75'000.-). Alternativement, l’AS, de CHF 911'709.-, permettait non seulement de couvrir les capitaux étrangers, de CHF 619'134.-, mais également l’intégralité du capital social de CHF 100'000.- et de la réserve légale de CHF 50'000.-. La société recourante ne se trouvait donc pas non plus dans une situation de perte de capital au sens de l’art. 725 al. 1 CO, qui lui aurait imposé de prendre des mesures d’assainissement, telles que des licenciements.

Enfin, à la fin de l’année 2020, la société n’était pas non plus insolvable, ses actifs circulants, de CHF 509'074.-, permettant de couvrir les capitaux.

13.2 Les conclusions du service administratif et financier (SAF) de l’OCE du 6 janvier 2022 vont dans le même sens.

Ce service relève que la société a subi une perte de CHF 40'781.- en 2020, ce qui a réduit ses fonds propres et sa marge brute, de sorte que sa rentabilité est passée de 2,79% en 2019 à - 2,33% en 2020. Bien que les liquidités aient fortement diminué en 2020 (-80%), les actifs circulants couvraient les fonds étrangers à court terme. Le chiffre d’affaires a certes diminué de 22,5%, mais les charges directes d’exploitation ont également baissé de près de 5%. Si l’année 2020 a bien eu un impact financier négatif et que la perte provisionnée pour 2021 pouvait créer un déficit plus important qu’en 2020, cela n’était pas de nature à mettre l’employeur en situation de surendettement pouvant conduire à une faillite.

13.3 Il ressort de ce qui précède que, même si elle a subi une perte de CHF 40'781.- en 2020 et qu’une perte devait également être envisagée pour 2021, la société recourante bénéficiait de suffisamment de fonds propres pour les couvrir, de sorte que son existence n’a jamais été en danger.

Au demeurant, si la recourante était allée au bout de la mesure, les frais relatifs à la collaboratrice se seraient élevés à CHF 13'569.45 de mai à novembre 2021 et à CHF 11'374.95 de décembre 2021 à février 2022, étant rappelé, dans ce contexte, qu’un licenciement intervenant dans les trois mois suivant la fin de la mesure aurait également entraîné une demande en remboursement de l’ARE.

Avec un total de CHF 292'575.- de FP au 31 décembre 2020, d’éventuelles pertes en 2021 auraient été largement couvertes. En effet, même si les pertes avaient été supérieures à la moitié des FP légaux (capital-actions de CHF 100'000.- + réserve légale de CHF 50'000.-), c'est-à-dire supérieures à CHF 75'000.-, la société recourante aurait encore disposé de CHF 142'575.- (CHF 183'356.- - perte de CHF 40'781.-) de réserves facultatives, lesquelles auraient pu être dissoutes dans le but de couvrir les éventuelles pertes. Cela pouvait d’autant plus être exigé de la recourante que, dans le cas d’espèce, la part du salaire de la collaboratrice qu’elle aurait été amenée à verser jusqu’à fin février 2022, si elle n’avait pas mis fin à la mesure, ne se serait élevée qu’à CHF 24'944.40 (salaires versés de mai 2021 à février 2022).

Partant, on ne saurait admettre, dans le cas particulier, l’existence d’un motif économique avéré justifiant le licenciement de la collaboratrice au bénéfice de l’ARE. C’est donc à juste titre que l’intimé en a réclamé la restitution.

14.         Au vu de ce qui précède, le recours du 1er septembre 2021 est rejeté et la décision sur opposition de l’intimé confirmée.

La recourante, qui succombe, n’a pas droit à des dépens.

Pour le surplus, la procédure est gratuite.

 


PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

Conformément à l’art. 133 al. 2 LOJ

 

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        Le rejette.

3.        Dit que la procédure est gratuite.

4.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

 

La greffière

 

 

Marie-Catherine SECHAUD

 

La présidente

 

 

Valérie MONTANI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’au Secrétariat d’État à l’économie par le greffe le