Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/1438/2012

ATA/819/2013 du 17.12.2013 ( LCR ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1438/2012-LCR ATA/819/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 décembre 2013

en section

 

dans la cause

 

Monsieur H______
représenté par Me Christian Luscher, avocat

contre

DIRECTION GÉNÉRALE DES VÉHICULES


 

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 27 août 2012 (JTAPI/977/2012)



EN FAIT

1) Monsieur H______, domicilié chez Madame G______, chemin du C______ ______, à Vessy, est titulaire d'un permis de conduire suisse de catégorie B délivré le 1er avril 1952.

2) Le 10 février 2012, le préfet de Morges a condamné M. H______ à une amende de CHF 400.- pour avoir circulé au volant de sa voiture, le 3 janvier 2012, sur l'autoroute A1 à la hauteur de Morges Ouest, sans vouer toute son attention à la circulation et avoir perdu la maîtrise de son véhicule qui est parti en embardée.

3) Le 13 février 2012, l'office cantonal des automobiles et de la navigation du canton de Genève (ci-après : OCAN), devenu le 1er janvier 2013 l’office cantonal des véhicules, puis, depuis le 11 décembre 2013, la direction générale des véhicules, a informé par écrit M. H______, à son adresse officielle chez Mme G______, qu'une mesure administrative pouvait être prise à son encontre et l'a invité à faire part de ses observations éventuelles dans un délai de quinze jours. Aucune réponse n'a été donnée à ce courrier.

4) Par pli recommandé du 6 mars 2012, toujours envoyé à son adresse officielle, l'OCAN a signifié à M. H______ un retrait de permis d'une durée de douze mois.

5) Selon le relevé track and trace de La Poste, ce pli est arrivé le 7 mars 2012 à 07h38 à l'office de distribution de Carouge et a fait l'objet d'une distribution infructueuse au domicile de Mme G______, le même jour à 12h25. Il a alors été gardé par La Poste, Mme G______ ayant donné pour instructions de conserver son courrier en poste restante pour la période du 13 février au 14 avril 2012.

6) Le 30 mars 2012, Mme G______ s'est présentée à l'office postal de Carouge pour annuler sa demande de garde et a pris possession de son courrier.

7) Le 14 avril 2012, Mme G______ a été informée qu'une partie du courrier avait été transmise par erreur à l'office postal de Vessy où elle est allée le récupérer le même jour.

8) Le 24 avril 2012 à 07h37, le pli recommandé de l'OCAN, du 6 mars 2012, a été transmis par l'office postal de Vessy, où il était resté par mégarde, à l'office de Carouge qui l'a distribué le même jour à 11h05 à Mme G______.

9) Dans son courrier d’excuses, envoyé à M. H______, le 27 avril 2012, La Poste a précisé ce qui suit :

« L’envoi recommandé (…) ne figurait (…) pas dans le courrier qui a été distribué le 14 avril 2012 à Madame G______.

Cet envoi a malheureusement été gardé jusqu'au 24.04.2012, date à laquelle il a été distribué. Le pli recommandé a donc été conservé à la poste bien que la demande de garde de courrier était déjà expirée depuis le 30 mars 2012.

Vous n'aviez donc aucun moyen de connaître, avant le 24.04.2012, l'existence de l'envoi recommandé (…).

Il s'agit d'une erreur de La Poste Suisse. Nous regrettons sincèrement cet incident et vous prions de bien vouloir accepter nos excuses ».

10) Par acte de son conseil du 14 mai 2012, M. H______ a interjeté recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre la décision de l’OCAN du 6 mars 2012.

A la forme, son recours était recevable, dans la mesure où le délai de recours de trente jours n'avait commencé à courir que le 24 avril 2012, date à laquelle il avait pu prendre connaissance de la décision.

Au fond, la faute commise devait être considérée comme légère, voire moyennement grave. L'antécédent du 2 avril 2006 ne devait pas être pris en compte, et seul un avertissement ou un retrait de permis de conduire pour une durée d'un mois maximum ne pouvait être prononcé.

11) Par jugement du 27 août 2012, le TAPI a déclaré le recours irrecevable pour cause de tardiveté. Se référant à la jurisprudence en la matière, il a retenu qu'un envoi recommandé qui n'a pas pu être distribué est réputé notifié le dernier jour du délai de garde de sept jours suivant la remise de l'avis d'arrivée dans la boîte aux lettres du destinataire; des arrangements avec La Poste, tels que la conservation du courrier en poste restante, ne permettent pas de repousser cette échéance au dernier jour du délai de garde. En l'espèce, et compte tenu des suspensions de délai prévues par l'art. 17 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), le délai de recours était venu à échéance le 30 avril 2012, de sorte que le recours formé le 14 mai 2012 était tardif, aucun cas de force majeure n'ayant été établi ni même allégué.

12) Par acte du 28 septembre 2012, M. H______ a interjeté recours contre ce jugement auprès de la chambre administrative de la Cour de Justice (ci-après : la chambre administrative). Il a conclu, « sous suite de dépens », à l’annulation du jugement du TAPI.

S'agissant de la recevabilité de son recours, il s'est référé à l'art. 62 al. 5 LPA qui prévoit que « lorsqu'une personne à qui une décision devait être notifiée ne l'a pas reçue, sans sa faute, le délai de recours court du jour où cette personne a eu connaissance de la décision ». Cette disposition était, selon lui, applicable, dans la mesure où si le pli recommandé de l'OCAN du 6 mars 2012 avait été correctement remis à Mme G______ le 30 mars 2012, date à laquelle elle s'était présentée à La Poste pour retirer tout le courrier qu'elle avait demandé de conserver poste restante, il aurait eu la possibilité de recourir dans le délai de trente jours dès la décision de l'OCAN, soit jusqu'au 6 avril 2012, respectivement jusqu'au 14 avril 2012, l'échéance du délai de garde de sept jours dès la tentative infructueuse de notification étant intervenue le 14 mars 2012. C'était exclusivement à la suite d'une erreur de La Poste – que celle-ci avait reconnue et pour laquelle elle avait présenté des excuses – que le pli de l'OCAN ne lui avait été remis que le 24 avril 2012. Ainsi, on ne pouvait lui reprocher de ne pas avoir pris les dispositions nécessaires pour recevoir son courrier en temps utile et c'était sans sa faute qu'il n'avait pu prendre connaissance de la décision querellée que le 24 avril 2012 ; c'était donc à partir de cette date seulement que le délai de recours de trente jours avait commencé à courir.

13) Par arrêt du 30 octobre 2012, la chambre administrative a rejeté le recours du 28 septembre 2012. Le TAPI n’avait pas fait preuve d’un formalisme excessif. Après avoir commis une infraction le 3 janvier 2012, M. H______ devait s’attendre à recevoir de l’OCAN une mesure administrative. Retenir, comme il le souhaitait, la date du 24 avril 2012 comme étant celle à laquelle la décision querellée lui avait été signifiée, prolongerait de manière indue le délai de recours, contrevenant ainsi au principe d’égalité de traitement.

14) Le 5 décembre 2012, M. H______ a formé un recours de droit public auprès du Tribunal fédéral, invoquant essentiellement une application arbitraire par l'autorité cantonale du droit cantonal de procédure, la violation des garanties constitutionnelles d'accès au juge et la violation du droit d'être entendu. S'agissant plus particulièrement de ce dernier grief, il a reproché à la chambre administrative de ne pas avoir examiné la question de l'application éventuelle de l'art. 62 al. 5 LPA selon lequel le délai de recours commence à courir dès la connaissance effective de la décision par le recourant lorsque celui-ci apporte la preuve qu'il ne l'a pas reçue en temps utile sans sa faute.

15) Par arrêt du 27 février 2013, le Tribunal fédéral a admis le recours, annulé l'arrêt de la chambre administrative du 30 octobre 2012 et renvoyé la cause pour nouvelle décision. Il a considéré que le droit d'être entendu de M. H______ n'avait pas été respecté, dans la mesure où l'autorité inférieure avait omis d'examiner l'application éventuelle de l'article 62 al. 5 LPA, alors même qu'il avait expressément invoqué cette disposition dans son recours; ainsi, en ne discutant pas un grief valablement présenté et qui n'était pas, de prime abord, dépourvu de pertinence pour l'issue du litige, la chambre administrative avait violé le droit d'être entendu du recourant et la cause devait lui être retournée pour statuer sur ledit grief.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a LPA).

2) Une décision est arbitraire lorsqu'elle méconnaît gravement une règle de droit ou un principe juridique clair et indiscuté, ou qu'elle contredit de manière choquante le sentiment de la justice ou de l'équité. L'arbitraire ne résulte donc pas du seul fait qu'une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu'elle serait préférable. Par ailleurs, pour qu'une décision soit annulée pour cause d'arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 129 I p. 8).

3) Selon le principe de la réception, applicable à toute communication ou notification, une décision ne peut déployer ses effets qu'à partir du moment où elle est communiquée à celui dont elle affecte la situation juridique. Le destinataire doit être mis dans la situation où la prise de connaissance de la décision ne dépend plus que de lui ou de son représentant. Par conséquent, « est déterminant pour le début des délais qui commencent à courir dès la réception d'un acte judiciaire le moment de l'entrée de cet acte dans la sphère de puissance du destinataire » (ATF 122 III p. 316 consid. 4 = JdT 1998 p. 190; P. MOOR/E. POLTIER, Droit administratif, 3e éd., Berne 2011, vol. II, p. 352 ad 2.2.8.4).

S'agissant des principes généraux applicables à la notification des décisions soumises à réception et de computation des délais en cas de conservation du courrier en « poste restante » et repris dans l'arrêt de la chambre administrative du 30 octobre 2012, il a été admis de façon constante qu'un envoi recommandé qui n'a pas pu être distribué est réputé notifié le dernier jour du délai de garde de sept jours suivant la remise de l'avis d'arrivée dans la boîte aux lettres ou dans la case postale de son destinataire, pour autant que celui-ci ait dû s'attendre, avec une certaine vraisemblance, à recevoir une communication de l'autorité, ce qui est le cas chaque fois qu'il est partie à une procédure pendante. Le délai de garde de sept jours n'est pas prolongé lorsque La Poste permet de retirer le courrier dans un délai plus long, par exemple à la suite d'une demande de garde. Des accords particuliers avec La Poste ne permettent pas de repousser l'échéance de la notification, réputée intervenue à l'échéance du délai de sept jours (ATF 6B_239/2011 du 22 mars 2012 dans la cause X c/ Parquet général du canton de Berne et les références citées).

4) Aux termes de l'art. 62 al. 5 LPA, « lorsqu'une personne à qui une décision devait être notifiée ne l'a pas reçue, sans sa faute, le délai de recours court du jour où cette personne a eu connaissance de la décision ».

Cette disposition, qui déroge aux principes généraux en matière de notification rappelés ci-dessus, est à mettre en relation avec le principe de la bonne foi qui régit les relations entre l'Etat et les administrés ; conformément au principe du fardeau de la preuve, il incombe à celui qui s'enprévaut de démontrer sa bonne foi, soit que c'est sans sa faute qu'il n'a pas reçu la décision qui devait lui être notifiée.

5) En l’espèce, il est exact que la décision de l'OCAN, du 6 mars 2012, a fait l'objet d'une tentative infructueuse de distribution le 7 mars 2012 et que le délai de garde du pli par La Poste est venu à échéance le 14 mars 2012 ; ainsi et en application des principes généraux relatifs à la notification, le délai de recours de trente jours a commencé à courir dès cette date, nonobstant la demande de conservation du courrier en « poste restante ». Par ailleurs, vu la procédure en cours, le recourant pouvait raisonnablement s'attendre à recevoir une décision de l'OCAN et devait donc prendre toutes les dispositions nécessaires pour recevoir son courrier en temps utile.

Toutefois, le 30 mars 2012, soit durant le délai de recours, Mme G______ s'est présentée à La Poste pour mettre fin à la demande de conservation et retirer tout son courrier, ainsi que celui du recourant. Ils étaient tous deux de bonne foi fondés à considérer que le paquet qui leur avait été remis à cette occasion contenait de façon exhaustive l'intégralité du courrier qui leur avait été destiné durant la période de garde, soit entre le 13 février et le 30 mars 2012. Or, ledit paquet ne contenait pas le pli recommandé de l'OCAN du 6 mars 2012.

Le 14 avril 2012, Mme G______ a été avisée que certains plis avaient été acheminés par erreur à un autre office postal où elle est allée les retirer le même jour; elle-même et le recourant étaient alors confortés dans l'idée qu'ils avaient cette fois-là reçu la totalité de leur courrier. Là encore, le pli recommandé de l'OCAN ne se trouvait pas dans ce paquet complémentaire.

Ce n'est que le 24 avril 2012 qu'un employé de La Poste s'est présenté chez Mme G______ pour lui remettre le pli recommandé de l'OCAN du 6 mars 2012.

Il résulte incontestablement de ce qui précède que le recourant a pris toutes les dispositions qu'on était en droit d'attendre de lui pour recevoir son courrier en temps utile, notamment le pli de l'OCAN du 6 mars 2012. Le retard dans la distribution de ce pli est exclusivement dû à une erreur de la part de La Poste qui a reconnu ses torts et présenté ses excuses au recourant; aucune faute ne peut donc être retenu contre celui-ci.

Il doit ainsi, sous peine d'arbitraire, être retenu que ce n'est que le 24 avril 2012 que la décision de l'OCAN est parvenue dans la sphère de connaissance du recourant.

Dans ces conditions, il y a lieu de faire application de l'art. 62 al. 5 LPA et considérer que le délai de recours n'a commencé à courir que le 24 avril 2012 et est arrivé à échéance le 24 mai 2012. En conséquence, le recours interjeté le
14 mai 2012 par M. H______ contre la décision de l'OCAN du 6 mars 2012 était recevable, ayant été interjeté dans le délai utile.

6)Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et la cause renvoyée au Tribunal administratif de première instance pour jugement sur le fond.

7) Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée au recourant à la charge de l’Etat de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 septembre 2012 par Monsieur H______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 27 août 2012 ;

au fond :

l’admet ;

retourne la cause au Tribunal administratif de première instance pour jugement sur le fond ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue au recourant une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l’Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Christian Luscher, avocat du recourant, ainsi qu'à la direction générale des véhicules.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, juge, Mme Barbey, juge suppléante.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :