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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2011/2011

ATA/79/2012 du 08.02.2012 ( EXP ) , REJETE

Recours TF déposé le 13.03.2012, rendu le 05.07.2012, PARTIELMNT ADMIS, 1C_148/2012, 1C_624/2012
Parties : HOIRIE DE FEU M. GUGGISBERG ERNEST, SOIT POUR ELLE, MM. GUGGISBERG ROGER ET MICHEL, GUGGISBERG Michel, GUGGISBERG Roger / CONSEIL D'ETAT, DEUKMEDJIAN S.A. Ida ET MOILLEBEAU PRMOTIONS S.A., MOILLEBEAU PROMOTIONS SA
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2011/2011-EXP ATA/79/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 février 2012

 

dans la cause

 

Hoirie GUGGISBERG, soit Messieurs Roger et Michel GUGGISBERG,
représentée par Me Férida Bejaoui Hinnen, avocate

contre

CONSEIL D'éTAT

et

Madame Ida DEUKMEDJIAN

MOILLEBEAU PROMOTIONS S.A.
représentées par Me François Bellanger, avocat

 



EN FAIT

Madame Ida Deukmedjian est propriétaire de la parcelle n° 1775, feuille 64, de la commune de Genève, Petit-Saconnex, aux adresses 26-28, chemin du Point-du-Jour, sur laquelle se trouve un terrain de tennis ainsi qu'un immeuble d'habitation. Cette parcelle longe la rue de Moillebeau et se situe, dans le sens de la longueur, entre la rue Maurice-Braillard et le chemin du Point-du-Jour.

La société Moillebeau Promotions S.A. (ci-après : Moillebeau Promotions) est quant à elle propriétaire des parcelles nos 2247, 2248 et 3056, même feuille, même commune, aux adresses 40-42-44, rue de Moillebeau. Ces trois parcelles longent la rue de Moillebeau.

L'hoirie Guggisberg (ci-après : l'hoirie), soit Messieurs Roger et Michel Guggisberg, est propriétaire de la parcelle n° 2249, même feuille, même commune, sise à l'adresse 27, chemin du Point-du-Jour, sur laquelle est érigée une maison de deux niveaux hors sol.

Cette parcelle est en retrait de la rue de Moillebeau, contiguë aux parcelles nos 2247 et 2248 précitées. Elle est voisine de la parcelle n° 1793, également en retrait de la rue de Moillebeau, sur laquelle est construite une maison de trois niveaux hors sol, laquelle se trouve entre la parcelle de l'hoirie et le terrain de tennis précité.

Toutes ces parcelles sont situées en zone de développement 3.

Une servitude de restriction de bâtir inscrite au registre foncier (ci-après : RF) le 22 novembre 1928, et enregistrée sous le n° ID.2004/038967 grève, au profit de la parcelle n° 2249, la parcelle n° 1775 susvisée, laquelle comporte l'interdiction d'édifier toute construction autre qu'une maison d'habitation dont le gabarit ne peut excéder deux étages sur rez-de-chaussée ou un étage avec combles habitables.

De même, une servitude de restriction de bâtir n° ID.2004/038968 et inscrite le même jour au RF grève, au profit de la parcelle n° 1775, la parcelle n° 2249.

Le 22 novembre 2006, le Conseil d'Etat a approuvé le plan localisé de quartier (ci-après : PLQ) n° 29'468-203. Ce PLQ, qui vise les parcelles nos 1'775, 2247, 2248, 3056 et, partiellement, la parcelle n° 4795, prévoit la réalisation de trois bâtiments, l'un situé le long de la rue de Moillebeau, à l'angle avec le chemin du Point-du-jour, d'un gabarit rez + 5 étages + attique (bâtiment A), et les deux autres situés entre le chemin Maurice-Braillard et le chemin du Point-du-Jour, d'un gabarit rez + 5 étages + attique pour le premier (bâtiment B), et rez + 2 étages + attique pour le second (bâtiment C), situé plus en retrait de la rue de Moillebeau, soit à l'emplacement de l'actuel terrain de tennis. Selon le PLQ, au moins les deux tiers de la surface affectée au logement doivent être mis au bénéfice de la loi générale sur le logement et la protection des locataires du 4 décembre 1977 (LGL - I 4 05).

Le 15 avril 2008, le Tribunal administratif, devenu depuis le 1er janvier 2011 la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a rejeté un recours interjeté contre ce PLQ et confirmé la validité de celui-ci (ATA/176/2008 du 15 avril 2008). L'hoirie était au nombre des recourants, et s'est vu notifier l'arrêt en cause. Ce dernier est entré en force suite au rejet du recours interjeté par-devant le Tribunal fédéral par les parties déboutées (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_248/2008 du 25 septembre 2008).

Le 31 juillet 2009, le Comptoir immobilier S.A. (ci-après : le Comptoir immobilier) a déposé auprès du département des constructions et des technologies de l'information (ci-après : DCTI) une requête en autorisation de construire trois immeubles de logements et de commerces, garages souterrains et sondes thermiques sur les parcelles nos 1775, 2247, 2248 et 3056 ainsi qu'une requête de démolition de bâtiments et de garage sur les mêmes parcelles (requêtes nos 103’050 et 6'276).

Le projet de construction porte sur la réalisation des bâtiments A, B et C. Selon le plan de construction, le bâtiment A est divisé en trois entrées (cages A1, A2 et A3) dont deux sont destinées à du logement HM (cages A1 et A2) et une à des logements en PPE (cage A3). Les bâtiments B et C ne comportent qu'une entrée chacun et sont affectés à du logement HM, respectivement à la location.

Les requêtes du Comptoir immobilier ont été publiées dans la Feuille d'Avis Officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) le 19 août 2009.

Le 24 septembre 2010, le Grand Conseil a adopté la loi 10646 déclarant d'utilité publique le PLQ du 22 novembre 2006, dont 60 % au moins des surfaces brutes de plancher réalisables étaient destinées à l'édification de logements d'utilité publique au sens des art. 15 ss LGL.

L'alinéa 2 de l'article unique de cette loi autorise le Conseil d'Etat à décréter l'expropriation des servitudes empêchant la réalisation des bâtiments prévus par ce plan, au profit des propriétaires des parcelles situées à l'intérieur du périmètre de celui-ci, conformément à l'art. 5 de la loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique du 10 juin 1933 (LEx-GE - L 7 05).

La loi 10646 a été promulguée par arrêté du Conseil d'Etat du 17 novembre 2010. Elle est entrée en vigueur le 23 novembre 2010.

Le 10 janvier 2011, le DCTI a adressé un courrier à l'hoirie, l'invitant à renoncer à la servitude constituée à son profit sur la parcelle n° 1775, située à l'intérieur du périmètre du PLQ.

Ledit courrier mentionnait en outre les termes suivants : « A défaut et sauf accord de votre part d'ici au 31 janvier 2011, le Conseil d'Etat sera requis de procéder, sans autre avis, à l'expropriation desdites servitudes, avec éventuelle prise de possession anticipée des droits qui y sont attachés, conformément à l'article 81 A LEx-GE (clause d'urgence). En conséquence, vous voudrez bien nous faire part de votre détermination dans le délai imparti, cette détermination devant également porter sur l'adoption envisagée de la clause d'urgence, dont une éventuelle décision d'expropriation pourra être assortie ».

Par courrier du 24 janvier 2011, l'hoirie a répondu au DCTI. L'autorisation de construire demandée par le Comptoir immobilier n'avait à sa connaissance pas encore été délivrée. Par conséquent, elle ne disposait pas de la confirmation de ce que le projet remplissait la condition de l'art. 6A de la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35), soit la réalisation d'un PLQ comprenant au moins 60 % de surfaces de plancher destinées à des logements d'utilité publique au sens de la LGL. Elle demandait au DCTI la transmission de toute information utile à ce sujet ainsi qu'une prolongation du délai de réponse imparti au 31 janvier 2011 afin qu'elle puisse se déterminer après avoir pris connaissance des documents demandés.

Le 10 mars 2011, le DCTI a répondu à l'hoirie que le rapport établi par la commission parlementaire chargée de l'examen du projet de loi 10646 qui lui avait été notifié à fin 2010 par le président du Grand Conseil démontrait que le pourcentage de logements serait effectivement atteint. Pour le surplus, le DCTI informait l'hoirie qu'il soumettait sans autre au Conseil d'Etat un projet d'arrêté d'expropriation des servitudes litigieuses, conformément à la faculté que lui offrait l'alinéa 2 de l'article unique de la loi 10646.

Par deux arrêtés distincts du 25 mai 2011, le Conseil d'Etat a décrété l'expropriation au profit de Madame Ida Deukmedjian et Moillebeau Promotions de la servitude IF.2004/038967 grevant la parcelle 1775, au profit de MM. Guggisberg, copropriétaires de la parcelle 2249, ainsi que de tous les autres droits qui seraient de nature à empêcher la réalisation desdits bâtiments.

Le préambule des arrêtés comporte notamment l'indication « que l'instruction de la requête en autorisation de construire DD 103'050/1 est en voie d'achèvement et que celle-ci devrait pouvoir être délivrée dans un proche délai ».

L'art. 2 desdits arrêtés est libellé comme suit : « La construction des bâtiments de logements prévus sur les parcelles n° 1775, 2247, 2248 et 3056, comprises dans la périmètre du plan localisé de quartier n° 29'468-203, est déclarée d'urgence. En conséquence, Monsieur le Président de la Commission cantonale de conciliation et d'estimation en matière d'expropriation (ci-après : la commission) est requis, en application de l'art. 81A de la loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique précitée, d'ordonner l'envoi en possession anticipée des droits nécessaires à cette réalisation ».

Par pli recommandé du 31 mai 2011, le DCTI a notifié séparément aux hoirs Guggisberg l'arrêté du Conseil d'Etat. Ce courrier indiquait que l'arrêté pouvait faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative dans un délai de trente jours dès sa notification, conformément à l'art. 62 LEx-GE. Il était également fait mention qu'à défaut de recours, le dossier serait transmis à la commission - dont les compétences ont été reprises par le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) le 27 septembre 2011 - devant laquelle l'hoirie serait citée à comparaître.

Le 3 juin 2011, le DCTI a délivré au Comptoir immobilier une autorisation de construire cinq immeubles de logements et commerces, garages souterrains et installation de sondes géothermiques sur les parcelles nos 1775, 2247, 2248 et 3056 (autorisation DD 103'050-4) ainsi qu'une autorisation de démolir (M 6276).

Toujours le 3 juin 2011, le département de l'intérieur et de la mobilité (ci-après : DIM) a accordé l'autorisation d'abattage des arbres se trouvant sur les parcelles précitées (autorisation n° 2009 1369).

Le 8 juin 2011, ces trois autorisations ont été publiées dans la FAO.

Les 10 et 17 juin 2011, les arrêtés du Conseil d'Etat du 25 mai 2011 ont été publiés dans la FAO.

Par acte du 30 juin 2011, l'hoirie a recouru auprès de la chambre administrative contre les arrêtés du Conseil d'Etat du 25 mai 2011.

Préalablement, elle conclut à la suspension de la procédure jusqu'à droit connu sur le recours déposé (recte : qu'elle allait déposer) auprès du TAPI contre les autorisations du 3 juin 2011 ainsi qu'à la restitution de l'effet suspensif au recours.

Au fond, elle conclut à l'annulation de l'arrêté du Conseil d'Etat et à sa mise à néant avec effet rétroactif ainsi qu'à l'octroi d'une équitable indemnité valant participation aux honoraires de son avocat.

L'autorisation de construire ne respectait pas le pourcentage de logements sociaux imposés par le PLQ et ne se souciait guère des conditions requises par l'art. 5 LGZD.

L'examen préalable de la conformité des autorisations de construire à l'art. 6A LGZD, imposant qu'au minimum 60 % des surfaces de plancher soient destinés à l'édification de logements d'utilité publique, n'avait pas encore été effectué. L'arrêté du Conseil d'Etat était ainsi prématuré, puisque sa conformité à l'art. 6A LGZD était impossible à établir.

L'autorisation de construire délivrée le 3 juin 2011 n'était pas conforme au PLQ et violait la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). Elle portait sur la construction de cinq immeubles, alors que la requête déposée par le Comptoir immobilier n'en prévoyait que trois. L'autorisation de construire était nulle et il s'ensuivait que l'arrêté du Conseil d'Etat l'était également puisqu'il se fondait sur cette autorisation de construire.

Les arrêtés du Conseil d'Etat violaient le principe de la proportionnalité et l'obligation de pesée des intérêts imposée par l'art. 3 de l'ordonnance du 28 juin 2000 sur l’aménagement du territoire du 28 juin 2000 (OAT - RS 700.1) car ils se fondaient sur une autorisation de construire pour laquelle le DCTI avait dérogé au PLQ et à la loi 10646.

Les arrêtés n'indiquaient pas avec précision toutes les servitudes et autres droits concernés. La recourante peinait à comprendre pourquoi les servitudes croisées n'étaient levées qu'à son détriment alors que celles grevant sa parcelle au bénéfice des tiers demeuraient intactes. La généralité des termes employés était source d'imprécision et constituait une violation du droit de propriété de la recourante consacré à l'art. 26 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et portait une grave atteinte à ses intérêts.

Son droit d'être entendu avait été violé dès lors qu'elle n'avait pas pu s'exprimer sur la question du recours par le Conseil d'Etat à la clause d'urgence.

Enfin, le caractère de l'urgence qu'avait constaté le Conseil d'Etat n'était pas réalisé, du moment que l'autorisation de construire délivrée était nulle et qu'elle faisait [recte : qu'elle allait faire] l'objet d'un recours au TAPI assorti d'une requête en restitution de l'effet suspensif. Le recours à la clause d'urgence était ainsi abusif et contraire aux dispositions des art. 81A et 81B LEx-GE.

Le 7 juillet 2011, l'hoirie a recouru auprès du TAPI contre les autorisations délivrées par le DCTI le 3 juin 2011, concluant préalablement à la restitution de l'effet suspensif et, principalement, à l'annulation des autorisations de construire.

Le 12 juillet 2011, le Conseil d'Etat, soit pour lui le DCTI, a conclu au rejet de la requête en restitution de l'effet suspensif formée par l'hoirie contre les arrêtés du Conseil d'Etat.

Le 26 juillet 2011, le DCTI a complété ses observations en s'opposant à la demande de suspension de la procédure.

Par décision du 28 juillet 2011, le TAPI a rejeté la demande de restitution de l'effet suspensif au recours interjeté le 7 juillet 2011 contre les trois autorisations délivrées par le DCTI le 3 juin 2011.

Le 8 août 2011, l'hoirie a recouru contre cette décision auprès de la chambre administrative.

Dans le cadre du recours contre les arrêtés du Conseil d'Etat, Mme Deukmedjian et Moillebeau Promotions ont conclu le 30 août 2011 au rejet des requêtes d'octroi d'effet suspensif et de suspension de la procédure.

La demande d'octroi d'effet suspensif était dépourvue de portée à ce stade de la procédure. Pour obtenir de la chambre administrative qu'elle ne décide pas de l'envoi en possession anticipé des servitudes, il appartenait aux recourants de prendre des conclusions en ce sens, ce qu'ils ne faisaient pas.

Par décision du 7 septembre 2011, la chambre administrative a rejeté la demande de suspension de la procédure et de restitution de l'effet suspensif au recours formé contre les arrêtés du Conseil d'Etat, réservant le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé au fond.

Le 14 septembre 2011, le Conseil d'Etat a déposé ses observations sur le fond du recours et conclu à son rejet ainsi qu'à la confirmation de ses arrêtés.

Le grief relatif à la non-conformité des autorisations de construire à l'art. 5 LGZD était irrecevable dans le cadre d'un recours portant contre un arrêté d'expropriation du Conseil d'Etat.

Le grief d'une prétendue violation de l'art. 6A LGZD était infondé. La réalisation du quota de 60 % était implicite à la loi 10646 déclarant d'utilité publique les constructions prévues par le PLQ. Pour le surplus, même si une partie des bâtiments prévus par le PLQ était assujettie au régime institué par la loi pour la construction de logements d’utilité publique du 24 mai 2007 (LUP - I 4 06), ces logements devaient être pris en compte dans le pourcentage requis par l'art. 6A LGZD.

La LCI n'avait pas non plus été violée. La divergence figurant entre l'autorisation de construire prévoyant la construction de cinq immeubles et le PLQ n'en prévoyant que trois résidait uniquement dans le fait que le bâtiment A comporterait trois entrées.

Les griefs relatifs à la violation du principe de la proportionnalité et de l'obligation de la pesée des intérêts prévues par l'art. 3 OAT étaient irrecevables voire infondés, ceux-ci ne tendant qu'à remettre en cause le PLQ.

L'expropriation ne violait pas le droit de propriété de la recourante, dans la mesure ou elle se fondait sur une base légale, soit la loi 10646, et que le besoin de la population à la construction de logements constituait un intérêt public prépondérant.

Le recours du Conseil d'Etat à la clause d'urgence était bien fondé. Les conditions de l'art. 81B LEx-GE étaient réalisées. La loi 10646 déclarant d'utilité publique le PLQ avait été promulguée par le Conseil d'Etat et était désormais en vigueur. S'agissant de l'estimation de l'indemnité d'expropriation éventuellement due à la recourante, il appartenait à la chambre administrative de procéder aux constatations nécessaires. Sur cette question, l'expropriation d'une servitude ne donnait en règle générale pas lieu à indemnité, à moins qu'un dommage concret au détriment du bénéficiaire ne soit établi. Or, l'hoirie n'établissait pas subir un quelconque dommage.

Enfin, c'était à tort que la recourante prétendait n'avoir pas été préalablement entendue avant l'introduction de la clause d'urgence dans l'arrêté litigieux, le DCTI ayant formellement invité la recourante à s'exprimer sur cette question dans son courrier du 10 janvier 2011.

Par mémoire du 15 septembre 2011 reçu le 26 septembre par le TAPI et transmis pour raisons de compétence à la chambre de céans le 30 septembre, Mme Deukmedjian et Moillebeau Promotions ont déposé leurs observations sur le fond du recours interjeté contre les arrêtés du Conseil d'Etat. Ils concluent à son rejet, à la confirmation des arrêtés, à la condamnation de la recourante aux frais et dépens de la procédure ainsi qu'à l'allocation d'une indemnité valant participation aux honoraires de leur avocat.

Les griefs quant à la validité des arrêtés du Conseil d'Etat étaient irrecevables, et en tout état infondés. L'objet du recours étant les arrêtés du Conseil d'Etat, seule leur bonne mise en œuvre de l'art. 24 LEx-GE et la question de l'utilité publique du projet pouvaient être invoquées devant la chambre administrative. Or la recourante se contentait de répéter les arguments invoqués dans le cadre du recours contre l'autorisation de construire n° DD 103'050.

Il n'était pas contesté que l'expropriation de la servitude de la recourante violait son droit de propriété et portait une attente grave à ses intérêts. Toutefois, la propriété pouvait être restreinte aux conditions de la base légale, de l'intérêt public et de la proportionnalité. En l'espèce, ces conditions étaient réunies. L'expropriation se fondait sur plusieurs dispositions légales, dont l'art. 6A LGZD, la LEx-GE, ainsi que la loi 10646. Toutes ces lois étaient en force et leur conditions matérielles étaient correctement appliquées. L'intérêt public à la construction de logements répondant aux besoins de la population était avéré. Enfin, l'expropriation respectait le principe de proportionnalité. Elle était le seul moyen de parvenir au but d'intérêt public recherché, à savoir la construction des logements en application du PLQ. Aucun autre moyen moins incisif n'était apte à parvenir à ce but. En outre, la mesure respectait le principe de proportionnalité au sens étroit.

L'envoi en possession anticipée devait être ordonné car les trois conditions de l'art. 81B LEx-GE étaient réalisées : la loi 10646 déclarant d'utilité publique le PLQ était entrée en vigueur, et les deux autres conditions relatives à l'estimation d'une indemnité d'expropriation et au paiement de sûretés par l'expropriant n'avaient pas à être réalisées, une servitude n'ayant en soi pas de valeur vénale. Au contraire, la levée de la servitude, par le jeu des servitudes croisées, augmentait la valeur de la parcelle de la recourante du fait de l'augmentation de son potentiel constructible.

Enfin, le recours par le Conseil d'Etat à la clause d'urgence n'était pas abusif, au contraire de l'attitude de la recourante qui tentait de remettre en cause par tous les moyens, y compris ceux qui n'y étaient pas destinés, la réalisation d'un PLQ en force depuis plus de trois ans.

Le 28 octobre 2011, l'hoirie a répliqué. Son recours n'était ni téméraire ni abusif. Selon une insertion dans la FAO du 8 juillet 2011, le DCTI entendait apporter des rectifications à l'autorisation de construire délivrée le 3 juin 2011. Or, aucune rectification n'avait été apportée à l'objet de l'autorisation de construire de sorte que l'objet demeurait inchangé, à savoir la construction de cinq immeubles de logements. Le DCTI avait ainsi choisi de ne rien faire car il entendait autoriser la construction de cinq immeubles de logements, peu importe si sa décision était contraire à la requête en autorisation de construire du 31 juillet 2011 [recte : 2009] et au PLQ. Les intimés comptaient ainsi manifestement sur la lassitude des riverains pour faire passer une autorisation contraire en tous points à la requête en autorisation de construire du 31 juillet 2009 et au PLQ.

L'hoirie concluait à ce que l'expropriant fournisse des sûretés d'un montant convenable garantissant le paiement de l'indemnité d'expropriation, ainsi qu'à la désignation par la chambre de céans d'un architecte expert SIA afin qu'il procède à la fixation du montant de l'indemnité qui lui était due pour l'expropriation de sa servitude.

Pour le surplus, la recourante persistait dans les termes de son recours, notamment dans sa demande de suspension de l'instruction du recours jusqu'à droit jugé sur le recours déposé auprès du TAPI contre les autorisations du 3 juin 2011.

Le 1er novembre 2011, la chambre administrative a imparti aux intimés un délai au 18 novembre 2011 pour dupliquer.

Le 8 novembre 2011, la chambre administrative a rejeté le recours de l'hoirie contre la décision du TAPI du 28 juillet 2011.

Sur la base d'un examen prima facie, il n'existait aucune différence entre le PLQ et l'autorisation délivrée sur la question du nombre de bâtiments. L'autorisation de construire reprenait les trois bâtiments prévus par le PLQ et le nombre de cinq malencontreusement mentionné dans le texte de l'autorisation visait le nombre d'entrées d'immeubles du projet et non le nombre de bâtiments. En outre, l'intérêt public à la démolition des bâtiments existants et l'abattage d'arbres situés pour partie sur leur parcelle était largement prépondérant à leur intérêt privé à ce que l'exécution de la décision entreprise soit suspendue.

Dans le cadre du recours contre les arrêtés du Conseil d'Etat, Mme Deukmedjian et Moillebeau Promotions ont dupliqué le 18 novembre 2011, concluant au rejet de la requête en suspension de la procédure, de la demande en désignation d'un architecte expert SIA et de la demande de fourniture de sûretés.

La recourante persistait à invoquer des arguments ressortissant au droit des constructions. La demande d'expertise et de sûretés devait être rejetée, la servitude litigieuse n'ayant aucune valeur vénale. De plus, par le jeu des servitudes croisées, l'expropriation n'entraînait aucune dépréciation de la valeur de la parcelle de la recourante. Cette dernière ne démontrait pas la nature du dommage qu'elle prétendait subir, ce qu'elle devait au moins établir pour que la chambre administrative entre en matière sur la question d'une expertise.

Pour le surplus, ils persistaient dans leurs précédentes écritures et conclusions.

Par courrier électronique du 29 novembre 2011 transmis aux parties le 2 décembre 2011, le Conseil d'Etat, soit pour lui le DCTI, a expliqué n'avoir reçu que le jour même une copie de l'invite de la chambre administrative du 1er novembre 2011.

Il relevait que l'essentiel de l'argumentation de la recourante n'avait pas trait au recours contre les arrêtés du Conseil d'Etat, tel qu'il l'avait déjà souligné dans ses précédentes observations. Il persistait donc dans les termes et conclusions de son écriture du 14 septembre 2011.

Le 2 décembre 2011, le juge délégué a informé les parties que la cause était gardée à juger.

Le 19 décembre 2011, l'hoirie a recouru auprès du Tribunal fédéral contre l'arrêt de la chambre administrative du 8 novembre 2011.

A ce jour, le Tribunal fédéral n'a pas rendu son arrêt et la procédure au fond contre les autorisations du 3 juin 2011 n'a pas encore été jugée par le TAPI.

EN DROIT

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Saisie d'un recours, la chambre administrative applique le droit d'office. Elle ne peut pas aller au-delà des conclusions des parties, mais n'est liée ni par les motifs invoqués par celles-ci (art. 69 al. 1 LPA), ni par leur argumentation juridique.

La présent recours est interjeté contre les arrêtés du Conseil d'Etat du 25 mai 2011 et tendent à leur annulation.

La chambre de céans examinera dès lors si ces arrêtés respectent les conditions de forme et de fond imposées par la LEx-GE. La recourante peut également faire valoir des griefs portant sur l'utilité publique du projet (art. 62 al. 2 LEx-GE).

A cet égard, le droit d’être entendu ne contient pas non plus d’obligation de discuter tous les griefs et moyens de preuve de la recourante ; il suffit que le juge examine ceux qui sont pertinents pour l'issue du litige (ATF 133 II 235 consid. 5.2 ; 129 I 232 consid. 3.2 ; 126 I 97 consid. 2b).

En l'occurrence, la recourante invoque une multitude de griefs. Ceux relatifs à une violation des art. 5, 6A LGZD, de la LCI et de l'OAT sont en réalité dirigés contre l'autorisation de construire délivrée par le DCTI le 3 juin 2011, objet d'un autre recours actuellement pendant devant le TAPI.

En tant qu'ils ne visent pas l'objet du présent litige, ces griefs seront déclarés irrecevables.

Dans un grief formel qu'il convient d'examiner en premier lieu, la recourante reproche au Conseil d'Etat d'avoir violé son droit d'être entendue en ne lui donnant pas la possibilité de s'exprimer sur la question de l'application de la clause d'urgence.

a. Le droit d’être entendu est une garantie de nature formelle (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.256/2001 du 24 janvier 2002 consid. 2a et les arrêts cités ; ATA/172/2004 du 2 mars 2004). Sa portée est déterminée en premier lieu par le droit cantonal (art. 41 ss LPA) et le droit administratif spécial (Arrêt du Tribunal fédéral 1P.742/1999 du 15 février 2000 consid. 3a ; ATF 124 I 49 consid. 3a p. 51, et les arrêts cités ; Arrêt du Tribunal fédéral du 12 novembre 1998 publié in RDAF 1999 II 97 consid. 5a p. 103). Si la protection prévue par ces lois est insuffisante, ce sont les règles minimales déduites de la Cst. qui s’appliquent (Arrêts du Tribunal fédéral 2P.256/2001 du 24 janvier 2002 consid. 2b ; 1P.545/2000 du 14 décembre 2000 consid. 2a, et les arrêts cités ; B. BOVAY, Procédure administrative, Berne 2000, p. 198).

b. Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 Cst., le droit d’être entendu comprend le droit pour les parties de faire valoir leur point de vue avant qu’une décision ne soit prise, de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur la décision, d’avoir accès au dossier, de participer à l’administration des preuves, d’en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (Arrêt du Tribunal fédéral 2P.77/2003 du 9 juillet 2003 consid. 2.1, et les arrêts cités ; ATA/172/2004 du 2 mars 2004, et les arrêts cités). Le droit d’être entendu stricto sensu n’implique pas une audition personnelle de l’intéressé, celui-ci devant simplement disposer d’une occasion de se déterminer sur les éléments propres à influer sur l’issue de la cause (art. 41 LPA ; Arrêt du Tribunal fédéral 1P.651/2002 du 10 février 2002 consid. 4.3, et les arrêts cités).

c. En l'espèce, le DCTI a informé la recourante le 10 janvier 2011 qu'il entendait proposer au Conseil d'Etat de recourir à la clause d'urgence, lui impartissant un délai au 31 janvier 2011 pour s'exprimer sur cette question. L'hoirie a répondu le 24 janvier 2011 qu'elle ne pouvait se déterminer en l'absence de certaines informations qu'elle demandait au DCTI de lui remettre, soit toute information utile permettant de confirmer qu'au moins 60 % de la surface de plancher des constructions prévues par le projet était destiné à des logements d'utilité publique, conformément à l'art. 6A LGZD. Elle sollicitait par conséquent un délai supplémentaire pour se déterminer sur la base des documents que le DCTI lui remettrait. Ensuite de quoi, le DCTI a répondu le 10 mars 2011, sans toutefois accorder de prolongation de délai à la recourante, que le rapport établi par la commission parlementaire chargée de l'examen du projet de loi 10646 démontrait que le pourcentage de logements serait effectivement atteint, et qu'il entendait soumettre sans autre au Conseil d'Etat un projet d'arrêté d'expropriation des servitudes litigieuses.

S'il est vrai que le DCTI n'a pas donné la possibilité à la recourante de s'exprimer suite au courrier du 10 mars 2011, force est de constater que celle-là était déjà en mesure de se déterminer dès le 10 janvier 2011, comme cela a été relevé à juste titre par le DCTI, la recourante s'étant vu notifier le rapport de la commission parlementaire, lequel démontrait à satisfaction que 60 % des logements à construire serait d'utilité publique. Par conséquent, la recourante disposait de toutes les informations utiles lui permettant de se déterminer le 10 janvier 2011 déjà. Il convient donc d'admettre que c'est à ses risques et périls qu'elle a entrepris une démarche - qui n'a pas abouti - tendant à obtenir un délai supplémentaire pour se déterminer.

Pour le surplus, quand bien même une telle violation du droit d'être entendu aurait été admise, la chambre administrative relèvera que celle-ci a été réparée, cette dernière disposant du même pouvoir d'examen que l'autorité intimée, et la recourante ayant fait valoir ses arguments à l'encontre de la clause d'urgence dans le cadre du présent recours, comme il sera vu ci-après.

Au vu de ce qui précède, le grief de violation du droit d'être entendu sera rejeté.

La recourante estime que les arrêtés litigieux auraient dû faire état de toutes les servitudes et autres droits concernant les parcelles impliquées par l'expropriation.

a. Lorsque l’utilité publique a été constatée par le Grand Conseil, le Conseil d’Etat décrète l’expropriation des immeubles et des droits dont la cession est nécessaire à l’exécution du travail ou de l’ouvrage projeté (art. 30 LEx-GE).

b. L'arrêté du Conseil d'Etat doit être notifié par le DCTI, par lettre recommandée, à toutes les personnes dont les immeubles ou les droits sont atteints par l'expropriation (art. 31 al. 1 LEx-GE). La notification doit mentionner que l’arrêté du Conseil d’Etat peut être déféré à la chambre administrative et que le destinataire sera cité à comparaître par le TAPI, auquel le dossier doit être transmis (art. 31 al. 2 LEx-GE).

c. En outre, l'arrêté du Conseil d'Etat doit être publié deux fois à huit jours d'intervalle dans la FAO (art. 32 al. 1 LEx-GE).

En l'espèce, il n'est pas contesté que l'utilité publique du PLQ a été constatée par le Grand Conseil vu la promulgation de loi 10646. Les arrêtés du Conseil d'Etat ont en outre été notifiés régulièrement, par lettre recommandée et séparément aux hoirs Guggisberg, avec indication de la voie de recours à la chambre administrative et de leur future citation à comparaître devant la commission, soit l'autorité alors compétente en matière de fixation du montant de l'indemnité due en cas d'expropriation. Les deux arrêtés ont par ailleurs été publiés dans la FAO des 10 et 17 juin 2011.

Les arrêtés du Conseil d'Etat respectent ainsi toutes les conditions légales de forme, lesquelles n'imposent pas de mentionner toutes les servitudes et les autres droits concernant les parcelles impliquées par l'expropriation, comme le soutient la recourante.

Partant, ce grief sera rejeté.

Le recourante se plaint ensuite d'une violation de son droit de propriété.

a. La propriété est garantie (art. 26 al. 1 Cst. ; art. 6 al. 1 Constitution de la République et canton de Genève du 24 mai 1847 - Cst-GE - A 2 00).

Elle peut toutefois être restreinte si cette restriction respecte les conditions de la base légale, de l'intérêt public et de la proportionnalité (art. 36 Cst.).

b. Sur le fond, les arrêtés du Conseil d'Etat décrètent l'expropriation de la servitude de restriction de bâtir grevant la parcelle n° 1775, au profit de la parcelle 2249, copropriété des hoirs Guggisberg. Il y a donc lieu d'examiner si cette restriction au droit de propriété de la recourante respecte les exigences de l'art. 36 Cst.

En premier lieu, l'expropriation se fonde sur la loi 10646, déclarant d'utilité publique le PLQ. L'existence d'une base légale - en l'occurrence formelle - fondant la restriction est donc établie.

L'expropriation tend à permettre la réalisation du projet de construction de trois bâtiments de logements et commerces, dont les deux tiers seraient soumis à la LGL, conformément au PLQ. Compte tenu de la grave pénurie de logements sévissant à Genève, la restriction du droit de propriété de la recourante permettant la construction de ces logements sert un intérêt public important. De plus, et comme cela vient d'être évoqué, le PLQ a été déclaré d'utilité publique par la loi 10646, dès lors qu'il prévoit qu'au moins 60 % des surfaces brutes de plancher réalisables seront destinées à l'édification de logements d'utilité publique au sens des art. 15 ss LGL. Cette loi, désormais en vigueur, constate du reste l'intérêt public du projet de construction. L'existence d'un intérêt public fondant l'expropriation est ainsi établie.

La troisième condition relative au respect du principe de proportionnalité est également réalisée, dès lors que la levée de la servitude litigieuse est une mesure permettant concrètement la construction de logements, qu'il n'en existe pas d'autre, et que l'intérêt privé de la recourante au maintien de la servitude - inscrite au RF en 1928, soit à une époque où la population résidente du canton de Genève était d'environ 170'000 habitants (contre environ 467'000 à fin 2011), et où la parcelle en question se trouvait dans une zone nettement moins urbanisée qu'aujourd'hui - doit céder le pas devant l'intérêt public prépondérant de la population à la construction de logements.

Toutes les conditions justifiant l'expropriation de la servitude de restriction de bâtir au profit de la recourante étant réalisées, le grief de violation du droit de propriété ne peut qu'être rejeté et le principe même de l'expropriation reconnu.

La recourante fait grief au Conseil d'Etat d'avoir fait un usage abusif de la clause d'urgence, permettant l'envoi en possession anticipée.

a. L'art. 81A LEx-GE prévoit qu'en cas d'urgence pour des motifs d’utilité publique de passer à l’exécution du projet qui donne lieu à expropriation, l’expropriant peut être autorisé à prendre possession de tout ou partie des biens expropriés ou à exercer par anticipation, avant le moment du transfert de propriété, les droits que l’expropriation a pour but de lui conférer (al. 1). La constatation de l’urgence est de la compétence du Conseil d’Etat. Toutes les personnes dont les immeubles ou les droits sont atteints par l’expropriation sont entendues au préalable. L’arrêté leur est notifié par le département par lettre recommandée (al. 2).

En matière d'expropriation, la notion d'urgence ne peut être dissociée de celle de prise de possession anticipée, au sens de l'art. 81A LEx-GE (Arrêt du Tribunal administratif du 6 mars 1985, cause n° 84.CE.1099, consid. 1).

La constatation de l'urgence par le Conseil d'Etat apparaît comme une modalité d'application du principe même de l'expropriation décrétée en vue de la construction des immeubles d'habitation. Il existe donc un lien étroit et indissociable entre la constatation de l'urgence par le Conseil d'Etat et la décision de prise de possession anticipée qui est, comme nous le verrons ci-après, de la compétence de la chambre administrative. Tant la décision de prise de possession anticipée que la constatation de l'urgence par le Conseil d'Etat sont rendues en dernier ressort (art. 81 D, al. 2 LEx-GE), de sorte qu'elles ne sont susceptibles que d'un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral, pour autant que les autres conditions de recevabilité soient remplies.

En contestant auprès de la chambre de céans le constat d'urgence effectué par le Conseil d'Etat, la recourante s'est adressée à une instance incompétente. Ce grief sera dès lors écarté. L'art. 64 al. 2 LPA, imposant la transmission d'office du recours à la juridiction administrative compétente, ne trouve pas application en l'espèce, le Tribunal fédéral n'étant pas une juridiction administrative au sens de l'art. 6 al. 1 LPA.

La recourante s'oppose à ce que l'envoi en possession anticipée soit ordonné.

a. A la requête de l'expropriant, le président du TAPI délivre l'autorisation d'envoi en possession anticipée, après avoir constaté que les conditions suivantes de l'art. 81B sont remplies (art. 81C al. 2 LEx-GE) :

- la loi déclarant d’utilité publique l’expropriation des terrains ou des droits nécessaires à l’exécution du projet est entrée en vigueur (let. a) ;

- le TAPI a procédé aux constatations nécessaires à l’estimation de l’indemnité d’expropriation et à la révision éventuelle de cette estimation par la chambre administrative de la Cour de justice (let. b) ;

- l’expropriant a fourni des sûretés d’un montant convenable garantissant le paiement des indemnités d’expropriation (let. c).

Le TAPI fixe, à la requête de l’expropriant, le montant et la nature des sûretés que celui-ci doit fournir ; si l’équité l’exige, il peut ordonner le versement d’acomptes ou, le cas échéant, de la totalité de l’indemnité d’expropriation arrêtée par le TAPI ou par la chambre administrative (art. 81C al. 1 Lex-GE).

En l'espèce, l'art. 2 de l'arrêté du Conseil d'Etat déclare d'urgence la construction des bâtiments de logements prévus sur les parcelles n° 1775, 2247, 2248 et 3056 et requiert en conséquence du président de la commission, soit désormais au président du TAPI, d'ordonner l'envoi en possession anticipée des droits nécessaires à cette réalisation.

b. Selon l'art. 81C al. 3 LEx-GE, si un recours a été introduit conformément à l’art. 62 let. b [recte : 62 al. 2], c'est-à-dire contre un arrêté d'expropriation du Conseil d'Etat, au moment où la procédure de prise de possession anticipée est ouverte, la chambre administrative, ou le président de celle-ci, prend les décisions prévues à l'art. 81C al. 1 et 2 ; au besoin, la chambre administrative fait elle-même les constatations prévues à l’art. 81B let. a de la loi.

Dès lors que le présent recours a pour objet les arrêtés d'expropriation du Conseil d'Etat, il incombe concrètement à la chambre de céans de :

- vérifier que la loi déclarant d’utilité publique l’expropriation des terrains ou des droits nécessaires à l’exécution du projet est entrée en vigueur (art. 81B let. a LEx-GE) ;

- faire les constatations nécessaires à l’estimation de l’indemnité d’expropriation (art. 81B let. b LEx-GE) ;

- si l'équité l'exige, ordonner le versement d'acomptes, ou, le cas échéant, de la totalité de l'indemnité d'expropriation arrêtée par elle (art. 81C al. 1 in fine LEx-GE ) ;

- constater que l’expropriant a fourni des sûretés d’un montant convenable garantissant le paiement des indemnités d’expropriation (art. 81B let. c) et au besoin fixer, à la requête de l’expropriant, le montant et la nature de ces sûretés (art. 81C al. 1 ab initio LEx-GE).

a. Au regard de ces dispositions, on doit se demander si le montant de l'indemnité d'expropriation doit être fixé par la chambre de céans et si cette dernière peut exercer les prérogatives conférées au TAPI par l'art. 81B let. b LEx-GE.

Elle fait elle-même les constatations prévues à l’art. 81B let. a de la loi par renvoi de l'art. 81C al. 3 in fine LEx-GE. Cette disposition, comme déjà indiqué, impose de contrôler que la loi déclarant d’utilité publique l’expropriation des terrains ou des droits nécessaires à l’exécution du projet est entrée en vigueur. La précision figurant à l'art. 81C al. 3 LEx-GE n'est par conséquent d'aucune utilité pour confirmer ou infirmer la compétence de la chambre administrative de fixer le montant de l'indemnité d'expropriation.

b. Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, la loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale : Arrêt du Tribunal fédéral 2P.115/2003 du 14 mai 2004 ; ATA/377/2009 du 29 juillet 2009). Si le texte légal n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation, avec d’autres dispositions légales, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté du législateur telle qu’elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique : ATF 132 V 321 consid. 6 p. 326 ; ATF 129 V 258 consid. 5.1 p. 263/264 et les références citées). Le Tribunal fédéral utilise les diverses méthodes d’interprétation de manière pragmatique, sans établir entre elles un ordre de priorité hiérarchique (ATF 133 III 175 consid. 3.3.1 p. 178 ; ATF 125 II 206 consid. 4a p. 208/209 ; ATA/422/2008 du 26 août 2008 consid. 7). Enfin, si plusieurs interprétations sont admissibles, il faut choisir celle qui est conforme à la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101 ; ATF 119 Ia 241 consid. 7a p. 248 et les arrêts cités).

Le juge est, en principe, lié par un texte légal clair et sans équivoque. Ce principe n’est cependant pas absolu. En effet, il est possible que la lettre d’une norme ne corresponde pas à son sens véritable. Ainsi, l’autorité qui applique le droit ne peut s’en écarter que s’il existe des motifs sérieux de penser que le texte ne correspond pas en tous points au sens véritable de la disposition visée. De tels motifs peuvent résulter des travaux préparatoires, du fondement et du but de la prescription en cause, ainsi que de sa relation avec d’autres dispositions (ATF 131 I 394 consid. 3.2 p. 396 ; 131 II 13 consid. 7.1 p. 31 ; 130 V 479 consid. 5.2 p. 484 ; 130 V 472 consid. 6.5.1 p. 475). En dehors du cadre ainsi défini, des considérations fondées sur le droit désirable ne permettent pas de s’écarter du texte clair de la loi, surtout si elle est récente (ATF 118 II 333 consid. 3e p. 342 ; 117 II 523 consid. 1c p. 525).

Il ressort des travaux préparatoires relatifs à l'introduction des art. 81A à 81E LEx-GE que la première mouture de l'art. 81B ne contenait que deux lettres. Cette disposition se lisait donc ainsi (MGC 1958 2/I p. 135) :

« La prise de possession ne peut avoir lieu que lorsque:

la commission cantonale de conciliation et d'estimation a fait les constatations nécessaires à l'estimation de l'indemnité d'expropriation et à la révision éventuelle de cette estimation par la Cour de justice ;

l'expropriant a fourni les sûretés d'un montant convenable garantissant le paiement des indemnités d'expropriation ».

Il s'ensuit qu'en renvoyant à l'art. 81B let. a, l'art. 81C al. 3 LEx-GE avait pour but initial de préciser que la Cour de justice pouvait procéder elle-même aux constatations nécessaires à l'estimation de l'indemnité d'expropriation.

Par la suite, l'art. 81B LEx-GE a été complété d'une nouvelle let. a, ajoutant comme condition que la prise de possession anticipée ne pourrait avoir lieu que lorsque la loi déclarant d'utilité publique l'expropriation des terrains ou des droits nécessaires à l'exécution du projet serait entrée en vigueur. Les deux autres conditions sont alors devenues les let. b et c de l'art. 81B LEx-GE (MGC 1958 16/II p. 1536 et 1538).

A l'issue des débats, l'art. 81C al. 3 LEx-GE a été adopté, sans toutefois que le renvoi à l'art. 81B let. a ait été rectifié en conséquence, alors que c'est à la let. b qu'il aurait dû renvoyer (MGC 1958 17/II p. 1615). Pour le surplus, le Conseil d'Etat a relevé au sujet des art. 81C et 81D LEx-GE que « ces dispositions n'appellent pas de commentaires particuliers ; il est normal que les instances appelées à estimer les immeubles et droits expropriés fixent le montant et la nature des sûretés et, s'il y a lieu, des acomptes que l'expropriant doit fournir pour garantir le paiement de l'indemnité d'expropriation. L'autorisation de prise de possession constate la réalisation des conditions légales et, à ce titre, peut être délivrée par le président de la commission d'estimation ou de la Cour de justice » (MGC 1958 2/I p. 139).

En conclusion, l'art. 81C al. 3 LEx-GE contient manifestement une erreur formelle et doit être compris comme renvoyant à la let. b de l'art. 81B LEx-GE. Dès lors, cet article doit être interprété comme précisant que la chambre administrative est compétente pour procéder au besoin, en lieu et place du TAPI, aux constatations nécessaires à l’estimation de l’indemnité d’expropriation.

Ce constat posé, il convient de déterminer la portée exacte de l'art. 81B let. b LEx-GE, afin de savoir si cette disposition a pour but d'enjoindre le TAPI - voire, la chambre de céans - de fixer le montant de l'indemnité, ou seulement de procéder à une estimation prima facie de cette indemnité.

Il ressort des travaux préparatoires le commentaire suivant relatif à cette disposition : « Afin que les intérêts et les droits du propriétaire soient entièrement sauvegardés, il est évidemment nécessaire que la commission d'estimation ait pu faire les constatations utiles à la fixation de l'indemnité et à la révision éventuelle de celle-ci par l'instance de recours. Il est également prévu que l'expropriant doit fournir des sûretés (consignation, constitution de gages, etc.) garantissant le paiement ultérieur des indemnités d'expropriation ; ainsi, les intérêts de l'exproprié sont protégés aussi bien que lorsque le paiement de l'indemnité précède la prise de possession et le transfert de propriété » (Rapport du Conseil d'Etat, MGC 1958 2/I p. 139).

M. Dutoit, alors président du Conseil d'Etat, s'est référé à l'art. 81B en ces termes: « Je vous rappelle encore que la déclaration d'urgence étant décrétée par le Conseil d'Etat, il faut, selon, l'article 81 de la loi qui vous est soumise actuellement, que l'indemnité soit fixée et cette indemnité est fixée non pas par le Conseil d'Etat, encore moins par le département des travaux publics, mais par la commission de conciliation et d'estimation. Je vous renvoie au projet de loi que vous avez sous les yeux, article 81, lettre b. " La commission cantonale de conciliation et d'estimation a fait les constatations nécessaires à l'estimation de l'indemnité d'expropriation et à la révision éventuelle de cette indemnité par la Cour de justice ". Autrement dit, avant que l'Etat ne prenne possession des terrains selon la forme accélérée de la prise de possession anticipée, il faut non seulement que l'utilité publique ait été décrétée, que la décision soit passée en force mais, si même on voulait tenter comme on a l'air de le craindre, un coup de force, ce coup de force est freiné inéluctablement par l'intervention de la commission cantonale de conciliation et d'estimation qui doit fixer le montant de l'indemnité, lequel peut faire l'objet d'un recours à la Cour de justice si l'exproprié n'est pas satisfait de la somme allouée » (MGC, 1958 16/II p. 1549-1550).

La volonté du législateur était ainsi de permettre la délivrance de l'autorisation de prise de possession anticipée pour autant que les droits de l'exproprié soient préservés, autrement dit d'empêcher qu'une prise de possession anticipée ne soit autorisée avant que l'indemnité d'expropriation n'ait été fixée et/ou garantie par des sûretés ou des avances. Partant, l'art. 81B let. b LEx-GE implique que le montant de l'indemnité d'expropriation soit calculé avant la délivrance de l'autorisation, ces deux éléments étant indissociablement liés.

En conclusion, le renvoi exprès de l'art. 81C al. 3 à l'art. 81B let. b LEx-GE doit être interprété comme donnant la compétence à la chambre de céans de fixer le montant de l'indemnité d'expropriation. La recourante ne s'y est d'ailleurs pas trompée, puisqu'elle a conclu dans sa réplique du 28 octobre 2011 à la désignation par la chambre de céans d'un architecte expert SIA afin qu'il procède à l'estimation du bien exproprié.

Cette interprétation est du reste conforme à l'art. 86 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) exigeant que les cantons instituent comme autorités précédant immédiatement le Tribunal fédéral des tribunaux supérieurs. En effet, cette disposition n'impose pas aux cantons d'instituer une double instance de recours, une instance judiciaire unique (tel un tribunal administratif ou un tribunal cantonal intégrant une cour de droit public) constituant automatiquement un tribunal supérieur (arrêt du Tribunal fédéral 2C_270/2011 du 20 avril 2011 consid. 2 et les références citées).

Vu ce qui précède, la chambre administrative examinera si une indemnité est due et, cas échéant, en fixera le montant.

a. En cas d'expropriation ou de restriction à la propriété équivalant à une expropriation, une pleine indemnité est due (art. 26 al. 2 Cst., 6 al. 2 Cst-GE et 14 LEx-GE).

Celle-ci étant destinée à réparer intégralement le dommage causé par la perte d'un bien, le dommage correspond à l'intérêt que le propriétaire lésé avait à être maintenu dans ses droits. L'indemnité doit donc remplacer tous les droits et avantages dont l'exproprié se trouve privé par l'expropriation et couvrir tous les dommages matériels qu'ils subit de ce chef. En résumé, le propriétaire doit se trouver dans la même situation économique que celle dans laquelle il était auparavant : il ne doit être ni enrichi, ni appauvri. Dans la logique du droit d'expropriation, la seule position retenue pour fixer l'indemnité est celle de l'exproprié. L'intérêt de celui qui reçoit le droit n'est jamais pris en considération (M. PRADERVAND-KERNEN, La valeur des servitudes foncières et du droit de superficie, 2007, n° 150 pp. 43-44 et références citées).

b. L'indemnité d'expropriation comprend ainsi trois éléments (art. 18 al. 1 LEx-GE) :

a) la pleine valeur vénale du droit exproprié ;

b) le montant dont est réduite la valeur vénale de la partie restante en cas d’expropriation partielle d’un immeuble ou de plusieurs immeubles dépendant économiquement les uns des autres ;

c) le montant de tous les autres préjudices non réparés par l'allocation des deux indemnités précitées, pour autant que ces préjudices puissent être prévus comme une conséquence de l'expropriation, selon le cours normal des choses.

Ces indemnités doivent être calculées séparément (art. 18 al. 2 LEx-GE).

Est déterminante la valeur du jour de l'arrêté d'expropriation et l'indemnité définitive est augmentée, le cas échéant, d'un intérêt à 5 % dès la date de la prise de possession anticipée (art. 23A et 81E LEx-GE ; ATA St. Du 29 mars 1994, p. 12).

Selon l'art. 19 LEx-GE, la possibilité d'une utilisation plus lucrative de l'immeuble doit être prise en considération dans la mesure où elle est de nature à influer sur la valeur vénale comme un élément de plus-value actuelle (al. 1). La valeur des charges particulières dont l'exproprié est libéré est portée en déduction (al. 2).

Il n'est en outre pas tenu compte de la valeur d'affection et de ce qui n'a été fait (notamment les ouvrages, aménagement et baux) qu'en vue de l'expropriation et pour en aggraver les conséquences, ou en violation de dispositions légales ou réglementaires (art. 23 LEx-GE).

c. La valeur vénale d'un bien correspond au « prix qu'un bon père de famille, à qui l'opération ne s'impose pas de manière urgente, pourrait raisonnablement retirer dans un délai convenable, compte tenu des conditions générales du marché » (M. PRADERVAND-KERNEN, op. cit., n° 126 p. 37 et références citées).

Selon une jurisprudence constante, une servitude n'a toutefois pas de valeur vénale, car elle n'est pas objet de marché. En effet, lorsqu'une transaction porte sur la servitude elle-même, et non sur le fonds sur lequel porte la servitude, elle est en étroite dépendance économique avec le fonds qu'elle grève et celui en faveur duquel elle est constituée, et sa valeur ne peut être déterminée qu'en fonction des fonds qu'elle concerne. Ainsi, les servitudes foncières ne présentent en soi aucune utilité pour des tiers et elle ne sont pas des objets de commerce pour elles-mêmes, car elles n'ont pas de valeur propre, indépendante des fonds concernés (ATF 131 II 458 = JdT 2006 I 668 ; ATF 122 II 246 = JdT 1998 I 412, consid. 4 ; ATF 121 II 436 = JdT 1996 I p. 433 ; ACOM/122/1997 du 24 juillet 1994, consid. 2 p. 10 ; M. PRADERVAND-KERNEN, op. cit. , n° 129-130 pp. 38-39).

d. Comme la servitude n'a pas de valeur vénale au sens de l'art. 18 al. 1 let. a LEx-GE, l'indemnité d'expropriation doit être déterminée selon les règles de l'expropriation partielle de l'art. 18 al. 1 let. b (M. PRADERVAND-KERNEN, op. cit., n° 161 p. 46 ; T. TANQUEREL et F. BELLANGER, La maîtrise publique du sol : expropriation formelle et matérielle, préemption, contrôle du prix, 2009, p. 53).

Il y a lieu de préciser que la dépréciation de la partie restante représente la partie du fonds qui n'est pas touchée par la servitude.

Selon la méthode dite de la différence consacrée par la jurisprudence du Tribunal fédéral relative à l'art. 19 let. b de la loi fédérale sur l’expropriation du 20 juin 1930 (LEx - RS 711) dont les principes sont applicables par analogie à l'art. 18 al. 1 let. b LEx-GE, il s'agit de confronter la valeur vénale du fonds au bénéfice du droit avec la valeur vénale après la suppression ou la limitation de ce droit (ATF 122 II 246 = JdT 1998 I 412, consid. 4 ; ATF 121 II 436 = JdT 1996 I p. 433).

Il sied à cet égard d'apprécier l'ensemble du dommage qui résulte de la perte ou de la diminution d'avantages influant sur la valeur vénale et que la partie restante aurait, selon toute vraisemblance, conservés s'il n'y avait pas eu d'expropriation (art. 21 al. 2 LEx-GE). C'est pourquoi, il faut aussi prendre en compte les inconvénients de fait qui frappent le bien-fonds existant (ATF 131 II 458 précité et les références citées).

En l'espèce, il n'a été procédé à aucune expertise sur la valeur du fonds de l'hoirie Guggisberg. Un tel acte d'instruction n'est toutefois pas nécessaire en l'espèce. En effet, la suppression d'une servitude de restriction de bâtir constituée au profit de propriétaires de terrains situés en zone de développement n'occasionne pas de dommage. Une telle suppression permet au contraire aux propriétaires concernés, s'ils souhaitent valoriser leur terrains, de bénéficier à terme eux aussi, d'un potentiel à bâtir notablement plus élevé. Par conséquent, bien plus qu'une diminution, le terrain de la recourante bénéficie d'une augmentation de sa valeur du fait de l'expropriation de la servitude. Il s'ensuit qu'aucune indemnité n'est due au titre de réduction de la valeur vénale de la parcelle (art. 18 al. 1 let. b LEx-GE).

e. L'exproprié a également droit à l'indemnisation de tous les autres préjudices qu'il subit dans la mesure où ils peuvent être prévus, dans le cours ordinaire des choses, comme une conséquence de l'expropriation (art. 18 al. 1 let. c LEx-GE).

Ces autres préjudices peuvent être classés en deux catégories : ceux qui constituent un damnum emergens d'une part et, d'autre part, ceux qui créent un lucrum cessans, le premier représentant la diminution du patrimoine et des avantages existants, et le second, la non-augmentation du patrimoine et la privation de gains futurs, autrement dit, le gain manqué (M. PRADERVAND-KERNEN, op. cit., n° 177, 178, 179 et 191, pp. 50 et 54).

En l'espèce, la recourante n'a pas démontré subir d'autres préjudices, ni chiffré son dommage. Vu les considérants qui précèdent, il n'apparaît toutefois pas qu'un échange d'écritures supplémentaire serait de nature à changer le constat selon lequel aucune indemnité au sens de l'art. 18 al. 1 let. c LEx-GE ne lui est due, raison pour laquelle la chambre de céans y renoncera.

En conclusion, la chambre de céans retiendra que la recourante n'a droit à aucune indemnité d'expropriation et, par conséquent, ne donnera pas suite à sa requête tendant à la désignation d'un expert dès lors qu'une expertise n'est pas nécessaire.

Vu les considérants qui précèdent, la fourniture de sûretés garantissant le paiement des indemnités d’expropriation prévalant comme condition à l'autorisation de prise de possession anticipée (art. 81B let. c LEx-GE) n'a pas d'application en l'espèce.

Il en résulte que l'autorisation de prise de possession anticipée de la servitude peut être délivrée à Mme Deukmedjian et Moillebeau Promotions. La chambre administrative en fixera les effets à compter du 1er mars 2012.

En tous points mal fondé, le recours sera rejeté. Un émolument de procédure de CHF 2'000.- sera mis, conjointement et solidairement, à la charge de MM. Guggisberg, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA). En outre, une indemnité de CHF 2'000.- sera allouée à Mme Deukmedjian et Moillebeau Promotions S.A., à la charge conjointe et solidaire de MM. Guggisberg (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours le 30 juin 2011 par l'hoirie Guggisberg, soit Messieurs Roger et Michel Guggisberg, contre les arrêtés du Conseil d'Etat du 25 mai 2011 ;

au fond :

le rejette ;

autorise Madame Ida Deukmedjian et Moillebeau Promotions S.A. à prendre possession anticipée dès le 1er mars 2012 de la servitude de restriction de bâtir IF.2004/038967 grevant la parcelle n° 1775 au profit de la parcelle n° 2249, feuille 64 de la commune de Genève, Petit-Saconnex, copropriété de Messieurs Roger et Michel Guggisberg ;

dit qu'aucune indemnité d'expropriation n'est due à Messieurs Roger et Michel Guggisberg ;

met à la charge de Messieurs Roger et Michel Guggisberg, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 2'000.- ;

alloue à Madame Ida Deukmedjian et Moillebeau Promotions S.A. une indemnité de procédure de CHF 2'000.-, à la charge de Messieurs Roger et Michel Guggisberg, pris conjointement et solidairement ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Férida Bejaoui Hinnen, avocate de la recourante, à Me Bellanger, avocat de Madame Ida Deukmedjian et de Moillebeau Promotions S.A., ainsi qu'au Conseil d'Etat.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, M. Thélin, Mme Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière de juridiction :

 

 

M. Tonossi

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :