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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1477/2004

ATA/801/2004 du 19.10.2004 ( VG ) , REJETE

Descripteurs : MARCHES PUBLICS; VALEUR; DECISION D'IRRECEVABILITE
Normes : AIM.7 al.1 litt.a; AIM.6
Résumé : Le marché litigieux dès lors qu'il vise à la fois la conception et la réalisation des pavillons de la rade porte donc à la fois sur des services (création par l'architecte) et sur des ouvrages (production par l'entreprise). Cette combinaison doit être qualifiée de marché d'ouvrage dont la valeur est déterminée pour l'addition de la valeur des services et de celle des travaux. En l'espèce, le seuil de CHF 9'575'000.- prévu par l'AIMP n'est pas atteint. Recours irrecevable.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1477/2004-VG ATA/801/2004

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 19 octobre 2004

dans la cause

 

Monsieur L.
représenté par Me Jean-Pierre Carera, avocat

contre

VILLE DE GENEVE


 


1. Souhaitant remédier à l’absence d’homogénéité qui régnait autour de la rade de Genève en matière de stands de glaces ou de débits de boissons, la Ville de Genève a entamé des études destinées à atteindre cet objectif. Le conseil administratif a constitué en 2001, en collaboration avec l’Etat de Genève, un groupe de travail réunissant les services impliqués dans la gestion de la rade, en concertation avec les usagers, professionnels et passants.

2. Dans ce contexte, elle a lancé une procédure de mandats d’étude parallèles portant sur la création et la réalisation de pavillons de vente modulables et saisonniers.

3. Aussi, la Ville de Genève a publié un appel d’offres dans la FAO du 17 novembre 2003 portant sur l’attribution d’un mandat, comprenant les phases d’études et de réalisation, à un groupe pluridisciplinaire composé d’un designer et/ou architecte pour piloter l’opération et assurer la phase créative, et d’une entreprise pour assurer la réalisation des pavillons.

L’appel d’offres était soumis à l’accord intercantonal sur les marchés publics (AIMP), à l’accord GATT/OMC, et au règlement cantonal sur la passation des marchés publics.

Le montant estimé du marché s’élevait à CHF 3'000'000.- HT. Les dossiers de candidature devaient être déposés avant le 12 décembre 2003 et l’envoi des cahiers des charges était prévu à mi-janvier 2004.

Enfin, la voie et le délai de recours au Tribunal administratif étaient indiqués.

4. A la suite de cette publication, quinze groupes pluridisciplinaires ont été invités à concourir et ont reçu le règlement et le cahier des charges datés du 14 janvier 2004. Celui-ci prévoyait en lieu et place du jury un collège d’experts composé d’une douzaine de membres, pour la plupart architectes ou urbanistes ou designers industriels.

Les projets, études et maquettes devaient être présentés et commentés individuellement devant le collège d’experts au cours des 24 et 25 mars 2004.

5. Le 26 mars 2004, le collège d’experts a rendu son rapport. Deux projets s’étaient détachés : celui de Monsieur L., architecte, agissant de concert avec T. architectes Sàrl et ADO, et celui de K. Sàrl, à Lausanne.

6. Par courrier du 2 avril 2004, le président du collège d’experts a adressé à chaque concurrent un exemplaire du rapport et il les a informés qu’il avait recommandé au maître d’ouvrage de confier un mandat d’étude complémentaire aux deux candidats retenus.

Le résultat des mandats d’étude parallèles a été publié le 7 avril 2004 dans les quotidiens Le Temps et la Tribune de Genève.

7. Dans le même temps, K. et M. L. ont reçu chacun un cahier des charges du mandat d’étude complémentaire.

Les deux candidats étaient invités à présenter et commenter leur étude devant le collège le 18 mai 2004.

8. Le même jour, le collège d’experts a examiné les deux projets d’une manière attentive. S’agissant du projet de M. L., il a relevé que la problématique de la terrasse n’avait pas trouvé de réponse satisfaisante. Les pavillons proposés avaient une faible marge de personnalisation et l’espace de travail intérieur était trop fermé. Quant au projet K., le collège a constaté que les réponses données par les architectes aux demandes complémentaires avaient renforcé les qualités du concept.

A l’unanimité moins deux abstentions, le collège a recommandé au maître d’ouvrage de confier l’étude et la réalisation des pavillons de la rade à K..

Les deux candidats en ont été informés par courrier du 1er juin 2004. Ils ont reçu le rapport du collège établi le jour de la réunion du 18 mai 2004.

9. M. L. a protesté par lettre du 7 juin 2004 adressée à la Ville de Genève. Il a relevé plusieurs informalités, notamment le fait que son concurrent n’avait pas remis l’une des maquettes exigée dans le cahier des charges. De plus, les conditions d’équité entre les deux concurrents n’avaient pas été respectées, chaque cahier des charges ayant été remis à l’un sans que l’autre soit en mesure de vérifier s’il était pareil. Chaque équipe avait reçu des consignes orales, manifestement différentes. Aussi, la Ville de Genève n’était pas en droit d’adjuger le mandat au bureau K..

Si la Ville de Genève devait considérer que la lettre du 1er juin 2004 constituait une décision d’adjudication, alors il fallait tenir la présente démarche comme un recours et le transmettre au Tribunal administratif.

Ce courrier du 7 juin 2004 était signé par M. L., par T. architectes et par A.D.O.

10. Le conseiller administratif chargé du département de l’aménagement, des constructions et de la voirie a répondu à M. L. par lettre du 23 juin 2004. La lettre du 1er juin 2004 ne constituait pas une décision. La décision d’adjudication serait prise ultérieurement.

L’auteur de ce courrier a contesté chacun des griefs que M. L. avait développés. De toute façon, ils étaient tardifs, car ils auraient dû être soulevés à l’issue de la procédure ayant conduit à la désignation des deux bureaux retenus. En outre, les valeurs seuils de l’AIMP n’étant pas atteintes, la voie de recours n’était pas ouverte.

11. Par décision du 30 juin 2004, le conseil administratif de la Ville de Genève, se fondant sur les recommandations du collège d’experts, a décidé de confier au groupe pluridisciplinaire représenté par K. la réalisation des pavillons de vente, sous réserve de l’acceptation des crédits de travaux nécessaires par le conseil municipal.

12. M. L. a recouru auprès du Tribunal administratif le 9 juillet 2004. Il a repris pour l’essentiel les griefs contenus dans sa lettre du 7 juin 2004 au conseiller administratif. En substance, l’égalité entre les deux concurrents n’avait pas été respectée. A l’occasion de la deuxième phase, les cahiers des charges remis aux deux concurrents n’étaient pas semblables.

Le recourant conclut à ce que le tribunal prononce l’annulation de la décision d’adjudication du 30 juin 2004.

13. Constatant que le recourant n’avait pas conclu à titre préalable à l’octroi de l’effet suspensif, et estimant que le tribunal de céans pouvait accorder celui-ci d’office, le juge délégué a invité le conseil administratif de la Ville de Genève à s’exprimer sur la possibilité éventuelle d’accorder l’effet suspensif. L’intimé était invité à ne signer aucun contrat avec l’adjudicataire jusqu’à que soit résolue la question de l’effet suspensif.

14. Dans une écriture du 23 juillet 2004, le conseiller administratif compétent s’est opposé à l’octroi de l’effet suspensif.

Le recours était dans tous les cas irrecevable, le marché n’étant pas soumis à l’AIMP, la valeur du marché à adjuger n’atteignant pas les seuils prévus dans l’accord.

15. Dans une écriture du 27 août 2004, M. L. a développé ses arguments sur le fond, notamment sur l’absence de transparence, sur l’inégalité de traitement et sur diverses autres informalités affectant la première et la deuxième phase de la compétition.

Il ne s’est pas exprimé sur les conclusions de la Ville de Genève concernant l’irrecevabilité du recours, faute d’atteindre le seuil prévu par l’accord.

Le recourant a sollicité l’octroi de l’effet suspensif.

16. Le dossier contient l’offre de chacun des deux concurrents :

a. Le coût du projet du recourant s’élève à CHF 1'896'000.- TTC, honoraires non compris, pour 22 pavillons, signalétique, éclairage et mobilier inclus à l’exception de la cuisine pour les 10 pavillons glaciers.

b. Celui de K. s’élève à CHF 2'200'000.- TTC, non compris les honoraires et les frais d’infrastructure, la fourniture et la pose des unités sanitaires, le mobilier de terrasse et l’équipement des tenanciers.

17. Le 16 septembre 2004, le recourant a été invité à s’exprimer sur la question des valeurs seuil prévues par L’Accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05), et à préciser quels étaient les rapports juridiques le liant à la société T. architectes Sàrl et à la société A.D.O. Il a aussi été prié d’indiquer si ces deux partenaires avaient reçu notification de la décision du Conseil administratif de la Ville de Genève du 30 juin 2004.

18. Par courrier du 29 septembre 2004, l’administré a répondu aux trois questions posées :

- Le coût de réalisation des divers pavillons projetés atteignait CHF 3'650'000.- comprenant : construction des pavillons (CHF 1'850'000.-), cuisine et équipements intérieurs divers (CHF 800'000.-), équipements extérieurs (parasols, mobilier, éclairage, plantations) et aménagements extérieurs (revêtement de sol, canalisation, etc.). Les honoraires sur un tel projet étaient compris dans une fourchette de 12 à 14 %, soit un montant supérieur à la valeur seuil de CHF 383'000.- applicable en matière de marché de service selon l’article 7 AIMP ;

- Aucun rapport juridique n’avait été formalisé avec les sociétés T. architectes – qui aurait été plus spécifiquement chargée des aménagements extérieurs – et A.D.O., entreprise de menuiserie-charpente ;

- La décision du 30 juin 2004 n’avait été notifiée qu’à lui-même, à l’exclusion de ses deux partenaires, qu’il avait néanmoins mis au courant.

1. a. L’Accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 est entré en vigueur le 9 décembre 1997 (AIMP - L 6 05). Le 12 juin 1997, le canton de Genève a adopté une loi autorisant le Conseil d'Etat a adhérer à l'accord intercantonal sur les marchés publics (LAIMP - L 6 05.0). Cette loi est entrée en vigueur le 9 août 1997. En application de cette loi, le Conseil d'Etat a adopté le 19 novembre 1997 le règlement sur la passation des marchés publics en matière de construction (ci-après : le règlement ; L 6 05.01). L'appel d'offres lancé par la ville entre dans le champ d'application de ce règlement, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté. Les articles 15 alinéa 1 AIMP et 3 alinéa 1 LAIMP prévoient une voie de recours au Tribunal administratif, lequel statue de manière définitive. Le délai de recours est de dix jours (art. 15 al. 2 AIMP).

b. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est à cet égard recevable.

2. a. L’AIMP s’applique aux offres si la valeur estimée du marché public à adjuger atteint le seuil, hors taxe sur la valeur ajoutée, de CHF 9'575'000.- pour les ouvrages et CHF 383'000.- pour les fournitures et les services (art. 7 al. 1 let. a et b AIMP).

b. Dans le cas d’espèce, l’adjudicatrice a choisi d’attribuer en un seul marché la conception et la réalisation des pavillons de la rade. Ce marché porte donc à la fois sur des services (création par l’architecte) et sur des ouvrages (production par l’entreprise). Suivant une solution eurocompatible voulue par le législateur, cette combinaison doit être qualifiée de marché d’ouvrage dont la valeur est déterminée par l’addition de la valeur des services et de la valeur des travaux (Message du Conseil fédéral relatif aux modifications à apporter au droit fédéral dans la perspective de la ratification des accords du GATT/OMC, du 19 septembre 1994, FF 1994 IV 1224-1225 ; 1254-1255 ; JAAC 63.15 consid. 1d ; E. CLERC, L’ouverture des marchés publics : effectivité et protection juridique, Fribourg 1997, p. 405-406).

c. La valeur globale du marché, telle qu’elle a été publiée dans la FAO, était estimée à CHF 3'000'000.-, montant comprenant la conception et la réalisation de tous les pavillons de la rade. Conformément à la jurisprudence du tribunal de céans, la valeur seuil n’est pas celle estimée dans l’appel d’offres, mais celle de la moyenne des offres effectivement enregistrées (ATA/615/2000 du 10 octobre 2000).

d. Les coûts estimés dans le projet donnant lieu au présent litige ascendent hors honoraires à CHF 1'896'000.- pour l’évaluation présentée par le recourant à l’adjudicatrice et à CHF 3'650'000.- pour celle remise au juge délégué. Même si l’on retient ce dernier montant et que l’on y ajoute les honoraires d’architecte compris dans une fourchette de 10 à 15 % dudit montant, l’on est loin d’atteindre le seuil de CHF 9'575'000.- prévus par l’AIMP.

3. Aussi, le recours doit être déclaré irrecevable, le tribunal de céans ne pouvant pas se saisir du litige, faute d’une disposition cantonale légale ou réglementaire lui attribuant cette compétence (ATA/541/2000 du 29 août 2000).

La demande d’effet suspensif a ainsi perdu tout objet.

4. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge du recourant.

* * * * *

préalablement :

déclare sans objet la demande d’effet suspensif ;

déclare irrecevable le recours interjeté le 9 juillet 2004 par Monsieur L. contre la décision d’adjudication prise le 30 juin 2004 par la Ville de Genève;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 1’000.-;

communique le présent arrêt à Me Jean-Pierre Carera, avocat du recourant, ainsi qu'à la Ville de Genève.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy, Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal Administratif :

la greffière-juriste  adj. :

 

 

M. Tonossi

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :