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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1098/2017

ATA/828/2019 du 25.04.2019 sur JTAPI/62/2018 ( ICC ) , ADMIS

Recours TF déposé le 07.06.2019, rendu le 05.12.2019, ADMIS, 2C_528/2019
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1098/2017-ICC ATA/828/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 25 avril 2019

4ème section

 

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

contre

Madame A______

_________



Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 15 janvier 2018 (JTAPI/62/2018)


EN FAIT

1. Le 15 décembre 2016, Madame A______ (ci-après : le notaire) a instrumenté un acte intitulé « DONATION IMMOBILIÈRE MIXTE par Madame B______ à Monsieur C______, VENTE par Madame B______ en faveur de Monsieur C______ et Madame D______, Prix : 737'360 .- ».

Sous un titre « donation et vente immobilière », Mme B______ déclarait « faire donation par préciput et hors part, avec dispense de rapport dans sa succession future » à son neveu, M. C______, qui acceptait, d’une partie de la parcelle concernée en pleine propriété et « vendre l’autre partie de ladite parcelle » à M. C______ et à Mme D______, qui acceptaient d’acquérir une part de copropriété de 90% pour le premier et une part de copropriété de 10% pour la seconde.

Sous un titre « création d’un droit d’habitation spécifique », un droit d’habitation personnel et incessible a été créé en faveur de Mme B______, lui permettant de bénéficier de l’usage exclusif des locaux sis au premier étage du bâtiment sis sur la parcelle, d’une place de parking dans le garage et d’utiliser conjointement avec les propriétaires la buanderie et le couloir permettant d’y accéder.

Sous un titre « déclaration pour l’enregistrement, prix et modalités de paiement », il était indiqué que la valeur de la parcelle en cause était de CHF 1'200'000.-, la valeur du droit d’habitation, portant sur la moitié de la maison, étant de CHF 230'640.-, fixée par capitalisation sur le prix de vente selon les tables de capitalisation de E______, avec un taux d’intérêt technique de 2%. La valeur nette de la parcelle vendue était de CHF 969'360.-, dont CHF 230'000.- de donation en faveur de M. C______ et une vente à hauteur de CHF 737'360.-, versés sur le compte du notaire.

2. L’acte susmentionné a été enregistré le 16 décembre 2016 par le service de l’enregistrement de l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE), qui a établi immédiatement un avis de taxation fixant les droits d’enregistrement à CHF 143'384.90, répartis à raison de CHF 22'120.80 pour une opération de vente immobilière de CHF 736'360.- et CHF 121'264.10, centimes additionnels, pour une donation de 4ème catégorie de CHF 462'640.-.

3. Le 31 janvier 2017, le notaire a formé réclamation contre le bordereau précité. L’AFC-GE n’avait pas tenu compte de la déduction de la valeur du droit d’habitation. Ce dernier ayant la même valeur juridique et fiscale qu’un usufruit, il convenait de lui appliquer l’art. 26 al. 2 de la loi sur les droits d’enregistrement du 9 octobre 1969 (LDE - D 3 30).

4. Le 3 mars 2017, l’AFC-GE a rejeté la réclamation du notaire.

L’art. 26 al. 2 LDE ne s’appliquait que lorsque les biens étaient grevés d’un usufruit au profit d’un tiers et non du donateur.

5. Le 27 mars 2017, le notaire a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre la décision susmentionnée, concluant à son annulation et demandant à ce que la taxation de la partie donation ne porte que sur la somme de CHF 232'000.- et la taxation de la partie vente sur le montant de CHF 968'000.-.

L’acte instrumenté était une donation mixte, soit une donation à concurrence de CHF 232'000.- et une vente pour le solde, dont le prix a été acquitté en partie par consentement d’un droit d’habitation et en partie par versement en espèces.

6. Le 29 juin 2017, l’AFC-GE a persisté dans sa décision.

Selon l’acte notarié, l’opération instrumentée était une donation immobilière mixte à M. C______ et une vente à M. C______ et Mme D______. La donation était mixte, ce ne pouvait être qu’en référence à une libéralité en partie gratuite, en l’espèce la donation de CHF 232'000.-, et en partie onéreuse, soit le droit d’habitation.

7. Dans sa réplique du 5 juillet 2017, le notaire a relevé que la réelle et commune intention des parties était de faire une donation en CHF 232'000.-, d’octroyer à la donatrice, à titre de modalité du prix de vente, un droit d’habitation, le solde étant acquitté par versement en espèces.

8. Le 31 juillet 2017, l’AFC-GE a persisté dans son argumentation.

9. Par jugement du 15 janvier 2018, le TAPI a admis partiellement le recours. Il a annulé la décision querellée ainsi que le bordereau du 16 décembre 2016 et renvoyé la cause à l’AFC-GE pour novelle décision dans le sens des considérants.

Il découlait de l’acte notarié que c’était tout d’abord la valeur du droit d’habitation qui avait été déterminée, puis celle de la donation, le montant de la vente, établi par défaut, correspondant au solde. Appréhender le droit d’habitation comme étant entièrement une donation ou comme faisant entièrement partie de la vente ne correspondait pas à la réelle intention des parties. Il se justifiait dès lors de répartir la valeur de cette servitude entre donation et vente, en proportion de la valeur respective de la donation et de la vente.

10. Le 23 février 2018, l’AFC-GE a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) contre le jugement susmentionné, concluant à son annulation et à la confirmation de sa décision sur réclamation.

Elle reprenait son argumentation antérieure, relevant que le notaire avait initialement soutenu que le droit d’habitation était une composante de la donation et que ce n’était qu’au stade du recours devant le TAPI qu’il en avait fait une composante de la vente. En présence de cette contradiction, il fallait donner la préférence à la première position défendue.

11. Le 27 février 2018, le TAPI a transmis son dossier, sans observations.

12. Le 20 mars 2018, le notaire a conclu au rejet du recours, persistant dans les arguments développés devant le TAPI.

Bien que le titre de son acte ait été scindé en deux volets, « donation mixte » et « vente », le caractère mixte de la donation résultait du fait que la donatrice avait consenti en faveur de son neveu une donation par réduction du prix de vente et que le solde, soit CHF 737'360.- avait été acquitté en espèces. Elle n’avait jamais voulu faire donation à son neveu de la somme de CHF 463'460.-. Cela étant, elle pouvait se rallier au raisonnement du TAPI.

13. Après un second échange d’écritures au cours duquel les parties ont maintenu leur position, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. La chambre administrative est liée par les conclusions des parties, mais non par les motifs qu’elles invoquent (art. 69 al. 1 LPA).

3. Le litige porte sur les droits d’enregistrement frappant le droit d’habitation consenti dans le cadre de la donation immobilière mixte et vente instrumentés dans l’acte notarié du 15 décembre 2016.

4. Les droits d’enregistrement sont un impôt qui frappe toute pièce, constatation, déclaration, condamnation, convention, transmission, cession et en général toute opération ayant un caractère civil ou judiciaire soumises soit obligatoirement soit facultativement à la formalité de l’enregistrement (art. 1 al. 1 de la loi sur les droits d’enregistrement du 9 octobre 1969 - LDE - D 3 30).

Les actes authentiques dressés dans le canton de Genève par les notaires (art. 3 let. a LDE) et toute disposition entre vifs par laquelle une personne physique ou morale cède, sans contrepartie correspondante, à une autre personne physique ou morale, tout ou partie de ses biens ou de ses droits, en propriété, en nue-propriété ou en usufruit, est, en tant que donation, soumise obligatoirement aux droits d’enregistrement (art 3 let. h et 11 al. 1 LDE). Est également réputé donation, tout abandon de biens, de droits ou d’autres avantages semblables, ainsi que toute remise de dette, concédés à titre gratuit (art. 11 al. 2 LDE). La différence de valeur constatée dans un acte à titre onéreux entre les prestations des parties, est présumée donation, sauf preuve contraire (art. 11 al. 3 LDE).

Les droits sur les donations entre vifs sont perçus sur la valeur des biens donnés, sous déduction de celle des dettes non prescrites du donateur, mises à la charge du donataire par l’acte de donation et dûment justifiées, mais sans aucune distraction pour les charges et sans tenir compte des conditions de la donation (art. 18 al. 1 LDE). Pour la perception des droits, il n’est pas tenu compte de la réserve d’usufruit faite au profit du donateur (art. 18 al. 5 LDE). Lorsque la donation a pour objet la nue-propriété de biens grevés d’usufruit au profit d’un tiers, le droit est perçu sur la valeur de la pleine propriété, diminuée de la valeur de l’usufruit (art. 26 al. 2 LDE).

5. En l’espèce, la recourante soutient que le droit d’habitation visé dans l’acte litigieux est une composante de la donation et doit être appréhendé sous ce seul angle pour la taxation.

L’intitulé de l’acte notarial litigieux est à cet égard sans équivoque  et permet de retenir que le caractère mixte ne touche que l’aspect donation immobilière, la vente étant clairement distinguée, comme elle l’est dans les autres parties de l’acte. À rigueur de texte, la donation pure porte de manière non équivoque sur une partie non individualisée de la parcelle en cause à laquelle est attribuée la valeur de CHF 232'000.-. L’aspect mixte de l’opération ne peut porter que sur la constitution du droit d’habitation, au profit de la donatrice, portant sur une partie de la parcelle, personnel, incessible et s’éteignant au décès ou au changement de domicile de sa bénéficiaire et dont la valeur capitalisée a été intégralement portée en déduction de la valeur estimée de la parcelle, réduisant d’autant le prix à payer par les acquéreurs. Au décès ou lors du déménagement de sa bénéficiaire, la parcelle retrouvera sa valeur d’origine, au profit des propriétaires qui auront par ailleurs pu user de la partie non grevée de la parcelle considérée.

Comme le relève la recourante, c’est bien de cette constitution du droit d’habitation en faveur de la donatrice que résultait le caractère mixte de la donation pour le notaire, puisque celui-ci a initialement contesté la taxation litigieuse en invoquant l’identité juridique et fiscale entre usufruit et droit d’habitation pour se prévaloir de l’art. 26 al. 2 LDE. Ce n’est qu’après que son attention eût été attirée sur l’art. 18 al. 5 LDE, excluant la réserve d’usufruit faite au profit du donateur qu’il a cherché à interpréter le contenu de l’acte qu’il avait instrumenté, soutenant que la donation mixte se confondait avec la seule donation de CHF 232'000.- et que la concession du droit d’habitation était une simple modalité d’acquittement du prix de vente. Si tel avait été le cas, on ne voit pas pour quelle raison l’intitulé de l’acte mentionnerait une donation immobilière mixte. C’est le lieu de relever qu’il n’est pas douteux que la volonté de donner purement et simplement de la donatrice ait porté sur un montant de CHF 232'000.- puisque pour le reste, il s’agit d’une opération mixte.

C’est ainsi à juste titre que, sous l’angle fiscal, l’AFC-GE a appréhendé la constitution du droit d’habitation sous l’angle de la donation, de sorte que son recours sera admis et le jugement querellé sera annulé.

6. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de l’intimé, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA) et aucun indemnité de procédure ne lui sera allouée.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 février 2018 par l’administration fiscale cantonale contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 15 janvier 2018 ;

au fond :

l’admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 15 janvier 2018 ;

rétablit la décision sur réclamation de l’administration fiscale cantonale du 3 mars 2017 ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Madame A______ ;

dit qu’il ne lui est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à l’administration fiscale cantonale, à Madame A______, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Krauskopf présidente, Mme Junod, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Krauskopf

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :