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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3964/2020

ATAS/1047/2021 du 12.10.2021 ( PC ) , ADMIS

En fait
En droit

rÉpublique et

canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/3964/2020 ATAS/1047/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 12 octobre 2021

2ème Chambre

 

En la cause

Madame A______, domiciliée avenue à CHÊNE-BOURG, comparant avec élection de domicile en l’étude de Maître Philippe GIROD

 

 

recourante

 

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES, sis route de Chêne 54, GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

A.      a. Madame A______ (ci-après : l’intéressée ou la recourante), née le ______ 1964, originaire d’Arabie Saoudite, a été mariée à un compatriote avant de faire l’objet d’une répudiation, documentée par « acte de confirmation de divorce » du
22 juillet 2001. Immédiatement après la fin de son mariage, l’intéressée a été engagée en qualité de gouvernante au service d’une princesse saoudienne. Elle a effectué avec cette dernière plusieurs séjours en Europe, notamment en Suisse.
En août 2003, alors qu’elle se trouvait à Genève dans le cadre de son activité professionnelle, l’intéressée a, selon ses déclarations, été violée et séquestrée par un ressortissant irakien qui faisait également partie du personnel de la princesse. Après avoir été licenciée avec effet immédiat, elle a donné naissance, à Genève, le ______ 2004, à une fille, prénommée B______, dont la paternité n’a pas été reconnue.

b. Le 22 avril 2005, l’intéressée, sous la plume de Caritas Genève, a déposé auprès de l’office cantonal de la population (ci-après : OCP), une demande d’autorisation de séjour hors contingent.

c. Par décision du 22 septembre 2008, l’OCP a refusé la demande d’autorisation de séjour de l’intéressée, prononcé le renvoi de Suisse de cette dernière et de sa fille, en leur impartissant un délai de départ au 15 décembre 2008. Toutefois, étant donné que le renvoi de l’intéressée en Arabie Saoudite n’était pas envisageable en raison de son statut de mère célibataire, l’OCP allait proposer à l’office fédéral des migrations (ci-après : l’ODM) d’ordonner son admission provisoire et celle de sa fille.

d. Le 23 octobre 2008, l’intéressée a recouru contre cette décision auprès de
la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : la commission).

e. Le 11 janvier 2011, l’ambassade de Suisse en Arabie Saoudite a transmis au Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI), lequel avait repris, le 1er janvier 2011, les compétences de la commission, un avis de droit mentionnant qu’en cas de retour dans son pays avec sa fille, l’intéressée, en tant que mère célibataire, risquait d’être accusée d’adultère, emprisonnée et soumise à des sévices corporels durant son incarcération. Par ailleurs, sa fille, qui était apatride, ne serait pas naturalisée par le service d’immigration saoudien et il n’était pas exclu qu’elle soit séparée de sa mère.

f. Par jugement du 1er novembre 2011, le TAPI a rejeté le recours dans la mesure où il était dirigé contre le refus de préaviser favorablement l’octroi d’une autorisation de séjour à titre humanitaire. Pour le surplus, le TAPI a donné acte à l’OCP de son engagement de proposer l’admission provisoire de l’intéressée et de sa fille auprès de l’ODM.

g. Statuant sur le recours interjeté par l’intéressée, la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : CJCA) a annulé le jugement du TAPI – et la décision du 22 septembre 2008 de l’OCP –, par arrêt ATA/689/2013, rendu le 15 octobre 2013 en la cause A/3799/2008, et renvoyé la cause à l’OCP pour qu’il initie la procédure d’octroi d’une autorisation de séjour hors contingent fondée sur un cas de rigueur.

h. Le 28 avril 2015, l’intéressée a reçu de l’office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) un permis de séjour pour elle-même et sa fille, mentionnant une date d’entrée sur le territoire suisse le 22 avril 2005.

i. Par décision du 12 février 2020, l’office de l’assurance-invalidité du canton de Genève (ci-après : l’OAI) a octroyé à l’intéressée une rente entière d’invalidité avec effet au 1er février 2019.

j. Par pli du 5 août 2020, l’Hospice général a informé le Service des prestations complémentaires (ci-après : le SPC ou l’intimé) qu’il accordait une aide régulière
à l’intéressée depuis le 1er octobre 2005. À ce courrier était notamment jointe une demande de prestations complémentaires en faveur de l’intéressée, que le SPC a reçue le 7 août 2020.

B.       a. Par décision du 14 août 2020, le SPC a rejeté la demande du 7 août 2020, motif pris que l’autorisation de séjour n’avait été délivrée que le 4 mars 2015 et qu’ainsi, l’intéressée ne remplissait ni la condition d’un séjour en Suisse d’une durée de
dix ans immédiatement avant la demande de prestations complémentaires, ni la condition du domicile et de la résidence effective dans le canton de Genève durant les dix années précédant la demande de prestations. Par ailleurs, il était précisé que sous réserve de modifications législatives, une nouvelle demande de prestations pouvait être déposée dès que les conditions précitées seraient réalisées, à savoir dès le 1er mars 2025. Enfin, le SPC a indiqué qu’il se prononcerait sur l’aide sociale et ferait parvenir sa décision prochainement à l’intéressée.

b. Le 14 septembre 2020, l’intéressée, assistée d’un avocat, a formé opposition à cette décision. Tirant argument de l’arrêt ATA/689/2013 du 15 octobre 2013, en tant qu’il annulait la décision de l’OCP du « 23 juin 2008 » (recte : 22 septembre 2008), l’intéressée a soutenu que cette procédure administrative et la lenteur du traitement du dossier par l’OCPM expliquaient que le permis de séjour ne lui avait formellement été délivré qu’en mars 2015. Dans ces circonstances, la condition d’un séjour effectif en Suisse et à Genève durant les dix ans précédant la demande de prestations ne pouvait, sauf arbitraire, être remise en question.

c. Par décision du 23 octobre 2020, le SPC a rejeté l’opposition en indiquant que faute de remplir les conditions du domicile et de la résidence habituelle en Suisse, respectivement dans le canton de Genève pendant une période de dix ans précédant immédiatement la date du dépôt de la demande de prestations complémentaires, tout en étant au bénéfice d’un permis de séjour valable pour cette même période, l’intéressée ne pouvait pas prétendre à des prestations complémentaires.

d. Par décision du 19 novembre 2020, le SPC a rendu une décision de prestations d’aide sociale avec effet au 1er août 2020. Il était précisé qu’après versement de ces prestations en faveur de l’Hospice général (CHF 2’356.-) pour la période comprise entre le 1er août et le 30 novembre 2020, l’intéressée en bénéficierait directement à hauteur de CHF 589.- par mois à partir du 1er décembre 2020.

C.       a. Le 25 novembre 2020, l’intéressée a saisi la chambre des assurances sociales
de la Cour de justice (ci-après : la chambre de céans) d’un recours contre la décision du 23 octobre 2020 en concluant, sous suite de frais et dépens, à son annulation, à ce qu’il soit dit qu’elle avait droit aux prestations complémentaires ainsi qu’au renvoi de la cause au SPC pour calcul du droit. À titre préalable, l’intéressée a requis l’apport de la procédure A/3799/2008. À l’appui de ses conclusions, l’intéressée a réitéré, en substance, les griefs articulés précédemment dans son opposition.

b. Par réponse du 14 décembre 2020, le SPC a conclu au rejet du recours en renvoyant à la motivation de la décision litigieuse.

c. Par réplique du 18 janvier 2021, la recourante a soutenu qu’en tant que l’arrêt de la CJCA du 15 octobre 2013 annulait la décision de l’OCP du 22 septembre 2008, il avait un effet rétroactif pour l’examen des conditions et de la durée du séjour en Suisse. Le principe de la bonne foi, qui protégeait l’administré dans ses relations avec les autorités, commandait dès lors d’admettre que le délai de carence de dix ans était respecté dans le cas particulier.

d. Le 21 janvier 2021, une copie de cette écriture a été transmise, pour information, à l’intimé.

e. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT

1.        Conformément à l’art. 134 al. 1 let. a ch. 3 de la loi sur l’organisation judiciaire,
du 26 septembre 2010 (LOJ – E 2 05), la chambre des assurances sociales de la
Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l’art. 56
de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du
6 octobre 2000 (LPGA – RS 830.1) relatives à la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 6 octobre 2006 (LPC – RS 831.30). Elle statue aussi, en application de l’art. 134 al. 3 let. a LOJ, sur les contestations prévues à l’art. 43 de la loi cantonale sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC – J 4 25).

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.        Les dispositions de la LPGA s’appliquent aux prestations complémentaires fédérales à moins que la LPC n’y déroge expressément (art. 1 al. 1 LPC). En matière de prestations complémentaires cantonales, la LPC et ses dispositions d’exécution fédérales et cantonales, ainsi que la LPGA et ses dispositions d’exécution, sont applicables par analogie en cas de silence de la législation cantonale (art. 1A LPCC).

3.        Le 1er janvier 2021 est entrée en vigueur la modification du 21 juin 2019 de la LPGA. Toutefois, dans la mesure où le recours était, au 1er janvier 2021, pendant devant la chambre de céans, il reste soumis à l’ancien droit (cf. art. 83 LPGA).

4.        Le délai de recours est de trente jours (art. 60 al. 1 LPGA; art. 43 LPCC ; art. 62
al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985
[LPA-GE – E 5 10] et art. 43 LPCC).

Interjeté dans les forme et délai légaux, le recours est recevable (art. 56 al. 1 et 60 al. 1 LPGA; art. 9 de la loi cantonale du 14 octobre 1965 sur les prestations fédérales complémentaires à l’assurance-vieillesse et survivants et à
l’assurance-invalidité [LPFC – J 4 20]; art. 43 LPCC).

5.        Le litige porte sur le droit de la recourante à des prestations complémentaires (fédérales et cantonales), plus particulièrement sur le point de savoir si la condition de la durée de résidence en Suisse ininterrompue de dix ans précédant la date du dépôt de sa demande de prestations est réalisée.

Il sied de préciser à titre liminaire, qu’au vu du dépôt de la demande le 7 août 2020, la question litigieuse doit être tranchée au regard des dispositions en vigueur à cette époque et jusqu’à la décision sur opposition du 23 octobre 2020 (ATF 130 V 445 consid. 1.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_38/2020 du 20 octobre 2020 consid. 5). Il s’agit plus précisément des règles du droit interne exposées ci-après, vu la nationalité saoudienne de la recourante. L’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres d’autre part, sur la libre circulation des personnes
(ALCP – RS 0.142.112.681) n’est pas applicable, ni d’ailleurs une autre convention internationale, la Suisse n’en ayant pas conclu avec l’Arabie Saoudite dans le domaine de la sécurité sociale (cf. art. 5 al. 3 LPC).

6.        Selon l’art. 4 al. 1 let. c LPC, les personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle (art. 13 LPGA) en Suisse ont droit à des prestations complémentaires dès lors qu’elles ont droit à une rente ou à une allocation pour impotent de
l’assurance-invalidité ou perçoivent des indemnités journalières de
l’assurance-invalidité sans interruption pendant six mois au moins.

Aux termes de l’art. 5 LPC, dans sa teneur en vigueur au 1er juillet 2018 (ici déterminante ; cf. ci-dessus : consid. 5), les étrangers n’ont droit à des prestations complémentaires que s’ils séjournent de manière légale en Suisse. Ils doivent y avoir résidé de manière ininterrompue pendant les dix années précédant immédiatement la date à laquelle ils demandent la prestation complémentaire (délai de carence) (al. 1). Pour les réfugiés et les apatrides, le délai de carence est de cinq ans (al. 2). Les étrangers qui auraient droit à une rente extraordinaire de l’AVS ou de l’AI en vertu d’une convention de sécurité sociale peuvent prétendre au plus, tant qu’ils ne satisfont pas au délai de carence visé à l’al. 1, à une prestation complémentaire d’un montant équivalant au minimum de la rente ordinaire complète correspondante (al. 3). Les étrangers qui ne sont ni des réfugiés ni des apatrides et qui ne sont pas visés à l’al. 3 ont droit aux prestations complémentaires s’ils satisfont au délai de carence visé à l’al. 1 et remplissent une des conditions fixées à l’art. 4 al. 1 let. a, abis, ater, b ch. 2 et c, ou les conditions prévues à
l’art. 4 al. 2 (al. 4).

Pour les prestations complémentaires fédérales (ci-après : PCF), l’art. 5 al. 1 LPC, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 30 juin 2018, prévoyait que les étrangers devaient avoir résidé en Suisse de manière ininterrompue pendant les dix années précédant immédiatement la date à laquelle ils demandent la prestation.

Pour les prestations complémentaires cantonales (ci-après : PCC), la LPCC prévoit à son art. 2 al. 3 que le requérant étranger, le réfugié ou l’apatride doit avoir
été domicilié dans la canton de Genève et y avoir résidé effectivement, sans interruption, durant les dix années précédant la demande.

D’après le Message du Conseil fédéral du 4 mars 2016 relatif à la modification
de l’art. 5 al. 1 LPC, en vigueur depuis le 1er juillet 2018, le rajout de la condition « s’ils séjournent de manière légale en Suisse » ne constitue qu’une reprise de la jurisprudence fédérale déjà ancienne (cf. arrêt du Tribunal fédéral des assurances
P 42/90 du 8 janvier 1992 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_423/2013 du 26 août 2014 consid. 4.2 et 4.3), selon laquelle les périodes au cours desquelles une personne a séjourné illégalement en Suisse ne sont pas prises en compte dans la détermination de la durée du séjour (FF 2016, p. 2891). Par ailleurs, cette modification vise à ce qu’il ne soit plus possible de percevoir des prestations complémentaires une fois qu’une autorisation de séjour ou de courte durée aura été révoquée (FF 2016,
p. 2866), ce qui suppose qu’une telle autorisation avait été préalablement accordée (cf. ATAS/748/2017 du 31 août 2017 consid. 6e).

La chambre de céans a jugé que la jurisprudence du Tribunal fédéral précitée était constante, et valait aussi pour les PCC (ATAS/748/2017 précité, consid. 7a).

Dans un arrêt du 8 octobre 2018, la chambre de céans a également jugé que le dépôt d’une demande d’autorisation de séjour ne pouvait constituer le point de départ du délai de carence (ATAS/891/2018 consid. 8d).

7.        a. En l’espèce, la recourante a rendu vraisemblable qu’elle résidait en Suisse depuis plus de dix ans au moment de sa demande de prestations complémentaires. En revanche, il est établi qu’elle n’a pas reçu de titre de séjour dès le début de la période de carence de dix ans et que faute d’être réfugiée ou apatride au sens de l’art. 5 al. 2 LPC, elle ne pouvait pas prétendre à une réduction du délai
de carence à cinq ans. Partant, c’est à juste titre que l’intimé a constaté dans la décision querellée que les conditions d’octroi des prestations complémentaires des art. 5 al. 1 LPC et 2 al. 3 LPCC n’étaient pas remplies.

b. Dans un premier moyen, la recourante soutient en substance qu’en tant que
la CJCA a annulé la décision de refus de l’OCP du 22 septembre 2008 par arrêt ATA/689/2013 du 15 octobre 2013, il ne saurait être admis, sauf arbitraire, que son séjour autorisé ne remonterait qu’à la première délivrance de l’autorisation de séjour pour cas de rigueur, soit le 4 mars 2015 (selon les données du registre informatique de l’OCPM). Elle ajoute que la délivrance tardive de cette autorisation serait le fruit de lenteurs judiciaires et administratives qui ne sauraient lui être opposées pour nier son droit à des prestations complémentaires.

Ces arguments ne sauraient être suivis. Il ressort en effet des considérants de l’ATA/689/2013 précité que la cause a été renvoyée à l’OCP pour « initier 
la procédure d’octroi d’une autorisation de séjour » (cf. consid. 8d), fondée
sur l’art. 13 let. f de l’ordonnance limitant le nombre des étrangers du 6 octobre
1986, abrogée au 31 décembre 2007 (OLE – RS 823.21). Ces éléments démontrent, dans le cas concret, l’absence d’effet rétroactif de l’autorisation de séjour délivrée le 4 mars 2015 à l’intéressée (cf. ég. l’arrêt du Tribunal fédéral des assurances
C 405/00 du 9 mars 2001 consid. 3b pour un cas d’application de cette disposition de l’OLE).

En outre, il n’est pas de la compétence de la chambre de céans de juger si dans la procédure tendant à la délivrance du permis de séjour à la recourante, l’OCP et/ou les autorités judiciaires ont violé le principe de célérité tiré de l’art. 29 al. 1 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (Cst. – RS 101). En effet, même si par hypothèse, cette condition était réalisée, la sanction du dépassement du délai raisonnable ou adéquat consisterait d’abord dans la constatation de la violation du principe de célérité – qui constitue une forme de réparation pour celui qui en est la victime – et, le cas échéant, dans l’octroi de dommages intérêts pour acte illicite. Cette deuxième sanction relève toutefois des autorités compétentes pour connaître des actions en responsabilité contre la Confédération ou les cantons. En revanche, un assuré ne peut pas prétendre à une prestation d’assurance sociale en raison d’une durée excessive de la procédure (ATF 129 V 411 ; Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2ème éd. 2015, p. 321). Il s’ensuit que la question d’une éventuelle violation du principe de célérité dans la procédure de droit des étrangers n’a pas besoin non plus d’être tranchée à titre préjudiciel.

Compte tenu de ces éléments, force est de constater qu’une hypothétique violation du principe de célérité dans la délivrance de l’autorisation de séjour n’est pas en soi de nature à ouvrir un droit aux prestations complémentaires, quand bien même l’octroi de cette autorisation dans un délai plus bref aurait éventuellement permis
de verser lesdites prestations plus tôt à l’aune des critères des art. 5 al. 1 LPC et
2 al. 3 LPCC.

c. Dans un deuxième moyen, la recourante se réfère à l’ATF 118 V 79 consid. 5, en particulier à la remarque du Tribunal fédéral selon laquelle le but assigné à la législation sociale (protection de la partie la plus faible) diffère de celui de la police des étrangers.

En argumentant de la sorte, la recourante se fonde toutefois sur un arrêt rendu
en matière d’assurance-invalidité, concernant un ressortissant étranger entré illégalement en Suisse et néanmoins obligatoirement assuré en raison de l’exercice d’une activité lucrative. Cependant, le législateur a précisément entendu s’écarter de la jurisprudence relative à l’assurance-invalidité en ces termes : « Toutefois, selon la jurisprudence du TF relative à l’assurance-invalidité, la perte du droit de séjour n’entraîne pas nécessairement et automatiquement la perte du domicile suisse ; ce dernier perdure tant que l’étranger séjourne en Suisse et manifeste sa volonté d’y rester. Par conséquent, et ce, malgré le fait que l’étranger ne soit plus au bénéfice d’une autorisation de séjour, la résidence en Suisse est reconnue par
l’art. 4 al. 1 LPC. La modification [de l’art. 5 al. 1 LPC dans sa teneur en vigueur depuis le 1er juillet 2018] doit supprimer cet état de fait » (FF 2016, p. 2891). Au vu de ces précisions, on ne voit guère comment la recourante pourrait réclamer pour elle la « protection sociale suffisante du travailleur au noir », évoquée au consid. 5 de l’ATF 118 V 79 précité (cf. ég. l’arrêt du Tribunal fédéral 9C_38/2020 du 20 octobre 2020, dans lequel l’applicabilité de la jurisprudence tirée de
l’ATF 118 V 79 a été niée sans plus de précisions), d’autant qu’il ressort de l’examen des pièces du dossier, en particulier de l’extrait du compte individuel de la recourante, que celle-ci a cotisé uniquement en tant que personne sans activité lucrative à partir du mois de mars 2009, bien que l’OAI ne lui ait reconnu une incapacité de travail entière et durable dans toute activité qu’à partir du 1er mars 2017 (pièce 1, pp. 28-31 intimé). Par ailleurs, elle a bénéficié de prestations versées par l’Hospice général dès 2003 (cf. ATA/689/2013 précité du 15 octobre 2013 consid 8a) et ce soutien était encore d’actualité en août 2020.

Sans préjudice de ces particularités, qui diffèrent de l’état de fait visé par
l’ATF 118 V 79, la chambre de céans a déjà jugé dans un arrêt de principe du
31 août 2017 (ATAS/748/2017) que la principale justification avancée à l’appui de l’importance moindre accordée aux prescriptions de police des étrangers dans le domaine de l’assurance-invalidité est l’argument tiré d’un lien logique entre l’affiliation obligatoire (et, partant, le devoir de cotiser à l’AVS/AI) et le droit
aux prestations. Selon la chambre de céans, c’est ce lien qui a amené le Tribunal
fédéral à conclure qu’il n’est « pas contraire à l’ordre public suisse d’allouer des prestations sociales, en particulier de l’AI, à un ressortissant étranger entré illégalement en Suisse et néanmoins obligatoirement assuré en raison de l’exercice d’une activité lucrative ». Or, si l’assujettissement obligatoire à l’AVS et à l’AI est défini de façon très large et s’accompagne d’une couverture d’assurance et d’une obligation de cotiser à la charge des assurés et le cas échéant de leurs employeurs (art. 1a et 3 ss et 12 LAVS ; art. 1b et 2 LAI), les prestations complémentaires ne sont quant à elles pas financées par de telles cotisations d’assurance mais par le budget général de la Confédération et des cantons (art. 13 LPC ; art. 41 LPCC ; ATAS/748/2017 du 31 août 2017 consid. 6c).

Par ailleurs, selon le Tribunal fédéral, le fait que l’étranger qui réside illégalement en Suisse ait, le cas échéant, versé des cotisations AVS pendant une période supérieure à celle du délai de carence de l’art. 5 al. 1 LPC ne saurait suppléer à l’exigence de la résidence légale en Suisse (cf. arrêt du Tribunal fédéral 9C_423/2013 du 26 août 2014 consid. 4.2 et 4.3, cité in Michel VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI, p. 44, n. 2).

On rappellera enfin que le Tribunal fédéral a considéré – déjà sous l’empire de
l’art. 5 al. 1 et 2 LPC dans sa teneur en vigueur jusqu’au 30 juin 2018 – que ne pouvait compter comme temps de résidence en Suisse que la période durant laquelle les étrangers requérant des prestations complémentaires étaient au bénéfice d’un permis de séjour valable (arrêt du Tribunal fédéral 9C_423/2013 du 26 août 2014 consid. 4.2 et 4.3). Cette jurisprudence constante vaut aussi pour les prestations complémentaires cantonales (ATAS/748/2017 précité consid. 7a).

Compte tenu de ce qui précède, la recourante ne saurait valablement déduire
des considérants invoqués de l’ATF 118 V 79 qu’il existerait, dans son cas, une exemption de l’autorisation de séjour pendant tout ou partie du délai de carence
de l’art. 5 al. 1 LPC.

d. Dans un troisième moyen, la recourante fait encore valoir en substance que même s’il fallait ne prendre en compte que la période de séjour dûment autorisée dans le calcul du délai de carence, il conviendrait encore d’excepter le cas dans lequel le principe de la bonne foi commanderait le contraire.

Il s’impose ainsi d’examiner si le principe de la bonne foi commande, en l’espèce, de tenir pour licite le séjour de la recourante et, dans l’affirmative, depuis quand.

Le principe de la bonne foi protège l'administré dans la confiance légitime qu’il met dans les assurances qu'il a le cas échéant reçues des autorités, aux conditions cumulatives suivantes : 1. il faut que l’autorité soit intervenue dans une situation concrète à l’égard d'une personne déterminée ; 2. qu’elle ait agi ou soit censée avoir agi dans les limites de sa compétence ; 3. que l’administré n’ait pu se rendre compte immédiatement de l’inexactitude du renseignement obtenu ; 4. qu’il se soit fondé sur celui-ci pour prendre des dispositions qu’il ne saurait modifier sans subir un préjudice ; 5. que la loi n’ait pas changé depuis le moment où le renseignement a été donné (ATF 121 V 66 consid. 2a et les références ; Jacques DUBEY, Droits fondamentaux, 2018, vol. II, n. 3510 ss).

En l’espèce, la recourante indique que depuis le dépôt de sa demande d’autorisation le 22 avril 2005, sa présence « était tolérée par l’autorité administrative » (réplique, p. 2). Cette assertion mérite toutefois d’être nuancée : s’il est vrai que son séjour en Suisse a effectivement été toléré par l’OCP, cette tolérance ne saurait être comprise comme l’assurance d’un séjour légal en Suisse dans la perspective d’un droit aux prestations complémentaires, ce d’autant que l’OCP n’aurait de toute manière pas été compétent – ni pu être tenu pour compétent – pour donner une telle assurance (ATAS/769/2021 du 21 juillet 2021 consid. 5d et l’arrêt cité). Il sied de noter par ailleurs qu’en tolérant son séjour en Suisse durant l’instruction de sa demande d’octroi d’une autorisation de séjour, l’OCP n’a pas non plus donné à la recourante l’assurance qu’elle obtiendrait une telle autorisation.

e. En lien étroit avec ce qui précède, il importe cependant de relever que tout en refusant l’autorisation de séjour à l’intéressée, l’OCP n’en a pas moins indiqué, dans sa décision du 22 septembre 2008, qu’il allait proposer à l’ODM d’ordonner son admission provisoire et celle de sa fille, statut qui aurait permis à l’intéressée
de bénéficier d’un titre de séjour valable (permis F ; cf. ATA/1076/2019 du 25 juin 2019 consid. 8d), pouvant de surcroît être pris en compte dans le calcul du délai de carence de l’art. 5 al. 1 LPC (cf. arrêt 9C_38/2020 précité consid. 5). En recourant contre la décision du 22 septembre 2008 de l’OCP puis contre le jugement du
1er novembre 2011 du TAPI confirmant cette dernière, l’intéressée ne pouvait donc pas recevoir une décision formelle de l’ODM (devenu Secrétariat d’État aux migrations [SEM] le 19 septembre 2014) lui octroyant une admission provisoire.

En conséquence, si, dans le cas particulier, seule la délivrance de l’admission provisoire, par une décision formelle de l’ODM, permettait de respecter la condition d’un séjour légal en Suisse pendant les dix années précédant la date de
la demande de prestations complémentaires (art. 5 al. 1 LPC), il s’ensuivrait que pour remplir les conditions du délai de carence de cette disposition, la recourante aurait dû renoncer à former un recours contre la décision de refus d’autorisation de séjour, de même que contre le jugement du TAPI confirmant cette dernière.

Le refus de l’intimé de considérer que les conditions de l’art. 5 al. 1 LPC sont réalisées se rapproche donc, dans les présentes circonstances très particulières, d’un formalisme excessif, en tant que cas particulier d’un déni de justice formel, une règle ayant un caractère formel étant appliquée ici avec une rigueur que ne justifie aucun intérêt digne de protection, au point que la procédure devient une fin en soi et empêche ou complique de manière insoutenable l’application du droit (ATF 135 I 6 consid. 2.1 = JdT 2011 IV 17). Ce refus implique en effet que, pour que la condition de la délivrance du titre de séjour – en l’occurrence de l’admission provisoire – par une décision formelle soit réalisée, la recourante n’aurait pas
pu former un recours contre la décision du 22 septembre 2008 lui refusant une autorisation de séjour, ni contre le jugement rendu sur recours par le TAPI. Ledit refus n’est ainsi pas compatible avec la garantie de l’accès au juge consacrée par l’art. 29a Cst., en vertu de laquelle toute personne a droit à ce que sa cause soit jugée par une autorité judiciaire (cf. ATA/1076/2019 précité consid. 8d).

Il est au demeurant relevé que le droit prévoit expressément à tout le moins une situation dans laquelle il y a un droit de séjour (procédural) malgré l’absence de titre de séjour, à savoir durant le traitement d’une demande de prolongation de l’autorisation de séjour (art. 59 al. 2 de l’ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative du 24 octobre 2007
[OASA – RS 142.201] ; ATAS/1058/2020 du 29 octobre 2021 consid. 10c).

En définitive, le respect des droits et principes constitutionnels imposait qu’au moment du dépôt de sa demande de prestations complémentaires le 7 août 2020, la recourante, dont la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.) ne peut pas être mise en cause, soit traitée de la même manière que si elle était au bénéfice d’une décision formelle d’admission provisoire délivrée depuis dix ans, remplacée par une autorisation de séjour le 4 mars 2015.

f. Vu ce qui précède, c’est de façon non conforme au droit que l’intimé a décidé
que la recourante n’avait pas séjourné de manière légale en Suisse pendant les dix années du délai de carence de l’art. 5 al. 1 LPC.

8.        Partant, le recours est admis, la décision sur opposition du 23 octobre 2020 annulée et la cause renvoyée à l’intimé pour calcul des prestations complémentaires et nouvelle décision.

9.        La recourante obtenant gain de cause, une indemnité de CHF 2’000.- lui est accordée à titre de participation à ses frais et dépens (art. 61 let. g LPGA ; art. 89H al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 – LPA ;
E 5 10 ; art. 6 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 – RFPA ; E 5 10.03).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 89H al. 4 LPA).

 

*****

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet.

3.        Annule la décision sur opposition du 23 octobre 2020.

4.        Renvoie la cause à l’intimé pour calcul des prestations complémentaires et nouvelle décision.

5.        Condamne l’intimé à verser une indemnités de CHF 2'000.- à la recourante, valant participation à ses frais et dépens.

6.        Dit que la procédure est gratuite.

7.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public (art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 - LTF -RS 173.110). Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Sylvie CARDINAUX

 

Le président

 

 

 

 

Blaise PAGAN

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties ainsi qu’à l’Office fédéral des assurances sociales par le greffe le