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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/809/2002

ATA/750/2004 du 28.09.2004 ( CE ) , REJETE

Recours TF déposé le 03.11.2004, rendu le 11.04.2005, REJETE, 2P.272/2004
Descripteurs : FONCTIONNAIRE; LICENCIEMENT; DEVOIR PROFESSIONNEL; PROPORTIONNALITE
Normes : LPAC.21 al.1 litt.b; LPAC.22; RPAC.20; RPAC.21; RPAC.22; RPAC.23; RPAC.25
Résumé : Licenciement d'un fonctionnaire pour avoir accepté des avantages indus, exercé une activité accessoire sans autorisation et failli à ses devoirs professionnels (liberté avec les horaires notamment).
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/809/2002-CE ATA/750/2004

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 28 septembre 2004

dans la cause

 

Monsieur D.
représenté par Me François Membrez, avocat

contre

CONSEIL D'ETAT


 


1. Né en 1963, Monsieur D. a une formation de commerce. Il a travaillé pour le compte de diverses entreprises avant d'entrer à l'Etat de Genève, le 1er février 1997, comme magasinier comptable au collège de l'Aubépine dépendant du département de l'instruction publique.

Le rapport d'évaluation de l'époque, daté du 27 octobre 1998, était élogieux (très bonnes prestations sur les plans quantitatifs et qualitatifs. Esprit d'initiative ... rapidité d'exécution, etc.).

2. Auparavant, il avait créé une société M.-S. D. et Cie, société en commandite, inscrite au registre du commerce en 1986 (ci-après : la société). M. D. en était l'associé indéfiniment responsable. Dès sa création, M. D. a immatriculé des véhicules automobiles et des deux-roues au nom de la société. Celle-ci a été radiée en 1992.

3. A partir du 1er février 1999, il a été transféré à l'économat cantonal, dépendant du département des finances, pour occuper le poste de chef du service équipements, entretien et transports.

Le rapport d'évaluation établi le 24 novembre 1999 était également favorable. En regard des critères d'évaluation des prestations, quatre d'entre elles étaient qualifiées de très bonnes et cinq de bonnes. Sous la signature de M. S., alors responsable des ressources humaines de l'économat, celui-ci a marqué son feu vert pour la nomination de M. D., lequel a été nommé fonctionnaire le 1er février 2000.

M. D. n'a aucun antécédent disciplinaire.

4. Le service regroupait tous les achats mobiliers, véhicules, matériel scientifique, pédagogique, photocopieurs, etc. Le service traitait 14'000 commandes et dépensait quelque 14 millions de francs par année. De par sa fonction, M. D. était également responsable de la commission technique pour l'achat des véhicules de la police. Il présidait aussi la commission d'achat de véhicules de l'Etat (CAVE).

5. Sur demande du département des finances, le Conseil d'Etat a ordonné, par arrêté du 27 février 2002, l'ouverture d'une enquête administrative à l'encontre de M. D., suspecté d'avoir sollicité le versement d'une commission lors de l'achat pour la police d'une voiture de marque Nissan. La conduite de l'enquête a été confiée à M. F., ancien remplaçant du chef de la police de sûreté.

La décision était assortie d'une suspension provisoire de l'intéressé avec maintien du traitement.

Par arrêt du 14 mai 2002, le Tribunal administratif a rejeté le recours de M. D. dirigé contre l'arrêté précité (ATA/261/2002).

6. Dans le même temps, ces faits ont été dénoncés directement à Monsieur le Procureur général par le chef de la police.

Il était également apparu que M. D. avait immatriculé 56 véhicules au nom de sa société, malgré la radiation de celle-ci du registre du commerce.

Si ces faits devaient se vérifier, ils pourraient justifier le licenciement de l'intéressé.

7. La police de sûreté a entendu M. D. le 12 mars 2002. Il y a lieu de relever ce qui suit :

a. Il a expliqué que son rôle consistait à donner un préavis technique, favorable ou non, à la CAVE dans l'achat de véhicules pour la police. Une fois que le principe de l'achat était accepté au niveau budgétaire, il établissait et proposait une liste de véhicules d'occasion au responsable du garage de la police, Monsieur B.. Sur la base de cette liste, M. B. faisait son choix et le communiquait à la sous-commission technique, dont il faisait partie tout comme lui-même et Monsieur M., directeur technique du SAN. La sous-commission rédigeait alors un procès-verbal et le transmettait à la CAVE qui acceptait ou non l'achat du véhicule en question. M. D. n'avait donc aucune influence sur la décision de la CAVE. Il lui arrivait occasionnellement de rencontrer les vendeurs et de négocier les conditions d'achat. La plupart du temps, il prospectait le marché par Internet et prenait contact par téléphone avec les garages.

b. Il a contesté formellement avoir jamais sollicité l'octroi d'un quelconque avantage ou demandé la moindre commission. Cette affaire n'était qu'une cabale dirigée contre lui et qui s'expliquait par le fait qu'il occupait un poste très exposé et qu'il était en butte à certaines jalousies. Pourquoi aurait-il mis en péril sa carrière à l'Etat pour quelques centaines de francs !

c. A la question de savoir s'il exerçait encore une activité commerciale d'achat-vente de véhicules d'occasion, M. D. a répondu par la négative. Il était un passionné de motos. Par goût, il changeait fréquemment de véhicule. Faute de place et de liquidités, il lui arrivait souvent d'immatriculer des motos différentes. Il les achetait à bas prix, et les réparait par plaisir et par passion.

d. S'agissant de l'utilisation de sa société bien que celle-ci fût dissoute, M. D. a expliqué qu'il avait de toute bonne foi continué à s'en servir. Cela lui épargnait des frais puisqu'il n'avait pas à changer le nom du détenteur sur le permis de circulation. Il avait agi de la sorte uniquement par souci d'économie, voulant conserver ses bonus d'assurance acquis depuis plusieurs années. De plus, sur les permis de circulation son nom et son prénom étaient apposés en toutes lettres sous celui de la société M.-S.. Il n'avait donc pas eu conscience de se trouver en infraction.

e. A la demande de la police, l'intéressé a accepté une visite domiciliaire afin de se disculper de tous soupçons.

8. L'enquêteur a procédé à des auditions. Celle de M. D. a été faite en présence de son conseil et les témoins entendus l'ont été en présence de M. D. et de son avocat, lesquels ont pu poser des questions.

a. Le 22 mars 2002, il a entendu M. D.. Celui-ci faisait personnellement l'objet d'une campagne de dénigrement et de mobbing de la part d'un petit noyau de personnes qu'il lui était impossible d'encadrer. Jamais il n'avait sollicité le versement d'une commission à titre personnel auprès des vendeurs de véhicules. S'il avait utilisé sa société, c'était parce qu'il pensait que le Registre du commerce avisait systématiquement le SAN. Au moment de son audition, il était en règle. Il lui restait trois véhicules qu'il avait immatriculés à son nom, suite à son audition par la brigade financière. Il a transmis à l'enquêteur la liste des véhicules qu'il avait achetés depuis qu'il travaillait à l'Etat. Il y en avait 23. Tous avaient été achetés à des assurances. Il y avait 22 deux roues et cinq voitures (sic). Il s'agissait d'épaves, soit de véhicules accidentés ou récupérés par l'assurance et dont le coût des réparations dépassait le 50 % de la valeur vénale. Il réparait ces véhicules après le travail, à son domicile. C'était une passion. Il ne réalisait pratiquement aucun bénéfice. Il avait conservé l'usage de sa société pour ne pas perdre les bonus d'assurance et pour éviter de refaire toutes les polices, ce qui lui économisait des frais. A aucun moment, il n'avait songé à tromper l'assurance RC et le SAN. A la question de savoir si sa hiérarchie était au courant, il a répondu qu'il ne l'avait jamais caché. Sa directrice ne le savait probablement pas, tandis que M. S., alors chef de personnel, était au courant. A une autre question, M. D. a répondu qu'il se rendait au SAN pour effectuer les formalités d'immatriculation entre 12h00 et 14h00. Il n'avait jamais sollicité des cadeaux de quelque nature que ce soit de la part des fournisseurs de l'économat. Il en avait toutefois reçu, très souvent en fin d'année au même titre que toute sa hiérarchie : quelques bouteilles, des chocolats, des paniers garnis. Il lui était arrivé d'être invité à des repas par des fournisseurs, tout comme sa directrice. Avec d'autres collègues, il lui arrivait d'accepter une invitation à partager un plat du jour ou à participer à des apéritifs à l'occasion de présentations de matériel.

Sa situation financière était saine. Il n'avait pas de charge particulière ni de dettes en dehors d'une hypothèque de CHF 95'000.-- sur la maison qu'il occupait avec sa famille.

Peu après son audition, il a fourni une liste détaillée des véhicules qu'il avait achetés et revendus depuis 1997.

b. Le 16 avril 2002, le directeur adjoint du SAN a été entendu. Il a déclaré que lorsqu'une société était radiée, le Registre du commerce n'avisait pas le SAN. Une société radiée ne pouvait pas être détenteur car elle n'avait plus de personnalité juridique propre, elle n'avait plus de capacité civile active ou passive. Invité à s'exprimer sur les frais administratifs que l'intéressé disait vouloir éviter en utilisant sa société, le témoin a indiqué qu'il s'agissait de CHF 95.-- par véhicule, CHF 40.-- par jeu de plaques et CHF 20.-- par plaques moto. Le témoin a précisé que sur la dernière page du permis de circulation, il était écrit que tout fait nécessitant une modification de ce permis devait être annoncé dans les 14 jours à l'autorité qui l'avait délivré.

c. La directrice de l'économat cantonal, Mme V., a été entendue le 16 avril 2002. Elle a confirmé que la fonction de M. D. était d'encadrer ses subordonnés. Celui-ci était cependant souvent absent de par ses fonctions qui étaient celles d'achat de véhicules, de mobilier et notamment les appels d'offres pour photocopieurs. Elle-même avait accepté de participer à des repas à cinq reprises. C'était en l'an 2000 et il ne s'agissait pas de plats du jour mais d'invitations de fournisseurs dans des restaurants assez chics. Elle avait accepté des rencontres générales avec des fournisseurs dans le but de mieux les connaître. Elle pouvait comprendre que dans le cadre de présentations de produits ou de visites de foires ou d'entreprises, on puisse accepter un apéritif. Vingt à trente apéritifs dans l'année lui paraissaient toutefois excessifs.

A plusieurs reprises, M. D. avait fait l'objet de remarques relatives à sa manière de gérer le service. Ses collaborateurs n'étaient pas suffisamment informés de la marche de l'économat. Il ne les mettait pas assez au courant et ne s'assurait pas assez de la qualité de leur travail. Le témoin mettait cette attitude sur le compte du manque d'intérêt de M. D. pour les questions administratives. Ce dernier n'aimait pas les conflits et n'aimait pas les régler. Il était plutôt "consensuel" et davantage porté vers l'extérieur que vers la gestion d'un service.

Mme V. a ajouté qu'elle avait appris d'une collaboratrice que M. D. testait probablement des véhicules prêtés par des garages. Si tel était le cas, ce n'était pas son rôle de tester ces véhicules.

S'agissant des cadeaux de fin d'année, le témoin a indiqué que selon la pratique du service ils étaient acceptés et mis en commun.

A une question de M. D., la directrice a confirmé que ce dernier lui avait fait part de plusieurs critiques à l'endroit d'un subordonné de M. D.. Ces remarques étaient justifiées et avaient conduit le témoin à infliger un avertissement à ce subordonné.

Mme V. a également confirmé qu'il régnait des tensions dans le service entre "anciens" et "nouveaux" et des comportements discriminatoires de la part d'anciens collaborateurs à l'égard de nouveaux collaborateurs dans le cadre de l'économat. Le témoin a toutefois reproché à M. D. de ne pas être intervenu avec suffisamment de vigueur et d'autorité pour faire cesser ces comportements. Ces discriminations avaient eu pour conséquence le départ de deux personnes du service.

d. Le même jour, M. S., directeur-adjoint de l'économat cantonal, a été entendu. Il a déclaré qu'il n'était pas au courant que M. D. achetait et revendait des véhicules. S'agissant de l'ambiance de travail, il a confirmé qu'elle n'était pas des meilleures. Certaines collaboratrices étaient intervenues auprès du service des ressources humaines. A une question concernant la définition du travail de M. D., M. S. a précisé qu'il n'avait aucun pouvoir hiérarchique sur l'intéressé. Il a ajouté à l’attention de M. D. : "... pour répondre à votre question, au niveau de votre travail, je ne peux pas porter de jugement. Je sais que vous avez de très bons contacts avec le personnel, et personne n'est venu se plaindre à moi de vous".

e. Le 17 avril 2002, M. U., spécialiste FMH en gynécologie, que M. D. avait cité comme témoin, a été entendu. Ils avaient tous deux une passion pour la mécanique et ils échangeaient leurs expériences. Ils se connaissaient depuis cinq ans environ. Chaque fois qu'il venait voir M. D., celui-ci travaillait sur des scooters ou des motos. C'était un hobby et une façon économique d'utiliser les motos ou autres véhicules avant de les revendre. Il ne l'avait jamais vu pratiquer son hobby en semaine ou pendant la journée. A une question de M. D., le témoin lui a répondu qu'il ne lui connaissait pas de difficultés financières. Il était certain qu'il avait une éthique professionnelle. Il était quelqu'un de très pratique, comparant "avant de faire ou d'acquérir".

f. Entendu également à la demande de M. D., M. H. a été entendu le même jour. Jusqu'à fin décembre 2001, il travaillait dans le service de M. D.. Puis il a été affecté au service des achats informatiques à l'économat cantonal. L'environnement de travail n'était pas idéal. Les gens étaient extrêmement critiques à l'égard de tout nouveau collaborateur. "J'ai constaté que lorsque M. D. donnait des directives ou des instructions à ses subordonnés, ceux-ci refusaient ou contestaient fortement". Il n'était pas possible de corriger l'attitude de quelques personnes. "Ils sont trop sûrs de leurs faits. Ils paraissent soutenus. Ils connaissent bien les rouages de l'Etat". A la question suivante de l'enquêteur : "Vous paraît-il possible qu'un complot ait été organisé contre M. D. ?" le témoin a répondu : "C'est possible au vu de l'attitude et du comportement des gens qui font toujours partie du service de M. D., ainsi que des deux personnes précitées".

g. A la demande de M. D., Mme CB., secrétaire, a été entendue. Elle avait travaillé une année dans le service de M. D. dans le cadre d'une occupation temporaire. Depuis le premier jour, elle avait trouvé qu'il y avait une atmosphère de clan et une mauvaise ambiance. Elle n'avait pas été intégrée à l'équipe. Plus le temps passait, plus elle entendait des critiques à l'égard de M. D. émanant "d'un noyau de personnes", dont elle a donné des noms. Il s'agissait de quatre dames et du subordonné que M. D. avait dénoncé à sa directrice. Ces personnes critiquaient les compétences de M. D.. "L'ambiance était très mauvaise, certaines personnes avaient des familiarités, faisaient du bruit, n'avaient aucune discrétion, ce qui à mon sens était inadmissible... Vu cette ambiance, au mois de mai 2001, j'ai informé la directrice et le chef du personnel des problèmes que je rencontrais. J'ai dit que je ne souhaitais pas continuer. Ils m'ont encouragée à rester et dit qu'ils allaient vérifier ce que je leur avais signalé. Je suis restée, mais rien ne s'est amélioré". La directrice lui avait dit qu'elle était au courant du comportement de ce "noyau" de personnes. Une employée, qui avait quitté le service, avait déposé plainte pour mobbing contre le service.

A une question de M. D., Mme CB. a répondu qu'en effet, il avait essayé de faire quelque chose pour améliorer la situation. Mais elle n'avait pas assez senti de force et d'engagement chez lui. "Pour moi, il n'y avait pas de possibilité d'améliorer la situation; ces gens sont trop forts, trop violents. C'est comme ça que je l'ai vécu".

M. D. : "Peut-on dire que j'étais impuissant face à cette situation ?"

Mme CB. : "Plus le temps passait, plus j'ai réalisé que ça pouvait être cela".

M. D. : "Savez-vous si j'ai demandé à M. R. de vous aider notamment pour faire des factures et que celui-ci a refusé ?".

Mme CB. : "Oui, vous l'avez fait. M. R. n'a pas toujours accepté et n'a pas toujours refusé non plus. M. R. est une personne que je considère comme désagréable...".

M. D. : "Avez-vous constaté que ce noyau exagérait dans sa prise de temps de pause ?".

Mme CB. : "La pause de ce noyau durait généralement une demi heure le matin et autant l'après-midi".

h. Mme DS., commise administrative, a été entendue. Elle a expliqué qu'en arrivant dans le service, elle avait été extrêmement étonnée par l'accueil que certaines personnes du service lui avaient réservé. On la saluait à peine, on ne lui adressait pas la parole. On ne l'invitait pas à partager la pause. Elle a cité les mêmes personnes que celles que Mme CB. avait indiquées. Il régnait une ambiance extrêmement lourde. Cette mauvaise ambiance entre les "trois dames" et moi perdurait à cause de leur attitude.

M. D. : "Avez-vous porté ces faits à la connaissance de la direction et si oui cette direction a-t-elle pris des mesures ?

Mme DS. : "Oui j'en ai informé la direction et la responsable des ressources humaines. Nous avons eu un entretien et il avait été dit que des mesures seraient prises et les personnes convoquées. Je suppose que les personnes concernées ont été convoquées en début d'année. Aujourd'hui, elle m'adressent la parole, elles me saluent elles me sourient. Elles ont dû être mises en garde."

M. D. : "Que pouvez-vous dire sur mon travail ?".

Mme DS. : "J'ai de très bons contacts avec vous. Je pensais même vous solliciter pour de l'aide, une fois M. A. parti à la retraite. J'ai une très bonne opinion de vous.".

M. D. : "Pour vous suis-je quelqu'un d'intègre ?".

Mme DS. : "Oui, tout à fait".

i. M. C., employé de M. CP., a été interrogé sur l'éventuelle commission que M. D. aurait sollicitée. Il a indiqué qu'il ne connaissait pas M. D.. Il avait été mis au courant du déroulement de la transaction portant sur l'achat du véhicule Nissan indirectement. Son patron et le vendeur, M. P., en avaient discuté entre eux et il était présent.

L'enquêteur : "Qu'avez-vous entendu précisément de M. CP. et de M. P. à ce sujet ?".

M. C. : "J'ai entendu M. CP. dire que M. D. voulait acheter la voiture pour le compte de l'Etat et qu'en général il recevait une commission. J'ai compris de leur discussion que M. D. avait dit que s'il achetait la voiture en général il avait une commission."

L'enquêteur : "A qui en avez-vous parlé et que lui avez-vous dit précisément ?"

M. C. : "J'en ai parlé à M. B. A., officier de police, un ami. Je lui ai dit que je trouvais anormal q'un employé d'Etat, chargé des achats, cherche à récupérer des commissions sur ce qu'il achète pour le compte de l'Etat. Je n'ai pas rencontré expressément M. B. A., mais comme nous nous voyons tous les samedis je lui en ai parlé lors d'une rencontre".

L'enquêteur : "Avez-vous tenu au courant M. CP. et M. P. de votre démarche ?".

M. C. : "Je lui en ai parlé après avoir informé M. B. A.. M. CP. ne savait pas que j'avais l'attention (sic) d'en parler à cet officier de police".

L'enquêteur : "Que s'est-il passé ensuite ?".

M. C. : "M. B. A. est venu me voir à la Carrosserie et a parlé avec M. CP.. Je n'ai pas assisté à leur entretien. J'ai su que la police judiciaire était passée mais je ne sais pas ce qui s'est dit entre mon employeur et les policiers".

j. M. P. a été entendu le 23 avril 2002. C'est lui qui avait présenté M. D. à M. CP. chez qui la voiture Nissan était en consignation en vue d'être vendue. Il avait rencontré l'intéressé lors d'une exposition de véhicules d'occasion qui s'était déroulée au Service des automobiles et de la navigation. M. D. lui avait demandé s'il avait un véhicule qui correspondait aux besoins de ses services. Aussi M. P. avait-il pensé au véhicule Nissan qu'il a invité ce dernier à venir voir dans le garage de M. CP.. Il s'est exprimé comme suit : "Dès lors j'ai conduit M. D. dans le bureau de M. CP.. Je suis resté une partie de la discussion, notamment pour déterminer le prix qui a été fixé à CHF 14'000.- et quelques centaines de francs. M. D. a dit qu'il devait établir un bon de commande et nous avons également parlé du système de commissions qui est en vigueur entre garagistes. De là, il en est peut-être ressorti entre M. CP. et moi-même que ça sous-entendait qu'il fallait verser une commission à M. D. ou à son service".

L'enquêteur : "Qu'a dit précisément M. D. au sujet d'une commission ?"

M. P. : "M. D. nous a fait comprendre que dans un cas comme ça, nous pouvions lui verser une commission. C'est dans le discours qu'il a tenu en relation avec les commissions qui sont en vigueur entre garagistes que j'ai compris que M. D. sollicitait une commission".

L'enquêteur : "M. D. vous a-t-il demandé une commission ?".

M. P. : "Tant que j'étais présent, M. D. n’a pas explicitement demandé une commission. Il a continué à discuter avec M. CP. et je ne sais pas ce qui s'est dit à ce moment-là".

L'enquêteur : "En avez-vous reparlé avec M. CP. ou M. C. ?".

M. P. : "Oui, nous en avons reparlé les trois. Nous avons parlé de cette discussion de commission. M. CP. a dit qu'il avait refusé de verser quoi que ce soit ou de dédommager M. D.. M. C. a dit que ce système de commission n'était pas normal. Par la suite, M. C. m'a dit qu'il en avait informé un ami policier. Cet ami est passé une fois à la Carrosserie, il m'a demandé ce qui s'était passé. Je lui ai dit ce que je viens de vous dire. Je n'ai pas eu connaissance de la suite qui a été donnée à cette affaire".

M. D. : "Selon vous je vous ai demandé comment était le système de commissionnement entre professionnels de l'automobile. Comment avez-vous pu en déduire que je souhaitais une commission ?".

M. P. : "C'est par rapport à la discussion que nous avons eue. C'est un sentiment que j'avais. C'est parce que cela se fait beaucoup entre garagistes".

k. M. CP. a été entendu le même jour.

L'enquêteur : "Que vous a dit M. D. lorsqu'il est venu acheter la voiture ?".

M. CP. : "M. D. m'a dit qu'il était chargé de trouver et d'acheter des véhicules pour l'Etat. Je ne me souviens pas s'il m'a dit qu'il travaillait pour l'Economat, mais c'est probable puisque j'ai établi la facture au nom de l'Economat".

L'enquêteur : "Comment cette transaction s'est-elle déroulée ?".

M. CP. : "M. D. a essayé le véhicule. Lors de la discussion, M. D. m'a dit comment vous procédez, comment vous faites ? J'ai immédiatement interprété ses propos et j'ai pensé qu'il sollicitait une commission. J'ai tout de suite mis les points sur les i en lui disant que je ne travaillais pas comme ça. Il ne répond rien. Je lui ai dit que la voiture n'était pas à moi, que je ne versais pas de commission. Il n'a rien dit. Par la suite, M. D. est parti. J'en ai parlé avec M. P., en présence de M. C.. J'ai dit à M. P. est-ce que tu penses que M. D. sollicitait une commission ? M. P. a dit je n'en sais rien. M. C. a dit que si c'était ça c'était dégueulasse vis-à-vis des contribuables. La discussion s'est arrêtée là ".

L'enquêteur : "M. D. vous a-t-il demandé une commission ?".

M. CP. : "Non".

L'enquêteur : "A qui avez-vous parlé de cette transaction par la suite et pour quelle raison ?".

M. CP. : "J'en ai parlé comme je l'ai déjà dit à M. P. et à M. C., en disant est-ce que vous pensez que c'est cela qu'il voulait insinuer".

L'enquêteur : "Qu'a fait M. C. par la suite ?".

M. CP. : "Il en a parlé à M. B. A.".

L'enquêteur : "Lorsque vous en avez été informé, comment avez-vous réagi ?"

M. CP. : "Ultérieurement, je lui ai dit qu'il n'aurait pas dû en parler, car cela ferait des histoires pour rien du tout. M. B. A. est venu un jour saluer son ami Laurent. En prenant le café, nous avons repris la discussion et je lui ai dit la même chose que ce que je viens de vous dire".

M. D. à M. CP. : "Reconnaissez-vous que vous aurez pu mal interpréter ce que je vous ai dit ?".

M. CP. : "Peut-être".

l. L'enquêteur a entendu M. B. A., officier de prévention rattaché à l'Etat major de la police genevoise, lequel a indiqué qu'il avait recueilli les confidences de M. C.. Aussi, il était allé trouver M. CP., lequel lui avait dit que c'était la première fois qu'il vendait une voiture à M. D.. Il lui avait "confirmé que ce dernier avait négocié une commission. M. CP. m'a parlé d'un montant de CHF 500.--. M. CP. a ajouté que M. D. était venu chercher son enveloppe, mais qu'il lui avait répondu qu'il attendait le paiement de l'Economat. M. CP. a ajouté que M. D. l'avait mis en garde de n'aviser personne, encore moins la police, car il avait les moyens au fisc d'intervenir, ça pouvait sous-entendre que M. CP. aurait pu faire l'objet d'un contrôle fiscal. Je ne sais pas exactement quel jour c'était. Probablement fin octobre, début novembre 2001".

L'enquêteur : "Avez-vous l'impression que M. CP. mentait ? ou exagérait ? Avez-vous eu l'impression qu'il avait peur ?".

M. B. A. : "Je réponds non à toutes les questions, par contre j'ai eu la nette impression qu'il ne voulait pas dénoncer les faits".

M. D. : "Ultérieurement M. C. vous a-t-il dit qu'il avait mal compris les propos entre M. CP. et M. P. ?".

M. B. A. : "M. C. ne m'a rien dit de tel. Et les propos que je rapporte ci-dessus sont ceux tenus par M. CP., confirmés dans la discussion par M. C.".

m. Questionné au sujet de la mise à disposition par l'agence Renault d'une voiture du même nom, modèle Laguna de 3 litres, M. D. a confirmé qu'il avait utilisé ce véhicule pendant une semaine à titre privé et professionnel, car il le testait. Il s'était rendu en Italie avec sa famille.

L’enquêteur s’était renseigné auprès de l’agence Renault, et il a appris que le véhicule précité avait été mis à la disposition de l’intéressé du 23 août au 12 octobre 2001.

Interrogé sur un voyage de trois jours en France sur invitation de Renault Suisse pour assister à la présentation du véhicule utilitaire Trafic, l'intéressé a confirmé que ce fait était exact. L'invitation était arrivée chez Mme V. qui la lui avait transmise. C'était donc avec son autorisation qu'il s'était rendu à Opio, en compagnie de M. MG. (du garage du DAEL), de M. L. (SIG), et d’un représentant des TPG.

Le modèle utilitaire Renaud Trafic ainsi que la nouvelle Laguna avaient été présentés.

9. Par lettre du 21 mai 2002, le Tribunal administratif a porté à la connaissance de M. le Procureur général le fait que M. D., en qualité de responsable de la procédure d'adjudication, avait participé à l'attribution portant sur la location de photocopieurs à une société dans laquelle son épouse, Mme D., était secrétaire. Il s'en était suivi une procédure devant le Tribunal administratif (ATA/234/2002) opposant l'employeur de Mme D., une société concurrente et le département des finances.

Cette dénonciation a été jointe à la procédure pénale alors en cours No P/2708/2002.

10. M. F. a rendu son rapport le 22 mai 2002. S'agissant de la commission réclamée à l'occasion de la vente du véhicule Nissan, l'enquêteur a écrit que MM. CP. et P. lui avaient "donné la nette impression de tergiverser, d'avoir des trous de mémoire et de ne pas vouloir franchement collaborer à l'avènement de la vérité". Il a conclu en ces termes : "Au vu des déclarations de M. C., de M. B. A., voire en dépit de leurs tergiversations, celles de M. CP. et de M. P., il est pratiquement certain que M. D. a demandé une commission à M. CP.".

Par ailleurs, l'enquêteur a relevé que l'intéressé ne lui avait pas fourni les informations suffisantes pour lui permettre d'établir si l'achat et la revente de véhicules était chez lui un hobby ou un commerce. Il a en outre certifié que M. S. était au courant de ces achats et ventes, ce qui s'est révélé faux. Analysant les heures auxquelles les permis de circulation des véhicules avaient été émis, il a conclu que M. D. avait pris des libertés avec les moments de pause. Il n'a pas davantage dit la vérité lorsqu'il a évoqué des repas consistant en plats du jour.

11. Invité à s'exprimer sur le rapport d'enquête, M. D. a fourni ses observations par courrier du 27 juin 2002. L’enquêteur s’était fondé sur les témoignages indirects de MM. C. et B. A.. Jamais ces deux personnes n’avaient rencontré M. D.. Les propos que MM. CP. et C. avaient retenus relevaient d’une mauvaise interprétation de ce qu’ils avaient entendu. MM. C. et B. A. étaient des amis qui se connaissaient depuis plusieurs années et qui avaient parlé de cette affaire un samedi dans un tea-room. Quant à l’enquêteur, M. F., il avait été pendant plusieurs années le supérieur hirérarchique de M. B. A.. Nul doute que cette relation avait influencé l’enquêteur.

12. Par arrêté du 24 juillet 2002, le Conseil d'Etat a prononcé le licenciement de M. D. avec effet au 31 octobre 2002. Dite décision était rendue exécutoire nonobstant recours. Le Conseil d'Etat a reproché à son fonctionnaire a) d'avoir sollicité le versement d'une commission lors de l'achat d'une voiture pour la police; b) d'avoir accepté des repas offerts par des fournisseurs, sans en informer sa supérieure, malgré les règles en la matière rappelées maintes fois aux collaborateurs du service; c) d'avoir exercé une activité accessoire, sans en avoir demandé l'autorisation, en achetant et vendant des véhicules au surplus immatriculés au nom d'une société radiée du Registre du commerce; d) d'avoir failli à ses devoirs de cadre, tant à l'égard de ses collaborateurs que de sa hiérarchie; e) de s'être autorisé des libertés inadmissibles en ce qui concernait ses horaires de travail et ses pratiques relatives à l'essai de véhicules prêtés par les garages; f) enfin, il était reproché à l'intéressé d'avoir communiqué des documents qu'il détenait par devers lui, alors qu'ils appartenaient au dossier d'un de ses collaborateurs.

13. M. D. a recouru auprès du Tribunal administratif par acte du 26 août 2002. Il a affirmé une fois de plus qu'à aucun moment, ni à l'occasion de la vente du véhicule Nissan, ni lors d'autres transactions, il n'avait sollicité la moindre des commissions. L'enquêteur s'était laissé guider par des impressions subjectives et il avait fondé son opinion sur le témoignage indirect de M. B. A. lequel témoignage contredisait de manière flagrante celui des intéressés eux-mêmes. M. CP. avait clairement répondu par la négative à la question de savoir si M. D. avait demandé une commission. Il en avait parlé à M. P. et celui-ci a dit qu'il n'en savait rien. Parmi les 27 véhicules que M. D. avait acquis en 2001 dans le cadre de sa fonction, l'enquêteur n'avait trouvé aucun cas où l'intéressé aurait sollicité une commission, alors même qu'il avait toujours négocié lui-même.

S'agissant des repas offerts par les fournisseurs, le recourant relève non sans ironie que sa supérieure hiérarchique, directrice, les avait acceptés, et ce dans des restaurants assez chics, auxquels elle avait également participé !

En ce qui concernait l'achat et la vente de véhicules motorisés à titre privé, le recourant a expliqué qu'il s'agissait d'une passion à laquelle il cédait sous la forme d'un hobby. Il ne s'agissait nullement d'une activité accessoire rémunérée. L'enquête n'avait pas démontré le contraire, tandis que l'exercice d'un hobby n'avait pas été contredit. Quant à l'usage d'une société radiée du Registre du commerce, il avait agi en toute bonne foi, d'autant plus que son patronyme et son adresse personnelle étaient accolés au nom de la société. S'agissant d'une société de personnes, il était tout autant responsable comme associé commanditaire que s'il avait immatriculé les véhicules en son nom personnel.

Le reproche d'avoir failli à ses devoirs de cadre manquait de substance. Les témoins qu'il avait fait citer avaient déclaré qu'il régnait dans le service une mauvaise ambiance et que certains employés formaient un noyau dont il ne parvenait pas à faire façon. L'une des employées avait d'ailleurs déposé plainte pour mobbing contre le service. Quant au recourant, il avait dénoncé les nombreux dysfonctionnements qui existaient dans ce service. D'ailleurs un audit avait été ordonné dans le courant de l'année 2002, lequel a donné lieu à un rapport du 7 novembre 2002 mettant en évidence de graves dysfonctionnements.

S'agissant des libertés qu'il se serait accordées en matière d'horaires, M. D. a souligné que l'horaire bloqué était de 9h00 à 11h30 et de 14h00 à 16h30. Si les véhicules avaient été immatriculés pendant ces heures bloquées, les visites au SAN l'avaient été par d'autres personnes que lui-même. En outre, en 1999 et 2000, il avait pris ses vacances tous les après-midi en juillet et août.

Le recourant a conclu à l’annulation de l’arrêté du 24 juillet 2002, à sa réintégration et, en cas de décision négative sur ce point, au versement d’une indemnité correspondant à vingt-quatre mois de son dernier traitement brut.

14. Le Conseil d'Etat s'est opposé au recours. Il n'y avait aucune raison de s'écarter des conclusions du rapport d'enquête, celle-ci ayant été menée conformément aux règles de l'art. Or, selon l'enquêteur, il paraissait certain que le recourant avait sollicité une commission auprès de M. CP..

Dans sa décision de licenciement, le Conseil d'Etat avait tenu compte d'autres éléments, notamment du fait que l'intéressé avait accepté à plusieurs reprises et contrairement aux instructions de la hiérarchie des repas offerts par des fournisseurs. L'enquête n'avait pas permis par ailleurs de lever la forte présomption que l’intéressé exerçait une activité accessoire rémunérée sans l'autorisation de son employeur. Face à ces manquements, le rapport de confiance qui devait nécessairement exister entre les parties était irrémédiablement rompu.

L'enquêteur ne s'était pas fondé sur des impressions, mais il avait privilégié la déposition d'un officier de police assermenté, alors que les dires de MM. CP. et P. étaient remplis de contradictions.

15. Par ordonnance du Parquet du 7 décembre 2002, la procédure pénale P/2708/2002 a été classée, faute de prévention suffisante.

16. Le tribunal a entendu plusieurs des protagonistes :

a. M. CP. a confirmé les déclarations qu’il avait faites devant l’enquêteur : "J’ai exprimé l’interprétation que je faisais des termes utilisés par M. D.. Vous me lisez les propos que me prête M. B. A.. Je conteste ces propos. Il a mal interprété ce que je lui ai dit. Je n’ai jamais parlé d’enveloppe. Vous continuez à me lire la fin de la déclaration que j’aurais faite à M. B. A.. Tout cela est faux, je n’ai jamais dit des choses pareilles".

b. M. P. : "Je confirme ma déclaration faite devant l’enquêteur. Je ne peux certifier que M. D. voulait une commission. Il est tellement usuel de se verser des commission entre garagistes, que j’ai interprété leur conversation dans le sens d’une commission à verser à M. D.. A une question du Conseil d’Etat, je réponds que je savais que M. D. avait une activité ayant trait à des acquisitions pour l’Etat de Genève. Je savais qu’il n’était pas garagiste. Je confirme que je pensais que M. D. était un professionnel de la branche automobile et qu’il agissait comme un indépendant, et que l’Etat était un client parmi d’autres. Je n’ai donc pas été choqué que M. D. ait parlé de commission. Tant que j’ai participé à la conversation entre M. CP. et M. D., je n’ai pas entendu M. D. demander explicitement une commission. La conversation portait sur le versement de commissions entre garagistes. Si je me souviens bien, la carte de visite que m’a donnée M. D. devait comporter le logo de l’Etat".

c. M. B. A. a expliqué que M. C. lui avait indiqué qu’un représentant de l’Etat voulait acheter une voiture et qu’il avait demandé une commission. Il en avait parlé à sa hiérarchie qui lui avait demandé d’aller vérifier. Il s’était donc livré à une pré-enquête destinée à vérifier s’il fallait aller plus loin. C’est pourquoi, il avait entendu les différentes personnes concernées, mais il n’avait établi aucun procès-verbal. On lui avait confirmé que M. D. sollicitait une commission. Lorsqu’il a utilisé le mot "enveloppe", cela signifiait "commission". Enveloppe et commission, pour lui, c’était la même chose.

17. Le 3 juin 2004, le juge délégué a entendu MM. CP. et B. A. en présence l’un de l’autre. Cette confrontation n’a rien donné. Chacun a confirmé ses précédentes déclarations. M. B. A. s’étant limité à recueillir des faits et à les porter à la connaissance de sa hiérarchie, il a suggéré au tribunal qu’il entende les personnes qui avaient procédé à l’enquête, en particulier MM. HM. et RB..

18. Le 23 juin 2004, le juge délégué a entendu :

a. M. HM., officier de police, qui est la personne qui avait recueilli les informations de M. B. A.. D’entente avec le chef de la police judiciaire, il a été décidé de procéder à une enquête préliminaire, laquelle a été confiée à M. Y., inspecteur de police.

b. M. Y. a été chargé de l’enquête de police préliminaire. Il avait exploré tout ce qui était possible avec les moyens dont il disposait pour vérifier les dires de M. CP.. A ce stade de l’enquête, il n’avait rien relevé au sujet de l’acceptation d’un avantage "car il n’y avait que les dires de M. CP.". Par la suite, M. GG. lui avait demandé de continuer cette affaire. Aussi avait-il entendu M. D. et procédé à une visite domiciliaire, mais il n’avait rien appris de plus au sujet d’un prétendu avantage sollicité de M. CP.. Là-dessus, il a expliqué la situation à M. GG.. Puis il a été amené à interroger les garagistes qui avaient vendu des voitures d’occasion à la police. Il avait donc interrogé une dizaine de garagistes et tous lui avaient confirmé qu’ils n’avaient jamais été sollicités de verser une commission et qu’ils n’en avaient jamais versée à M. D. ou à un représentant de l’Etat. Entre-temps, il avait eu des discussions avec le Procureur général, lequel lui avait demandé son avis. Le témoin le lui avait donné : "Du point de vue pénal, en ce qui concernait l’acceptation d’un avantage, cette affaire méritait d’être classée", vu les éléments recueillis à ce moment-là. Selon le témoin, M. CP. n’avait jamais voulu faire de déclaration écrite, car on lui avait promis l’anonymat.

19. Le recourant était présent aux audiences d’enquêtes, assisté de son conseil. A plusieurs reprises, il a déclaré qu’il n’avait jamais réclamé de commission à M. CP.. Lors des discussions, il avait appris que le véhicule appartenait en définitive à une dame et il s’était inquiété du fait que plusieurs commissions intermédiaires auraient pu s’ajouter au prix de vente, ce qu’il avait voulu éviter. Dans ses fonctions, il avait acheté une centaine de véhicules pour le compte de l’Etat.

Quant à la représentante de l’intimé, elle a déclaré : "J’ai de graves doutes que le Conseil d’Etat accepte la réintégration du recourant, à supposer que votre tribunal l’ordonne".

20. A la suite de l’audition commune de MM. CP. et B. A., le directeur général de l’office du personnel de l’Etat a relaté les faits au secrétariat général du département de justice, police et sécurité, dans un courrier du 13 novembre 2003. M. B. A. était en quelque sorte accusé de faux témoignage. Aussi, l’auteur de la lettre avait estimé nécessaire d’attirer l’attention du département sur la gravité de ce fait nouveau afin qu’il examine l’opportunité de donner à cette affaire les suites qu’elle pourrait comporter.

A ce jour, aucune procédure pénale n’a été reprise, ni ouverte.

21. Le dossier contient la photocopie de vingt-cinq permis de circulation concernant les véhicules que le recourant faisait immatriculer au nom de sa société. Sur chaque permis figure l’heure à laquelle celui-ci a été établi. Sur ces vingt-cinq permis, douze ont été enregistrés pendant les heures de présence obligatoires au bureau, à une date à laquelle l’intéressé n’était pas en vacances.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Les relations entre le recourant, fonctionnaire, et l'Etat de Genève sont régies par la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 (LPAC - B 5 05).

Les devoirs du personnel sont énumérés aux articles 20 et suivants du règlement relatif au personnel de l'administration cantonale du 24 février 1999 (RLPAC - B 5 05.01). L'article 20 prévoit que les membres du personnel sont tenus au respect de l'intérêt de l'Etat et doivent s'abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice. Ils se doivent par leur attitude d’entretenir des relations dignes et correctes avec leurs supérieurs, leurs collègues et leurs subordonnées. Ils doivent justifier et renforcer la considération et la confiance dont la fonction publique doit être l'objet (art. 21 let. c). Dans l'exécution de leur travail, ils se doivent de remplir tous les devoirs de leur fonction consciencieusement et avec diligence (art. 22 al. 1). Ils se doivent de respecter leur horaire de travail (art. 22 al. 2). Les membres du personnel chargés de fonctions d'autorité sont tenus de veilleur à la réalisation des tâches incombant à leur service (art. 23 let. c).

Il est interdit aux membres du personnel de solliciter ou d’accepter pour eux-mêmes, ou pour autrui, des dons ou d’autres avantages en raison de leur situation officielle (art. 25 RLPAC).

3. En l’espèce, il convient d’examiner la réalité des griefs retenus contre le recourant.

a. Acceptation de repas offerts par des fournisseurs

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Il ressort du dossier que le recourant a accepté vingt à trente apéritifs dans l’année. Ces libertés ont été jugées excessives. Tel est effectivement le cas, le nombre d’apéritifs dépassant de loin ce qui est tolérable. Des déplacements récréatifs aussi nombreux peuvent consister en un avantage indu, si ce n’est des absences injustifiées. Aussi, le tribunal tiendra ce grief pour établi, mais celui-ci sera relativisé en raison du fait que plusieurs repas et invitations ont été acceptés avec l’assentiment de la supérieure hiérarchique du recourant.

b. Activité accessoire

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Dans l’arrêté entrepris, le Conseil d’Etat semble reprocher davantage au recourant d’avoir exercé une activité accessoire en achetant et revendant des véhicules, activité présumée selon l’arrêté, sans que l’autorisation en ait été demandée, plutôt que d’avoir utilisé une société radiée du registre du commerce depuis de nombreuses années. Sur ce point, il n’est en effet pas admissible d’utiliser une personne morale qui n’existe plus, comme détentrice d’un véhicule à moteur, si ce n’est comme preneur d’assurance. A la décharge du recourant, il faut admettre que sa bonne foi peut être présumée, puisque la société en question était une société en commandite, et que le patronyme du recourant figurait sur le permis de circulation. Si la société avait été active, M. D. aurait été responsable comme associé commanditaire aussi bien que s’il avait immatriculé les véhicules en son nom personnel. Il n’en reste pas moins que le recourant a violé ses obligations. L’activité exercée l’a été à l’insu de sa hiérarchie, contrairement à ce que le recourant avait affirmé. En outre, le fait d’utiliser la raison sociale d’une société supposée en activité a fait perdre à l’état des montants correspondant aux émoluments, à hauteur de CHF 95.- au minimum par véhicule.

c. Devoirs vis-à-vis des collaborateurs et de la hiérarchie

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Les enquêtes ont démontré qu’il existait de nombreux et graves dysfonctionnements au sein du service. Dans les grandes lignes, le rapport d’audit du 7 novembre 2002 a confirmé les graves manquements constatés au sein du service, lesquels avaient entraîné le déplacement de plusieurs personnes, dont Mme V.. En outre, plusieurs témoins ont déclaré qu’il y avait une très mauvais ambiance dans le service, et qu’un noyau de personnes s’opposait à toute discipline. Dans ces conditions, compte tenu du climat qui régnait dans le service, le reproche adressé au recourant d’avoir failli à ses devoirs apparaît excessif, sinon dénué de toute pertinence. Aussi, ce grief sera écarté.

d. Liberté avec les horaires

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La simple production des permis de circulation où figure l’heure de leur émission suffit à démontrer que le recourant avait pris des libertés avec ses horaires de travail qui sont incompatibles avec ses obligations de fonctionnaire. Ce grief sera ainsi confirmé.

e. Utilisation de véhicules prêtés par les garages

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Le recourant a admis qu’il avait utilisé pendant une semaine une voiture prêtée par l’agence Renault, et qu’il s’était rendu en Italie avec sa famille au volant de ce véhicule. A cela s’ajoute que l’intéressé s’est fait prêter ce véhicule pendant un mois et demi environ. Ce comportement n’est pas admissible. Sans conteste, il s’agit d’un avantage qu’il est interdit aux membres du personnel d’accepter. Le recourant n’a pas été engagé pour tester ou utiliser des véhicules prêtés par des garages de la place, mais pour procéder à des achats pour le compte de l’économat cantonal. Aussi, le Tribunal considérera comme établie la violation des devoirs de service.

f. Avoir sollicité le versement d’une commission lors de l’achat d’un véhicule

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Les faits reprochés par l’intimé au recourant n’ont eu aucun témoin direct. Il appartient donc au juge d’établir ceux-ci à partir des témoignages, notamment de personnes à qui ceux-ci, s’ils étaient avérés, auraient pu être relatés. La jurisprudence du Tribunal fédéral lui reconnaît à cet égard un large pouvoir d’appréciation (ATA/507/2004 du 8 juin 2004 ; ATF X. du 23 mai 2003 2p.68/2003).

Il n’est pas contesté qu’au cours des discussions, le terme "commissions" a été articulé par les protagonistes qui se sont occupés de la négociation du véhicule. Le recourant explique qu’il s’était renseigné sur le système de commissionnement entre professionnels de l’automobile. Cette affirmation n’est guère convaincante. Habitué à acquérir des véhicules d’occasion pour le compte de l’Etat de Genève - l’intéressé en aurait acheté une centaine -, versé dans l’achat, la réparation et la vente de véhicules à moteur de toute nature, il est clair qu’il devait être au courant des pratiques en usage chez les professionnels en matière de commissions. Au contraire, MM. CP. et P. ont tous deux, et de la même manière, interprété les propos tenus par le recourant. Ils ont compris que celui-ci sollicitait le versement d’une commission. Ce procédé n’a pas surpris M. P., car ce dernier savait que l’intéressé était un professionnel de la branche automobile et qu’il agissait comme un indépendant, l’Etat étant un de ses clients parmi d’autres. Il n’avait donc pas été choqué que le recourant ait parlé de commission. Dans sa déposition faite devant l’enquêteur, M. P. a ajouté que M. CP. lui avait dit qu’il avait refusé de verser quoi que ce soit ou de dédommager le recourant. Ces propos ont été rapportés à M. B. A., lequel a interrogé M. CP.. Ce dernier a confirmé l’interprétation qu’il avait faite des paroles émanant du recourant au sujet des commissions. Il lui a fourni force détails, lui parlant d’un montant de CHF 500.-, d’une enveloppe, et qu’il ne fallait pas avertir la police. Le tribunal n’a en conséquence aucune raison de mettre en doute le témoignage de M. B. A., fût-il indirect. De même ne saurait-on conclure différemment de l’enquêteur qui a conduit l’enquête administrative, lequel a conclu qu’il était pratiquement certain que M. D. avait demandé une commission à M. CP..

Le fait qu’au cours de l’enquête menée par la police, une dizaine de garagistes ont confirmé qu’ils n’avaient jamais versé de commission au recourant n’est pas déterminant. On ne voit pas quelle autre déclaration ces garagistes auraient pu faire, sauf à se mettre eux-mêmes dans une situation fâcheuse !

Ainsi, le recourant a bel et bien sollicité une commission d’intervention à l’occasion de l’acquisition d’une voiture faite pour le compte de l’Etat de Genève. En cela, il a gravement failli à ses obligations, notamment celles d’avoir sollicité un avantage (art. 25 RLPAC).

4. Selon l'article 21 alinéa 2 lettre b LPAC, le Conseil d'Etat peut, pour un motif objectivement fondé, mettre fin aux rapports de service du fonctionnaire en respectant le délai de résiliation. Le licenciement est objectivement fondé s'il est motivé par l'insuffisance des prestations, le manquement grave ou répété aux devoirs de service ou l'inaptitude à remplir les exigences du poste (art. 22 LPAC).

a. Le Conseil d'Etat dispose, dans l'application de cette disposition, d'un certain pouvoir d'appréciation : en présence d'un motif objectivement fondé, il peut, mais ne doit pas nécessairement, résilier les rapports de service (Mémorial du Grand Conseil, 1996/VI, p. 6355 ss ; ATA/370/2004 du 11 mai 2004).

b. Comme toute décision administrative, le licenciement d’un membre de la fonction publique est soumis notamment au principe de la proportionnalité (ATA/46/2001du 23 janvier 2001 et jurisprudence citée). A ce titre, l’autorité doit apprécier les actes ou les manquements reprochés à l’intéressé en les situant dans leur contexte, c’est-à-dire en tenant compte d’éventuelles circonstances atténuantes.

5. En l’espèce, la base du licenciement réside, à teneur de la décision litigieuse, dans plusieurs manquements graves, au sens de l’article 22 let. b LPAC, dont le plus grave est sans conteste le reproche d’avoir sollicité une commission d’intervention à l’occasion de la vente d’un véhicule pour l’Etat de Genève. L’acte commis par le recourant est de nature à ruiner la confiance de ses supérieurs. Même si l’intéressé n’a pas reçu une commission, ce qui est décisif est qu’il l’a sollicitée, créant ainsi auprès de son employeur de sérieux doutes, parfaitement fondés, au sujet de son honnêteté professionnelle. Il est dès lors parfaitement admissible de constater que les rapports de confiance entre les parties ont été détruits.

Le licenciement du recourant est dès lors conforme au principe de la proportionnalité, dans la mesure où le déplacement de celui-ci au sein d’un autre service, assorti d’une sanction plus légère, ne serait pas de nature à rétablir les rapports de confiance qui doivent nécessairement exister et être maintenus entre l’employeur et l’un de ses cadres. Ce d’autant plus que le recourant accomplissait des tâches consistant à acquérir pour le compte de l’Etat des biens mobiliers et du matériel pour des montants de l’ordre de CHF 14 millions par année. Disposant d’une très grande indépendance dans son travail, le fait de réclamer une commission à l’occasion d’un achat est de nature à ruiner définitivement la confiance placée en lui.

Dans ces conditions, le licenciement doit être confirmé.

7. Le recours sera ainsi rejeté. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'800.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 LPA).

 

 

* * * * *

 

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 août 2002 par Monsieur D. contre l’arrêté du Conseil d'Etat du 24 juillet 2002;

au fond :

le rejette ;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 1'800.- ;

communique le présent arrêt à Me François Membrez, avocat du recourant ainsi qu'au Conseil d'Etat.

Siégeants :

M. Schucani, président, M. Paychère, Mme Bovy, Mme Hurni, M. Thélin, juges.

 

Au nom du Tribunal Administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

M. Tonossi

 

le juge présidant :

 

 

D. Schucani

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :