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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3901/2014

ATA/808/2018 du 07.08.2018 sur JTAPI/1089/2016 ( ICC ) , ADMIS

Recours TF déposé le 21.08.2018, rendu le 21.01.2019, REJETE, 2C_686/2018
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3901/2014-ICC ATA/808/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 7 août 2018

 

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

contre

Monsieur A______

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 octobre 2016 (JTAPI/1089/2016)


EN FAIT

1) Monsieur A______ était domicilié en 2011 dans le canton de Genève.

2) Dans sa déclaration fiscale 2011 adressée le 28 juin 2012 à l’administration fiscale cantonale (ci-après : l'AFC-GE), il a déclaré un montant de CHF 20'000.- au titre de charge de famille, pour les impôts cantonaux et communaux (ci-après : ICC).

Dans l’annexe G2 « charge(s) de famille », il a indiqué avoir versé en 2011 un montant de CHF 6'500.- en faveur de Monsieur B______ et un montant de CHF 6'500.- en faveur de Madame B______, soit son père et sa mère, tous deux domiciliés en Serbie, nés respectivement en 1935 et 1936.

3) Le 17 juillet 2012, l’AFC-GE a demandé à M. A______ de lui remettre tout document officiel attestant que ses parents étaient dans l’incapacité de subvenir entièrement à leurs besoins, une attestation des autorités fiscales ou toute pièce officielle justifiant leurs revenus et fortune et la justification des versements effectués par le contribuable durant l’année 2011.

4) Le 9 août 2011, M. A______ a transmis à l’AFC-GE deux attestations distinctes, une pour chacun de ses parents, de l’autorité fiscale serbe relatives à leurs éléments de revenu et de fortune, ceux-ci étant nuls, à l’exception d’un montant de 39.25 dinars serbes au chapitre des revenus du père. Il a en outre produit la liste des montants qu’il leur avait versés par virements bancaires en 2011, représentant un total de CHF 2'759.22.

5) Le 13 septembre 2012, l’AFC-GE a adressé aux contribuables un bordereau ICC pour l’année fiscale 2011 dans lequel elle a admis la déduction d’un montant de CHF 2'759.- au titre de charges de famille. En matière d’aide financière apportée à des proches nécessiteux domiciliés à l’étranger, seuls des versements bancaires justifiés étaient admis en déduction.

6) Le 11 octobre 2012, M. A______ a formé réclamation auprès de l’AFC-GE contre le bordereau ICC 2011, contestant le refus de déduire deux charges de famille de CHF 10'000.- chacune.

Il était le seul à pourvoir à l’entretien de ses parents, ses deux frères vivant en Thurgovie n’étant pas en mesure d’y participer. Il envoyait régulièrement de l’argent par transfert à ses parents et il leur remettait en outre des montants en espèce ou en nature lorsqu’il se rendait en Serbie, à raison de trois fois par an. La déduction de CHF 10'000.- prévue par la législation fiscale cantonale était forfaitaire, et s’appliquait dès que les conditions pour admettre une charge de famille étaient réunies. Il n’y avait pas de minimum à verser pour que la déduction soit admise, contrairement à ce que prévoyait la législation fédérale en matière d’impôt fédéral direct (ci-après : IFD).

7) Le 17 décembre 2014, l’AFC-GE a admis partiellement la réclamation susmentionnée, admettant 1/3 de charge pour chacun des deux parents, soit une déduction totale de CHF 6'666.-.

8) Le 17 décembre 2014, le contribuable a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre la décision susmentionnée, concluant implicitement à son annulation et à la déduction de deux charges de famille. On ne pouvait pas lui demander la preuve d’un fait négatif, soit l’impossibilité pour ses frères de contribuer à l’entretien de leurs parents.

9) Le 13 avril 2015, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

La déduction pour charge de famille prévue par la législation fiscale cantonale n’était pas forfaitaire. Il y avait une lacune proprement dite dans la mesure où cette disposition n’appréhendait pas la situation dans laquelle l’aide apportée était inférieure au montant de la déduction, lacune qui devait être comblée de manière à respecter les principes de la capacité contributive et de l’égalité de traitement entre contribuables. La pratique usuelle de l’AFC-GE en la matière, soit d’admettre la déduction des montants effectivement versés jusqu’à CHF 10'000.-, était conforme à ces principes. La décision querellée devait être réformée dans ce sens, au détriment du contribuable.

10) Par jugement du 3 octobre 2016, le TAPI a admis le recours, retenant, après interprétation du texte légal applicable, que le contribuable devait être mis au bénéfice de deux charges de famille entières, de CHF 10'000.- chacune, pour l’année fiscale 2011.

11) Le 28 novembre 2016, l’AFC-GE a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement susmentionné, concluant à son annulation et à la confirmation que seul soit admis en déduction du revenu du contribuable, le montant qu’il avait effectivement versé pour l’entretien de ses parents en 2011, soit CHF 2'759.-. Elle reprenait son argumentation exposée devant le TAPI.

12) Le 5 décembre 2016, le TAPI a transmis son dossier, sans observations.

13) Le 3 janvier 2017, le contribuable a conclu à la confirmation du jugement querellé, reprenant ses développements antérieurs.

14) Le 17 janvier 2017, l’AFC-GE a persisté dans son recours.

15) Sur quoi les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 7 al. 2 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 3 17).

2) Le litige porte sur la déductibilité effective ou forfaitaire de l’aide financière apportée en 2011 par l’intimé à ses deux parents domiciliés en Serbie.

3) a. En matière fiscale, la garantie de l’art. 8 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) est concrétisée par les principes de la généralité et de l’égalité de l’imposition, ainsi que par le principe de la proportionnalité de la charge fiscale fondée sur la capacité économique, lesquels ont été codifiés à l’art. 127 al. 2 Cst. (ATF 141 I 235 consid. 7.1). En vertu des principes de l’égalité d’imposition et de l’imposition selon la capacité contributive, les contribuables qui sont dans la même situation économique doivent supporter une charge fiscale semblable ; lorsqu’ils sont dans des situations de fait différentes qui ont des effets sur leur capacité économique, leur charge fiscale doit en tenir compte et y être adaptée. D’après le principe de la proportionnalité de la charge fiscale à la capacité contributive, chaque citoyen doit contribuer à la couverture des dépenses publiques, compte tenu de sa situation personnelle et en proportion de ses moyens (ATF 140 II 157 consid. 7.1).

b. Le principe de la légalité gouverne l’ensemble de l’activité de l’État (art. 5 al. 1 et 36 al. 1 Cst.) et revêt une importance particulière en droit fiscal, où il est érigé en droit constitutionnel indépendant à l’art. 127 al. 1 Cst., lequel prévoit que les principes généraux régissant le régime fiscal, notamment la qualité de contribuable, l’objet de l’impôt et son mode de calcul, doivent être définis par la loi (ATF 135 I 130 consid. 7.2).

c. Les déductions sociales et les barèmes ont pour but d’adapter, de manière schématique, la charge d’impôt à la situation personnelle et économique particulière de chaque catégorie de contribuables conformément au principe de l’imposition selon la capacité économique de l’art. 127 al. 2 Cst. Ce sont autant d’ajustements légaux de la charge fiscale qui montrent que le législateur a distingué les catégories de contribuables en fonction de leur capacité économique de façon à établir entre elles et, sous cet angle restreint, une certaine égalité de traitement. La réglementation légale en matière de déductions comprend nécessairement un certain schématisme en raison de la multiplicité des situations individuelles à considérer, ce qui est toutefois, de manière générale, compatible avec les principes ancrés à l’art. 127 Cst. Le Tribunal fédéral a retenu à plusieurs reprises qu’il n’est pas réalisable, pour des raisons pratiques, de traiter chaque contribuable de façon exactement identique d’un point de vue mathématique et que, de ce fait, le législateur est autorisé à choisir des solutions schématiques. S’il n’est pas possible de réaliser une égalité absolue, il suffit que la réglementation n’aboutisse pas de façon générale à une charge sensiblement plus lourde ou à une inégalité systématique à l’égard de certaines catégories de contribuables. À cela s’ajoute que les possibilités de comparer les différentes situations restent limitées (ATF 141 II 338 consid. 4.5 et les références citées).

4) a. La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme au regard notamment de la volonté du législateur, telle qu’elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, en particulier de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique ; ATF 140 II 202 consid. 5.1). Appelé à interpréter une loi, le juge ne privilégie aucune de ces méthodes, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique (ATF 139 IV 270 consid. 2.2).

Bien que les travaux préparatoires ne lient pas le juge, ils ne sont pas dénués d’intérêt et peuvent s’avérer utiles pour dégager le sens d’une norme (ATF 135 II 78 consid. 2.2). Ils ne seront toutefois pris en considération que s’ils donnent une réponse claire à une disposition légale ambiguë et qu’ils trouvent expression dans le texte de la loi (ATF 124 III 126 consid. 1b).

b. Le juge est en principe lié par un texte clair et sans équivoque. Ce principe n’est toutefois pas absolu, dès lors que le texte d’une norme peut ne pas correspondre à son sens véritable. L’autorité qui applique le droit ne peut ainsi s’en écarter que s’il existe des motifs sérieux de penser que sa lettre ne correspond pas en tous points au sens véritable de la disposition visée. De tels motifs sérieux peuvent résulter des travaux préparatoires, du fondement et du but de la prescription en cause, de même que de sa relation avec d’autres dispositions (ATF 138 II 557 consid. 7.1). En dehors du cadre ainsi défini, des considérations fondées sur le droit désirable ne permettent pas de s’écarter du texte clair de la loi, surtout si elle est récente (ATF 118 II 333 consid. 3e).

c. Les normes fiscales sont soumises aux mêmes règles d’interprétation que les autres domaines du droit administratif. Le juge doit toutefois faire preuve d’une certaine circonspection lorsqu’il procède à leur interprétation, afin de respecter les impératifs propres à la portée particulière que revêt le principe de la légalité dans ce domaine. Il s’agit, en particulier, d’éviter que soient créés, par le biais d’une interprétation extensive, de nouveaux cas d’assujettissement, de nouvelles matières imposables ou de nouveaux faits générateurs d’imposition (ATF 131 II 562 consid. 3.4). Dès lors, les états de fait non visés par la loi ne peuvent être imposés, même s’ils découlent d’un oubli du législateur. L’interprétation par analogie, selon laquelle la loi doit s’appliquer aussi aux états de fait comparables à ceux que la loi fiscale appréhende, n’est pas non plus admise en droit fiscal (Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 4ème édition, 2012, n. 10).

5) a. L’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques (art. 16 al. 1 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 - LIFD - RS 642.11). Le revenu net se calcule en défalquant du total des revenus imposables les déductions générales et les frais mentionnés aux art. 26 à 33a LIFD (art. 25 LIFD).

L’art. 35 al. 1 let. b LIFD prévoit que sont déduits du revenu net CHF 6'500.- pour chaque personne totalement ou partiellement incapable d’exercer une activité lucrative, à l'entretien de laquelle le contribuable pourvoit, à condition que son aide atteigne au moins le montant de la déduction. Cette disposition permet de tenir compte de la diminution de la capacité contributive du contribuable, qui par obligation juridique ou par devoir moral, entretient un proche (arrêt du Tribunal fédéral 2C_421/2010 du 2 novembre 2011 consid. 2.1 ; ATA/482/2018 du 15 mai 2018).

b. En droit genevois, l’impôt sur le revenu a pour objet tous les revenus, prestations et avantages du contribuable, qu’ils soient uniques ou périodiques, en espèces ou en nature et quelle qu’en soit l’origine, avant déductions (art. 17 LIPP). Le revenu net se calcule en défalquant du total des revenus imposables les déductions générales et les frais mentionnés aux art. 29 à 37 LIPP (art. 28 LIPP).

Sont ensuite déduites du revenu net annuel, au titre des déductions sociales, notamment celles pour charges de famille. L’art. 39 al. 1 LIPP prévoit ainsi qu’est déduit du revenu annuel net CHF 10'000.- pour chaque charge de famille (let. a) ou CHF 5'000.- pour chaque demi-charge de famille (let. b). Selon l’art. 39 al. 2 let. c LIPP, constituent des charges de famille les ascendants et descendants (dans les autres cas que ceux visés à l’art. 38 al. 2 let. a et b LIPP, non pertinents en l’espèce), frères, sœurs, oncles, tantes, neveux et nièces, incapables de subvenir entièrement à leurs besoins, qui n’ont pas une fortune supérieure à CHF 87'500.- ni un revenu annuel supérieur à CHF 15'333.- (charge entière) ou à CHF 23'000.- (demi-charge), pour celui de leur proche qui pourvoit à leur entretien.

c. De jurisprudence constante, la notion de proches incapables de subvenir entièrement à leurs besoins est interprétée strictement : le proche à charge doit faire partie des membres de la famille énoncés à l’art. 39 al. 2 let. c LIPP et il ne doit pas être capable, en raison de son âge ou d’une déficience qui lui est propre, de gagner sa vie, d’occuper un emploi rémunéré ou d’avoir une activité produisant un gain supérieur aux minima légaux. Cette interprétation respecte l’exigence de stabilité voulue par le législateur et limite les déductions accordées aux contribuables à des situations bien précises, en ne prenant en compte que les particularités propres aux personnes en situation de besoin (ATA/167/2018 du 20 février 2018 et la référence citée).

La notion de « proche nécessiteux » a été reprise de l’art. 14 al. 5 let. c de la loi sur l’imposition des personnes physiques - détermination du revenu net - calcul de l’impôt et rabais d’impôt - compensation des effets de la progression à froid du 22 septembre 2000 (aLIPP-V), dont les travaux préparatoires se réfèrent, sans autre commentaire, à l’art. 32 al. 1 let. b du projet de loi (ci-après : PL) 7'532 du Conseil d'État sur l'imposition des personnes physiques du 8 novembre 1996 (MGC 2000 22/IV 3574 ; ATA/167/2018 précité et la référence citée). L’art. 32 al. 1 let. b du PL 7'532 indiquait toutefois, contrairement à la disposition correspondante de l’aLIPP-V, qu’étaient déduits du revenu net CHF 5'000.- pour toute autre personne (que celles mentionnées à la let. b), totalement ou partiellement incapable d’exercer une activité lucrative, à l’entretien de laquelle le contribuable pourvoit, à condition que son aide atteigne au moins le montant de la déduction.

6) a. Le 16 janvier 2008, plusieurs députés ont déposé auprès du Grand Conseil le PL 10'199 sur l’imposition des personnes physiques, dont l’art. 39 al. 1 prévoyait des déductions pour charges de famille pour les enfants mineurs (let. a), les enfants majeurs (let. b), les proches incapables de subvenir entièrement à leurs besoins (let. c), les ascendants, oncles et tantes (let. d) et les personnes handicapées vivant au domicile du contribuable (let. e). Selon l’art. 39 al. 2 let. b du PL 10'199, étaient déduits du revenu CHF 12'000.- au plus pour tous les proches au sens de l’art. 39 al. 1 let. c du PL 10'199, totalement ou partiellement incapables d’exercer une activité lucrative, à l’entretien desquels le contribuable pourvoyait, à concurrence des montants effectivement versés. Pour les autres proches mentionnés à l’art. 39 al. 1 let. d et e du PL 10'199 vivant au domicile du contribuable, l’art. 39 al. 2 let. c et d du PL 10'199 indiquait une déduction de CHF 12'000.-, sans autre mention.

Le 7 novembre 2008, le Conseil d’État a, à son tour, déposé le PL 10'385 sur l’imposition des personnes physiques, dont l’art. 39 al. 1 prévoyait qu’était déduit du revenu annuel CHF 7'000.- pour chaque charge de famille et CHF 3'500.- pour chaque demi-charge de famille. Selon l’art. 39 al. 2 let. c du PL 10'385, constituaient des charges de famille notamment les proches incapables de subvenir entièrement a leurs besoins, à savoir les ascendants et descendants, frères, sœurs, oncles, tantes, neveux et nièces n’ayant pas une fortune supérieure à CHF 55'000.- ni un revenu annuel supérieur à CHF 11'500.- (charge entière) ou à CHF 23'000.- (demi-charge) pour celui de leur proche qui pourvoit à leur entretien.

L’art. 39 de ces deux PL était nouveau et visait à remplacer le rabais d’impôt additionnel pour charge de famille prévu à l’art. 14 al. 3 aLIPP-V par une déduction sociale sur le revenu (exposé des motifs relatif au PL 10'385 p. 77 ; MGC 2007-2008/V A 4024). Une déduction sociale devait, en outre, par définition, permettre une adaptation plus fine de la charge fiscale à la capacité contributive de l’assujetti en fonction des charges, de sa vie privée et de sa situation personnelle (MGC 2008-2009/IX A 11612).

b. Lors des débats en commission relatifs au PL 10'199, un amendement a été proposé, visant à reprendre l’art. 39 du PL 10'385, en adaptant toutefois le montant de la déduction pour chaque charge de famille à CHF 10'000.- (MGC 2008-2009/IX A 11645). Il a été justifié par le fait que les charges de famille n’étaient pas forcément imposées « parce que l’on a des enfants, mais parce qu’il faut s’occuper de personnes âgées dont les habitations doivent être équipées en conséquence », l’idée étant de proposer de nouvelles déductions et de reprendre la structure formelle de la loi en vigueur (MGC 2008-2009/IX A 11645).

Un autre amendement à l’art. 39 al. 2 let. c du PL 10'199 a également été proposé, en vue d’y intégrer l’exigence d’un domicile commun entre le contribuable et le proche à l’entretien duquel il pourvoit (MGC 2008-2009/IX A 11648). Dans ce cadre, un commissaire a indiqué que la distinction de l’art. 39 al. 1 let. c et d, en fonction ou non du domicile commun, était pertinente (MGC 2008-2009/IX A 11649). Un autre commissaire, qui avait procédé à la rédaction de cette disposition a, quant à lui, indiqué que « le fait d’avoir une personne à charge, comme celui d’avoir des enfants, fait qu’il faut avoir un appartement plus grand ou acheter de la nourriture », était déterminant ce qui restait dans le porte-monnaie du contribuable à la fin du mois (MGC 2008-2009/IX A 11649). Malgré tout, le but de la déduction était de soulager une personne qui entamait sa capacité contributive (MGC 2008-2009/IX A 11650).

Le cas d’un parent à l’étranger a également été évoqué, dès lors qu’une telle situation était délicate en raison de l’adaptation des montants et des contrôles à entreprendre (MGC 2008-2009/IX A 11650). Dans un tel cas, des questions précises seraient alors posées au contribuable, lequel devait prouver que la personne en cause est incapable de subvenir à ses besoins, indiquer ses ressources et justifier son entretien, selon les mêmes principes qu’une personne habitant en Suisse mais ne partageant pas le domicile du contribuable (MGC 2008-2009/IX A 11653). Dans ce cadre, des ordres de virement pouvaient constituer une preuve (MGC 2008-2009/IX A 11653).

Le représentant de l’AFC-GE a en outre relevé que pour bénéficier de la déduction, il fallait pourvoir à l’entretien. Il en résultait que la personne qui ne payait « pas un franc » pour ses parents ne pouvait prétendre à aucune déduction. En d’autres termes, il s’agissait de la « solution la plus généreuse et la plus simple. Le contribuable doit prouver qu’il pourvoit à l’entretien et il bénéficie alors de la déduction » (MGC 2008-2009/IX A 11653).

7) La loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14) désigne les impôts directs que les cantons doivent prélever et fixe les principes selon lesquels la législation cantonale les établit (art. 1 al. 1 LHID). Lorsqu’aucune réglementation particulière n’est prévue, les impôts cantonaux et communaux sont établis en vertu du droit cantonal. Restent en particulier de la compétence des cantons la fixation des barèmes, celle des taux et celle des montants exonérés d’impôt (art. 1 al. 3 LHID).

L’art. 9 LHID traite des déductions pouvant être défalquées du revenu imposable et les énumère. L’art. 9 al. 4 LHID précise que les déductions pour enfants et les autres déductions sociales de droit cantonal demeurent réservées. L’art. 9 LHID ne précise pas à l’attention des cantons de définition harmonisée de la notion de « personnes nécessiteuses à charge » que le droit cantonal devrait respecter, dès lors que l’art. 9 al. 4 LHID réserve expressément les déductions pour enfants et les autres déductions sociales, de sorte que le législateur cantonal conserve une grande marge de manœuvre dans la mise en place des déductions sociales pour personnes à charge (ATF 131 I 377 consid. 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_287/2015 du 23 juillet 2015 consid. 3.2 ss).

8) a. En l’espèce, l’AFC-GE soutient que le TAPI a retenu à tort que la déduction pour proches incapables de subvenir entièrement à leurs besoins était forfaitaire, seuls les frais effectifs devant être déduits du revenu net, ce que l’intimé conteste.

b. Comme l’a, à juste titre, retenu le TAPI, le texte de la disposition en cause ne fournit pas de réponse à cette question, puisqu’il ne contient aucune indication à cet égard. Dans ce cadre, il ne saurait être considéré comme permettant au contribuable uniquement de bénéficier de la déduction qu’il prévoit à condition que son aide atteigne au moins le montant de celle-ci, à l’instar de l’art. 35 al. 1 let. b LIFD. Outre le fait que l’art. 39 LIPP ne contient pas une telle limitation et que la teneur de l’art. 32 al. 1 let. b du PL 7'532 n’a été reprise ni dans l’aLIPP-V ni dans la LIPP sur ce point, une interprétation verticale ne se justifie pas, au regard de l’autonomie dont bénéficient les cantons en matière de déductions sociales.

c. Il ressort des travaux législatifs ayant conduit à l’adoption de l’art. 39 LIPP que le PL 10'199 prévoyait une déduction de CHF 12'000.- au plus pour les proches incapables de subvenir entièrement à leurs besoins, à concurrence des montants effectivement versés, contrairement aux autres proches mentionnés par cette disposition, vivant au domicile du contribuable, pour lesquels une déduction de CHF 12'000.- était accordée, sans autre précision. Une telle distinction revêt toute son importance, puisque si une déduction forfaitaire peut se justifier en cas de domicile commun, en raison des prestations en nature fournies, comme la nourriture ou le logement, qui sont difficilement chiffrables, il n’en va pas de même en cas de domicile séparé, situation dans laquelle des prestations en argent sont octroyées par le contribuable aux proches dont il a la charge, ce qui résulte d’ailleurs expressément des discussions en commission.

Il n’en demeure pas moins que, dans le cadre de l’examen du PL 10'199, un amendement a été proposé en commission, qui visait à reprendre la teneur de l’art. 39 du PL 10'385, similaire au texte finalement adopté, sauf s’agissant du montant des déductions retenues. La question du domicile commun ou non entre le contribuable et le proche à l’entretien duquel il subvenait n’a par la suite plus été abordée, hormis s’agissant de la preuve des paiements effectués en leur faveur, sans mention du montant des déductions accordées, les membres de la commission n’ayant pas expressément tranché la question de savoir s’il s’agissait dans tous les cas d’une déduction forfaitaire ou effective.

Le fait que les travaux parlementaires indiquent que la déduction visait à soulager une personne qui entame sa capacité contributive n’apparaît dans ce contexte pas déterminant, puisqu’il s’agit précisément du but poursuivi par toute déduction. Il en va de même du fait que la solution choisie était la plus généreuse et la plus simple pour le contribuable, élément ne reflétant pas une tendance allant vers l’octroi d’une déduction forfaitaire.

d. Bien plus, les développements susmentionnés tendent vers une déduction effective, comme le prévoyait l’art. 39 du PL 10'199, solution s’inscrivant du reste dans le cadre de l’approche stricte des déductions accordées aux proches nécessiteux, confirmée tant par le législateur que par la jurisprudence constante, ce d’autant plus que les montants des déductions pouvant être accordées sont importants même s’ils peuvent être inférieurs aux frais encourus dans certains cas.

À cela s’ajoute que le système instauré par la LIPP est fondamentalement différent de celui précédemment en vigueur, qui consacrait la solution du rabais d’impôt, et pour lequel une déduction forfaitaire pouvait se justifier.

e. Dans ces circonstance, le TAPI ne pouvait considérer que l’art. 39 LIPP consacrait un silence qualifié et octroyer à l’intimé deux déductions forfaitaires de CHF 10'000.- chacune en lien avec l’aide accordée par celui-ci à son père et à sa mère en 2011, alors qu’il leur a versé un montant total établi de CHF 2'759.-. La décision sur réclamation du 17 décembre 2014 qui admet également un caractère forfaitaire à la déduction, ne résiste pas davantage à l’examen. C’est bien le seul montant de CHF 2'579.- qui doit être admis en déduction au titre de charge de famille, comme l’avait retenu l’AFC-GE dans le bordereau ICC 2011 du 13 septembre 2012. À supposer que le rétablissement de ce bordereau puisse être considéré comme une reformatio in pejus stricto sensu, cette dernière est conforme aux exigences de l’art. 54 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc - D 3 17) dès lors que l’AFC-GE a conclu à cette modification au détriment du contribuable devant le TAPI déjà et que le recourant a ainsi eu l’occasion de se déterminer tant en première instance que devant la juridiction de céans.

9) Il s’ensuit que le recours sera admis. Le jugement du TAPI sera annulé, de même que la décision sur réclamation de l’AFC-GE. Le bordereau ICC du 13 septembre 2012 sera rétabli.

10) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de l’intimé qui succombe (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera octroyée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 novembre 2016 par l’administration fiscale cantonale contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 octobre 2016 ;

au fond :

l’admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 3 octobre 2016 ;

annule la décision sur réclamation de l’administration fiscale cantonale du 17 décembre 2014 ;

rétablit le bordereau d’impôts cantonaux et communaux 2011 du 13 septembre 2012 ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de Monsieur A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à l’administration fiscale cantonale, à Monsieur A______, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : Mme Junod, présidente, Mme Krauskopf, MM. Pagan et Verniory, Mme Tapponnier, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

Ch. Junod

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :