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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3413/2020

ATA/623/2021 du 15.06.2021 ( AMENAG ) , REJETE

Recours TF déposé le 30.07.2021, rendu le 11.10.2022, REJETE, 2C_601/2021
Descripteurs : DROIT FONCIER RURAL;IMMEUBLE AGRICOLE;JUSTE MOTIF;ACQUISITION DE LA PROPRIÉTÉ;CIRCONSTANCES;EXCEPTION(DÉROGATION)
Normes : LDFR.63; LDFR.64.al1
Parties : OFFICE CANTONAL DE L'AGRICULTURE ET DE LA NATURE / FONDATION LE REFUGE DE DARWYN, AGISSANT PAR, COMMISSION FONCIERE AGRICOLE
Résumé : Rejet d’un recours de l’OCAN contre une autorisation d’acquérir trois parcelles sises en zone agricole délivrée à la fondation du refuge de Darwyn. La fondation était reconnue d’utilité publique et l’objectif de l’acquisition était de pérenniser la situation du refuge, lequel faisait paître les équidés qu’il recueillait sur ces parcelles. Il existait un juste motif d’exception au principe de l’exploitation à titre personnel et le prix convenu n’était pas surfait. L’OCAN n’avait, à tort, pas retenu les circonstances du cas d’espèce, soit notamment que le but du refuge ne coïncidait pas avec celui d’un manège ou d’écuries traditionnelles. La commission avait retenu, sans abus de son pouvoir d’appréciation, que la fondation disposait de justes motifs au sens de l’art. 64 al. 1 LDFR pour être autorisée à acquérir les parcelles concernées.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3413/2020-AMENAG ATA/623/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 15 juin 2021

 

dans la cause

 

OFFICE CANTONAL DE L'AGRICULTURE ET DE LA NATURE

contre

COMMISSION FONCIèRE AGRICOLE

et

FONDATION LE REFUGE DE DARWYN
représentée par Me Bruno Mégevand, avocat





EN FAIT

1) La Fondation Le Refuge de Darwyn (ci-après : la fondation), domiciliée 15, chemin du Clos à Bernex, inscrite depuis le 9 décembre 2015 au registre du commerce, a pour but statutaire de participer à la protection des animaux en général, en promouvant spécialement la protection des équidés, à savoir les chevaux et les ânes, par un soutien financier et/ou par la mise à disposition de biens immobiliers en particulier à l'association Le refuge de Darwyn (ci-après : l'association ou le refuge). Aux termes de ses statuts, elle ne poursuit pas de but lucratif et exerce son activité principalement dans le canton de Genève.

Le conseil de fondation est présidé par Madame Anouk THIBAUD.

2) Par décision du 13 mai 2014, la commission foncière agricole (ci-après : CFA) a autorisé l'association à acquérir les parcelles nos 198 et 1'710 de la commune de Bernex, sises en zone agricole.

3) Les bâtiments utilisés par l'association pour ses activités, qui consistent à recueillir des équidés, notamment des animaux séquestrés par les autorités suisses et françaises, sont sis sur les parcelles nos 208 et 209 de la commune de Bernex propriété des consorts GASPOZ. Le nombre d'animaux placés au refuge varie entre quarante-trois et quarante-huit.

À l'ouest du refuge, trois parcelles nos 7'797 de 3'819 m2, 7'798 de 3'820 m2 et 7'799 de 4'326 m2, sises en zone agricole, sont mises à disposition par leur exploitant, Monsieur Marc FAVRE, agriculteur, depuis 2010, et sont utilisées comme pâturage pour les animaux de l'association.

Ces parcelles sont la propriété de Madame Monique STURZENEGGER MAURIS (no 7'799) et Monsieur Jean-François MAURIS (no 7'797), frère et soeur et seuls héritiers de feu Madame Marie MAURIS, décédée fin 2019, laquelle était propriétaire de la parcelle no 7'798. Les héritiers ont répudié la succession.

4) a. En janvier 2020, l'office cantonal des faillites a offert à la vente de gré à gré de la parcelle no 7'798.

b. Le 13 mai 2020, la parcelle no 7'798 a été adjugée à la fondation sous condition résolutoire de l'autorisation d'acquérir au prix de CHF 30'560.-, à délivrer par la CFA.

5) Parallèlement, le 18 février 2020, la fondation a conclu une promesse de vente avec M. MAURIS et Mme STURZENEGGER concernant l'acquisition des parcelles nos 7'797 et 7'799 pour un prix total de CHF 24'435.-.

6) Le 22 mai 2020, la fondation a requis de la CFA l'autorisation d'acquérir les trois parcelles précitées, adjacentes au refuge.

7) Le 14 juillet 2020, la présidente et le trésorier de la fondation ont été entendus par la CFA.

Le but de l'association était aussi d'éduquer les gens, de transmettre un message aux enfants et de sauver des animaux. Ces acquisitions de parcelles visaient à pérenniser le refuge en permettant aux chevaux de continuer à paître à proximité des écuries, ce qui était important pour certains animaux handicapés. Le nombre d'animaux accueillis était limité volontairement par le refuge, malgré une demande croissante, notamment pour éviter la surexploitation des terrains. Du foin était fait avec l'herbe des parcelles. L'agriculteur n'était pas intéressé par l'achat, ce qu'il avait confirmé par écrit.

Lors de cette audition, Mme THIBAUD a demandé si, dans le cadre de l'installation d'un food truck sur la parcelle, les clients auraient le droit de se parquer dans le champ. Il lui a été répondu que cette question n'était pas du ressort de la CFA.

8) Le 8 septembre 2020, par trois décisions séparées, la CFA a autorisé la fondation à acquérir les parcelles nos 7'797, 7'798 et 7'799, le droit de préemption du fermier devant toutefois être respecté.

La fondation était reconnue d'utilité publique depuis 2003 et l'objectif de l'acquisition des parcelles, qui était de devenir propriétaire des terrains qu'elle utilisait actuellement pour faire paître les chevaux, répondait aux besoins et au but de la fondation. Il existait un juste motif d'exception au principe d'exploitation à titre personnel et le prix convenu n'était pas surfait.

9) Par actes mis à la poste le 26 octobre 2020, l'office cantonal de l'agriculture et de la nature (ci-après : l'OCAN), en sa qualité d'autorité de surveillance, a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice
(ci-après : la chambre administrative) contre les trois décisions d'autorisation d'acquérir rendues par la CFA, en concluant à leur annulation et préalablement à la jonction des causes.

Les recours ont été enregistrés sous les numéros de causes A/3413/2020, A/3414/2020 et A/3415/2020 par la chambre administrative.

Il n'existait pas de juste motif permettant d'accorder l'autorisation d'acquérir. La prise de chevaux en pension pouvait être considérée comme une mise en valeur de fourrage pour chevaux pour autant qu'elle se fonde sur la base fourragère de l'exploitation. L'association n'avait pas pour but une exploitation agricole de parcelles, mais la protection des animaux et la sensibilisation du public à la maltraitance des chevaux et des ânes. Qu'ils soient âgés, maltraités ou handicapés, il ne s'agissait pas d'animaux de rente ou reproducteurs, mais d'animaux de compagnie. Le respect de la limite de surpâturage contredisait l'allégation de la fondation selon laquelle elle produirait du fourrage. De plus, la fondation avait déclaré lors de son audition devant la CFA vouloir installer un food truck sur une parcelle et l'ouvrir au stationnement des véhicules de ses clients. C'était avec raison que la CFA considérait que la fondation n'était pas exploitante à titre personnel, et cette dernière ne prétendait pas le contraire.

Le fait que la fondation soit reconnue d'utilité publique était sans pertinence, cette notion relevant du droit fiscal. Le but ne suffisait pas à considérer que la fondation réalisait un juste motif, aussi louables soient ses objectifs. Elle détenait des chevaux à titre de loisirs ou d'autre activités en lien avec le cheval, non conformes à la zone agricole.

Par surabondance, la fondation n'avait pas établi qu'aucune demande n'avait été faite par un exploitant à titre personnel.

Aucune exception au principe de l'exploitation à titre personnel n'était réalisée.

10) Par décision du 9 novembre 2020, la chambre administrative a joint les trois causes sous le numéro A/3413/2020 après que la CFA s'en est rapportée à justice et que la fondation a conclu à la jonction.

11) Le 10 décembre 2020, la CFA a déposé ses observations.

Le juste motif devait être réalisé dans la personne de l'acquéreur ou dans les circonstances objectives du cas d'espèce, notamment toute circonstance étroitement liée à l'immeuble agricole en cause. L'accomplissement du but de la fondation nécessitait non seulement de pouvoir abriter les chevaux accueillis par le refuge, mais également de leur permettre de pâturer à proximité des écuries.

La notion d'utilité publique impliquait que la personne morale ait un rôle dans la communauté qui dépassait le simple caractère caritatif, humanitaire, sanitaire, écologique, éducatif, scientifique ou culturel des activités. Le juste motif dont pouvait se prévaloir la fondation était renforcé par le fait qu'elle était reconnue d'utilité publique.

La pesée des intérêts privés et publics était en faveur de celui de la fondation à devenir propriétaire pour pérenniser son activité en garantissant la disponibilité des terrains nécessaires à faire pâturer les chevaux.

La discussion sur la question d'une utilisation accessoire des parcelles telle que l'installation d'un food truck ou la possibilité de parquer quelques véhicules ayant eu lieu lors de l'audition des représentants de la fondation n'impliquait pas que celle-ci avait une volonté d'exploiter de manière incompatible, voire illicite, les parcelles.

12) Le 10 décembre 2020, la fondation a répondu au recours, concluant à son rejet ainsi qu'au versement d'une indemnité de procédure.

Sur l'un des terrains propriété des consorts GASPOZ utilisés par le refuge pour ses activités, Monsieur Laurent GASPOZ accueillait un food truck depuis septembre 2018 et laissait l'espace suffisant pour le stationnement des véhicules de sa clientèle. Ce food truck avait été stationné un mois sur le parking du refuge pour un dépannage temporaire.

La moitié des animaux recueillis par le refuge était placée à la suite de séquestres effectués par les autorités en raison de maltraitance, de négligence ou en l'absence de mise en conformité d'installations avec la législation sur la protection des animaux. Sans les activités du refuge, l'État se verrait contraint de créer une fourrière pour les équidés. C'était donc à juste titre que l'intérêt public des activités du refuge avait été pris en compte.

Les activités du refuge se situaient à la frontière entre ce qui pouvait être considéré comme agricole et ce qui ne l'était pas. La fondation disposait d'une base fourragère contribuant majoritairement à l'approvisionnement des équidés dont elle avait la garde, que cela soit par pâture directe ou par récolte du foin. Elle exerçait des activités nettement plus proches de l'agriculture que de l'exploitation commerciale d'un manège ou d'une activité de hobby ou de loisirs, aussi en raison de l'étroite collaboration avec un agriculteur et du mode de gestion des terrains et bâtiments.

La fondation avait à la tête de son conseil de fondation une personne qui avait les qualifications nécessaires pour se voir reconnaître le statut d'exploitant à titre personnel. Mme THIBAUD avait suivi avec succès une formation continue pour l'obtention des paiements directs.

La fondation était légitimée à revendiquer l'application de la clause générale des justes motifs lui permettant d'acquérir les trois parcelles en cause qui étaient particulièrement propices aux activités du refuge, jouxtant immédiatement les bâtiments de celui-ci et étant utilisées dans ce même but depuis dix ans.

13) Le 15 février 2021, l'OCAN a répliqué.

La fondation n'avait pas de membres ou d'associés qui pouvaient être considérés comme des exploitants à titre personnel. Le fait que sa présidente remplisse l'une des conditions requises pour percevoir des paiements directs était sans pertinence.

L'association n'avait pas non plus de vocation agricole.

Les animaux étaient de compagnie car ni de rentes ni reproducteurs. Il ne s'agissait donc pas d'animaux utilisés à des fins agricoles.

Sur les douze hectares de pâturages, la fondation ne déclarait aucune prairie permanente, soit aucune surface fauchée au moins une fois par an pour la production de fourrages. En l'absence de production de fourrages, on ne pouvait retenir une quelconque activité agricole sur les parcelles en cause. Une partie de l'alimentation était d'ailleurs assurée par Monsieur Claude BIERI, agriculteur, qui livrait le fourrage nécessaire.

L'utilisation actuelle des parcelles que faisait valoir la fondation n'était pas conforme à la zone.

14) Le 10 mars 2021, la CFA a dupliqué.

Il n'était pas possible de suivre l'OCAN, sauf à retenir qu'aucun juste motif ne permettait de délivrer une autorisation d'acquérir à un non-agriculteur. Ceci revenait à nier tout juste motif.

Le juste motif lié à la protection des équidés impliquait de faire pâturer les chevaux.

15) Le 10 mars 2021, la fondation a dupliqué.

Si l'on comprenait bien la position de l'OCAN, si l'herbe qui poussait sur les parcelles était fauchée puis servait d'aliment pour les chevaux, il y avait une activité agricole ; en revanche, si les chevaux broutaient directement l'herbe, il n'y avait pas d'activité agricole. Un tel raisonnement, outre qu'il était fondé sur un état de fait erroné, était absurde.

L'association collaborait avec M. BIERI, lequel avait attesté qu'il effectuait une partie des travaux d'entretien des parcelles pour la production d'herbe et de foin et livrait du fourrage. La consommation totale annuelle de foin du refuge était d'environ cent vingt tonnes. Les parcelles exploitées par le refuge produisaient environ quatre-vingts tonnes de foin, soit largement plus de la moitié de la consommation. Ainsi, les activités du refuge avaient un caractère agricole.

16) Le 11 mars 2021, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 90 let. b loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 - LDFR - RS 211.412.11 ; art. 13 de la loi d'application de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 16 décembre 1993 - LaLDFR -
M 1 10).

2) Le litige concerne l'autorisation d'acquérir des immeubles agricoles par la fondation, laquelle n'est pas exploitante à titre personnel au sens de la LDFR, ce qui n'est pas contesté, l'autorisation ayant été délivrée par la CFA sur la base de la clause générale des justes motifs permettant de déroger à l'exigence du principe de l'exploitation à titre personnel.

3) L'autorisation d'acquérir des immeubles agricoles doit en principe être refusée lorsque l'acquéreur n'est pas exploitant à titre personnel (art. 63 al. 1
let. a LDFR).

Elle est néanmoins accordée si ce dernier prouve l'existence d'un juste motif au sens de l'art. 64 al. 1 LDFR. Cette disposition contient, d'une part, aux let. a à g un catalogue non exhaustif d'exceptions au principe de l'exploitation à titre personnel et, d'autre part, une clause générale de juste motif pouvant fonder l'octroi d'une autorisation.

Il s'avère donc que l'exploitation à titre personnel n'est pas une condition absolue pour obtenir l'autorisation et il est possible, pour des motifs importants, d'être autorisé à acquérir en dépit de l'absence d'une telle condition (Yves DONZALLAZ, Commentaire de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991, 1993, ad art. 64 p. 163 ch. 576).

4) Les justes motifs sont une notion juridique indéterminée, qui doit être concrétisée en tenant compte des circonstances du cas particulier et des objectifs de politique agricole du droit foncier rural.

Le juste motif doit être réalisé dans la personne de l'acquéreur ou dans les circonstances objectives du cas d'espèce, notamment toute circonstance étroitement liée à l'immeuble agricole en cause. L'acquéreur doit prouver les motifs pour lesquels, bien que n'étant pas exploitant à titre personnel, il doit pouvoir acquérir une entreprise ou un immeuble agricole (Christoph BANDLI/Beat STALDER, Commentaire de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991, 1998, ad art. 64 p. 619 ch. 5-6). Le but de politique agricole de la LDFR n'est pas simplement de maintenir le statu quo, mais de renforcer la position des exploitants à titre personnel et de privilégier l'attribution des immeubles à de tels exploitants lors de chaque transfert de propriété de ceux-ci, c'est-à-dire de réellement promouvoir le principe de l'exploitation à titre personnel. Seul celui qui peut démontrer matériellement un juste motif à se voir attribuer des terres agricoles alors qu'il n'est pas exploitant à titre personnel peut ainsi obtenir une dérogation (ATF 133 III 562 consid. 4.4.2).

Lorsque la clause générale des justes motifs est invoquée dans un cas particulier, il faut, compte tenu de l'ensemble des circonstances, procéder à une pesée des intérêts entre ceux des parties au contrat à la réalisation de l'acquisition par quelqu'un qui n'exploite pas à titre personnel d'une part, et l'intérêt public à la sauvegarde du principe de l'exploitation à titre personnel dans le cas concret, d'autre part. Si l'intérêt privé est prédominant, l'autorisation exceptionnelle doit être accordée ; dans le cas contraire, elle doit être refusée (Christoph BANDLI/ Beat STALDER, op. cit., ad art. 64 p. 618-619 ch. 4).

L'autorité ne saurait, par une pratique extensive de la clause dérogatoire, vider la norme générale de son sens. À l'inverse, elle ne saurait poser des conditions excessives pour faire application de la clause dérogatoire. Si les justes motifs existent, l'administré a droit à la délivrance de l'autorisation exceptionnelle (Yves DONZALLAZ, op. cit., ad art. 64 p. 164 ch. 577).

Le Tribunal fédéral a admis qu'il convenait de prendre en considération des justes motifs qui se trouveraient non seulement dans la personne de l'acquéreur mais qui seraient basés sur les circonstances du cas particulier, ce qui découle de la formulation volontairement large du juste motif. Pour le Tribunal fédéral, il suffit que d'autres circonstances se justifient au regard des buts voulus par le législateur (ATF 133 III 562 consid. 4.4.2 ; 122 III 287 consid. 3d ; arrêt du Tribunal fédéral 5A_35/2006 du 5 juin 2007 consid. 4.4). Ainsi, si le but principal de la LDFR est bien le renforcement de la position de l'exploitant à titre personnel lors de l'acquisition de terrain agricole, le législateur n'a pas voulu, pour des motifs politiques et constitutionnels permettant d'éviter que le droit foncier rural ne devienne un droit corporatiste exclusif en faveur des paysans, s'opposer à l'admission d'exceptions dans la mesure où elles s'avéraient matériellement justifiées (ATF 133 III 562 consid. 4.3 ; 122 III 287 consid. 3 in JdT 1998 I p. 148-149 et les références citées).  

5) Le recourant dénie à la fondation un intérêt qui dépasserait l'intérêt public à la sauvegarde du principe de l'exploitation à titre personnel et fait grief à la CFA d'avoir fait une pesée des intérêts différente.

a. La CFA est composée de trois représentants d'AgriGenève, un représentant de la chambre des notaires, un représentant de la chambre genevoise immobilière, un représentant du Groupement des propriétaires de biens immobiliers ruraux et un représentant du barreau genevois (art. 3 du règlement d'exécution de la loi d'application de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 26 janvier 1994 - RaLDFR - M 1 10. 01).

La CFA se compose donc pour partie de spécialistes. Il a déjà été reconnu qu'elle peut ainsi exercer un contrôle plus technique que la chambre de céans et que, de ce fait, celle-ci peut observer une certaine retenue de son pouvoir d'examen, s'agissant de questions de faits nécessitant des connaissances spécifiques, sans pour autant commettre de déni de justice formel (arrêt du Tribunal fédéral 5A.34/2006 et 5P.455/2006 du 3 avril 2007 consid. 5 confirmant l'ATA/443/2006 du 31 août 2006 consid. 5).

b. Le Tribunal fédéral a eu l'occasion de préciser qu'à l'instar des champs, des prés, des pâturages ou des vergers, la prairie se prêtait, par nature, à l'agriculture et que la production de fourrage - qu'elle soit destinée à des chevaux de loisirs ou à du bétail - constituait une activité agricole. Il a confirmé que les prairies qui sont exploitées pour la pâture et la fauche doivent être qualifiées d'immeubles agricoles, ce qui, selon la doctrine, attestait que la détention de chevaux au sens large était bien une activité para agricole, voire agricole (arrêts du Tribunal fédéral 2C_636/2019 du 22 janvier 2020 consid. 5.2.2 ; 5A.4/2000 consid. 2c ;
Jean-Marie AUBERT, Le cheval en relation avec la LDFR et la LBFA, in Communications de droit agraire 3/2020 p. 201).

En l'espèce, la pesée des intérêts à laquelle a procédé la CFA a pris en compte les intérêts de la fondation à pérenniser sur le long terme son fonctionnement, lui permettant ainsi d'atteindre son but reconnu d'utilité publique, qui est de protéger des équidés en les abritant dans ses bâtiments, mais également de leur permettre de pâturer à proximité des écuries, ce qui est indispensable pour des chevaux handicapés notamment, sur des terrains dont le fermier n'a pas l'usage et qui a renoncé à son droit de préemption.

Elle a également pris en compte le fait que les activités du refuge ne relevaient pas de la pratique de l'équitation à titre sportif et que les chevaux n'étaient pas détenus à titre de loisirs puisqu'ils ne l'étaient pas pour le plaisir. À cela s'ajoutait que l'activité du refuge ne visait pas un but lucratif (selon la définition donnée par l'office du développement territorial dans sa publication « comment l'aménagement du territoire appréhende les activités liées au cheval » éd. 2015, p. 16). De surcroît, le recourant n'a pas contesté que la moitié des animaux recueillis par le refuge était placée à la suite de séquestres effectués par les autorités en raison de maltraitance, de négligence ou en l'absence de mise en conformité d'installations avec la législation sur la protection des animaux et que sans les activités du refuge, l'État se verrait contraint de créer une fourrière pour les équidés, la fondation poursuivant par là même un but d'intérêt public.

À cela s'ajoute qu'il faut prendre en compte que la fondation a attesté disposer d'une base fourragère par laquelle elle contribue pour près des deux tiers à l'approvisionnement des animaux dont elle a la garde, par pâture directe et par récolte du foin, contrairement à ce qu'allègue le recourant qui estime, contrairement aux faits qui ressortent du dossier, que la fondation ne produit aucun fourrage sur les parcelles concernées.

Il appert ainsi que dans les circonstances particulières du cas d'espèce, s'agissant d'une fondation dont le but ne coïncide pas avec celui d'un manège ou d'écuries traditionnelles et dont le recourant retient à tort que les activités développées ou celles envisagées entraîneraient un risque de surpâturage ou seraient illicites (stationnement de véhicules automobiles ou installation d'un food truck), c'est sans abus de son pouvoir d'appréciation que la CFA a retenu que la fondation disposait de justes motifs au sens de l'art. 64 al. 1 LDFR, pour être autorisée à acquérir les parcelles concernées.

Infondé, les recours seront rejetés.

6) Vu les circonstances, aucun émolument ne sera mis à la charge de l'OCAN (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à la fondation, à la charge de l'État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable les recours interjetés le 26 octobre 2020 par l'office cantonal de l'agriculture et de la nature contre les décisions de la commission foncière agricole nos 20046-1, 20046-2 et 20046-3 du 8 septembre 2020 ;

au fond :

les rejette ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à la Fondation Le Refuge de Darwyn, à la charge de l'État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à office cantonal de l'agriculture et de la nature (OCAN), à Me Bruno Mégevand, avocat de la Fondation le Refuge de Darwyn, à la commission foncière agricole, à l'office fédéral de la justice ainsi qu'à l'office fédéral de l'agriculture (OFAG).

Siégeant : M. Mascotto, président, M. Verniory, Mmes Payot Zen-Ruffinen, Lauber et Tombesi, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. Mazza

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :