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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4498/2017

ATA/667/2018 du 26.06.2018 ( PROF ) , ADMIS

Descripteurs : AVOCAT; SECRET PROFESSIONNEL; SAUVEGARDE DU SECRET; PESÉE DES INTÉRÊTS; DROIT D'ÊTRE ENTENDU; AUDITION OU INTERROGATOIRE; TÉMOIN
Normes : LLCA.13.al1; LPAv.12; CP.321.ch1; Cst.29.al2
Résumé : Recours contre la décision de la commission du barreau refusant la levée du secret professionnel d'un avocat souhaitant témoigner dans la procédure civile opposant des héritiers d'un client décédé sur la validité de son dernier testament. Le recourant étant détenteur d'informations susceptibles de clarifier le litige, intérêt privé prépondérant du client du recourant, respectivement des héritiers, à ce que les volontés successorales du de cujus soient respectées. Le secret doit être levé sur les faits relevant strictement des intentions successorales du client décédé. Recours admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4498/2017-PROF ATA/667/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 26 juin 2018

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

COMMISSION DU BARREAU



EN FAIT

1) Monsieur A______ est titulaire du brevet d'avocat et est inscrit au registre des avocats du canton de Genève.

2) Par courrier du 12 septembre 2017, M. A______ a requis de la commission du barreau (ci-après : la commission) d'être délié du secret professionnel.

Il avait été cité à comparaître en tant que témoin à une audience par-devant le Tribunal de première instance (ci-après : TPI) afin d'être entendu sur un litige concernant la contestation du testament de l'un de ses mandants, décédé en 2013 (ci-après : le mandant).

3) Par décision du 22 septembre 2017, le bureau de la commission a rejeté la requête de levée du secret professionnel de M. A______.

4) Par courrier du 28 septembre 2017, M. A______ a sollicité un réexamen de sa requête par la commission en séance plénière et développé les raisons à l'origine de sa requête de levée de secret. Le mandant avait, quelques semaines avant son décès, établi un testament public révoquant celui qu'il avait fait rédiger des années auparavant. La personne instituée héritière par le premier testament avait intenté une action en nullité du dernier testament qui instituait héritières une personne ayant travaillé pour lui et une fondation. Son témoignage apporterait un éclairage nécessaire sur la capacité de discernement du mandant lors de la rédaction du testament querellé, antérieure d'un mois à leur dernière rencontre, ainsi que sur ses velléités successorales, soit le coeur du litige devant le TPI.

5) Par décision du 9 octobre 2017, la commission a rejeté la requête de levée du secret professionnel de M. A______.

Aucun élément concret à l'appui de sa requête ne permettait de retenir l'existence d'intérêts privés supérieurs à la révélation de faits couverts par le secret professionnel.  M.  A______ n'établissait pas non plus être visé par la procédure dans laquelle il était appelé à témoigner.

6) Par acte du 9 novembre 2017, M. A______ a formé recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision précitée, concluant préalablement à la transmission de l'intégralité du dossier, à sa comparution personnelle et à l'audition du président de la commission. Principalement, il concluait à l'annulation de ladite décision, à être autorisé à déposer comme témoin dans la procédure C/19682/2014-11 et être délié de son secret professionnel dans ce cadre, « sous suite de dépens ».

La commission avait violé son droit d'être entendu, d'une part en refusant de l'entendre en séance plénière, et, d'autre part, en motivant insuffisamment la décision rendue en séance plénière.

Sur le fond, la commission avait violé l'art. 13 de la loi fédérale sur la libre circulation des avocats du 23 juin 2000 (LLCA - RS 935.61), les conditions de levée du secret professionnel étant remplies. Outre la nécessité de son témoignage sur la capacité de discernement du mandant, il avait un intérêt personnel à la levée de son secret professionnel. Il risquait d'être attaqué ultérieurement, même pénalement, sur la base d'un jugement civil erroné. Le priver de la possibilité de témoigner reviendrait à tronquer une procédure dont l'issue serait en contradiction avec les dernières volontés du mandant, de sorte que l'intérêt public préconisait aussi la levée du secret.

Enfin, la commission aurait dû autoriser une levée ne serait-ce que partielle de son secret, de sorte qu'elle avait violé le principe de la proportionnalité.

7) Le 21 novembre 2017, la commission a indiqué ne pas avoir d'observations supplémentaires à formuler.

8) Le 5 février 2018 s'est tenue une audience de comparution personnelle en l'absence de la commission, excusée.

M. A______ était à nouveau convoqué par le TPI pour une audience appointée au 28 février 2018. Il souhaitait pouvoir témoigner sur la capacité de discernement du mandant jusqu'à son décès, ses volontés concernant sa succession, et il désirait pouvoir répondre aux attaques dont il faisait l'objet dans les écritures produites au TPI.

9) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Selon l'art. 12 al. 3 de la loi sur la profession d'avocat du 26 avril 2002 (LPAv - E 6 10), si le bureau de la commission refuse de délier un avocat de son secret professionnel, ce dernier peut demander que sa requête soit soumise à la commission plénière qui statue par une décision non susceptible d'un recours.

b. Toutefois, comme l'a déjà constaté la chambre administrative, l'art. 12 al. 3 in fine LPAv n'est plus conforme aux exigences conventionnelles, constitutionnelles ni à la législation fédérale en matière d'accès au contrôle judiciaire (art. 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 - CEDH - RS 0.101 ; art. 29a de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 ; art. 86 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110) et la chambre administrative est dès lors compétente pour connaître d'un recours contre une décision de la commission plénière en matière de levée du secret professionnel de l'avocat (ATA/638/2011 du 11 octobre 2011).

c. Le recours est par conséquent recevable.

3) Le recourant demande l'audition du président de la commission.

a. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 Cst., le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 135 I 279 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 2D_5/2012 du 19 avril 2012 consid. 2.3).

b. Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s'il acquiert la certitude qu'elles ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 136 I 229 consid. 5.2 ; ATA/409/2017 du 11 avril 2017).

c. En l'espèce, la commission s'est exprimée par écrit, tant dans ses deux décisions que dans le cadre de la procédure devant la chambre administrative. Elle a demandé à être excusée pour l'audience de comparution personnelle devant la chambre de céans, conformément à sa pratique et parce qu'elle ne pourrait que se référer à sa décision attaquée. La chambre administrative dispose par ailleurs d'un dossier complet lui permettant de se prononcer sur les griefs soulevés en toute connaissance de cause.

Il ne sera dès lors pas donné suite à la réquisition du recourant.

4) Dans un premier grief formel, le recourant se plaint que la commission aurait violé son droit d'être entendu, d'une part en ne procédant pas à son audition orale, et, d'autre part, en motivant sa décision de manière insuffisante.

a. Le droit à une audition orale fondée sur l'art. 6 § 1 CEDH peut être invoqué s'agissant d'une juridiction administrative, et non d'une autorité administrative (ATA/559/2015du 2 juin 2015 et les références citées). Or la commission n'étant pas une juridiction mais une autorité administrative, le recourant ne peut se prévaloir d'un droit à une audition orale devant la commission sur cette base (art. 1 a contrario LOJ ; art. 14 LLCA ; art. 14ss LPAv ; ATA/559/2015précité et les références citées).

b. En outre, il y a lieu de rappeler que l'art. 29 al. 2 Cst., qui garantit le droit d'être entendu en procédure administrative, n'implique pas une audition personnelle de l'administré, qui doit simplement disposer d'une occasion de se déterminer sur les éléments propres à influer sur l'issue de la cause. Le droit de faire administrer des preuves suppose notamment que le moyen de preuve proposé soit nécessaire pour constater un fait pertinent à prouver. Par ailleurs, cette garantie constitutionnelle n'empêche pas l'autorité de mettre un terme à l'instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d'une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude qu'elles ne pourraient l'amener à modifier son opinion (ATF 134 I 140 consid. 5.3). En droit cantonal genevois, il n'existe pas non plus de droit à une audition orale, sauf dispositions légales contraires, qui n'existent pas in casu (art. 41 LPA ; ATA/559/2015 précité).

c. Par ailleurs, la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de droits constitutionnels a déduit du droit d'être entendu le droit d'obtenir une décision motivée. L'autorité n'est toutefois pas tenue de prendre position sur tous les moyens des parties ; elle peut se limiter aux questions décisives, mais doit se prononcer sur celles-ci (ATF 138 I 232 consid. 5.1). Il suffit, du point de vue de la motivation de la décision, que les parties puissent se rendre compte de sa portée à leur égard et, le cas échéant, recourir contre elle en connaissance de cause (ATF 141 V 557 consid. 3.2.1).

d. En l'espèce, la commission, en tant qu'autorité administrative, était en droit de renoncer à une audition personnelle du recourant, dans la mesure où ce dernier avait pu exprimer sa position et développer ses arguments, à deux reprises, dans ses écritures des 12 et 28 septembre 2017. S'agissant de cette dernière écriture, le recourant y avait volontairement longuement développé ses arguments, parce que le bureau de la commission avait considéré, dans sa décision du 22 septembre 2017, que sa requête initiale était motivée de manière très sommaire.

Par conséquent, la commission n'a pas violé le droit d'être entendu du recourant en renonçant à l'entendre personnellement. Ce grief doit donc être écarté.

Par ailleurs, le recourant a pu se rendre compte de la portée de la décision à son égard et recourir en connaissance de cause. La décision entreprise, bien que brève, permet de comprendre les raisons pour lesquelles la commission a conclu au rejet de la requête, de sorte qu'un défaut de motivation ne peut lui être reproché. En tout état, même à considérer qu'il y a eu une violation de son droit d'être entendu, celle-ci serait réparée compte tenu des développements qui suivent, la chambre de céans disposant du même pouvoir d'examen que l'autorité inférieure (ATF 138 I 97 consid. 4.1.6.1).

5) Le présent litige a pour objet le bienfondé du refus de la commission de délier le recourant du secret professionnel pour qu'il témoigne devant le TPI dans la cause C/19682/2014, relative à la validité du dernier testament de feu son ancien client.

6) Le recourant se prévaut d'une violation de l'art. 13 LLCA.

7) a. Selon l'art. 13 al. 1 LLCA, repris par l'art. 12 al. 1 et 2 in initio LPAv, l'avocat est soumis au secret professionnel - également prévu par l'art. 321 du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) - pour toutes les affaires qui lui sont confiées par ses clients dans l'exercice de sa profession. Cette obligation n'est pas limitée dans le temps et est applicable à l'égard des tiers. Le fait d'être délié du secret professionnel n'oblige pas l'avocat à divulguer des faits qui lui ont été confiés.

b. Le secret professionnel de l'avocat assure l'indépendance de l'avocat face aux tiers et protège l'exercice de la profession, ce qui est dans l'intérêt de l'administration de la justice (arrêt du Tribunal fédéral 2C_587/2012 du 24 octobre 2012 consid. 2.4 et les références citées). Il préserve cependant également les droits du justiciable qui doit pouvoir compter sur la discrétion de son mandataire. Le secret professionnel est ainsi essentiel à la consécration effective des droits matériels du justiciable (arrêt du Tribunal fédéral 2C_587/2012 précité consid. 2.4 et les références citées). L'institution du secret professionnel sert tant les intérêts de l'avocat et de son client que ceux de la justice, dont il est l'auxiliaire (ATF 117 Ia 341 consid. 6).

c. Le secret professionnel porte sur tout fait revêtant la qualité de secret. Il s'étend aux secrets proprement dits mais également à tout ce que l'avocat apprend, surprend, connaît, devine et même déduit dans l'exercice de sa profession (ATA/559/2015 du 2 juin 2015 ; Pascal MAURER/Jean-Pierre GROSS, in Michel VALTICOS/Christian M. REISER/Benoît CHAPPUIS [éd.], Loi sur les avocats, Commentaire de la LLCA, 2010, n. 207 ad art. 13).

8) a. En application de l'art. 13 al. 1 LLCA, l'avocat est le titulaire de son secret et il reste maître de celui-ci en toutes circonstances (ATF 136 III 296 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_461/2014 du 10 novembre 2014 consid. 4). Il doit toutefois obtenir le consentement de son client, bénéficiaire du secret, pour pouvoir révéler des faits couverts par le secret (art. 321 ch. 2 CP ; art. 12 al. 2 LPAv ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_461/2014 précité consid. 4.1). En cas de pluralité de mandants, chacun d'eux doit donner son accord (arrêts du Tribunal fédéral 2C_461/2014 précité consid. 4.1). Lorsque l'accord du client ne peut pas être obtenu, l'avocat peut s'adresser à l'autorité compétente en vue d'obtenir la levée du secret professionnel (art. 321 ch. 2 CP ; art. 12 al. 3 LPAv ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_461/2014 précité consid. 4.1). Une procédure de levée du secret professionnel de l'avocat ne saurait par conséquent avoir lieu que dans la mesure où le client s'oppose à la levée de ce secret ou n'est plus en mesure de donner son consentement (arrêts du Tribunal fédéral 2C_461/2014 précité consid. 4.1 ; 2C_587/2012 précité consid. 2.4 et les références citées).

b. Les conditions de levée du secret professionnel ne sont pas réglées par le droit fédéral (arrêt du Tribunal fédéral 2C_661/2011 du 17 mars 2012 consid. 3.1 ; Benoît CHAPPUIS, La profession d'avocat, Tome I, Le cadre légal et les principes essentiels, 2016, p. 237 ; Pascal MAURER/Jean-Pierre GROSS, op. cit., n. 390 ad art. 13). Il revient par conséquent aux cantons de les régler (arrêt du Tribunal fédéral 2C_661/2011 précité consid. 3.1; Benoît CHAPPUIS, op. cit., p. 237).

c. En droit genevois, l'art. 12 al. 3 LPAv prévoit que l'avocat peut demander au bureau de la commission, ou en cas de refus de ce dernier, à la commission plénière, de le délier de son secret professionnel. L'autorisation n'est délivrée que si la révélation est indispensable à la protection d'intérêts supérieurs publics ou privés (art. 12 al. 4 LPAv).

9) a. La procédure de levée du secret professionnel a pour objet d'effectuer la pesée des intérêts entre l'intérêt à la levée du secret et celui à son maintien (arrêt du Tribunal fédéral 2C_587/2012 précité consid. 3.1 et les références citées). La doctrine préconise dans ce cadre l'adoption d'une approche restrictive (Pascal MAURER/Jean-Pierre GROSS, op. cit., n. 405 ad art. 13 ; Patrick STOUDMANN, Le secret professionnel de l'avocat : jurisprudence récente et perspectives, RPS 2008 144-157, p. 151). La levée du secret professionnel doit être refusée lorsque le client a un intérêt supérieur à son maintien (arrêts du Tribunal fédéral 2C_1127/2013 du 7 avril 2014 consid. 3.3.2 ; 2C_42/2010 du 28 avril 2010 consid. 3.1 et les références citées).

b. Selon la jurisprudence, l'avocat peut notamment être délié de son secret professionnel lorsque ses propres intérêts à la levée l'emportent sur ceux au maintien du secret du mandant, au point que l'obligation de garder le secret ne puisse plus lui être imposée, notamment pour se défendre dans une procédure pénale ou disciplinaire à son encontre ou contre des attaques à son honneur, ou pour éviter une atteinte considérable injustifiée à son patrimoine (arrêt du Tribunal fédéral 2C_503/2011 du 21 septembre 2011 consid. 2.2 et la référence citée). L'on peut également citer les cas de la mise en cause de la bonne exécution du mandat et de la contestation de ses honoraires (Pascal MAURER/Jean-Pierre GROSS, op. cit., n. 406 ad art. 13).

Selon le Tribunal fédéral, la levée du secret professionnel pour soutenir un tiers dans le cadre d'une procédure civile à l'encontre d'un ancien client ne se justifie pas (arrêt du Tribunal fédéral 2P.313/1999 du 8 mars 2000 consid. 2d). En se référant notamment à cet arrêt, la doctrine a retenu que la recherche de la vérité matérielle ne constitue pas un intérêt prépondérant justifiant la levée du secret (François BOHNET/Vincent MARTENET, op. cit., n. 1924 p. 784) et que des intérêts privés opposés doivent être considérés comme de même valeur et ne permettent pas de délier l'avocat de son secret (Patrick STOUDMANN, op. cit., RPS 126/2008 p. 144, p. 152).

c. Dans la mesure où le secret perdure après le décès du client, l'avocat doit demander la levée du secret professionnel en démontrant un intérêt prépondérant à la révélation. L'intérêts des héritiers à un partage équitable de la succession est considéré comme prépondérant (François BOHNET/Vincent MARTENET, op. cit., n. 1919 p. 783 s. et les références citées).

Selon l'opinion la plus répandue en doctrine, le secret professionnel de l'avocat est pleinement opposable aux héritiers du client décédé ; l'autorité de surveillance compétente peut éventuellement le lever et l'avocat est alors libre, s'il trouve cela convenable, de fournir des renseignements aux héritiers. Les auteurs expliquent parfois que, de son vivant, le client avait le droit de délier l'avocat de son secret professionnel, que ce droit était strictement personnel et qu'il ne s'est donc pas transmis aux héritiers (ATF 135 III 597 du 15 septembre 2009 consid. 3.2 et les références citées).

Certains auteurs consacrent une mention particulière aux circonstances éventuellement connues de l'avocat et propres à intéresser personnellement les héritiers, telles que les dispositions pour cause de mort prises par le défunt, les biens de la succession et les dettes qui la grèvent. Selon l'une de ces contributions, ces éléments ne sont pas couverts par le secret professionnel à l'encontre des héritiers, et ceux-ci ont donc le droit d'être renseignés (Bernard CORBOZ, Le secret professionnel de l'avocat selon l'art. 321 CP, SJ 1993 p. 92). Selon les autres études, l'intérêt des héritiers justifie seulement que l'autorité de surveillance, si l'avocat l'en requiert, autorise la communication de ces mêmes éléments (ATF 135 III 597 du 15 septembre 2009 consid. 3.2 et les références citées). On envisage parfois que les héritiers puissent s'adresser eux-mêmes à l'autorité de surveillance (François BOHNET/Vincent MARTENET, ibid.; opinion contraire: Bernard BERTOSSA, Le secret professionnel de l'avocat, SJ 1981 p. 322 ch. 2), mais nul ne met en doute que l'avocat, même délié du secret professionnel, demeure libre de se taire entièrement. Enfin, selon un avis isolé, les héritiers du client ont le droit de tout apprendre, sans aucune restriction, du mandat auparavant confié à l'avocat (ATF 135 III 597 du 15 septembre 2009 consid. 3.2 et les références citées).

Le professionnel n'est délié du secret que pour les faits qui ont un impact patrimonial légitime pour les héritiers, mais non pour les faits qui relèvent de la sphère intime (Michel DUPUIS/Bernard GELLER/Gilles MONNIER/Laurent MOREILLON/Christophe PIGUET/Christian BETTEX/Daniel STOLL [éds], Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., 2017, n. 41 ad art. 321 CP). Aussi, une levée partielle peut être envisagée, suivant les intérêts en jeu. Dans toute hypothèse, la levée ne constitue pas un blanc-seing pour l'avocat : il ne peut révéler que les éléments indispensables à la consécration des intérêts en jeu (François BOHNET/Vincent MARTENET, op. cit., n. 1914 p. 781).

d. Au niveau cantonal, l'autorité neuchâteloise de recours des avocates et avocats a admis la levée du secret professionnel de l'avocat de la défunte quant à l'existence et au contenu d'un éventuel testament de sa cliente et sur les intentions de celle-ci concernant sa succession (RJN 2005 p. 299, in (François BOHNET/Vincent MARTENET, op. cit., n. 1920 p. 783).

À Genève, le bureau de la commission a admis la requête d'un avocat, qui, suite au décès de son client, avait été nommé tuteur de deux des enfants de ce dernier, et avait demandé à être délié de son secret pour pouvoir établir la volonté de son client et ainsi veiller aux intérêts de ses pupilles dans le cadre de la succession. L'avocat avait eu, dans l'exercice de son activité en faveur du de cujus en sa qualité d'avocat, connaissance de faits utiles pour établir l'intention de son client notamment dans le cadre de l'accord intervenu avec le fils de celui-ci né d'un premier mariage (décision du bureau de la commission du 28 juin 2013, dossier 66/13 in SJ 2015 II 259).

10) En l'espèce, il ressort du dossier que les faits au sujet desquels le recourant souhaite témoigner devant le TPI constituent des faits revêtant la qualité de secret, appris par le recourant dans le cadre de son activité typique en faveur de feu son ancien client. Ce dernier étant décédé, une procédure de levée du secret et ainsi une pesée des intérêts sont nécessaires.

a. Le recourant fait valoir que son honneur et sa probité seraient remises en cause par des accusations proférées par la personne instituée héritière puis destituée de son ancien client, si bien qu'il aurait un intérêt privé prépondérant à la levée du secret.

Or, rien de tel ne ressort des écritures de cette dernière, produites par le recourant. Celui-ci y est simplement mentionné comme agissant à la défense des intérêts du de cujus.

Le recourant ne saurait dès lors se prévaloir d'un intérêt privé propre prépondérant à l'appui de sa demande de levée du secret.

b. La situation se présente différemment s'agissant de l'intérêt privé prépondérant du client du recourant à ce que ses volontés successorales soient respectées, respectivement de l'intérêt privé des héritiers à ce que la succession soit dévolue conformément auxdites dernières volontés.

En effet, le recourant est détenteur d'informations soumises au secret en lien avec les dernières volontés de son mandant, entre temps décédé, susceptibles de clarifier le litige opposant les personnes successivement instituées héritières sur la validité du dernier testament.

Il ressort du dossier que le premier testament de feu le client du recourant, date des années 1990, et que le dernier, contredisant le premier et contesté, a été signé en avril 2013. Le recourant s'étant entretenu avec son client de questions successorales au plus tôt dès 2011, son témoignage sur leurs discussions à ce sujet est susceptible de clarifier les intentions successorales du recourant, celles-ci ayant été alors discutées entre le recourant et le de cujus. Ainsi qu'il le soutient, le recourant pourra ainsi apporter un éclairage bienvenu sur les discussions ayant précédé la signature du contrat de vente mobilière, en 2011, dans lequel figure le nom de la personne destituée de sa qualité d'héritière par le testament de 2013, à la signature duquel le recourant était au demeurant présent.

Partant, si c'est à raison que l'autorité intimée affirme que le recourant ne doit pas être entendu aux fins de déterminer la capacité de discernement de son ancien client, son témoignage devrait à tout le moins être autorisé, s'agissant des velléités successorales du de cujus.

À rigueur de la doctrine et jurisprudence précitées, l'intérêt des héritiers à un partage équitable de la succession doit être considéré comme prépondérant, de sorte que le recourant devrait être délié de son secret professionnel, les informations qu'il révélera lors de son audition ne devant concerner que les informations à lui confiées par le de cujus en lien strict avec sa succession.

C'est ainsi à tort que la commission a refusé de délier le recourant du secret professionnel.

11) Au vu de ce qui précède, le recours sera admis. La décision de la commission sera mise à néant et le recourant sera délié du secret professionnel pour être entendu comme témoin dans le cadre de la procédure C/19682/2014-11, sur les seuls faits relevant des intentions successorales du de cujus.

12) Vu l'issue du recours, il ne sera pas perçu d'émolument (art. 87 al. 1 LPA). Aucune indemnité de procédure ne sera allouée au recourant qui comparaît en personne et n'a pas exposé avoir engagé de frais pour sa défense (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 9 novembre 2017 par Monsieur A______ contre la décision de la commission du barreau du 9 octobre 2017 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision du bureau de la commission du barreau du 22 septembre 2017 ;

annule la décision de la commission du barreau du 9 octobre 2017 ; 

délie Monsieur A______ du secret professionnel pour être entendu comme témoin dans la procédure C/19682/2014-11, sur les seuls faits relevant des intentions successorales de son mandant ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument, ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Monsieur A______, ainsi qu'à la commission du barreau.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Thélin et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :