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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/724/2000

ATA/46/2001 du 23.01.2001 ( CE ) , ADMIS

Descripteurs : FONCTIONNAIRE ET EMPLOYE; SECRET DE FONCTION; RESILIATION; FIDELITE; CE
Normes : LPAC.26
Résumé : En informant une autorité fédérale que son service avait vendu des PC contenant des données sensibles, la recourante sanctionnée visait à jeter le discrédit sur la direction de son service. Elle aurait dû aviser sa hiérarchie de ce problème. Il faut cependant tenir compte du climat difficile qui régnait dans le service et du fait que la fonctionnaire avait donné satisfaction dans son travail. Le licenciement doit être annulé car il est disproportionné. La réintégration de la fonctionnaire est proposée à l'Etat.

 

 

 

 

 

 

 

 

du 23 janvier 2001

 

 

 

dans la cause

 

 

Madame R. M.

représentée par Me Jacques Barillon, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

CONSEIL D'ETAT

 



EN FAIT

 

 

 

1. Par arrêt du 23 mai 2000, le Tribunal administratif a confirmé la suspension provisoire de Madame R. M., fonctionnaire de l'office cantonal de l'assurance-

invalidité (ci-après: OCAI).

 

A l'appui de cet arrêt, auquel il est renvoyé pour le surplus, le tribunal a retenu que Mme M. avait communiqué à des personnes extérieures à sa hiérarchie, à savoir un ami et la sous-directrice de l'office fédéral de l'assurance sociale (ci-après: OFAS), l'information selon laquelle de vieux ordinateurs de l'OCAI avaient été vendus au public alors que l'un au moins d'entre eux contenait encore des données sensibles relatives à des dossiers d'assurés. Cette information-ci a été avérée par l'enquête administrative ouverte à l'encontre de Mme M., ainsi que, comme on le verra ci-dessous, par l'enquête menée sur le plan pénal. L'ami contacté par Mme M. avait expédié à la sous-directrice de l'OFAS, ainsi qu'au président du département de l'action sociale et de la santé (ci-après: DASS), un fax anonyme dans lequel il se faisait passer, faussement, pour une personne ayant eu connaissance de données confidentielles grâce à l'acquisition de l'un de ces ordinateurs.

 

Mme M. avait motivé sa démarche d'envoi anonyme par la crainte de subir des représailles de la part de son supérieur si elle était reconnue.

 

Jusqu'à ces faits, elle était bien considérée par sa hiérarchie et s'était vue confier par la direction de l'OCAI des missions à responsabilités.

 

La productrice de l'émission "X", diffusée à la Télévision suisse romande, ainsi que, par la suite, divers journalistes, s'étaient trouvés en possession de documents confidentiels relatifs à ces faits.

 

Le président du DASS avait déposé en février 2000 une plainte pénale en violation du secret de fonction au sens de l'article 320 du Code pénal suisse et du devoir de discrétion au sens de l'article 35 de la loi fédérale sur la protection des données.

 

Dans ses considérants en droit, l'arrêt du 23 mai 2000 retient que Mme M. s'est rendue responsable d'une faute ayant impliqué une perte de confiance dans l'exécution des tâches à accomplir. Il s'agissait d'une violation des devoirs élémentaires imposés aux membres du personnel de l'Etat, qu'une crainte d'éventuelles représailles ne pouvait justifier. La suspension de Mme M. pendant la durée de l'enquête administrative, sans suppression de son traitement, apparaissait comme proportionnée au regard de l'existence certaine de la faute et du fait que l'intéressée ne s'était pas retrouvée brusquement sans ressources.

 

2. Par arrêté du 24 mai 2000, le Conseil d'Etat a licencié Mme M. avec effet au 31 août 2000.

 

Retenant les mêmes faits que ceux exposés ci-dessus, le Conseil d'Etat lui a reproché d'avoir porté contre sa hiérarchie de graves accusations auprès d'une personne extérieure à cette dernière, à savoir la sous-directrice de l'OFAS. La fiction inventée par Mme M. et les artifices dont elle avait usé démontraient le caractère fallacieux du fax litigieux. La déloyauté de ces procédés dénotait une volonté de nuire aux intérêts de l'Etat et, en particulier, à la direction de l'OCAI.

 

Cette attitude allait à l'encontre de l'obligation des membres du personnel d'entretenir des relations dignes et correctes avec leurs supérieurs, leurs collègues et leurs subordonnés, ainsi que de l'obligation de justifier et de renforcer la considération et la confiance dont la fonction publique devait être l'objet.

 

De surcroît, Mme M. s'était indûment fait créditer son temps de travail de deux heures et dix minutes le 27 janvier 2000, alors même qu'elle consacrait ce temps à rédiger chez son ami le texte du fax anonyme.

 

Ces faits avaient irrémédiablement rompu le lien de confiance.

 

3. Mme M. a recouru contre cet arrêté par acte du 26 juin, en concluant à sa réintégration au sein de l'administration cantonale, ou, en cas de refus du Conseil d'Etat, au versement d'une somme de CHF 177'074.- correspondant à 24 mois de son dernier salaire brut. Subsidiairement, elle demande l'audition de divers témoins.

 

Elle fait valoir qu'il n'y avait pas eu de violation d'un secret de fonction, s'agissant d'un fait d'une grande généralité et inutilisable par l'expéditeur anonyme du fax. Quant à l'OFAS, il s'agissait bien d'une autorité hiérarchique. Au demeurant, le secret de fonction était une atteinte dépourvue de base légale à la liberté personnelle.

 

Le passage par la voie hiérarchique directe n'aurait pas été possible, vu les rapports très tendus entre le directeur de l'OCAI et son personnel - sur lesquels on reviendra ci-dessous. Quant au président du DASS, il avait manifesté son manque d'attention par rapport à ces problèmes relationnels et ne se serait probablement pas davantage préoccupé des faits dénoncés par Mme M.

 

Par ailleurs, il était faux de lui reprocher une intention de nuire à l'OCAI ou à l'Etat. Si tel avait été le cas, elle ne se serait pas contentée de divulguer la stricte vérité, mais aurait donné des informations mensongères ou excessives, en les faisant de surcroît parvenir au grand public.

 

S'agissant des deux heures de travail timbrées à tort, elle n'avait eu aucune intention de s'en faire créditer indûment. A l'OCAI, les employés n'avaient la possibilité de corriger leur carte de timbrage qu'à la fin du mois lorsque, comme cela arrivait, une erreur était intervenue.

 

Enfin, en supposant que l'on admette la qualification des faits qui lui étaient reprochés, ils étaient en réalité de peu de gravité. En particulier, l'information qu'elle avait diffusée révélait des dysfonctionnements réels qu'il était dans l'intérêt public de faire cesser. Par conséquent, le licenciement était disproportionné.

 

4. Par courrier du 13 juillet 2000, le Procureur général s'est adressé au président du DASS en lui signifiant que la plainte pénale déposée en février par celui-ci était classée, après enquête préliminaire.

 

S'agissant de la présence de données sensibles sur les disques durs des ordinateurs vendus par l'OCAI, il s'agissait d'infractions aux articles 320 CP et 35 LFDP, cependant manifestement commises par négligence, ce qui en empêchait la poursuite. En outre, la source des informations reçues par les journalistes n'avait pas pu être identifiée. Enfin, il était pour le moins douteux que les révélations faites par Mme M. constituent un secret au sens de l'article 320 CP. On voyait mal en effet "quel intérêt légitime (souligné par le Procureur général) un service de l'administration pourrait invoquer pour interdire l'information selon laquelle il vend ses anciens PC à ses propres collaborateurs en omettant de détruire les données confidentielles qui peuvent être contenues dans ces appareils".

 

5. Le Conseil d'Etat a répondu au recours le 28 juillet 2000, en s'y opposant.

 

Outre les faits déjà retenus ci-dessus, il s'oppose pour l'essentiel à l'affirmation selon laquelle l'ensemble du personnel de l'OCAI, si ce n'est quelques éléments, rencontrait des difficultés relationnelles avec le directeur de cet office. Il était vrai que d'importants problèmes de gestion du travail avaient été relevés par l'OFAS, s'agissant notamment de graves retards dans le traitement des dossiers. Cela n'était cependant pas à mettre en relation avec une atmosphère professionnelle empoisonnée par la direction, mais avec un manque de productivité du personnel et une qualité du travail insuffisante.

 

Le Conseil d'Etat maintient par ailleurs l'existence d'une violation du secret professionnel, réalisée lors de la divulgation des faits aussi bien à l'expéditeur du fax qu'à sa destinataire. Il conteste en outre que Mme M. ait eu des problèmes spécifiques avec sa hiérarchie, ce qui contredirait la confiance mise en elle à l'occasion de certaines missions.

 

Enfin, Mme M. ayant travaillé jusqu'au 18 février 2000, elle aurait eu le temps de corriger sa feuille de timbrage de janvier si elle l'avait voulu.

 

6. Les parties ont répliqué et dupliqué le 1er septembre 2000, respectivement le 6 octobre suivant, sans ajouter d'éléments essentiels à leurs précédentes écritures.

 

7. Le tribunal de céans précisera encore les faits suivants, tels qu'ils sont établis par les pièces du dossier.

 

- Une personne au moins extérieure au personnel de l'OCAI, à savoir le fils de l'une des collègues de Mme M., a effectivement eu connaissance, le soir de la vente des ordinateurs, de données sensibles concernant des assurés. Mme M. a appris ceci avant d'envoyer son fax anonyme.

 

- En mars 1999, une moitié environ du personnel de l'OCAI a adressé deux pétitions à l'OFAS, avec copie au DASS, en protestant en substance contre de mauvaises conditions de travail, dont la direction était en partie responsable. En avril 2000, une démarche identique a été faite auprès du Grand Conseil, suivie en juin 2000 par une grève réunissant, toujours dans la même perspective, un tiers du personnel. Par circulaire du 2 août 2000, la secrétaire générale du DASS a informé les collaborateurs de l'OCAI de la création d'un groupe de concertation, dont les objectifs seraient notamment de faciliter la concertation à l'intérieur de l'office et de constituer un lieu d'expression où l'on traiterait des problèmes rencontrés par le personnel dans son travail quotidien. En outre, un audit de l'OCAI serait mené afin de poser un diagnostic sur l'organisation et le fonctionnement courant de l'office.

 

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56B alinéa 4 lettre a de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 31 al. 1 de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 - LPAC - B 5 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. L'arrêt rendu par le tribunal de céans le 23 mai 2000, susmentionné, est devenu définitif, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'y revenir, notamment en ce qu'il constate une violation des devoirs généraux de loyauté et de fidélité imposés aux membres de la fonction publique vis-à-vis de leur employeur, notamment par les articles 21 et 25 du règlement d'application de la LPAC du 7 décembre 1987 (RLPAC - B 5 05 01). Le Tribunal administratif n'a en revanche pas explicitement tranché la question, dans le cas concret, d'une violation du secret de fonction au sens de l'article 26 LPAC, évoquant simplement cette disposition dans les considérants de portée générale.

 

On pourrait hésiter à suivre l'autorité intimée sur cette question, dès lors que la consultation du disque dur d'un ordinateur acquis à titre privé est survenu à l'extérieur de l'Etat, dans le cadre de la vie privée du fils d'une collègue de la recourante, en dehors de tout rapport de confidentialité entre ce dernier et l'Etat. Il existe à tout le moins un fort contraste entre un tel fait et ceux qui ressortent aux activités étatiques et dont les membres de la fonction publique ne peuvent avoir connaissance qu'à travers leur activité professionnelle.

 

Cette question souffre cependant de rester indécise, car il ne fait pas de doute que la recourante visait à jeter le discrédit, sinon sur l'Etat de Genève, du moins sur la direction de l'OCAI vis-à-vis de laquelle elle admet avoir eu les mêmes problèmes et les mêmes réticences que bon nombre de ses collègues. Même si elle se considérait légitimée à dénoncer une éventuelle incurie de cette direction, il lui fallait quoi qu'il en fût, passer par sa hiérarchie, soit par le président du DASS, soit par le Conseil d'Etat. La recourante s'est au contraire adressée à une personne extérieure à cette hiérarchie - l'OFAS n'étant pas l'employeur de la recourante. Elle a eu à cet égard une attitude incompatible avec les devoirs de sa fonction, mentionnés plus haut. Cette faute suffit à ébranler la confiance que l'Etat pouvait et devait avoir en elle. On retiendra néanmoins le rapport fonctionnel entre l'OCAI et l'OFAS, qui a légitimé à plusieurs reprises des contacts étroits entre ces deux offices, s'agissant en particulier des problèmes de gestion de l'OCAI.

 

3. a. Les fonctionnaires ne peuvent être licenciés qu'en présence d'un motif objectivement fondé, dûment constaté, démontrant que la poursuite des rapports de service est rendue difficile en raison de l'insuffisance des prestations, du manquement grave ou répété aux devoirs de service ou de l'inaptitude à remplir les exigences du poste (art. 22 LPAC).

 

b. Comme toute décision administrative, le licenciement d'un membre de la fonction publique est soumis notamment au principe de la proportionnalité (ATA D. R. du 18 avril 2000, consid. 3b et réf. cit.; ATA D. du 31 août 1999). A ce titre, l'autorité doit apprécier les actes ou les manquements reprochés à l'intéressé en les situant dans leur contexte (ATA M. J. du 21 mars 2000, consid. 11), c'est-à-dire en tenant compte d'éventuelles circonstances atténuantes.

 

c. En l'espèce, la base du licenciement réside, à teneur de la décision litigieuse, dans un manquement grave au sens de l'article 22 lettre b LPAC. Les qualificatifs employés par l'autorité intimée pour décrire la déloyauté de la recourante sont d'une extrême sévérité; il en ressort l'absence, dans la décision contestée, de tout élément permettant de relativiser l'acte litigieux.

 

Or, il est évident que si l'intention de la recourante avait été de causer une atteinte grave à sa hiérarchie ou à l'Etat de Genève, elle ne se serait pas privée d'informer un cercle de personnes beaucoup plus étendu que l'expéditeur et la destinataire du fax anonyme. En outre, elle aurait certainement saisi l'occasion pour attirer l'attention sur les dysfonctionnements généraux de l'OCAI, et pour en attribuer la responsabilité à sa direction. A cet égard, le contenu mesuré du fax n'est pas le reflet d'une personnalité nuisible.

 

Par ailleurs, la décision litigieuse ne mentionne ni le jugement favorable que sa hiérarchie portait auparavant sur la recourante, ni le fait que le dialogue entre la direction de l'OCAI et une bonne partie du personnel semblait, à l'époque des faits, gravement compromis, et qu'un climat de crainte et de frustration perdurait au sein de ce service. L'acte de la recourante doit également être apprécié sur cette base, et il paraît peu probable qu'il se serait produit en dehors de ces circonstances particulières.

 

L'attitude et la faute de la recourante doivent donc être mesurées, d'une part, en regard d'un comportement en soi inadmissible de la part d'un employé vis-à-vis de son employeur (une dénonciation anonyme à l'encontre de ce dernier), et d'autre part, en regard d'une situation dans laquelle la transparence et le dialogue étaient depuis longtemps compromis au sein de l'OCAI, ce qu'attestent les efforts entrepris par le DASS pour restaurer la confiance au sein de cet office.

 

c. Le licenciement de la recourante paraît dès lors disproportionné, dans la mesure où le déplacement de la recourante au sein d'un autre service, assorti d'une sévère sanction, aurait vraisemblablement permis d'assainir la situation et de lui faire prendre conscience qu'un comportement irréprochable était attendu de sa part.

 

4. a. Par conséquent, le licenciement devra être annulé et la réintégration de la recourante sera proposée à l'autorité intimée sur la base de l'article 31 alinéa 2 LPAC.

 

b. A défaut de conclusions présentées en ce sens par la recourante, aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 26 juin 2000 par Madame R. M. contre la décision du Conseil d'Etat du 24 mai 2000;

 

au fond :

 

l'admet;

 

dit que le licenciement prononcé à l'encontre de Mme R. M. est contraire au droit;

 

propose au Conseil d'Etat la réintégration de Mme R. M.;

 

communique le présent arrêt à Me Jacques Barillon, avocat de la recourante, ainsi qu'au Conseil d'Etat.

 


Siégeants : M. Thélin, président, M. Schucani, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, M. Paychère, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le vice-président :

 

V. Montani Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci