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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/116/2013

ATA/764/2013 du 12.11.2013 sur JTAPI/60/2013 ( LDTR ) , ADMIS

Parties : ASLOCA, ASSOCIATION GENEVOISE DES LOCATAIRES / SI PARC PLEIN SOLEIL SA, DEPARTEMENT DE L'URBANISME
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/116/2013-LDTR ATA/764/2013

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 12 novembre 2013

 

dans la cause

 

ASSOCIATION GENEVOISE DES LOCATAIRES
représentée par Me Romolo Molo, avocat

contre

SI PARC PLEIN SOLEIL S.A.
représentée par Me Christian Tamisier, avocat

et

DéPARTEMENT DE L’URBANISME

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 21 janvier 2013 (JTAPI/60/2013)


EN FAIT

a. Les 14 et 21 décembre 2012, ont été publiées dans la Feuille d’Avis officielle de la République et Canton de Genève (ci-après : FAO) quinze cessions-attributions, inscrites au registre foncier les 5, 6 et 7 décembre 2012, sous PJ 11784/0, PJ 11785/0, PJ 11786/0, PJ 11788/0, PJ 11789/0, PJ 11790/0, PJ 11791/0, PJ 11792/0, PJ 11793/0, PJ 11843/0, PJ 11844/0, PJ 11845/0, PJ 11846/0, PJ 11848/0 et PJ 11914/0, portant sur des parts de propriété par étages (ci-après : PPE) de l’immeuble sis, 16 à 36, chemin du Pommier au Grand-Saconnex, cédées à des particuliers par la SI Parc Plein Soleil A S.A. (ci-après : la SI), société inscrite le 27 juin 1966 au registre du commerce.

b. Le 11 janvier 2013, ont été publiées dans la FAO, onze cessions-attributions, inscrites au registre foncier les 13, 18, 19 et 20 décembre 2012, sous PJ 12121/0, PJ 12123/0, PJ 12125/0, PJ 12126/0, PJ 12319/0, PJ 12408/0, PJ 12409/0, PJ 12410/0, PJ 12501/0, PJ 12503/0 et PJ 12505/0, portant sur des parts de PPE du même immeuble, cédées à des particuliers par la SI.

Par mémoires des 9 janvier 2013 et 8 février 2013, reçus les 14 janvier et 12 février 2013, l’Association genevoise de défense des locataires (ci-après : ASLOCA) a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre les décisions du registre foncier comportant quinze, respectivement onze cessions-attributions d’appartements,  en concluant à leur annulation.

En substance, elle reprochait au registre foncier une violation de l’art. 39 al. 1 de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20).

Les aliénations d’appartements devaient être soumises à autorisation du département de l’urbanisme (ci-après : le département) et celles-ci devaient être publiées dans le tableau des autorisations de ventes d’appartements de la FAO. Les notaires et le registre foncier le savaient et le refus volontaire de cette publication violait l’art. 39 LDTR.

Par deux jugements sur compétence des 21 janvier et 13 février 2013, le TAPI a déclaré irrecevables, sans instruction préalable, les recours de l’ASLOCA.

L’ASLOCA contestait les ventes conclues entre des personnes privées et demandait la modification du registre foncier en conséquence. Il s’agissait de litiges de droit privé et les causes devaient être transmises au Tribunal civil.

Par mémoires des 25 février et 14 mars 2013, l’ASLOCA a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre les jugements du TAPI en concluant principalement à leur annulation et à celle des décisions du registre foncier portant sur les quinze, respectivement onze, cessions-attributions. Elle a conclu également au versement d’une indemnité de procédure. Les recours ont été enregistrés sous numéro de cause A/116/2013 et A/505/2013.

L’immeuble des 16 à 36 chemin du Pommier, appartenait à une société immobilière qui louait des appartements. La société avait décidé de procéder à des cessions-attributions portant sur des appartements locatifs pour les transformer en parts de PPE.

L’art. 39 LDTR devait s’appliquer à toute aliénation d’appartement à usage d’habitation et une autorisation devait être délivrée par le département. Seuls trois cas étaient exemptés de cette autorisation : l’aliénation d’une maison individuelle, celle d’un appartement ne faisant pas partie d’une catégorie de logements où sévissait la pénurie ou celle d’un appartement neuf destiné à la vente et qui n’avait jamais été loué ni offert en location. Les notaires qui pouvaient attester de ces conditions d’aliénation engageaient leur responsabilité.

L’application de la LDTR relevait du droit public et le TAPI aurait dû se déclarer compétent.

Les 28 février et 27 mars 2013, le TAPI a transmis ses dossiers sans observations.

Sur demande de la juge déléguée, le département a exposé le 12 mars 2013 qu’il n’avait procédé à aucun examen de conformité aux dispositions de la LDTR concernant les cessions-attributions contestées.

Le 22 avril 2013, le département s’est déterminé sur les recours. La cession-attribution n’était pas soumise à autorisation du département puisqu’il ne s’agissait pas d’une acquisition économique du bien. Les actions qui conféraient la propriété sur les biens immobiliers et qui faisaient l’objet du transfert litigieux étaient restées en mains des mêmes détenteurs économiques, ces derniers étant devenus simplement « propriétaires en nom » des biens immobiliers par ladite opération. Il ne s’agissait absolument pas d’une vente d’appartement qui impliquerait un changement de propriétaire mais d’un simple changement de régime juridique, non soumis à autorisation.

Une société anonyme immobilière d’actionnaires-locataires (ci-après : SIAL), telle la SI avait été constituée spécialement à une époque où la PPE n’était pas admise en droit suisse. Elle reposait sur une combinaison du droit des sociétés et du droit du bail à loyer et impliquait la constitution d’une société anonyme pour construire ou acquérir un immeuble et l’attribution de la jouissance de ses fractions. Cette attribution se réalisait par un contrat de bail que seuls les actionnaires pouvaient conclure avec la société. Il s’agissait d’une forme de propriété analogue au régime de la PPE. Les transferts opérés n’avaient pas eu pour conséquence une modification ou un changement du détenteur économique du bien et ne pouvaient être qualifiés de ventes d’appartements au sens de la LDTR.

Le 22 avril 2013, la SI a conclu au rejet des recours et à la condamnation de l’ASLOCA aux frais d’instance.

Le changement de statuts de la SI en SIAL-PPE était nécessaire pour permettre aux détenteurs économiques des appartements, soit les actionnaires-locataires, d’obtenir un financement pour rénover l’immeuble construit dans les années 60, le nantissement des actions ne permettant pas d’obtenir un financement suffisant. Il n’y avait eu, par cette opération, aucun changement de détenteur économique des appartements.

Renseignements avaient été pris par Me Pierre Mottu, notaire auprès du département concernant la liquidation partielle de la SI. Le 15 juin 2012, le département avait informé le notaire par courriel que l’opération projetée, à savoir les sorties d’actionnaires, soit le transfert en nom à ceux-ci, n’était pas assimilable à une aliénation au sens de l’art. 39 al. 1 LDTR.

Le 17 juin 2013, l’ASLOCA a déposé des observations.

Les régimes des SIAL et des PPE devaient être distingués, les locataires n’étant pas propriétaires et aucune hypothèque ne pouvant grever les appartements locatifs mais uniquement l’immeuble dans son entier. La SIAL pouvait annuler les baux si les locataires ne respectaient pas les conditions.

Une circulaire du département adressée aux notaires, datant du 16 mai 2008, indiquait qu’un partage-attribution d’une société simple ayant acquis « en bloc » plusieurs appartements d’un même immeuble était soumis à la LDTR.

Suite à quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées le 3 juillet 2013.

EN DROIT

Les recours ont été interjetés en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10). En outre, de jurisprudence constante, l’ASLOCA jouit de la qualité pour recourir au sens de l’art. 45 al. 3 LDTR (ATA/391/2013 du 25 juin 2013 consid. 1 ; ATA/266/2013 du 30 avril 2013 consid. 2 et les arrêts cités).

Les recours sont dès lors recevables.

Sur la base de l’art. 70 al. 1 LPA, l’autorité peut, d’office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune. En l’espèce, les causes nos A/116/2013 et A/505/2013 se rapportent aux mêmes parties, au même immeuble et à des jugements du TAPI rendus le même jour. La chambre de céans procédera à leur jonction sous le no A/116/2012.

La LDTR a notamment pour but la préservation de l’habitat existant et prévoit, à cet effet, des restrictions quant à l’aliénation des appartements destinés à la location (art. 1 al. 2 let. c LDTR).

a. L’aliénation d’un appartement à usage d’habitation jusqu’alors offert en location est soumise à autorisation dans la mesure où l’appartement entre, à raison de son loyer ou de son type, dans une catégorie de logements où sévit la pénurie (art. 39 al. 1 LDTR).

b. Par appartement jusqu’alors offert en location, au sens de l’art. 39 al. 1 LDTR, il faut entendre, soit : l’appartement loué lors du dépôt de la requête en autorisation d’aliéner ou l’appartement vide ou vacant lors du dépôt de la requête en autorisation d’aliéner, mais qui avait précédemment été loué par son propriétaire actuel ou encore l’appartement occupé, lors du dépôt de la requête en autorisation d’aliéner, par son propriétaire, si celui-ci a précédemment loué l’appartement considéré. (art. 11 al. 3 du règlement d’application de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d’habitation du 29 avril 1996 (RDTR - L 5 20.01).

c. Le vendeur, qui a l’obligation de solliciter l’autorisation prévue à l’art. 39 al. 1 LDTR adresse, à l’aide du formulaire ad hoc et avant la conclusion de l’aliénation, une requête au département (art. 12 al. 1 RDTR).

Les agents immobiliers, les notaires ou autre mandataires professionnels, dont le concours est sollicité en vue de la passation d’un acte de vente d’un appartement jusqu’alors offerte en location, ont l’obligation de s’assurer préalablement de la délivrance par le département de l’autorisation d’aliéner (art. 16 RDTR).

Toute réquisition au registre foncier de constitution d’une copropriété par étages ou de mutation d’une part de copropriété par étages déjà existante portant sur un appartement jusque-là offert en location doit être communiquée sans délai par le registre foncier au département. Le conservateur du registre foncier écarte toute réquisition d’inscription d’une aliénation d’une part de copropriété par étages portant sur un appartement qui n’est pas assortie d’une autorisation du département au sens de l’art. 39 al. 1 LDTR ou d’une attestation du notaire établie conformément à l’art. 11 al. 2 RDTR (art. 17 al. 1 et 2 RDTR).

Les notaires peuvent attester qu’une aliénation immobilière porte sur une maison individuelle, sur un appartement ne faisant pas partie d’une catégorie de logements où sévit la pénurie ou sur un appartement neuf, destiné à la vente et qui n’a jamais été loué ni offert en location. Ils engagent leur responsabilité à cet égard (art. 11 al. 2 RDTR).

d. Le Conseil d’Etat a constaté qu’il y avait pénurie, au sens des art. 25 et 39 LDTR, dans toutes les catégories d’appartements d’une à sept pièces inclusivement (Arrêté du Conseil d’Etat déterminant les catégories d’appartements où sévit la pénurie en vue de l’application des art. 25 à 39 LDTR du 27 juillet 2011, en vigueur à fin 2012 - ArAppart - L 5 20.03).

e. A teneur de l’art. 39 al. 2 LDTR, le département doit refuser l’autorisation d’aliéner un appartement en PPE affecté à la location lorsqu’un motif prépondérant d’intérêt public ou d’intérêt général s’y oppose. L’intérêt public et l’intérêt général résident dans le maintien, en période de pénurie de logements, de l’affectation locative des appartements loués. Le département doit procéder à une pesée des intérêts, règle reprise à l’art. 13 al. 1 RDTR.

f. Le département doit délivrer l’autorisation d’aliéner si l’une des conditions prévues à l’art. 39 al. 4 let. a à d LDTR est remplie, soit si l’appartement concerné a été dès sa construction soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue, ou était le 30 mars 1985 soumis à une telle forme de propriété et qu’il avait déjà été cédé de manière individualisée, qu’il n’avait jamais été loué ou avait fait une fois au moins l’objet d’une autorisation d’aliéner en vertu de la LDTR.

En l’espèce, le département n’a pas délivré d’autorisation en lien avec les cessions-attributions. Le notaire chargé de l’opération, après s’être informé auprès du département, a estimé que celles-ci n’étaient pas soumises à l’art. 39 LDTR, ce que le registre foncier a approuvé en procédant à l’inscription du transfert.

Les recours de l’ASLOCA portent sur la question de l’application de l’art. 39 LDTR aux opérations de cessions-transferts publiées par le registre foncier, qui relève donc du droit administratif et le TAPI devait se déclarer compétent (art. 45 al. 1 et 3 LDTR).

a. Il découle de ce qui précède que les jugements du TAPI, en tant qu’ils déclarent irrecevables les recours de l’ASLOCA, seront annulés et les dossiers seront retournés au TAPI pour instruction, notamment sur la question de l’identité des propriétaires d’actions de la SIAL et des propriétaires des parts de PPE ainsi que de celle des locataires avant et après les cessions-attribution dans le cadre de l’examen de l’application éventuelle de l’art. 39 al. 1 LDTR.

b. En outre, le TAPI a transmis les dossiers au Tribunal civil comme objet de sa compétence. A cet égard, il convient de rappeler la teneur de l’art. 64 al. 2 LPA, applicable aux recours déposés auprès du TAPI qui ne prévoit la transmission d’office qu’aux juridictions administratives compétentes.

En conséquence, les recours seront admis. Vu les circonstances du cas d’espèce, aucun émolument ne sera perçu et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 1 et 2 LPA).


* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

préalablement

ordonne la jonction des causes A/116/2013 et A/505/2013 sous le no de cause A/116/2013 ;

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés les 25 février et 14 mars 2013 par l’ASLOCA contre les jugement du Tribunal administratif de première instance du 21 janvier 2013 ;

au fond :

les admet ;

annule les jugements du Tribunal administratif de première instance du 21 janvier 2013 ;

renvoie les dossiers au Tribunal administratif de première instance au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romolo Molo, avocat de la recourante, à Me Christian Tamisier, avocat de l'intimée, au département de l'urbanisme ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, MM. Dumartheray, Verniory, et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :