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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/904/2008

ATA/716/2011 du 22.11.2011 sur DCCR/56/2010 ( ICC ) , PARTIELMNT ADMIS

Recours TF déposé le 13.01.2012, rendu le 22.06.2012, REJETE, 2C_32/2012, 2C_33/2012
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/904/2008-ICC ATA/716/2011

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 22 novembre 2011

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur S______
représenté par Me Jean-Charles Sommer, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE


et

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

_________


Recours contre la décision de la commission cantonale de recours en matière administrative du 18 janvier 2010 (DCCR/56/2010)


EN FAIT

1. Monsieur S______, domicilié à Genève avec son épouse, exerce la profession de chauffeur de taxi à titre indépendant.

2. Le 5 avril 2006, les contribuables ont envoyé à l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) leur déclaration fiscale 2005. Madame S______ a produit son certificat de salaire. M. S______ a, pour sa part, annexé un bilan et compte de pertes et profits pour l’exercice 2005, daté du 3 avril 2006, faisant apparaître un bénéfice net de CHF 9'983,65. Les recettes « taxi » s’étaient élevées à CHF 35'850.- et la « part privée taxi » à CHF 2'400.-, soit un total de CHF 38'250.-. De ce montant, des frais généraux à hauteur de CHF 16'131,35 et des amortissements pour CHF 12'135.- avaient été déduits, ce qui expliquait le bénéfice net précité.

3. Le 8 août 2006, l’AFC-GE a prié les contribuables de lui remettre d’ici le 29 août 2006 notamment les disques tachygraphiques de l’intéressé pour toute l’année 2005, ainsi que sa comptabilité « y compris le livre de caisse, le rapport journalier et/ou les feuilles de course ». Enfin, le formulaire « état de titres » devait être complété.

4. Par pli recommandé du 8 septembre 2006, l’AFC-GE a accordé aux contribuables un ultime délai au 29 septembre 2006 pour fournir les documents requis, aucune suite n’ayant été donnée à sa première requête.

5. Le 28 septembre 2006, le contribuable a rencontré un fonctionnaire de l’AFC-GE, auquel il a indiqué que, sur les conseils de son avocat, il ne fournirait aucun disque tachygraphique. De plus, il ne conservait aucune pièce comptable une fois la comptabilité de l’année bouclée. Il ne pouvait donc remettre un livre de caisse, un rapport journalier ou les feuilles de course. Il a cependant produit un nouvel état de titres.

6. Le 29 janvier 2007, l’AFC-GE a adressé aux contribuables un bordereau de taxation pour les impôts cantonaux et communaux (ci-après : ICC) 2005, de même qu’un bordereau pour l’impôt fédéral direct (ci-après : IFD) 2005 s’élevant respectivement à CHF 13'363,90 et CHF 1'170.-, le premier ayant été calculé sur un revenu imposable de CHF 96'512.- et le second sur un revenu imposable de CHF 88'700.-. Ces montants s’expliquaient par le fait que l’AFC-GE avait procédé à une reprise de CHF 32'017.- sur le bénéfice net déclaré par M. S______. Faute d’avoir obtenu de ce dernier les renseignements requis, elle avait fixé les éléments d’office, sur la base de tous les indices concluants dont elle avait connaissance, par application des art. 37 al. 1 et 68 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc - D 3 17). Cette reprise avait été effectuée aussi bien pour l’ICC que pour l’IFD.

7. Par pli posté le 26 février 2007 à l’intention de l’AFC-GE, M. S______ s’est opposé à ces bordereaux. Il avait procédé à une recherche auprès de son comptable et était dès lors en mesure de fournir les éléments nécessaires à l’établissement de son bordereau 2005. Ces pièces comportaient un relevé mensuel des recettes et des dépenses faisant apparaître un total de recettes de CHF 38'250.-, et un bénéfice net de CHF 9'983,65. Ces montants ressortaient également d’une pièce datée du 22 février 2007 et intitulée « comptabilité simplifiée pour entreprises de taxis ». Un tableau récapitulatif, signé à la même date, reprenait ces éléments.

8. Le 6 juillet 2007, la taxatrice du service des indépendants a écrit aux contribuables, les invitant à produire d’ici le 27 juillet 2007 les disques tachygraphiques pour toute l’année 2005, de même qu’une comptabilité complète mentionnant les recettes journalières obtenues. Ce délai a été prolongé au 31 août 2007, à la requête des contribuables et de leur mandataire.

9. Par lettre datée du 28 août 2007, un nouveau mandataire, disant ne pas avoir établi lui-même la déclaration fiscale 2005 des contribuables, a élevé réclamation et produit une copie des deux premiers disques tachygraphiques de janvier et des deux derniers de décembre 2005, tout en indiquant que son client gardait à disposition de l’AFC-GE les autres disques si nécessaire. M. S______ effectuait énormément de kilomètres à titre privé (accompagnement de son épouse au travail, fréquents déplacements dans le sud de la France et en Espagne). Seul 1/3 des kilomètres parcourus avait été comptabilisé. M. S______ ne tenait pas de comptabilité journalière, mais établissait une comptabilité simplifiée, déjà produite. Enfin, l’intéressé n’avait pas travaillé à 100 % en 2005, suite à de nombreux problèmes de santé. Aucun certificat médical n’était joint à ce courrier et la photocopie des quatre disques tachygraphiques précités était annexée.

10. Par deux décisions du 7 février 2008, l’AFC-GE a rejeté la réclamation concernant l’ICC 2005, de même que celle relative à l’IFD 2005. La motivation de l’une et l’autre de ces décisions était identique. Les contribuables n’avaient pas produit de documents relatifs aux recettes journalières, comme cela leur avait été demandé, pas plus que l’intégralité des disques tachygraphiques qui auraient permis à l’AFC-GE de vérifier « les parcours privés effectués durant l’année ». De plus, M. S______ alléguait pour la première fois ne pas avoir travaillé à 100 % en 2005, alors que dans sa déclaration fiscale, il avait mentionné un taux d’activité de 100 %. Les taxations querellées étaient maintenues.

11. Agissant par le biais d’un avocat, représentant l’association genevoise pour la défense des contribuables, les époux S______ ont recouru le 10 mars 2008 contre la taxation ICC 2005 auprès de la commission cantonale de recours en matière d’impôts (ci-après : CCRMI) et auprès de la commission cantonale de recours en matière d’impôt fédéral direct (ci-après : CCRIFD) s’agissant de la taxation IFD d’autre part. Ils ont produit les mêmes pièces que précédemment et conclu préalablement, à ce que l’AFC-GE soit invitée à fournir les éléments utilisés pour déterminer un bénéfice de CHF 32'017.- en lieu et place du bénéfice net déclaré de CHF 9'983,65. Cela fait, ils demandaient un délai pour se prononcer sur ces éléments. Principalement, ils ont conclu à ce que le bénéfice net soit fixé à CHF 9'983,65 selon la comptabilité simplifiée pour entreprise de taxis produite et à l’établissement de nouveaux bordereaux ICC et IFD 2005, sans pour autant conclure à l’annulation de ceux contestés.

12. Le 22 décembre 2008, l’AFC-GE a conclu au rejet des recours.

En application de la loi genevoise sur les taxis et limousines (transport professionnel de personnes au moyen de voitures automobiles) du 21 janvier 2005 (LTaxis - H 1 30) entrée en vigueur le 15 mai 2005 et du règlement d’application de celle-ci, les chauffeurs de taxi genevois devaient remettre à leurs clients une quittance comportant notamment le prix de la course et conserver une copie de ce document. De plus, selon la législation sur les taxis, les chauffeurs devaient conserver les disques tachygraphiques. Enfin, à teneur de l’art. 31 LPFisc, le contribuable devait produire toute pièce utile pour permettre une taxation complète et exacte et présenter notamment ses livres comptables, ainsi que les pièces justificatives. Tel n’ayant pas été le cas en l’espèce, l’AFC-GE était en droit de procéder à une estimation lorsque les résultats ne correspondaient manifestement pas à la réalité.

Le contribuable n’avait pas pu remettre de comptabilité complète, ni de pièces justificatives des recettes journalières, ni produit l’intégralité des disques tachygraphiques. Il n’avait pas davantage justifié d’une quelconque incapacité de travail. L’AFC-GE s’était référée à la méthode utilisée par l’administration fédérale des contributions (ci-après : AFC-CH), confirmée par le Tribunal fédéral, selon lesquels il était possible de procéder à une estimation du chiffre d’affaires en prenant pour base de calcul les kilomètres effectués professionnellement, en considérant un rendement kilométrique moyen de CHF 2,40, applicable dans le canton de Genève. Sur cette base, elle avait estimé le chiffre d’affaires annuel à CHF 42'000.-, à raison de CHF 3'500.- par mois, par référence à un arrêt de la Cour de justice de Genève du 22 mai 2003 (ACJ/578/2003). Compte tenu du bénéfice net déclaré de CHF 9'984.-, la reprise de CHF 32'017.- se justifiait.

13. Par décision du 18 janvier 2010, la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : la CCRA), qui avait dès le 1er janvier 2009 succédé aux deux commissions de recours précédentes, a joint les recours et les a rejetés pour les motifs exposés par l’AFC-GE dans sa réponse, en application, pour l’ICC, de l’art. 3 al. 1 de la loi sur l’imposition des personnes physiques - Impôt sur le revenu (revenu imposable) du 22 septembre 2000 (aLIPP-IV - D 3 14), ainsi que de l’art. 36 al. 1 LPFisc, et pour l’IFD, des art. 18 al. 1 et 130 al. 1 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11).

14. Par acte posté le 2 mars 2010 à l’intention de la CCRA, M. S______, agissant seul, a indiqué qu’il reconnaissait avoir eu tort de ne pas avoir soumis le rapport détaillé de l’année 2005 et de n’avoir pas donné le grand livre, ne sachant pas quelle était la fonction de celui-ci. En revanche, il avait transmis le rapport journalier pour 2005. Les disques tachygraphiques n’avaient pas été présentés car l’AFC-GE prenait en compte tous les kilomètres, y compris ceux effectués lors de ses congés. Chaque année, l’AFC-GE déduisait 5'200 kilomètres pour une utilisation privée de son véhicule. Il voulait connaître les critères utilisés pour définir les kilomètres déduits pour l’usage du véhicule en privé. Enfin, il contestait le kilométrage moyen facturé à CHF 2,40 dans son cas, alors que certains collègues voyaient le leur facturé à CHF 2.-, voire CHF 2,20. Il demandait quel était le critère de cette facturation et l’extrait de loi qui confirmerait ses dires. Il était prêt à montrer sa bonne foi en remettant les disques tachygraphiques pour l’année 2005 afin que l’AFC-GE puisse « contrôler les kilomètres lors des déplacements sans passagers et des kilomètres lors des déplacements avec un client ».

15. A la requête de la CCRA, M. S______ a confirmé le 8 mars 2010 que le courrier précité constituait bien un recours, raison pour laquelle celui-ci a été transmis au Tribunal administratif, devenu depuis le 1er janvier 2011 la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

16. La CCRA a produit son dossier le 29 mars 2010.

17. Le 9 avril 2010, un nouvel avocat s’est constitué pour M. S______, qui a demandé à consulter le dossier et compléter le recours. Il lui a été répondu qu’il serait autorisé à répliquer.

18. Le 14 avril 2010, l’AFC-CH a conclu au rejet du recours « sous réserve de sa recevabilité » et à la confirmation de la décision de la CCRA.

19. Le 15 avril 2010, l’AFC-GE a persisté dans les termes de sa réponse du 22 décembre 2008 adressée à la CCRA. Elle a conclu au rejet du recours et à la confirmation de ses propres décisions sur réclamation. Dans son recours auprès du Tribunal administratif, le contribuable se déclarait à nouveau prêt à remettre les disques tachygraphiques, ce qu’il n’avait toujours pas fait. En l’absence de toute nouvelle pièce, elle ne pouvait que conclure au rejet du recours.

20. Le 31 mai 2010, les contribuables ont répliqué en s’exprimant sur les années de taxation 2005 et 2006, en concluant à l’annulation de la décision attaquée pour l’ICC et l’IFD 2005 et au renvoi de la cause à l’AFC-GE pour nouvelle décision, de même qu’à la confirmation de leur déclaration fiscale « pour l’impôt 2005/2006 » (sic). De plus, les contribuables ont produit les disques tachygraphiques concernant toute l’année 2005, à l’exception de celui concernant la période du 4 au 31 décembre 2005, de même que le compte de pertes et profits 2006, le journal quotidien 2006, le relevé mensuel des dépenses et des recettes 2006, le tableau d’amortissements 2006 ainsi qu’une décision rendue le 7 décembre 2009 par la CCRA concernant les époux L______, pour une taxation relative à l’ICC 2005 (cause A/5165/2007) à l’encontre de laquelle un recours était pendant devant le Tribunal administratif.

21. Ces pièces nouvelles ont été communiquées à l’AFC-GE, qui s’est déterminée à leur sujet le 22 juillet 2010. La cause n’avait trait qu’à l’année fiscale 2005, les taxations des contribuables pour l’année fiscale 2006 faisant l’objet d’une réclamation.

Elle a maintenu qu’elle avait le droit de procéder par le biais d’une taxation par estimation. Les contribuables avaient produit, pour la première fois à l’appui de leur réplique, les disques tachygraphiques pour l’année 2005. Si ceux-ci lui avaient été remis antérieurement, le litige aurait pu être évité. Elle a réitéré le fait que le rendement kilométrique moyen de CHF 2,40 pour le canton de Genève ressortait des coefficients expérimentaux établis par l’AFC-CH et avait été confirmé depuis par le Tribunal fédéral. Quant à la décision de la CCRA du 7 décembre 2009 produite par les recourants, elle n’était pas en force.

Néanmoins, et après avoir examiné les disques tachygraphiques produits pour l’année 2005, l’AFC-GE reconsidérait partiellement sa taxation. Le contribuable avait parcouru du 3 janvier au 3 décembre 2005 un total de 38'084 kilomètres. Ce kilométrage était établi par les disques remis. Aucun cependant ne concernait la période du 4 au 31 décembre 2005. Il convenait dès lors de procéder à une extrapolation pour ce mois-ci, de sorte que le nombre de kilomètres effectués au total durant l’année 2005 s’élevait à 41'172 (38’084/333 jours x 360). De ce dernier chiffre, elle avait déduit le montant total des kilomètres effectués à titre privé. 5'200 kilomètres étaient admis de manière forfaitaire. Les disques faisaient apparaître un voyage en Allemagne de 1'690 kilomètres et des voyages en France et au Portugal pour 9'506 kilomètres, soit un total de 11'196 kilomètres. Par gain de paix, elle acceptait le montant de 12'000 kilomètres déclaré par le contribuable dans sa réplique. En plus, elle appliquait le forfait habituel de 5'200 kilomètres. Il n’y avait pas lieu d’admettre d’autres déplacements privés, d’autant plus que la lecture des disques tachygraphiques faisait apparaître que ceux-ci n’avaient pas toujours été utilisés correctement (règlement sur mode pause ou période de travail).

En conclusion, elle retenait un total de 41'172 kilomètres moins les 5'200 kilomètres à titre forfaitaire pour des voyages privés, moins les 12'000 kilomètres pour les vacances, soit un kilométrage effectué à titre professionnel de 23'972 avec un rendement moyen par kilomètre de 2,40.

Le chiffre d’affaires s’élevait ainsi à CHF 57'533.-. De ce montant, il convenait de déduire les charges déclarées par le contribuable et qui n’étaient pas contestées, soit CHF 28'266.-. Le bénéfice net pour l’année 2005 s’élevait à CHF 29'267.-. Ce bénéfice imposable net devait remplacer celui de CHF 42'001.- retenu dans la décision litigieuse (CHF 9'984.- + CHF 32'017.-). La reprise ne serait ainsi que de CHF 19'283.-, au lieu de CHF 32'017.-.

22. Le 13 décembre 2010, le juge délégué a écrit au conseil des recourants en le priant de bien vouloir indiquer d’ici le 14 janvier 2011 si M. S______ admettait la rectification précitée ou s’il maintenait ses conclusions initiales, la procédure ne portant que sur l’année 2005.

23. Le 6 janvier 2011, M. S______ a persisté néanmoins dans les termes de son recours. Du 4 au 31 décembre 2005, il était en vacances. Il admettait dès lors avoir parcouru 38'804 kilomètres, dont à déduire 5'200 kilomètres à titre privé et 12'000 kilomètres pour les vacances. Il n’acceptait pas le montant de CHF 2,40 par kilomètre comme rendement moyen. Il ignorait toujours tout de la méthode statistique ou de comparaison ayant permis d’aboutir à ce chiffre. Il se référait à « l’arrêt du Tribunal fédéral du 15 décembre 2010 (ATFA/9C968/2009) ».

Enfin, il ajoutait que: « dans sa déclaration d’impôt, on lui impose comme revenu un montant de CHF 2'400.- pour l’utilisation privée du véhicule de taxi ».

24. Le 10 janvier 2011, le juge délégué a invité l’AFC-GE à lui indiquer d’ici le 31 janvier 2011 la manière dont le rendement moyen de CHF 2,40 par kilomètre avait été calculé.

25. Le 28 janvier 2011, l’AFC-GE a produit la copie d’un document qui lui avait été envoyé par l’AFC-CH, daté du 21 avril 2010 et intitulé « coefficients d’expérience taxis, Genève » relatif au calcul de la TVA. Ce document, accompagné d’un tableau, spécifiait que les données qu’il comportait concernaient des chauffeurs employés et avaient été récoltées auprès de six entreprises de taxis genevoises de 1996 à 2001. Ces chiffres étaient donc fondés sur les tarifs en vigueur durant ces années-ci. Les entreprises étaient détentrices de concessions de taxis publics et affiliées à une centrale d’appels. Les chauffeurs employés connaissaient les mêmes conditions de travail que les indépendants (courses à vide, petites et longues courses, fausses courses) vu qu’ils disposaient des mêmes stations de taxi, y compris la gare et l’aéroport « et que les courses sont reçus par la même centrale d’appel ». Il était ensuite indiqué que « les chauffeurs employés ne doivent pas décompter les pourboires avec leur patron. Cependant, chez les chauffeurs indépendants, ce dernier fait partie du chiffre d’affaires imposable. C’est pour cette raison que le rendement kilométrique a été arrondi vers le haut ». Ce tableau indiquait le nombre de mois pendant lesquels les contrôles avaient été effectués, le nombre total de jours, le nombre de kilomètres parcourus à titre professionnel, la recette totale et enfin le rendement kilométrique moyen qui allait de CHF 1,21 à CHF 3,32.

Par ailleurs, l’AFC-GE se référait à des arrêts récents du Tribunal fédéral. Ce rendement moyen de CHF 2,40 pour 2005 était probablement encore en dessous de la réalité, les montants ressortant de ce tableau pour les années 1996 à 2001 ayant été calculés en fonction du tarif appliqué durant cette période et n’ayant pas été adaptés selon l’inflation.

26. Invité à se déterminer au sujet de cette pièce nouvelle, le conseil des recourants a fait valoir le 4 mars 2011 que, contrairement aux cas cités dans cette statistique, M. S______ était artisan chauffeur de taxi indépendant. Il était son propre patron et n’avait aucune obligation de rendement. Il était affilié à la centrale téléphonique 202, moins importante que la centrale 141. Il travaillait à 50 % environ, si on se référait notamment à son décompte des jours de congé pour 2006. Au sujet de la statistique présentée par l’AFC-CH, il relevait que si l’artisan chauffeur de taxi roule peu, ses frais fixes grèvent lourdement les kilomètres parcourus avec un client et le résultat économique est un déficit. L’AFC-GE ne saurait donc imposer forfaitairement le kilomètre utile à CHF 2,40. L’AFC-GE retenait CHF 2'400.- de revenus pour l’utilisation privée du véhicule, tout en fixant le kilométrage privé annuel à 5'200 kilomètres. Le coût dudit kilomètre était ainsi de CHF 0,46. Un examen, même superficiel, de la « pseudo statistique » de l’AFC-CH ne permettait aucune conclusion. Il n’y avait aucune corrélation entre le nombre de mois considéré, le nombre de jours, les kilomètres parcourus et les recettes. L’échantillon aurait dû pour le moins prendre en compte une durée semblable en mois et en nombre de jours travaillés pour tous les cas présentés. Ce document n’avait aucune valeur statistique. Il s’agissait d’une compilation de chiffres, additionnés puis divisés, qui n’expliquaient en aucun cas les prix retenus par kilomètre parcouru.

27. La cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées le 31 octobre 2011.

EN DROIT

1. Depuis le 1er janvier 2011, suite à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), l'ensemble des compétences jusqu'alors dévolues au Tribunal administratif a échu à la chambre administrative, qui devient autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 132 LOJ).

Les procédures pendantes devant le Tribunal administratif au 1er janvier 2011 sont reprises par la chambre administrative (art. 143 al. 5 LOJ). Cette dernière est ainsi compétente pour statuer.

2. Interjeté en temps utile devant la juridiction alors compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 -aLOJ ; 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 dans sa teneur au 31 décembre 2010).

3. Le litige porte sur les bordereaux ICC et IFD 2005 des recourants. Toutes les considérations des recourants au sujet de l'année fiscale 2006 sont donc irrelevantes.

4. Ces derniers contestent le fait que l'AFC-GE ait effectué leur taxation en procédant à une estimation.

Les recourants ont rempli une déclaration fiscale et produit, pour le contribuable, une comptabilité des plus sommaire, consistant en un bilan et compte de pertes et profits faisant état des recettes réalisées, auxquelles une somme de CHF 2'400.- a été ajoutée pour tenir compte de l'utilisation du taxi à des fins privées, un tableau récapitulatif des frais généraux, ainsi que deux feuilles intitulées « amortissement pour matériel » et « amortissement véhicule », faisant apparaître un bénéfice annuel net de CHF 9'983,65, arrondi à CHF 9'984.- par l'AFC-GE pour une activité exercée à 100 % selon les indications figurant dans la déclaration elle-même.

Depuis le 8 août 2006, l'AFC-GE n'a eu de cesse de prier les contribuables de fournir des pièces supplémentaires, telles que disques tachygraphiques pour toute l'année 2005, livre de caisse, rapport journalier et/ou feuilles de courses.

Lors d'un entretien qu'il a eu le 28 septembre 2006 avec un fonctionnaire de l'AFC-GE, le contribuable a déclaré que sur les conseils de son avocat, il ne produirait pas les disques tachygraphiques. Il n'a alors pas prétendu qu'il ne les aurait plus.

Il a également affirmé qu'il ne gardait aucune pièce comptable, raison pour laquelle il ne pouvait pas remettre les documents requis.

Il a attendu de recevoir les bordereaux de taxation litigieux pour se dire prêt - selon un courrier posté le 26 février 2007 et considéré comme valant réclamation - à fournir les éléments nécessaires à l'établissement de sa taxation, après avoir entrepris des recherches auprès de son comptable. Il a alors produit des décomptes mensuels et un récapitulatif reprenant les chiffres figurant dans le bilan et compte de pertes et profits remis initialement. A fin août 2007, par l'intermédiaire d'un nouveau mandataire, il a envoyé deux disques tachygraphiques seulement, disant garder les autres à disposition, invoqué de nombreux kilomètres parcourus à titre privé et allégué pour la première fois qu'il n'avait pas travaillé à 100 % en 2005, « suite à de nombreux problèmes de santé », sans joindre aucun certificat médical.

Cette absence de collaboration a conduit l'AFC-GE à rejeter les réclamations.

Dans son recours auprès de la commission, le contribuable a indiqué qu'il ne pouvait produire des documents, tels que les recettes journalières, dont il ne disposait pas. Il n'entendait pas remettre à l'AFC-GE tous les disques tachygraphiques sans connaître préalablement les « règles de lecture » qu'elle lui apporterait.

C'est à l'occasion de sa réplique devant le Tribunal administratif, soit le 31 mai 2010, que le contribuable a finalement produit tous les disques tachygraphiques relatifs à l'année 2005, à l'exception de celui concernant la période du 4 au 31 décembre 2005, au motif - allégué pour la première fois également le 6 janvier 2011 - que le recourant était alors en vacances.

5. En procédure de taxation, la maxime inquisitoire prévaut : l'autorité n'est pas liée par les éléments imposables reconnus ou déclarés par le contribuable. Si des indices paraissent mettre en doute l'exactitude de la déclaration, l'administration, après investigation, pourra s'en écarter et modifier les éléments du revenus en faveur ou en défaveur de ce dernier (X. OBERSON, Droit fiscal suisse, 2e éd., Bâle 2002, p. 438 ; P. AGNER/B. JUNG/G. STEINMANN, Commentaire de la loi sur l'impôt fédéral direct, Zurich 2001, n. 2 ad art. 130, p. 421).

En droit fiscal, le principe de la libre appréciation de la preuve s'applique. L'autorité forme librement sa conviction en analysant la force probante des preuves administrées, en choisissant entre les preuves contradictoires ou les indices contraires qu'elle a recueillis. Cette liberté d'appréciation, qui doit s'exercer dans le cadre de la loi, n'est limitée que par l'interdiction de l'arbitraire (E. BLUMENSTEIN/P. LOCHER, System des schweizerischen Steuerrechts, 6e éd., Zurich 2002, p. 403/404 ; J.-M. RIVIER, Droit fiscal suisse, L'imposition du revenu et de la fortune, 2e éd., Lausanne 1998, p. 139). Il n'est pas indispensable que la conviction de l'autorité de taxation confine à une certitude absolue qui exclurait tout autre possibilité ; il suffit qu'elle découle de l'expérience de la vie et du bon sens et qu'elle soit basée sur des motifs objectifs (Arrêt du Tribunal fédéral 2A.374/2006 du 30 octobre 2006 consid. 4.2 ; M. ZWEIFEL, Die Sachverhaltsermittlung im Steuerveranlagungsverfahren, Zürich 1989, p. 109 consid. 4.3).

Il peut arriver que, même après l'instruction menée par l'autorité, un fait déterminant pour la taxation reste incertain. Ce sont les règles générales du fardeau de la preuve qui s'appliquent pour déterminer qui doit supporter les conséquences de l'échec de la preuve ou de l'absence de preuve d'un tel fait. En matière fiscale, ce principe veut que l'autorité fiscale établisse les faits qui justifient l'assujettissement et qui augmentent la taxation, tandis que le contribuable doit prouver les faits qui diminuent la dette ou la suppriment (E. BLUMENSTEIN/P. LOCHER, op. cit., p. 416 et les nombreuses références citées). Par ailleurs, le contribuable doit prouver l'exactitude de sa déclaration d'impôt et de ses explications ultérieures ; on ne peut pas, en revanche, lui demander de prouver un fait négatif et de démontrer, par exemple, qu'il n'a pas d'autres revenus que ceux annoncés (J.-M. RIVIER, op. cit., p. 138). Il incombe en effet à l'autorité fiscale d'apporter la preuve de l'existence d'éléments imposables non déclarés. Si les preuves recueillies par l'autorité fiscale apportent suffisamment d'informations révélant l'existence de tels éléments imposables, il appartient à nouveau au contribuable d'établir l'exactitude de ses allégations. Ce dernier devra justifier l'origine des montants non déclarés et il pourra même être obligé de fournir des renseignements supplémentaires sur les rapports contractuels mis à jour par l'autorité fiscale et sur les prestations qui en découlent (ATF 121 II 257 consid. 4c/aa p. 266 et les références citées ; Arrêt du Tribunal fédéral 2A.374/2006 du 30 octobre 2006 consid. 4.2). L’omission ou l’échec de ces preuves contraires peut être considéré comme un indice suffisant de la véracité des allégations de la partie adverse si ces dernières paraissent vraisemblables (Arrêt du Tribunal fédéral 2A.347/2002 du 2 juin 2003, consid. 2.1 et les références citées ; ATA/607/2008 du 2 décembre 2008 consid. 7a).

6. Le contribuable n'a pas collaboré à l'établissement des faits comme il en avait l'obligation de sorte que l'AFC-GE était fondée à procéder par estimation.

7. Deux points doivent être tranchés : le nombre de kilomètres parcourus à titre professionnel par le contribuable d'une part, et la validité du rendement moyen par kilomètre pris en considération par l'AFC-GE, d’autre part.

a. La chambre de céans retiendra que le calcul opéré en dernier lieu par l'AFC-GE le 22 juillet 2010 est exact, soit un total de 41'172 kilomètres moins 5'200 kilomètres à titre forfaitaire moins 12'000 kilomètres effectués pendant les vacances, ce qui conduit à 23'972 kilomètres à titre professionnel. L'extrapolation effectuée pour la période du 4 au 31 décembre 2005 sera admise également, le contribuable - auquel le fardeau de la preuve incombait - s'étant contenté d'alléguer le 6 janvier 2011 pour la première fois qu'il aurait été en vacances pendant ces jours-ci, sans l'établir par la production d'une pièce quelconque (billets d'avion, de train, frais de restaurant ou autres) et sans avoir remis à l'AFC-GE le disque tachygraphique pour ce mois-ci.

De même, les problèmes de santé soulevés par le mandataire de l'intéressé dans la réclamation du 28 août 2007 n'ont jamais été justifiés par un quelconque certificat médical alors que selon la déclaration fiscale, le contribuable avait travaillé à 100 % en 2005, de sorte que cet allégué sera écarté également.

b. Quant au rendement kilométrique moyen de CHF 2,40, admis à Genève, le Tribunal fédéral a consacré ce mode de procéder dans trois arrêts (Arrêts du Tribunal fédéral 2C_429/2009 du 9 novembre 2009, 2A.297/2005 consid. 4.3 du 3 février 2006 in Archives 76 p. 779 et 2A.253/2005 du 3 février 2006, consid. 4.2 in RDAF 2007 II p. 318) en relevant que s'agissant d'une moyenne, celle-ci prenait en considération « toutes les circonstances particulières de la profession de chauffeur de taxi, permettant une approximation suffisamment précise du chiffre d'affaires réel du recourant, sans qu'il faille distinguer la situation des chauffeurs indépendants des chauffeurs salariés. De plus, le recourant devait « s'accommoder de l'imprécision qui résulte (résultait) nécessairement d'une moyenne, puisqu'il est (était) lui-même responsable de l'ouverture de la procédure de taxation par estimation ». Enfin, ces rendements moyens établis par l'AFC-CH - en l'occurrence pour la TVA - tenaient compte du lieu et des tarifs en vigueur dans celui-ci. Ils étaient ainsi plus représentatifs que ceux résultant de la moyenne suisse calculée par l'office fédéral de la statistique (ci-après : OFS).

Ce tableau, utilisé par les autorités fiscales pour un autre impôt, dans des cas où, comme en l’espèce, le contribuable n’a pas collaboré ainsi qu’il le devait à l’établissement des faits, crée une présomption fiable et doit pouvoir servir de base de calcul pour l’AFC-GE lorsque l’intéressé n’a pas démontré que ces chiffres seraient inexacts ni pu établir de manière convaincante que le rendement moyen par kilomètre qu’il a parcouru serait différent.

c. En l'espèce, le tableau produit par l'AFC-GE permet de comprendre que pour les 86 cas considérés à Genève, la recette totale a été divisée par le nombre de kilomètres parcourus à titre professionnel et tous ces résultats, s'échelonnant de CHF 1,21 à 3,16, ont servi à calculer le rendement kilométrique moyen de CHF 2,36, ce chiffre ayant été arrondi à CHF 2,40 pour les raisons sus-exposées (pourboire).

d. Il n'y a dès lors pas lieu de s'écarter de ce montant.

8. Conformément aux derniers calculs auxquels l'AFC-GE a procédé le 22 juillet 2010, le bénéfice net du contribuable pour 2005 s'élevait à CHF 29'267.- (23'972 kilomètres x CHF 2,40 = CHF 57'533.- - CHF 28'266.- (charges), soit CHF 29'267.-).

La reprise devait ainsi être réduite de CHF 32'017.- à CHF 19'283.-.

9. En conséquence, le recours sera partiellement admis. La décision de la CCRA sera réformée comme indiqué ci-dessus et la cause renvoyée à l'AFC-GE pour l'établissement de nouveaux bordereaux ICC et IFD 2005, les bordereaux précédents étant annulés de même que les décisions sur réclamation du 7 février 2008.

10. Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant. Aucun émolument ne sera infligé à l'AFC-GE en raison de la nouvelle teneur de l'art. 87 al. l LPA en vigueur depuis le 26 septembre 2011. Aucune indemnité de procédure ne sera allouée au recourant, qui a retardé l'issue du litige par la production au compte-gouttes des pièces nécessaires à l'établissement des faits d’une part, et qui n’obtient que très partiellement gain de cause, d’autre part (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 mars 2010 par Monsieur S______ contre la décision de la commission cantonale de recours en matière administrative du 18 janvier 2010 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

réforme la décision de la commission cantonale de recours en matière administrative du 18 janvier 2010 au sens des considérants ;

annule les bordereaux ICC et IFD 2005 ;

annule les décisions sur réclamation du 7 février 2008 ;

renvoie la cause à l’administration fiscale cantonale pour établissement de nouveaux bordereaux ICC et IFD 2005, au sens des considérants ;

met à la charge de Monsieur S______ un émolument de CHF 500.- ;

dit qu’il ne lui est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jean-Charles Sommer, avocat du recourant, à l’administration fiscale cantonale, à l’administration fédérale des contributions ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, Mme Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

C. Derpich

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :