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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2693/2016

ATA/854/2018 du 21.08.2018 sur JTAPI/670/2017 ( ICCIFD ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2693/2016-ICCIFD ATA/854/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 21 août 2018

4ème section

 

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

contre

Madame et Monsieur A______

et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 juin 2017 (JTAPI/670/2017)

 


EN FAIT

1) Madame et Monsieur A______ (ci-après : les époux A______) sont mariés et parents de deux enfants, la famille étant domiciliée à Genève.

2) Les époux A______ sont propriétaires d’un appartement sis à Lima, au Pérou, dans lequel logeaient le frère de M. A______ et le père de celui-ci, décédé en automne 2014.

3) Dans leurs déclarations fiscales pour l’année 2014, les époux A______ ont indiqué, au titre des déductions pour personnes à charge, les montants de CHF 6'000.- pour le père et de CHF 6'000.- pour le frère de M. A______.

4) Par bordereaux du 7 mars 2016, l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) a établi la taxation du couple pour l’année 2014. Pour l’IFD, les charges de famille pour le père et le frère de M. A______ ne pouvaient être accordées, dès lors que les prestations versées n’atteignaient pas le montant de la déduction elle-même, soit CHF 6'500.- par personne. Par ailleurs, la valeur locative brute, avant abattement relatif à l’impôt immobilier complémentaire (ci-après : IIC) 2014 en lien avec l’appartement au Pérou s’élevait à CHF 569.-.

5) Le 5 avril 2016, les époux A______ ont élevé réclamation contre ces bordereaux de taxation.

Depuis plusieurs années, ils soutenaient financièrement le père et le frère de M. A______. En 2014, ils avaient ainsi effectué en leur faveur des virements bancaires de CHF 5'961.-, leur avaient envoyé CHF 6'000.- par l’entremise de Western Union et leur avaient remis CHF 1'600.- en liquide. Ils mettaient également à leur disposition un appartement de quatre pièces au Pérou, dans lequel ils logeaient, leur faisant économiser un loyer annuel de CHF 4'200.-. Ils les avaient ainsi aidés par CHF 17'700.- en 2014.

6) Le 27 mai 2016, l’AFC-GE a requis des époux A______ des renseignements complémentaires à ce sujet.

7) a. Le 16 juin 2016, les époux A______ ont répondu à l’AFC-GE que jusqu’à son décès, le père de M. A______ percevait une rente mensuelle correspondant à USD 140.-, pour laquelle les autorités péruviennes ne délivraient pas d’attestation, au regard de son modeste montant. M. A______ devait également contribuer à l’entretien de son frère, malade, qui avait vécu avec leur père.

b. Ils ont notamment produit :

- un extrait de leur compte bancaire auprès de la Banque cantonale de Genève (ci-après : BCGE) indiquant divers versements effectués en 2014 en faveur du père de M. A______ ;

- un tableau récapitulatif d’envoi d’argent par l’entremise de Western Union en 2014 pour un montant total de CHF 4'901.81 en faveur du frère de M. A______, ainsi que les justificatifs y relatifs.

8) Par décisions du 18 juillet 2016, l’AFC-GE a maintenu la taxation des époux A______ s’agissant de l’aide accordée au père et au frère de M. A______, admise respectivement par CHF 5'015.- et CHF 5'713.- pour l’ICC 2014, ces montants n’atteignant pas celui de CHF 6'500.- exigé pour l’IFD. Seul l’argent versé par virement bancaire et par Western Union avait été pris en compte, à l’exclusion de l’argent liquide remis aux intéressés et de la valeur du loyer présumé de l’appartement sis à Lima.

9) Par deux actes du 15 août 2016, enregistrés respectivement sous les causes nos A/2693/2016 pour l’ICC et A/2694/2016 pour l’IFD, les époux A______ ont recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre ces décisions, contestant divers éléments de leur taxation, qui ne sont plus litigieux à ce stade, ainsi que les déductions accordées pour proches nécessiteux. Dans ce cadre, ils reprenaient les termes de leurs précédents courriers, précisant avoir versé au père et au frère de M. A______ un montant total de CHF 11'802.60, auquel s’ajoutait un loyer estimé à CHF 4'200.- pour l’appartement qu’ils mettaient à leur disposition, soit un montant total de CHF 16'002.60 pour lequel ils demandaient une déduction.

10) Le 9 janvier 2017, l’AFC-GE a répondu au recours, concluant notamment à une reformatio in pejus des bordereaux de taxation pour l’ICC 2014 concernant les montants de CHF 5'015.- et CHF 5'713.- retenus à tort au titre de charge pour proches nécessiteux, en refusant toute charge pour le père de M. A______ et en ne retenant que CHF 4'901.81 pour son frère.

La nouvelle approche suivie par le TAPI dans une cause similaire, dans laquelle, en matière d’ICC, il avait admis la déduction légale prévue pour les proches nécessiteux sans tenir compte des montants effectivement payés et justifiés par le contribuable, était contestable et consacrait une violation de l’imposition selon la capacité contributive du contribuable ainsi que de la systématique de la loi sur l’imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08), qui avait pour principe la connexité des frais et des déductions. La jurisprudence du TAPI revenait à permettre le versement d’un montant insignifiant pour bénéficier de la déduction totale du montant de la charge de famille sur les revenus bruts et créait en outre une inégalité de traitement, les contribuables assurant l’entretien de proches nécessiteux dans les pays dont les coûts étaient peu élevés étant avantagés par rapport à ceux dont les proches se situaient en Suisse. Pour ces motifs, elle n’avait pas tenu compte du jugement du TAPI en cause, qui était d’ailleurs contesté auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

Dans le cas des époux A______, il était apparu que le père de M. A______ était décédé en automne 2014, de sorte qu’à la date déterminante du 31 décembre 2014, il n’était plus considéré comme étant à leur charge, aucune déduction pour proche nécessiteux ne pouvant être admise le concernant. S’agissant du frère de M. A______, seul un montant de CHF 4'901.81 pouvait être retenu, à défaut d’autres pièces permettant de prouver l’octroi d’une aide supplémentaire.

11) Par jugement du 19 juin 2017, le TAPI a ordonné la jonction des causes nos A/2693/2016 et A/2694/2016 sous la cause n° A/2693/2016 et partiellement admis le recours des époux A______.

S’agissant du père de M. A______, la situation à la fin de la période fiscale en cause, à savoir le 31 décembre 2014, était déterminante. À cette date toutefois, celui-ci était décédé, de sorte qu’il ne pouvait plus être considéré comme une personne nécessiteuse, raison pour laquelle la déduction sollicitée par les époux A______ ne pouvait leur être accordée, tant pour l’ICC que pour l’IFD.

Les justificatifs fournis par les époux A______ pour l’aide accordée au frère de M. A______ indiquaient que l’intéressé s’était vu remettre CHF 4'901.81 par l’intermédiaire de Western Union, ce qui n’était pas contesté. Un montant supérieur ne pouvait toutefois être retenu, dès lors que les virements bancaires, de CHF 5'470.75, avaient été effectués en faveur du père de M. A______. L’aide supplémentaire consistant en la mise à disposition gratuite d’un appartement à Lima, dont la valeur locative était estimée à CHF 4'200.- par an, ne pouvait pas non plus être admise, faute de pièces justificatives probantes, étant précisé que les époux A______ n’avaient pas contesté la valeur locative brute de cet appartement figurant dans l’avis de taxation relatif à l’IIC 2014, pour un montant de CHF 569.-. Il en résultait ainsi une aide totale en faveur du frère de M. A______ de CHF 5'470.81, montant inférieur à celui prévu par l’IFD pour bénéficier d’une déduction sociale, qui n’était ainsi pas admise pour cet impôt. En revanche, pour l’ICC, en application de sa récente jurisprudence, il y avait lieu d’admettre une charge de famille pour personne nécessiteuse d’un montant forfaitaire de CHF 10'078.-.

12) Par acte du 24 juillet 2017, l’AFC-GE a interjeté recours auprès la chambre administrative contre ce jugement, concluant à son annulation en tant qu’il accordait une déduction forfaitaire de CHF 10'078.- aux époux A______ en matière d’ICC 2014 en lien avec l’entretien assumé pour le frère de M. A______ et à sa confirmation pour le surplus.

Le recours portait uniquement sur la déduction forfaitaire de CHF 10'078.- accordée par le TAPI en faveur du frère de M. A______ vivant au Pérou, la question étant de savoir si une déduction forfaitaire devait être accordée dans toutes les situations, y compris lorsque l’aide financière apportée au proche nécessiteux était inférieure à ce montant, à laquelle l’art. 39 LIPP ne fournissait pas de réponse. Les débats parlementaires en lien avec cette disposition ne permettaient pas de retenir que le législateur avait volontairement eu pour intention d’avantager les contribuables apportant un soutien financier inférieur au montant de la déduction prévue pour les charges de famille, dès lors qu’elle avait pour finalité la prise en considération de la capacité contributive du contribuable en cause. En outre, l’interprétation à laquelle s’était livré le TAPI allait non seulement à l’encontre de la systématique de la LIPP, mais également du principe de la hiérarchie des normes, en retenant une solution violant les principes constitutionnels d’universalité, d’imposition selon la capacité contributive et d’égalité de traitement. L’art. 39 LIPP ne pouvait pas être interprété en ce sens que le contribuable devait avoir la possibilité de faire valoir une déduction supérieure au montant de l’aide effectivement apportée à un proche nécessiteux, sous peine de déconnecter la déduction de la réalité. Le principe de la légalité ne devait pas non plus être vidé de sa substance ni être appliqué de manière à entrer en contradiction avec la réalité juridique et les exigences de la pratique. L’ensemble de ces éléments faisait apparaître une lacune de l’art. 39 LIPP, puisqu’appliquée à un cas comme celui des époux A______, cette disposition aboutissait à un résultat contraire à l’objectif consistant à tenir compte de la capacité contributive des contribuables soutenant financièrement un proche nécessiteux. Elle n’appréhendait en particulier pas la situation dans laquelle l’aide d’un proche était inférieure au montant de la déduction, le législateur ne pouvant avoir voulu une solution telle que celle dégagée par le TAPI.

13) Le 7 août 2017, le TAPI a transmis son dossier, sans formuler d’observations.

14) Le 7 septembre 2017, les époux A______ ont répondu au recours.

Il était choquant que le TAPI ait refusé de prendre en compte l’aide apportée au père de M. A______ avant son décès. Toutes les charges qu’ils avaient requises, y compris s’agissant de leurs enfants, devaient être déduites, contrairement à ce qu’avait, à tort, retenu le TAPI. Ainsi, étant donné que le père et le frère de M. A______ vivaient ensemble, l’argent versé à l’un d’eux servait également à l’entretien de l’autre, de sorte que l’ensemble de ces montants devait être pris en compte. La mise à disposition gratuite d’un appartement devait également être prise en considération, puisque les intéressés s’étaient épargné le paiement d’un loyer annuel de CHF 4'200.-, le montant de la valeur locative n’étant pas déterminant. Un montant de CHF 17'761.70 au titre de charge de famille pour leurs deux proches nécessiteux devait par conséquent être admis.

15) Le 6 octobre 2017, le juge délégué a accordé aux parties un délai au 17 novembre 2017 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

16) À l’issue du délai imparti, aucune des parties ne s’est déterminée.

17) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2) a. L’objet du litige est principalement défini par l’objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu’il invoque. Il correspond objectivement à l’objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible. La contestation ne peut excéder l’objet de la décision attaquée, c’est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l’autorité inférieure s’est prononcée ou aurait dû se prononcer. L’objet d’une procédure administrative ne peut donc pas s’étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés. Ainsi, si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/603/2018 du 12 juin 2018 et la référence citée).

b. En l’espèce, le litige porte sur le principe de la déductibilité, effective ou forfaitaire, de l’aide de CHF 5'470.81 apportée en 2014 par les contribuables au frère de M. A______ en matière d’ICC, point du jugement du TAPI, qui a retenu une déduction forfaitaire de CHF 10'078.-, sur lequel l’AFC-GE a fait recours. Les autres éléments du jugement du TAPI, comme le montant effectif de ladite déduction, la prise en compte des frais d’entretien des enfants des contribuables ou du père de M. A______, ne sont ainsi plus litigieux à ce stade de la procédure, le couple n’ayant pas recouru contre ce jugement et la procédure administrative genevoise ne connaissant pas le recours joint. Dans ce cadre, les griefs formulés à l’encontre de celui-ci dans la réponse des contribuables sont irrecevables.

3) a. En matière fiscale, la garantie de l’art. 8 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) est concrétisée par les principes de la généralité et de l’égalité de l’imposition, ainsi que par le principe de la proportionnalité de la charge fiscale fondée sur la capacité économique, lesquels ont été codifiés à l’art. 127 al. 2 Cst. (ATF 141 I 235 consid. 7.1). En vertu des principes de l’égalité d’imposition et de l’imposition selon la capacité contributive, les contribuables qui sont dans la même situation économique doivent supporter une charge fiscale semblable ; lorsqu’ils sont dans des situations de fait différentes qui ont des effets sur leur capacité économique, leur charge fiscale doit en tenir compte et y être adaptée. D’après le principe de la proportionnalité de la charge fiscale à la capacité contributive, chaque citoyen doit contribuer à la couverture des dépenses publiques, compte tenu de sa situation personnelle et en proportion de ses moyens (ATF 140 II 157 consid. 7.1).

b. Le principe de la légalité gouverne l’ensemble de l’activité de l’État (art. 5 al. 1 et 36 al. 1 Cst.) et revêt une importance particulière en droit fiscal, où il est érigé en droit constitutionnel indépendant à l’art. 127 al. 1 Cst., lequel prévoit que les principes généraux régissant le régime fiscal, notamment la qualité de contribuable, l’objet de l’impôt et son mode de calcul, doivent être définis par la loi (ATF 135 I 130 consid. 7.2).

c. Les déductions sociales et les barèmes ont pour but d’adapter, de manière schématique, la charge d’impôt à la situation personnelle et économique particulière de chaque catégorie de contribuables conformément au principe de l’imposition selon la capacité économique de l’art. 127 al. 2 Cst. Ce sont autant d’ajustements légaux de la charge fiscale qui montrent que le législateur a distingué les catégories de contribuables en fonction de leur capacité économique de façon à établir entre elles et, sous cet angle restreint, une certaine égalité de traitement. La réglementation légale en matière de déductions comprend nécessairement un certain schématisme en raison de la multiplicité des situations individuelles à considérer, ce qui est toutefois, de manière générale, compatible avec les principes ancrés à l’art. 127 Cst. Le Tribunal fédéral a retenu à plusieurs reprises qu’il n’est pas réalisable, pour des raisons pratiques, de traiter chaque contribuable de façon exactement identique d’un point de vue mathématique et que, de ce fait, le législateur est autorisé à choisir des solutions schématiques. S’il n’est pas possible de réaliser une égalité absolue, il suffit que la réglementation n’aboutisse pas de façon générale à une charge sensiblement plus lourde ou à une inégalité systématique à l’égard de certaines catégories de contribuables. À cela s’ajoute que les possibilités de comparer les différentes situations restent limitées (ATF 141 II 338 consid. 4.5 et les références citées).

4) a. La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme au regard notamment de la volonté du législateur, telle qu’elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, en particulier de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 140 II 202 consid. 5.1). Appelé à interpréter une loi, le juge ne privilégie aucune de ces méthodes, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique (ATF 139 IV 270 consid. 2.2).

Bien que les travaux préparatoires ne lient pas le juge, ils ne sont pas dénués d’intérêt et peuvent s’avérer utiles pour dégager le sens d’une norme (ATF 135 II 78 consid. 2.2). Ils ne seront toutefois pris en considération que s’ils donnent une réponse claire à une disposition légale ambiguë et qu’ils trouvent expression dans le texte de la loi (ATF 124 III 126 consid. 1b).

b. Le juge est en principe lié par un texte clair et sans équivoque. Ce principe n’est toutefois pas absolu, dès lors que le texte d’une norme peut ne pas correspondre à son sens véritable. L’autorité qui applique le droit ne peut ainsi s’en écarter que s’il existe des motifs sérieux de penser que sa lettre ne correspond pas en tous points au sens véritable de la disposition visée. De tels motifs sérieux peuvent résulter des travaux préparatoires, du fondement et du but de la prescription en cause, de même que de sa relation avec d’autres dispositions (ATF 138 II 557 consid. 7.1). En dehors du cadre ainsi défini, des considérations fondées sur le droit désirable ne permettent pas de s’écarter du texte clair de la loi, surtout si elle est récente (ATF 118 II 333 consid. 3e).

c. Les normes fiscales sont soumises aux mêmes règles d’interprétation que les autres domaines du droit administratif. Le juge doit toutefois faire preuve d’une certaine circonspection lorsqu’il procède à leur interprétation, afin de respecter les impératifs propres à la portée particulière que revêt le principe de la légalité dans ce domaine. Il s’agit, en particulier, d’éviter que soient créés, par le biais d’une interprétation extensive, de nouveaux cas d’assujettissement, de nouvelles matières imposables ou de nouveaux faits générateurs d’imposition (ATF 131 II 562 consid. 3.4). Dès lors, les états de fait non visés par la loi ne peuvent être imposés, même s’ils découlent d’un oubli du législateur. L’interprétation par analogie, selon laquelle la loi doit s’appliquer aussi aux états de fait comparables à ceux que la loi fiscale appréhende, n’est pas non plus admise en droit fiscal (Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 4e édition, 2012, n. 10).

5) a. L’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques (art. 16 al. 1 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11). Le revenu net se calcule en défalquant du total des revenus imposables les déductions générales et les frais mentionnés aux art. 26 à 33a LIFD (art. 25 LIFD).

L’art. 35 al. 1 let. b LIFD prévoit que sont déduits du revenu net CHF 6'500.- pour chaque personne totalement ou partiellement incapable d’exercer une activité lucrative, à l'entretien de laquelle le contribuable pourvoit, à condition que son aide atteigne au moins le montant de la déduction. Cette disposition permet de tenir compte de la diminution de la capacité contributive du contribuable, qui par obligation juridique ou par devoir moral, entretient un proche (arrêt du Tribunal fédéral 2C_421/2010 du 2 novembre 2011 consid. 2.1 ; ATA/482/2018 du 15 mai 2018).

b. En droit genevois, l’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus, prestations et avantages du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques, en espèces ou en nature et quelle qu’en soit l’origine, avant déductions (art. 17 LIPP). Le revenu net se calcule en défalquant du total des revenus imposables les déductions générales et les frais mentionnés aux art. 29 à 37 LIPP (art. 28 LIPP).

Sont ensuite déduites du revenu net annuel, au titre des déductions sociales, notamment celles pour charges de famille. L’art. 39 al. 1 LIPP prévoit ainsi qu’est déduit du revenu annuel net CHF 10'000.- pour chaque charge de famille (let. a) ou CHF 5'000.- pour chaque demi-charge de famille (let. b). Selon l’art. 39 al. 2 let. c LIPP, constituent des charges de famille les ascendants et descendants (dans les autres cas que ceux visés à l’art. 38 al. 2 let. a et b LIPP, non pertinents en l’espèce), frères, sœurs, oncles, tantes, neveux et nièces, incapables de subvenir entièrement à leurs besoins, qui n’ont pas une fortune supérieure à CHF 87'500.- ni un revenu annuel supérieur à CHF 15'333.- (charge entière) ou à CHF 23'000.- (demi-charge), pour celui de leur proche qui pourvoit à leur entretien.

c. De jurisprudence constante, la notion de proches incapables de subvenir entièrement à leurs besoins est interprétée strictement : le proche à charge doit faire partie des membres de la famille énoncés à l’art. 39 al. 2 let. c LIPP et il ne doit pas être capable, en raison de son âge ou d’une déficience qui lui est propre, de gagner sa vie, d’occuper un emploi rémunéré ou d’avoir une activité produisant un gain supérieur aux minima légaux. Cette interprétation respecte l’exigence de stabilité voulue par le législateur et limite les déductions accordées aux contribuables à des situations bien précises, en ne prenant en compte que les particularités propres aux personnes en situation de besoin (ATA/167/2018 du 20 février 2018 et la référence citée).

La notion de « proche nécessiteux » a été reprise de l’art. 14 al. 5 let. c de la loi sur l’imposition des personnes physiques - détermination du revenu net - calcul de l’impôt et rabais d’impôt - compensation des effets de la progression à froid du 22 septembre 2000 (aLIPP-V), dont les travaux préparatoires se réfèrent, sans autre commentaire, à l’art. 32 al. 1 let. b du projet de loi (ci-après : PL) 7'532 du Conseil d'État sur l'imposition des personnes physiques du 8 novembre 1996 (MGC 2000 22/IV 3574 ; ATA/167/2018 précité et la référence citée). L’art. 32 al. 1 let. b du PL 7'532 indiquait toutefois, contrairement à la disposition correspondante de l’aLIPP-V, qu’étaient déduits du revenu net CHF 5'000.- pour toute autre personne (que celles mentionnées à la let. b), totalement ou partiellement incapable d’exercer une activité lucrative, à l’entretien de laquelle le contribuable pourvoit, à condition que son aide atteigne au moins le montant de la déduction.

6) a. Le 16 janvier 2008, plusieurs députés ont déposé auprès du Grand Conseil le PL 10'199 sur l’imposition des personnes physiques, dont l’art. 39 al. 1 prévoyait des déductions pour charges de famille pour les enfants mineurs (let. a), les enfants majeurs (let. b), les proches incapables de subvenir entièrement à leurs besoins (let. c), les ascendants, oncles et tantes (let. d) et les personnes handicapées vivant au domicile du contribuable (let. e). Selon l’art. 39 al. 2 let. b du PL 10'199, étaient déduits du revenu CHF 12'000.- au plus pour tous les proches au sens de l’art. 39 al. 1 let. c du PL 10'199, totalement ou partiellement incapables d’exercer une activité lucrative, à l’entretien desquels le contribuable pourvoyait, à concurrence des montants effectivement versés. Pour les autres proches mentionnés à l’art. 39 al. 1 let. d et e du PL 10'199 vivant au domicile du contribuable, l’art. 39 al. 2 let. c et d du PL 10'199 indiquait une déduction de CHF 12'000.-, sans autre mention.

Le 7 novembre 2008, le Conseil d’État a, à son tour, déposé le PL 10'385 sur l’imposition des personnes physiques, dont l’art. 39 al. 1 prévoyait qu’était déduit du revenu annuel CHF 7'000.- pour chaque charge de famille et CHF 3'500.- pour chaque demi-charge de famille. Selon l’art. 39 al. 2 let. c du PL 10'385, constituaient des charges de famille notamment les proches incapables de subvenir entièrement a leurs besoins, à savoir les ascendants et descendants, frères, sœurs, oncles, tantes, neveux et nièces n’ayant pas une fortune supérieure à CHF 55'000.- ni un revenu annuel supérieur à CHF 11'500.- (charge entière) ou à CHF 23'000.- (demi-charge) pour celui de leur proche qui pourvoit à leur entretien.

L’art. 39 de ces deux PL était nouveau et visait à remplacer le rabais d’impôt additionnel pour charge de famille prévu à l’art. 14 al. 3 aLIPP-V par une déduction sociale sur le revenu (exposé des motifs relatif au PL 10'385 p. 77 ; MGC 2007-2008/V A 4024). Une déduction sociale devait, en outre, par définition, permettre une adaptation plus fine de la charge fiscale à la capacité contributive de l’assujetti en fonction des charges, de sa vie privée et de sa situation personnelle (MGC 2008-2009/IX A 11612).

b. Lors des débats en commission relatifs au PL 10'199, un amendement a été proposé, visant à reprendre l’art. 39 du PL 10'385, en adaptant toutefois le montant de la déduction pour chaque charge de famille à CHF 10'000.- (MGC 2008-2009/IX A 11645). Il a été justifié par le fait que les charges de famille n’étaient pas forcément imposées « parce que l’on a des enfants, mais parce qu’il faut s’occuper de personnes âgées dont les habitations doivent être équipées en conséquence », l’idée étant de proposer de nouvelles déductions et de reprendre la structure formelle de la loi en vigueur (MGC 2008-2009/IX A 11645).

Un autre amendement à l’art. 39 al. 2 let. c du PL 10'199 a également été proposé, en vue d’y intégrer l’exigence d’un domicile commun entre le contribuable et le proche à l’entretien duquel il pourvoit (MGC 2008-2009/IX A 11648). Dans ce cadre, un commissaire a indiqué que la distinction de l’art. 39 al. 1 let. c et d, en fonction ou non du domicile commun, était pertinente (MGC 2008-2009/IX A 11649). Un autre commissaire, qui avait procédé à la rédaction de cette disposition a, quant à lui, indiqué que « le fait d’avoir une personne à charge, comme celui d’avoir des enfants, fait qu’il faut avoir un appartement plus grand ou acheter de la nourriture », était déterminant ce qui restait dans le porte-monnaie du contribuable à la fin du mois (MGC 2008-2009/IX A 11649). Malgré tout, le but de la déduction était de soulager une personne qui entamait sa capacité contributive (MGC 2008-2009/IX-A 11650).

Le cas d’un parent à l’étranger a également été évoqué, dès lors qu’une telle situation était délicate en raison de l’adaptation des montants et des contrôles à entreprendre (MGC 2008-2009/IX A 11650). Dans un tel cas, des questions précises seraient alors posées au contribuable, lequel devait prouver que la personne en cause est incapable de subvenir à ses besoins, indiquer ses ressources et justifier son entretien, selon les mêmes principes qu’une personne habitant en Suisse mais ne partageant pas le domicile du contribuable (MGC 2008-2009/IX A 11653). Dans ce cadre, des ordres de virement pouvaient constituer une preuve (MGC 2008-2009/IX A 11653).

Le représentant de l’AFC-GE a en outre relevé que pour bénéficier de la déduction, il fallait pourvoir à l’entretien. Il en résultait que la personne qui ne payait « pas un franc » pour ses parents ne pouvait prétendre à aucune déduction. En d’autres termes, il s’agissait de la « solution la plus généreuse et la plus simple. Le contribuable doit prouver qu’il pourvoit à l’entretien et il bénéficie alors de la déduction » (MGC 2008-2009/IX A 11653).

7) La loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14) désigne les impôts directs que les cantons doivent prélever et fixe les principes selon lesquels la législation cantonale les établit (art. 1 al. 1 LHID). Lorsqu’aucune réglementation particulière n’est prévue, les impôts cantonaux et communaux sont établis en vertu du droit cantonal. Restent en particulier de la compétence des cantons la fixation des barèmes, celle des taux et celle des montants exonérés d’impôt (art. 1 al. 3 LHID).

L’art. 9 LHID traite des déductions pouvant être défalquées du revenu imposable et les énumère. L’art. 9 al. 4 LHID précise que les déductions pour enfants et les autres déductions sociales de droit cantonal demeurent réservées. L’art. 9 LHID ne précise pas à l’attention des cantons de définition harmonisée de la notion de « personnes nécessiteuses à charge » que le droit cantonal devrait respecter, dès lors que l’art. 9 al. 4 LHID réserve expressément les déductions pour enfants et les autres déductions sociales, de sorte que le législateur cantonal conserve une grande marge de manœuvre dans la mise en place des déductions sociales pour personnes à charge (ATF 131 I 377 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_287/2015 du 23 juillet 2015 consid. 3.2 ss).

8) a. En l’espèce, l’AFC-GE soutient que le TAPI a retenu à tort que la déduction pour proches incapables de subvenir entièrement à leurs besoins était forfaitaire, seuls les frais effectifs devant être déduits du revenu net, ce que les contribuables contestent.

b. Comme l’a, à juste titre, retenu le TAPI, le texte de la disposition en cause ne fournit pas de réponse à cette question, puisqu’il ne contient aucune indication à ce titre. Dans ce cadre, il ne saurait être considéré comme permettant au contribuable uniquement de bénéficier de la déduction qu’il prévoit à condition que son aide atteigne au moins le montant de celle-ci, à l’instar de l’art. 35 al. 1 let. b LIFD. Outre le fait que l’art. 39 LIPP ne contient pas une telle limitation et que la teneur de l’art. 32 al. 1 let. b du PL 7'532 n’a été reprise ni dans l’aLIPP-V ni dans la LIPP sur ce point, une interprétation verticale ne se justifie pas, au regard de l’autonomie dont bénéficient les cantons en matière de déductions sociales.

c. Il ressort des travaux législatifs ayant conduit à l’adoption de l’art. 39 LIPP que le PL 10'199 prévoyait une déduction de CHF 12'000.- au plus pour les proches incapables de subvenir entièrement à leurs besoins, à concurrence des montants effectivement versés, contrairement aux autres proches mentionnés par cette disposition, vivant au domicile du contribuable, pour lesquels une déduction de CHF 12'000.- était accordée, sans autre précision. Une telle distinction revêt toute son importance, puisque si une déduction forfaitaire peut se justifier en cas de domicile commun, en raison des prestations en nature fournies, comme la nourriture ou le logement, qui sont difficilement chiffrables, il n’en va pas de même en cas de domicile séparé, situation dans laquelle des prestations en argent sont octroyées par le contribuable aux proches dont il a la charge, ce qui résulte d’ailleurs expressément des discussions en commission.

Il n’en demeure pas moins que, dans le cadre de l’examen du PL 10'199, un amendement a été proposé en commission, qui visait à reprendre la teneur de l’art. 39 du PL 10'385, similaire au texte finalement adopté, sauf s’agissant du montant des déductions retenues. La question du domicile commun ou non entre le contribuable et le proche à l’entretien duquel il subvenait n’a par la suite plus été abordée, hormis s’agissant de la preuve des paiements effectués en leur faveur, sans mention du montant des déductions accordées, les membres de la commission n’ayant pas expressément tranché la question de savoir s’il s’agissait dans tous les cas d’une déduction forfaitaire ou effective.

Le fait que les travaux parlementaires indiquent que la déduction visait à soulager une personne qui entame sa capacité contributive n’apparaît dans ce contexte pas déterminant, puisqu’il s’agit précisément du but poursuivi par toute déduction. Il en va de même du fait que la solution choisie était la plus généreuse et la plus simple pour le contribuable, élément ne reflétant pas une tendance allant vers l’octroi d’une déduction forfaitaire.

d. Bien plus, les développements susmentionnés tendent vers une déduction effective, comme le prévoyait l’art. 39 du PL 10'199, solution s’inscrivant du reste dans le cadre de l’approche stricte des déductions accordées aux proches nécessiteux, confirmée tant par le législateur que par la jurisprudence constante, ce d’autant au regard des montants, importants, des déductions pouvant être accordées.

À cela s’ajoute que le système instauré par la LIPP est fondamentalement différent de celui précédemment en vigueur, qui consacrait la solution du rabais d’impôt, et pour lequel une déduction forfaitaire pouvait se justifier.

e. Dans ces circonstances, le TAPI ne pouvait considérer que l’art. 39 LIPP consacrait un silence qualifié et octroyer une déduction forfaitaire aux contribuables de CHF 10'078.-, alors qu’il a arrêté leur contribution pour l’année fiscale 2014 à CHF 5'470.81 au titre d’entretien du frère de M. A______, montant qui n’est du reste pas remis en cause par l’autorité recourante.

9) Il s’ensuit que le recours sera admis, le jugement du TAPI annulé en tant qu’il accorde aux contribuables une déduction forfaitaire de CHF 10'078.- en lien avec l’entretien accordé par M. A______ à son frère et le dossier renvoyé à l’AFC-GE pour nouvelle décision de taxation pour l’ICC 2014 au sens des considérants.

10) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 700.- sera mis à la charge des contribuables, pris solidairement, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne sera octroyée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 24 juillet 2017 par l’administration fiscale cantonale contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 19 juin 2017 ;

au fond :

l’admet ;

annule le jugement du TAPI en tant qu’il accorde à Madame et à Monsieur A______ une déduction forfaitaire de CHF 10'078.- en lien avec l’entretien du frère de ce dernier ;

renvoie le dossier à l’administration fiscale cantonale pour nouvelle décision de taxation pour l’ICC 2014 au sens des considérants ;

confirme le jugement entrepris pour le surplus ;

met un émolument de CHF 700.- à la charge de Madame et Monsieur A______, pris solidairement ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à l’administration fiscale cantonale, à Madame et à Monsieur A______, à l’administration fédérale des contributions, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : M. Verniory, président, M. Pagan, Mme Payot Zen-Ruffinen, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Husler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :