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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3066/2013

ATA/714/2014 du 09.09.2014 ( FPUBL ) , REJETE

Descripteurs : LIBERTÉ D'EXPRESSION ; DROITS POLITIQUES ; RÉCOLTE DE SIGNATURES ; FIDÉLITÉ ; FONCTIONNAIRE
Normes : Cst.16; Cst.34; RPAC.20; RPAC.21.letb; RPAC.21.letc
Résumé : Un fonctionnaire ne peut pas récolter des signatures pour une initiative cantonale sur les lieux où il travaille sans violer son devoir de réserve, étant donné qu'un tel comportement peut mener les administrés à faire un amalgame entre sa fonction et son activité politique.
En fait
En droit

république et

canton de genève

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3066/2013-FPUBL ATA/714/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 9 septembre 2014

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Antoine Boesch, avocat

contre

DÉPARTEMENT DES AFFAIRES RéGIONALES, DE L'éCONOMIE ET DE LA SANTé

 



EN FAIT

1) Monsieur A______ a été engagé dès le 1er septembre 2009 en qualité d’inspecteur au service du commerce (ci-après : le Scom) du département des affaires régionales, de l’économie et de la santé (ci-après : le département).

2) Selon le cahier des charges de M. A______, le poste d’inspecteur consistait à contrôler le respect de la législation dont le Scom était chargé de l’application.

L’inspection des établissements publics et des commerces dans les secteurs attribués faisait partie de ses activités principales. La surveillance des examens des chauffeurs de taxis entrait dans le cadre des activités spécifiques, effectuées à la demande de sa hiérarchie.

3) Le 1er décembre 2009, A______ a fait l’objet d’un entretien d’évaluation et de développement du personnel (ci-après : EEDP). Selon le rapport y relatif, il était un collaborateur fiable donnant satisfaction dans l’accomplissement de ses activités.

4) Par lettre du 20 juillet 2010, la commune de B______ a relaté au département la visite inopinée d’un collaborateur du Scom le 15 juillet 2010 à 14h30 à son épicerie solidaire et a demandé à ce que toute la lumière soit faite sur cette affaire.

Deux hommes s’étaient présentés à l’épicerie, demandant de façon agressive et impolie à pouvoir bénéficier des denrées de l’épicerie. Après que la collaboratrice en charge de l’épicerie eût insisté à plusieurs reprises, l’un d’eux avait consenti à se présenter. Il était député de l’Union démocratique du centre (ci-après : l’UDC) au Grand Conseil, l’autre, muni d’un appareil photo, avait refusé de décliner son identité. Ces deux personnes avaient posé des questions déplacées à la collaboratrice de l’épicerie. Après que le député fût parti, l’autre personne avait pris des photos des voitures parquées devant l’épicerie et fait des remarques désobligeantes sur ses bénéficiaires. Lui-même conduisait un véhicule appartenant au Scom.

5) Par courriel du 28 juillet 2010, la direction du Scom a demandé à son inspectorat quelle était la personne qui avait procédé à un contrôle de l’épicerie solidaire de B______ le 15 juillet 2010.

6) Par courriel du même jour, A______ a répondu n’avoir procédé à aucun contrôle et que, cas échéant, il se serait annoncé.

7) Par lettre du 29 juillet 2010, le département a informé la commune de B______ qu’une enquête interne, dont les résultats lui seraient communiqués dans les meilleurs délais, avait été ouverte pour identifier l’inspecteur concerné. Ce type d’incident était pris très au sérieux.

8) Par courriel du 19 août 2010 adressé à M. A______, la direction du Scom a renouvelé sa demande du 28 juillet 2010.

9) Le 20 août 2010, également par courriel, A______ a admis s’être rendu le 15 juillet 2010 à l’épicerie solidaire de B______ avec un député UDC au moyen d’un véhicule de fonction et avoir exposé ses constatations à la personne en charge de l’établissement.

Il avait effectivement pris une photo de la voiture « (très) supérieure » d’un bénéficiaire et l’avait montré à la responsable qui avait réagi de manière disproportionnée. Alors qu’il prenait congé, cette dernière lui avait demandé son nom, qu’il avait alors refusé de donner.

10) Par lettre du 26 août 2010 à l’attention de la direction du Scom, les collaborateurs de l’épicerie solidaire de B______ ont confirmé la version des faits exposée dans la lettre du 20 juillet 2010 et précisé que les personnes ayant assisté à la scène avaient été remuées, l’intervention du collaborateur du Scom ayant été plutôt vive.

11) Le 31 août 2010, A______ a été convoqué à un entretien de service, qui s’est tenu le 16 septembre 2010.

Selon le compte rendu de cet entretien, il lui était fait grief de s’être rendu, le 15 juillet 2010 à 14h30, pendant ses heures de travail, à l’épicerie solidaire de B______accompagné d’un député de l’UDC en utilisant un véhicule de fonction. Son intervention avait généré des réactions vives des collaborateurs de l’épicerie, mais également de la commune de B______, à cause de l’échange de propos vifs avec les responsables de l’établissement, la prise de photos de véhicules parqués devant l’établissement, son refus de s’identifier et la présence d’un député membre de la commission sociale. Ces griefs avaient été à la fois confirmés par l’enquête interne et le courriel de l’intéressé du 20 août 2010.

A______ reprenait les explications dudit courriel, estimant que son passage à l’épicerie s’était déroulé sans agressivité. Au moment de cette visite, il était en pause, et avait pris le véhicule de service pour pouvoir se rendre aux pré-fêtes de Genève pour y effectuer des contrôles. Il reconnaissait qu’il n’aurait pas dû se rendre à l’épicerie, mais rappelait son implication dans le travail et l’absence d’autres incidents de ce type.

Un délai lui était fixé pour transmettre ses éventuelles observations.

12) Par lettre du 1er octobre 2010, A______ a fait valoir ses observations à propos de l’entretien du 16 septembre 2010. Les faits devaient être corrigés, à savoir que sa présence n’avait pas provoqué de vives réactions ni de propos vifs et qu’il n’avait pas pris de photos sur le parking devant l’établissement.

Il n’aurait pas dû consacrer le temps de sa pause à une activité qui risquait d’être confondue avec un contrôle accompli « ès qualité » et ferait désormais preuve d’une prudence extrême sur ce point. La présence du député avait faussement donné un caractère officiel à son intervention.

13) Le 18 novembre 2010, A______ a fait l’objet d’un EEDP. Son bilan général était positif, les aspects qualitatifs de son travail étant à améliorer.

14) Par décision du 6 décembre 2010, le Scom a infligé un blâme à A______ pour avoir adopté un comportement susceptible de porter préjudice aux intérêts de l’État et confirmé les griefs retenus à son encontre lors de l’entretien de service.

15) Le 5 octobre 2011, A______ a participé à un EEDP. Il devait se montrer plus à l’écoute et faire preuve de plus de retenue face à des avis divergents. Mis à part un effort qualitatif à fournir, le reste de son bilan général était positif.

16) Le 10 novembre 2011, A______ a été nommé fonctionnaire à compter du 1er septembre 2011.

17) Lors d’un EEDP du 18 octobre 2012, A______ a fait l’objet d’un bilan général semblable à celui de l’EEDP précédent.

18) Le 14 novembre 2012, un entretien de suivi a eu lieu.

Selon le compte rendu de cet entretien, A______ avait envoyé un courrier engageant juridiquement le Scom, sans requérir l’aval de son chef de secteur. Ce fait nécessitait une explication de l’intéressé, qui a été entendu par le directeur du Scom et son supérieur hiérarchique direct.

A______ a reconnu avoir violé les directives en ne soumettant pas ledit courrier à sa hiérarchie, mais a estimé avoir agi rapidement dans les intérêts de l’administré.

19) Le 11 janvier 2013, A______ a transmis ses observations relatives à l’entretien de suivi du 14 novembre 2012 sans donner de précisions concernant l’envoi du courrier litigieux.

20) Le 18 février 2013, le chef de l’inspectorat du Scom a informé par courriel A______ qu’il avait appris que ce dernier avait récolté des signatures pour l’initiative cantonale de l’UDC en faveur d’une traversée de la rade durant une session d’examen pour les chauffeurs de taxis et ce, à l’entrée de l’office cantonal des automobiles et de la navigation, désormais le service cantonal des véhicules (ci-après : le SCV), là où patientaient généralement les experts et les candidats à la session de l’après-midi.

21) Le même jour, A______ lui a répondu, également par courriel, qu’il avait, pendant sa pause de midi et « au su et au vu des nombreuses personnes présentes » qui patientaient devant l’entrée du SCV, effectué une récolte de signatures pour ladite initiative.

22) Par courrier du 27 février 2013 remis en main propre à M. A______, le Scom a convoqué ce dernier à un entretien de service qui a eu lieu le 18 mars 2013.

a. Selon le compte rendu de cet entretien, il lui était reproché d’avoir violé les art. 20, 21 let. b et c et 22 al. 3 du règlement d’application de la loi relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01) en récoltant, lors de la dernière session d’examens des chauffeurs de taxis au mois de mai 2012 au SCV des signatures pour une initiative. Le problème résidait dans l’amalgame que les candidats à l’examen et les experts pouvaient faire entre sa fonction d’inspecteur et une activité politique. L’intéressé avait par ailleurs déjà fait l’objet d’un blâme pour des faits similaires auparavant, ce qui aurait dû le rendre plus circonspect.

b.             Au cours de l’entretien, A______ a admis les faits, sans comprendre toutefois les griefs retenus à son encontre. Il faisait bien son travail et avait récolté, après le repas de midi, des signatures en faveur d’une initiative sans coloration politique particulière à trois ou quatre occasions. La récolte avait été effectuée hors de la présence des candidats à l’examen de chauffeur de taxis et il ne portait aucun signe distinctif l’identifiant comme fonctionnaire, partant, il n’avait pas pu être reconnu. En outre, personne ne s’était plaint durant neuf mois, les examens ayant eu lieu en mai 2012. Enfin, il a contesté avoir enfreint une quelconque disposition légale, il en allait de sa liberté d’expression.

c.              Au terme de l’entretien, le Scom a informé A______ que la situation était susceptible de conduire au prononcé d’une sanction disciplinaire.

23) Le 19 avril 2013, A______ a transmis ses observations au Scom suite à l’entretien de service et repris l’argumentation exposée lors de ce dernier, estimant en outre qu’il était de la responsabilité du département de régler la question d’activités politiques sur des sites de l’État.

24) Par décision du 8 juillet 2013, le Scom a infligé un blâme à M. A______, se référant aux motifs qui lui avaient été communiqués lors de l’entretien de service du 18 mars 2013.

25) Par acte du 24 juillet 2013, A______ a recouru auprès du département contre la décision du Scom du 8 juillet 2013.

Invoquant une violation de son droit d’être entendu, il s’est référé pour le surplus à ses observations du 19 avril 2013.

26) Par décision du 20 août 2013, le département a rejeté l’opposition de M. A______.

Le droit d’être entendu de M. A______, qui avait pu s’exprimer à quatre reprises, n’avait pas été violé. Il lui était reproché de ne pas s’être abstenu de procéder à une récolte de signatures, alors même qu’il en avait envisagé la possibilité, d’avoir suscité la confusion du public en se positionnant à dessein dans l’enceinte du SCV. Partant, la violation des art. 20, 21 let. b et c ainsi que 22 al. 3 RPAC était établie et le principe du prononcé d’une sanction acquis.

27) Par acte du 23 septembre 2013, A______ a recouru contre cette décision auprès de la chambre administrative de la Cour de justice
(ci-après : la chambre administrative) concluant, avec suite de frais et indemnités, préalablement, à la production du dossier relatif à la dénonciation à l’origine de la présente procédure ainsi qu’à l’audition des parties, principalement, à son annulation.

Le devoir de réserve, tel qu’appliqué par le département, violait son droit à la liberté d’expression et l’exercice de ses droits politiques. L’ensemble des circonstances du cas devait être pris en compte. En l’occurrence, il était un fonctionnaire subalterne qui avait récolté, pendant trois jours, une vingtaine de signatures en faveur d’une initiative sans coloration politique particulière pendant sa pause de midi et hors de la présence des candidats à l’examen de chauffeur de taxis qu’il était venu superviser. En outre, il ne portait aucun signe distinctif l’identifiant comme fonctionnaire, étant précisé que son lieu de travail habituel était à Onex, que son comportement n’avait dérangé personne hormis un étrange dénonciateur qui s’était manifesté neuf mois après les faits et qu’il ne disposait d’aucune indication qui lui aurait permis de supposer que la récolte de signatures était prohibée.

28) Dans sa réponse du 25 novembre 2013, l’office du personnel de l’État a, au nom et pour le compte du département, conclu au rejet du recours et persisté dans les termes de la décision attaquée.

Il n’était pas question de la liberté d’opinion de M. A______, mais plutôt de l’exercice de ses droits politiques. Le département disposait d’une base légale pour limiter l’exercice des droits politiques du recourant. Par ailleurs, le devoir de réserve répondait à un intérêt public et était proportionné à ce dernier. Il était uniquement reproché à l’intéressé d’avoir récolté des signatures sur son lieu de travail.

29) Le 30 juin 2014, le juge délégué a tenu une audience de comparution personnelle des parties.

a.              A______ a précisé, s’agissant de l’affaire de l’année 2010, qu’il avait agi pendant les 15 minutes de sa pause et regrettait de ne pas avoir recouru contre le blâme qui lui avait été notifié à l’époque. Les examens des chauffeurs de taxis s’étaient déroulés en mai 2012 de 7h30 à 11h40, ainsi que de 13h10 à la fin de l’après-midi. D’expérience, les candidats ne se présentaient pas en avance, d’autant plus l’après-midi. Ces derniers attendaient généralement à un endroit distant de celui où il avait récolté les signatures. En outre, il ne s’était adressé qu’aux personnes qu’il pensait être suisses, ce qui n’était pas le cas de la majorité des candidats à l’examen. Il versait à la procédure un rapport d’évaluation de candidat en formation pour la période du 1er septembre 2009 au 23 octobre 2009, ainsi qu’un rapport d’ « assessment » établi par une entreprise extérieure.

b.             Le représentant du département a expliqué avoir eu connaissance des faits lors d’un entretien avec une autre inspectrice. A______ avait violé son devoir de réserve. Il se référait aux écritures du département sur ce point. Le département envisageait d’édicter des directives, mais attendait l’issue de la procédure pour décider de l’attitude la plus adéquate. Il n’avait pas eu connaissance d’autres épisodes de ce type dans le cadre du département.

30) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Le recourant fait valoir que la décision querellée viole son droit à la liberté d’expression ainsi que l’exercice de ses droits politiques.

b. Selon l’art. 16 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), la liberté d’opinion et la liberté d’information sont garanties (al. 1). Toute personne a le droit de former, d’exprimer et de répandre librement son opinion (al. 2). L’art. 10 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) consacre également la liberté d’expression. La notion d’opinion se définit de manière large pour englober toute appréciation, idée, manifestation de pensée, prise de position, conception, création artistique et littéraire, voire toute activité politique (Andreas AUER/ Giorgio MALINVERNI/ Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. II : les droits fondamentaux, 3ème éd., 2013, n. 558). Elle n’implique pas la faculté de faire pression sur autrui pour le convaincre de certaines idées, ni en particulier celle d’arrêter des personnes dans la rue ou de pénétrer chez elles contre leur gré pour chercher à les convaincre et à obtenir leur adhésion. Une telle liberté ne peut en effet s’exercer que dans le respect de celle d’autrui. Ainsi, l’organisation d’une collecte de signatures en vue d’une initiative populaire sort du cadre de la simple liberté d’expression (ATF 97 I 893 consid. 4).

c. L’art. 34 Cst. garantit les droits politiques des citoyens. Sont protégées, d'une part, «la libre formation de l'opinion des citoyens et citoyennes», d'autre part, «l'expression fidèle et sûre de leur volonté» (art. 34 al. 2 Cst). Au niveau cantonal, les droits politiques sont garantis par l’art. 44 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst - GE ; 2 00). Les droits politiques incluent notamment le droit d’initiative, qui permet à une fraction du corps électoral de déclencher une procédure conduisant à l’adoption, à la révision ou à l’abrogation d’un acte étatique (Stéphane GRODECKI, L’initiative populaire cantonale et municipale à Genève, 2008, p. 8 s.). Il comporte également un deuxième aspect, la possibilité de tout mettre en œuvre pour faire aboutir l’initiative, notamment par la récolte de signatures (ATF 97 I 893 consid. 4 ; Andreas AUER/ Giorgio MALINVERNI/ Michel HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. I : l’État, 3ème éd., 2013, n. 882). L’art. 47 Cst - GE garanti le droit d’utiliser le domaine public gratuitement afin de récolter des signatures pour des initiatives.

3) a. Le devoir de réserve d’un fonctionnaire pourrait être décrit comme la retenue que doit s’imposer l’agent public dans l’exercice de certains de ses droits fondamentaux - au travail comme en dehors de celui-ci - en raison de son statut ou de son activité au service de l’État (Jean-Marc VERNIORY/ Fabien WAELTI, Le devoir de réserve des fonctionnaires spécialement sous l’angle du droit genevois in PJA 2008, p. 811). Il est évident que, pour défendre les intérêts de l’État, l’agent public doit acquiescer - au moins extérieurement - à l’existence de celui-ci et à ses valeurs fondamentales, c’est-à-dire la démocratie, la primauté du droit et le respect des droits fondamentaux (Jean-Marc VERNIORY/ Fabien WAELTI, op. cit., p. 813).

Viole son devoir de réserve et porte atteinte à l’impartialité que se doit d’avoir un service de naturalisation, le fonctionnaire d’un tel service qui pousse à bout une fillette de douze ans ou fait preuve d’un racisme patent à l’endroit d’un couple de candidats musulmans algériens (arrêt 8C_195/2012 du Tribunal fédéral du 8 novembre 2012 consid. 8). De même, un membre du conseil d’administration des services industriels de Genève (ci-après : SIG) également député, viole son devoir de réserve en portant sans la moindre précaution de graves accusations relatives à la gestion des SIG (arrêt 8C_220/2010 du 18 octobre 2010 consid. 4.5.3).

Le devoir de réserve est un aspect du devoir de fidélité, les composantes de ce dernier étant décrites aux art. 20 à 23 du RPAC (Jean-Marc VERNIORY/ Fabien WAELTI, op. cit., p. 811). Ces dispositions ont été directement édictées par le Conseil d’État en application de la clause de délégation contenue à l’art. 106 Cst - GE.

Les membres du personnel sont ainsi tenus, conformément à leur devoir de réserve, au respect de l’intérêt de l’État et doivent s’abstenir de tout ce qui peut lui porter préjudice (art. 20 RPAC). Ils se doivent également, par leur attitude, d’établir des contacts empreints de compréhension et de tact avec le public (art. 21 let. b RPAC), ainsi que justifier et renforcer la considération et la confiance dont la fonction publique doit être l’objet (art. 21 let. c RPAC).

b. Les devoirs des fonctionnaires peuvent, pour l’essentiel, être prévus par voie réglementaire. Il n’est en effet pas possible que la loi définisse en détail toutes les restrictions, notamment le devoir de réserve dont il est généralement reconnu que sa formulation ne peut être que générale et assez fortement indéterminée (Jean-Marc VERNIORY/ Fabien WAELTI, op. cit., p. 816 ; Andreas AUER/ Giorgio MALINVERNI/ Michel HOTTELIER, vol. I, op. cit., n. 203).

Le Tribunal fédéral admet que lorsqu’une réglementation détaillée dans la loi est exclue, l’examen du respect de la proportionnalité acquiert plus d’importance (ATF 132 I 49 consid. 7.1 ; Andreas AUER/ Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER, vol. II, op. cit., n. 204).

c.              Selon la jurisprudence en lien avec la récolte de signatures, une telle collecte pour une initiative sur le domaine public ne peut être restreinte que pour atteindre un intérêt public ou protéger le droit fondamental d’autrui (ATF 135 I 302 consid. 4.2). Ce sont les circonstances d’espèce qui pourront éventuellement constater une tension, voire une violation du devoir de réserve dans le cadre de l’exercice actif des droits politiques. Les deux critères principaux de l’examen seront la position du fonctionnaire et la nature de l’initiative (Jean-Marc VERNIORY/ Fabien WAELTI, op. cit., p. 818).

La collecte de signatures en faveur d’une pétition peut être restreinte en invoquant le devoir de réserve. C’est le cas lorsqu’un fonctionnaire ne se contente pas de signer une pétition critiquant la conduite du corps de police et, par là, mettant une cause la confiance du public en l’État, mais prend une part active à la récolte de signatures en distribuant des formulaires de pétition (arrêt du Tribunal administratif des Grisons du 6 janvier 1988 in Peter HÄNNI, Das öffentliche Dienstrecht der Schweiz dargestellt anhand der Gerichts- und Verwaltungspraxis in Bund und Kantonen, 2ème éd., 2008, p. 141). En revanche, l’interdiction de la récolte de signatures effectuée dans un cadre privé pour une pétition en faveur d’un fonctionnaire faisant l’objet d’une enquête disciplinaire n’est justifié par aucun intérêt public (arrêt du Tribunal administratif des Grisons du 31 mai 1988 in Peter HÄNNI, op. cit., p. 141).

4) Les fonctionnaires et les employés qui enfreignent leurs devoirs de service, soit intentionnellement soit par négligence, peuvent faire l'objet d’un blâme prononcé par le supérieur hiérarchique, en accord avec sa hiérarchie (art. 16 al. 1 let. a de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 4 décembre 1997 - LPAC - B 5 05).

5) En l’espèce, la récolte de signatures pour l’initiative cantonale de l’UDC en faveur de la traversée de la rade dépasse le simple exercice de la liberté d’expression dont A______ est titulaire, car cette démarche implique de devoir aborder des personnes dans le but de les convaincre du bien-fondé de cette proposition politique. Elle relève en revanche des droits politiques du recourant, plus précisément de son droit d’initiative, en ce que cette collecte de signatures a pour but de provoquer une votation populaire à Genève.

Les art. 20 et 21 let. b et c RPAC invoqués par le département pour restreindre les droits politiques du recourant constituent une base légale suffisante, car les devoirs d’un fonctionnaire peuvent être prévus dans une base réglementaire. Par ailleurs, ces articles décrivent suffisamment ce qui est en réalité le devoir de réserve du fonctionnaire, notion qui ne peut être qu’assez fortement indéterminée.

Bien que le recourant tente de minimiser les conditions dans lesquelles il a récolté les signatures, il faut relever un manque de discernement de sa part. En effet, le recourant a décidé de s’adonner à cette activité au SCV où se déroulent les examens de chauffeurs de taxis qu’il est tenu de surveiller et qui visent à assurer l’exercice de la profession de transports de personnes dans de bonnes conditions (art. 1 al. 1 de la loi sur les taxis et limousines (transport professionnel de personnes au moyen de voitures automobiles) du 21 janvier 2005 (LTaxis - H 1 30). En outre, il a affirmé ne pas s’être caché des personnes présentes, étant précisé que le but de toute récolte de signatures est effectivement d’en obtenir le maximum, partant d’aborder le plus de personnes possible. Même si le recourant a effectué cette récolte durant la pause de midi, il ne peut donc pas exclure qu’une personne participant aux examens, en tant qu’expert ou candidat, l’ait aperçu. Cet amalgame entre son activité politique et sa fonction d’inspecteur du Scom chargé de la surveillance des examens de la LTaxis n’est pas admissible. Le recourant a, par son comportement et au vu du contexte dans lequel celui-ci s’est inscrit, donné l’impression qu’un inspecteur du Scom a pour fonction à la fois de veiller à la bonne application de la loi sur le terrain et de s’adonner à la propagande politique. Le recourant n’explique par ailleurs pas pourquoi il ne pouvait pas choisir un autre lieu pour s’adonner à son activité politique. En affirmant devant la chambre de céans regretter de ne pas avoir recouru contre le blâme qui lui avait été infligé en 2010, car il était intervenu sur sa pause de midi, le recourant prouve qu’il n’a pas saisi le type de comportement exigé par son poste d’inspecteur du Scom.

Partant, la décision du département infligeant un blâme à A______ ne viole pas la liberté d’expression de ce dernier, ni l’exercice de ses droits politiques.

6) Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté. Un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 septembre 2013 par Monsieur A______ contre la décision du département des affaires régionales, de l'économie et de la santé du 20 août 2013 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de Monsieur A______;

dit qu’il ne lui est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art 113 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 ( LTF – RS 173 110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par devant le Tribunal fédéral, par la voie de recours constitutionnel subsidiaire ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Antoine Boesch, avocat du recourant ainsi qu'au département des affaires régionales, de l'économie et de la santé.

Siégeants : M. Thélin, président, MM. Dumartheray et Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen, juges, M. Fiechter, juge suppléant.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :