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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2783/2008

ATA/78/2012 du 08.02.2012 sur ACOM/2/2011 ( LEX ) , PARTIELMNT ADMIS

Parties : DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION / CHABRY Jean-Claude, BERCET-CHABRY Mireille et CHABRY Jean-Claude
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2783/2008-LEX ATA/78/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 8 février 2012

 

 

dans la cause

 

CONSEIL D’éTAT, soit pour lui le département des constructions et des technologies de l'information

contre


Madame Mireille BERCET-CHABRY et Monsieur Jean-Claude CHABRY
représentés par Me Jacques Roulet, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 juin 2011 (ACOM/2/2011)


EN FAIT

1. Madame Mireille Bercet-Chabry et Monsieur Jean-Claude Chabry sont copropriétaires (ci-après : les copropriétaires) des parcelles nos 2054 et 470 du cadastre de la commune du Grand-Saconnex, respectivement de 1'448 m2 et de 591 m2, sur lesquelles sont édifiés une villa, un atelier de serrurerie et des garages.

Ces terrains sont situés entre les nos 183 route de Fernex et 9 impasse Colombelle.

Ils sont inclus dans une zone de développement industriel et artisanal (zone préexistante : 5), au lieu-dit « la Suzette ».

Ce périmètre est régi par le plan directeur n° 27’953-534 ainsi que par son règlement, tous deux adoptés par le Conseil d’Etat le 21 février 1990.

2. Le 9 décembre 2005, Maître Claude Terrier, notaire, a soumis au Conseil d’Etat un acte au terme duquel les copropriétaires promettaient de vendre leurs parcelles à Madame Mei Susan Shi pour le prix de CHF 1'970'000.-.

3. Le 8 février 2006, le Conseil d’Etat a signifié aux copropriétaires sa décision d’exercer son droit de préemption au prix de CHF 900'000.-. Celui fixé à CHF 1'970'000.- était manifestement excessif.

4. Saisi d’un recours des copropriétaires, le Tribunal administratif, devenu depuis lors la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a rejeté celui-ci et confirmé la décision litigieuse par arrêt du 19 juin 2007 (ATA/318/2007), confirmé par le Tribunal fédéral le 2 juin 2008 (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_250/2007). Ces deux juridictions ont considéré que le prix de vente convenu entre les copropriétaires et Mme Shi était excessif. Il appartenait à la commission cantonale de conciliation et d’estimation (ci-après : la commission), instituée par la loi sur l’expropriation pour cause d’utilité publique du 10 juin 1933 (LEx-GE - L 7 05), de fixer l’indemnité. Cette compétence est dévolue depuis lors au Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI).

Le Tribunal fédéral avait en outre précisé que « ce n’est qu’une fois le prix de vente fixé par la commission que les autorités de recours pourront, cas échéant, examiner la proportionnalité de l’opération » (Arrêt du Tribunal fédéral précité, consid. 7.4).

5. Par arrêté du 23 juillet 2008, le Conseil d’Etat a décrété l’expropriation des parcelles nos 2054 et 470 au profit de l’Etat de Genève et transmis la cause à la commission afin que cette dernière détermine le prix d’acquisition des parcelles préemptées.

L’autorité précisait, dans cet arrêté, que la décision d’expropriation avait pour but unique de permettre la saisine de cette commission.

6. Le 30 septembre 2008, les copropriétaires se sont déterminés et ont conclu à ce que la commission fixe à CHF 1'970'000.- le prix d’acquisition des deux parcelles, avec intérêt au taux de 5% l’an dès le 23 juillet 2008. Ils ont produit un rapport d’expertise daté du 23 septembre 2008.

Le Conseil d’Etat, soit pour lui le département des constructions et des technologies de l’information (ci-après : le département), a conclu à ce que l’indemnité due par l’Etat de Genève soit fixée à CHF 900'000.-.

7. Le 31 août 2010, les copropriétaires ont transmis des observations complémentaires, persistant au surplus dans leur conclusion initiale.

8. Le 18 novembre 2010, la commission a entendu les parties en audience de comparution personnelle. Chacune d’entre elles a campé sur sa position.

9. Le 28 janvier 2011, la commission a procédé à un transport sur place, au cours duquel elle a constaté l’état des parcelles, les constructions qui y étaient édifiées ainsi que la situation du voisinage.

10. Le 14 juin 2011, la commission a rendu sa décision.

Après avoir rappelé les principes régissant la fixation du montant de l’indemnité (consid. 3), elle s’est exprimée ainsi :

« en l'espèce, il n'est pas contesté que les deux parcelles en cause se trouvent en zone de développement industriel, avec un indice d'utilisation du sol pouvant aller jusqu'à 1.5 (cf. art. 5 du règlement adopté par le Conseil d'Etat le 21 février 1990).

Dans son arrêt du 2 juin 2008, le Tribunal fédéral a observé que "le prix de référence", soit en l'occurrence CHF 900'000.-, invoqué par le Conseil d'Etat de Genève "a été calculé pour le terrain seul - à l'exclusion des bâtiments qu'il supporte ou d'autres parties intégrantes -- par (...) la [fondation des terrains industriels (ci-après : FTI )]" ; le Tribunal fédéral a par ailleurs estimé que, lors de l'exercice du droit de préemption, il ne lui apparaissait pas insoutenable que le Conseil d'Etat se fonde sur ce "prix de référence" "qui manifestement, est une simple évaluation prima facie de la valeur approximative que le terrain industriel peut avoir dans les différentes zones de développement industriel du canton de Genève" (consid 7.3, p. 10).

Il résulte du transport sur place effectuée le 28 janvier 2011 […]

En application des considérants ci-dessus du Tribunal fédéral, vu la situation des deux parcelles 2054 et 476, libres de toute servitude, ainsi que du bâtiment d'habitation, de l'atelier et desdits garages, la commission estime raisonnable de retenir pour le coût du terrain un montant de CHF 640.-/m2, proche de la valeur minimale, en zone de développement, proposé par l'expert des copropriétaires dans son rapport du 23 septembre 2008, que le requérant ne conteste pas correspondre à la réalité du marché ».

La commission fixait en conséquence l’indemnité en retenant les éléments suivants :

Terrain

1'304'960.-

Bâtiments selon estimation FTI, habitation

288'000.-

Garages selon FTI

47'400.-

Atelier serrurerie selon FTI

50'000.-

Aménagement extérieur selon FTI

84'000.-

 

1'774'760.-
arrondi à                
1'774'760.-

portant intérêt à 5% dès le 23 juillet 2008. Les frais de la procédure, s’élevant à CHF 3'000.-, étaient mis à la charge du Conseil d’Etat et une indemnité de procédure de CHF 5'000.- allouée aux copropriétaires.

11. Le 12 juillet 2011, le Conseil d’Etat a recouru contre cette décision auprès de la chambre administrative.

La date déterminante à partir de laquelle devaient courir les intérêts n’était pas celle de l’arrêté d’expropriation, soit le 23 juillet 2008, mais bien la date à laquelle il avait déclaré exercer son droit de préemption, soit le 8 février 2006.

Le prix de référence indiqué par la FTI, et mentionné tant dans l’arrêt du Tribunal administratif que dans celui du Tribunal fédéral, devait être pris en considération pour déterminer la pleine valeur vénale du droit exproprié. La méthode régressive devait être écartée en l’espèce. Le prix devait être fixé en fonction des critères forgés par la pratique et la jurisprudence pour les zones de développement industriel et non pas selon une logique économique et commerciale. La méthode comparative devait être utilisée et le prix fixé à CHF 900'000.-.

12. Le 15 août 2011, les copropriétaires se sont opposés au recours. La commission était composée de spécialistes et la chambre administrative n’avait pas pour compétence d’apprécier l’opportunité de la décision attaquée, le recours ne pouvant être formé que pour violation du droit, y compris l’excès et l’abus du pouvoir d’appréciation. Le Conseil d’Etat, respectivement le département n’alléguait, ni ne démontrait que la décision litigieuse se fondait sur des constations inexactes ou incomplètes, ni que la commission avait abusé du pouvoir d’appréciation que la loi lui conférait.

Quant à la date déterminante pour fixer la valeur des biens expropriés, elle devait être fixée au plus tôt au 2 juin 2008, soit la date à laquelle le Tribunal fédéral avait prononcé son arrêt et où la décision du Conseil d’Etat d’exercer son droit de préemption était entrée en force.

En cas d’application de la méthode régressive, la valeur serait bien supérieure, le taux d’utilisation du sol des terrains concernés passant de 0,2 à 1,5 en zone villas. La commission avait procédé à son estimation en se fondant sur les particularités du quartier ainsi que sur les exemples fournis.

13. Dans le délai imparti, les parties n’ont pas sollicité d’actes d’instruction complémentaires et la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. L'art. 12 al. 4 de la loi générale sur les zones de développement industriel du 13 décembre 1984 (LGZDI - L 1 45) autorise le Conseil d'Etat, lorsque le canton exerce son droit de préemption, à acquérir le bien-fonds aux prix et conditions fixés dans l'acte ou à offrir d'acquérir le bien-fonds aux prix et conditions fixés par lui ou, à défaut d'acceptation de cette offre, à recourir à la procédure d'expropriation, conformément aux dispositions de la LEx-GE.

En application de l'art. 14 LEx-GE, l'expropriation ne peut avoir lieu que moyennant indemnité pleine et entière L'indemnité est constituée, d'une part, de la pleine valeur vénale du droit exproprié et, d'autre part, de tout autre préjudice prévisible selon le cours normal des choses en cas d'expropriation (art. 18 LEx-GE).

3. La valeur vénale d'un bien est la valeur qui lui est attribuée dans des circonstances normales, à une époque déterminée et à l'occasion d'un échange d'ordre économique. La loi et la jurisprudence considèrent que la valeur vénale d'un bien est le prix que le propriétaire d'un immeuble exproprié pouvait raisonnablement espérer en obtenir en cas de vente. Il s'agit de la valeur objective de l'objet, soit celle qui correspond au prix d'aliénation, étant précisé que les prix spéculatifs ou de bradage ne doivent pas être pris en compte (J.-M. SIEGRIST, L’estimation des biens expropriés, in La maîtrise du sol : expropriation formelle et matérielle, préemption, contrôle du prix, 2009, p. 44).

Pour déterminer cette valeur, plusieurs méthodes sont possibles, telles que la méthode comparative - qui fixe la valeur des immeubles sur la base des prix payés effectivement pour des fonds semblables -, la méthode fondée sur la valeur de rendement - qui détermine le capital correspondant au revenu actuel de l'objet exproprié -, la méthode régressive - qui détermine la valeur d'un terrain en fonction du rendement qui pourra être obtenu après que des bâtiments auront été édifiés -, la méthode fondée sur la situation de l’immeuble (méthode hédoniste) ou encore sur divers éléments d'appréciation tels que la taxation fiscale, l'estimation cadastrale ou autres (J.-M. SIEGRIST, op. cit., p. 46 ss.). Lorsqu’une valeur « officielle » est fixée par une disposition légale, elle doit être prise en compte sans toutefois être entièrement applicable à toutes les situations (ATA/203/1998 du 21 avril 1998 ; J.-M SIEGRIST, op. cit., pp. 51 et 52 ).

4. La jurisprudence a déduit du droit d'être entendu l'obligation pour l'autorité de motiver sa décision, afin notamment qu’en cas de recours, la juridiction de recours puisse exercer son contrôle (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_192/2011 du 8 novembre 2011 et la jurisprudence citée).

En l’espèce, la décision litigieuse ne permet pas de comprendre ni de vérifier le raisonnement suivi par la commission pour fixer le prix du terrain à CHF 640.-/m2. La référence au prix du marché semble faire application de la méthode comparative, sans que des exemples précis ne soient cités. La mention de l’expertise réalisée à la requête des copropriétaires pourrait indiquer que la commission s’est fondée sur la méthode régressive, sans que cela ne soit certain au vu des éléments pris en compte dans ce document (valeur du terrain en troisième zone de développement, valeur « politiquement acceptable » et « économiquement équitable »), sans autres précisions concernant les données retenues dans l’équation.

Cette carence ne peut être réparée par la chambre de céans, qui ne peut revoir l’opportunité de la décision litigieuse, et ne bénéficie pas - contrairement à l’autorité de première instance - de spécialistes du domaine immobilier dans sa composition.

5. Dans ces circonstances, le recours sera partiellement admis. La décision du 14 juin 2011 sera annulée et la cause renvoyée au TAPI - qui a repris depuis le 27 septembre 2011 les compétences de la commission intimée - afin qu’il statue à nouveau.

6. Vu la qualité du recourant, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1’000.- sera allouée aux copropriétaires, qui ont exposé des frais et y ont conclu (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 12 juillet 2011 par le Conseil d’Etat, soit pour lui le département des constructions et des technologies de l’information, contre la décision du 14 juin 2011 de la commission cantonale de conciliation et d’estimation en matière d’expropriation ;

au fond :

l’admet partiellement ;

annule la décision litigieuse ;

renvoie la cause au Tribunal administratif de première instance pour qu’il statue à nouveau au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de CHF 1'000.- à Madame Mireille Bercet-Chabry et Monsieur Jean-Claude Chabry ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

 

communique le présent arrêt au Conseil d'Etat, soit pour lui le département des constructions et des technologies de l'information, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'à Me Jacques Roulet, avocat de Madame Mireille Bercet-Chabry et Monsieur Jean-Claude Chabry.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, M. Thélin, Mme Junod, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière de juridiction :

 

 

M. Tonossi

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :