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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/7/2005

ATA/864/2005 du 20.12.2005 ( SI ) , ADMIS

Descripteurs : FONCTIONNAIRE ET EMPLOYE; RESILIATION; PROCEDURE; DELEGATION LEGISLATIVE; COMPETENCE; DECISION; STATUT
Normes : LSIG.5A; LSIG.16; LSIG.20; CST-GE 159
Résumé : La décision de non renouvellement des rapports de service prise par une autorité incompétente est nulle. La délégation de compétence prévue par une directive modifiant le contenu des statuts n'est pas admissible.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/7/2005-SI ATA/864/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 20 décembre 2005

dans la cause

 

Madame E __________
représentée par Me Adrian Holloway, avocat

contre

SERVICES INDUSTRIELS DE GENÈVE
représentés par Me Nathalie Thurler, avocate


 


1. Madame E __________, née en 1946, est dessinatrice en génie civil.

En 1973, elle a été engagée par les Services Industriels de Genève (ci-après : SIG) en qualité de dessinatrice.

2. Jusqu’en 1994, Mme E __________ a déployé son activité de dessinatrice auprès des SIG puis, à partir de cette année-là, des travaux d’archivage lui ont été confiés dans le cadre de la préparation du déménagement des SIG.

3. Au mois de février 2002, le service des ressources humaines (ci-après : les RH) des SIG a informé Mme E __________ qu’elle pouvait bénéficier du plan de retraite anticipée, ce qu’elle a refusé. Renouvelée en 2003, cette offre a de nouveau été déclinée par l’intéressée, qui désirait continuer de travailler.

4. Au mois de septembre 2003, un « contrat de progrès » a été signé entre Mme E __________ et les SIG, aux termes duquel l’intéressée allait être formée au dessin assisté par ordinateur et à l’informatique.

5. Dans les mois qui suivirent, les SIG ont émis des réserves quant au travail et à l’attitude de Mme E __________.

6. Au mois d’août 2004, le directeur général des SIG a indiqué à Mme E __________ que les SIG envisageaient de ne pas renouveler les rapports de service au terme de la période administrative, soit au 31 décembre 2004. Mme E __________ a été convoquée pour un entretien.

7. Le 22 septembre 2004, Mme E __________ a été entendue par le directeur général des SIG, une juriste du service « Finances et droit » et en présence d’une secrétaire, qui a dressé le procès-verbal.

8. Par décision du 23 septembre 2004 signée par Messieurs Christian Grego, responsable de la division immobilière et Edouard Wohlwend, directeur, les SIG ont informé Mme E __________ qu’ils ne reconduiraient pas les rapports de service à la fin de la période administrative, le 31 décembre 2004.

9. Saisie par Mme E __________, la commission de recours en matière d’application du statut du personnel des SIG (ci-après : le statut) a confirmé la décision litigieuse le 1er décembre 2004.

En substance, le directeur des services généraux était habilité à prendre la décision attaquée, qui était fondée et proportionnée aux circonstances, au vu des intérêts en présence.

La commission de recours a précisé que sa décision était exécutoire nonobstant recours.

10. Le 3 janvier 2005, Mme E __________ a saisi le Tribunal administratif d’un recours.

La décision de non renouvellement avait été rendue par MM. Wohlwend et Grego, respectivement directeur des services généraux et responsable de la division immobilière, lesquels n’étaient pas compétents en la matière.

Elle considérait avoir été mobbée depuis 1994, en premier lieu par le type de tâches qui lui avaient été confiées, à savoir de l’archivage, puis par sa réinstallation - après qu’elle eut refusé de prendre le PLEND - dans sa fonction initiale neuf ans plus tard, alors même que le métier de dessinatrice avait subi une profonde mutation dans l’intervalle, en raison de l’introduction du dessin assisté par ordinateur. La résiliation des rapports de travail était abusive, pas assez motivée et avait été rendue en violation de son droit d’être entendue.

11. Le 18 février 2005, les SIG se sont opposés au recours.

S’agissant de la compétence des personnes ayant pris la décision, les SIG ont relevé que, selon l’article 83 alinéa 2 du statut, la décision de non renouvellement appartenait au conseil de direction et au conseil d’administration. Les dispositions d’application du statut prévoyaient que cette compétence appartenait au chef de service, respectivement au chef de division. Il ressortait de la fiche statutaire « délégation de compétences » que le but de cette délégation était d’attribuer aux « managers » une certaine autonomie dans la gestion des RH. Le sens de ces dispositions statutaires et réglementaires en matière de non renouvellement avait été précisé par une note de service du 6 août 2004, signée par le président des SIG, qui était également président du conseil d’administration. Cette note indiquait clairement que les décisions de non-réélection des cadres intermédiaires et des non cadres relevaient de la compétence des directeurs de service, en application des règles de délégation de compétences en matière de RH et de la procédure certifiée ISO 9001.

Quant au fond du recours, le licenciement était principalement fondé sur les absences de Mme E __________, avec ou sans certificats médicaux à l’appui, ainsi que sur ses arrivées tardives. Elle n’avait pas fait appel aux procédures existantes ou exigées pour les personnes s’estimant harcelées psychologiquement au travail. La décision litigieuse devait être confirmée.

12. a. Les parties ont été convoquées pour être entendues par le Tribunal administratif en comparution personnelle le 30 mai 2005. Suite à un empêchement de dernière minute, la recourante ne s’est pas présentée, mais a été excusée et représentée par son conseil.

Les SIG ont précisé qu’il existait une disposition légale autorisant la délégation de compétences pour le non renouvellement des mandats des personnes n’étant pas cadres de l’entreprise.

b. Le 12 septembre 2005, Mme E __________ a été entendue. Elle a retracé l’évolution de son activité aux SIG.

13. Dans le délai qui leur avait été octroyé pour déposer des observations après enquêtes, les parties ont persisté dans leurs conclusions.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. Les SIG sont institués par le titre Xa de la Constitution de la République et du canton de Genève du 24 mai 1847 (Cst. - A 2 00). L’article 159 Cst. précise que l’organisation des SIG est réglée dans la loi. L’article 160 alinéa 2 lettre g Cst. indique que le statut du personnel est soumis à l’approbation du Conseil d’Etat.

b. Selon l’article 1 alinéa 1 de la loi sur l’organisation des Services Industriels de Genève du 5 octobre 1973 (LSIG - L 2 35), les SIG sont un établissement de droit public genevois. Ils sont dotés de la personnalité juridique et autonome dans les limites fixées par la Cst. et par la LSIG (art. 2 al. 1 LSIG). Les organes administratifs des SIG sont le conseil d’administration et le conseil de direction (art. 5A LSIG).

Le conseil d’administration, autorité supérieure des SIG, est investi des pouvoirs les plus étendus pour la gestion et a notamment pour attribution de fixer les compétences du bureau du conseil d’administration et du comité de direction, d’établir le statut du personnel et de nommer et révoquer le personnel, sous réserve des attributions du comité de direction et des dispositions du statut concernant le droit de recours (art. 16 al. 1 et 2 let. b, m et n LSIG).

Selon l’article 20b lettre c LSIG, le comité de direction a notamment pour attribution de procéder aux nominations du personnel que le conseil d’administration place dans sa compétence.

c. Selon l’article 1 du statut dans son état au 2 septembre 2003, les SIG se composent de personnes engagées sur la base d’un contrat de droit public, soit d’employés réguliers, ainsi que de personnes engagées sur la base d’un contrat de droit privé, tels qu’employés temporaires, apprentis et stagiaires. Les employés réguliers sont nommés pour une période administrative de quatre ans (art. 82 statut).

L’article 83 du statut indique que les rapports de service sont renouvelés par tacite reconduction pour chaque période administrative de quatre ans. Un règlement du conseil d’administration fixe les conditions de renouvellement des rapports de service à la fin de chaque période administrative et la procédure à suivre en la matière.

Selon l’article 95 du statut, la décision de non renouvellement des rapports de service est prise par le conseil de direction ou le conseil d’administration, pour les employés qu’ils ont respectivement nommés. Cette décision peut être attaquée dans les trente jours auprès de la commission de recours ad hoc, la décision de la commission de recours pouvant être portée dans les trente jours auprès du Tribunal administratif.

d. Les dispositions statutaires des SIG font l’objet de directives internes. Selon une directive intitulée « Délégation de compétences en matière de ressources humaines » dans sont état au 17 février 2003, les questions de personnel concernant les cadres intermédiaires et les non cadres sont du ressort du chef de division ou du chef de section, sauf en ce qui concerne le recrutement et les sanctions disciplinaires. Dans ce domaine, la révocation d’un employé, cadre intermédiaire ou non cadre, est de la compétence du directeur général.

De plus, une directive a été rendue concernant l’application des articles 82 et 83 du statut. Cette dernière indique la procédure à suivre en cas de non-réélection. Six mois avant la fin de la période administrative, les directions de service doivent établir la liste des collaborateurs devant être exclus de la réélection en rédigeant un rapport circonstancié. L’autorité de nomination informe alors la personne concernée, la convoque et le président entend cette personne. Les décisions de non-réélection des collaborateurs sont rendues par l’autorité de nomination.

Ces directives sont confirmées par la note adressée par le directeur général aux directions de services, datée du 6 août 2004.

3. En règle générale, les instructions, les circulaires et les directives administratives ou en d’autres termes les ordonnances administratives n’ont, selon la jurisprudence et la doctrine, pas force de loi (ATF 121 II 473 consid. 2b p. 478 ; ATF 121 IV 64 consid. 3 p. 66 ; ATA/763/2002 du 3 décembre 2002, consid. 5 et les références citées).

Si les directives, circulaires ou instructions émises par l’administration ne peuvent contenir de règles de droit, elles peuvent cependant apporter des précisions quant à certaines notions contenues dans la loi ou quant à la mise en pratique de celle-ci. Sans être lié par elles, le juge peut néanmoins les prendre en considération en vue d’assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré. Il ne doit cependant en tenir compte que si elles respectent le sens et le but de la norme applicable (ATF 121 II 473 consid. 2b).

Emise par l’autorité chargée de l’application concrète, l’ordonnance administrative est un mode de gestion : elle rend explicite une ligne de conduite, elle permet d’unifier et de rationaliser la pratique, elle assure ce faisant aussi l’égalité de traitement et la prévisibilité administrative et elle facilite le contrôle juridictionnel, puisqu’elle dote le juge de l’instrument nécessaire pour vérifier que l’administration agit selon des critères rationnels, cohérents et continus, et non pas selon une politique virevoltante du cas par cas (ATA/763/2002 du 3 décembre 2002 consid. 5 et les références citées).

4. En l’espèce, les directives émises par la direction des SIG modifient le contenu des statuts, en transférant la compétence de ne pas réélire des collaborateurs aux directions de services, alors que les dispositions statutaires attribuent ce pouvoir au conseil de direction ou au conseil d’administration. Une telle délégation n’est pas admissible lorsque, comme en l’espèce, la Cst. prévoit que les statuts sont soumis à l’approbation du Conseil d’Etat, et que la LSIG attribue au conseil d’administration, voire au conseil de direction, le pouvoir de révoquer et de nommer le personnel.

Dès lors, la décision litigieuse a été prise par une autorité incompétente. Elle est radicalement nulle.

5. Vu l’issue du litige, une indemnité en CHF 1'500.-, sera allouée à Mme E__________, à la charge des SIG. Un émolument de procédure, en CHF 1’500.- sera mis à la charge des SIG, qui succombent (art. 87 LPA).

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 janvier 2005 par Madame E __________ contre la décision de la commission de recours en matière d’application du statut du personnel des Services Industriels de Genève du 1er décembre 2004 ;

au fond :

l’admet ;

constate que la décision de non renouvellement du 23 septembre 2004 est nulle ;

annule la décision de la commission de recours en matière d’application du statut du personnel des SIG du 1er décembre 2004 ;

constate que Madame E __________ n’a jamais cessé de faire partie du personnel des SIG ;

alloue à Madame E __________ une indemnité en CHF 1'500.- à la charge des SIG ;

met à la charge des SIG un émolument de CHF 1'500.- ;

communique le présent arrêt à Me Adrian Holloway, avocat de la recourante ainsi qu'à Me Nathalie Thurler, avocate des Services Industriels de Genève.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :