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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3975/2015

ATA/578/2017 du 23.05.2017 sur ATA/376/2016 ( LIPAD ) , ADMIS

Descripteurs : PRINCIPE DE LA TRANSPARENCE(EN GÉNÉRAL) ; ACCÈS(EN GÉNÉRAL) ; COMMUNICATION ; DOCUMENT ÉCRIT ; DONNÉES PERSONNELLES ; PROTECTION DES DONNÉES ; PESÉE DES INTÉRÊTS
Normes : LIPAD.24; LIPAD.26.al2.letf; LIPAD.26.al2.letg; LIPAD.27; RIPAD.7.al1.letc
Résumé : Examen du droit à la transmission d'un rapport commandé par la Ville de Genève portant sur l'organisation des ressources humaines de son administration à des professeurs externes. L'accès au rapport dans son intégralité peut être donné, compte tenu de l'absence de données personnelles et d'éléments susceptibles de porter atteinte à la sphère privée dans ledit rapport.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3975/2015-LIPAD ATA/578/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 mai 2017

 

dans la cause

 

Madame A______
et
Madame B______
représentées par Me Romain Jordan, avocat

contre

VILLE DE GENèVE



EN FAIT

1) Mesdames A______ et B______ ont été engagées en 2010 par la Ville de Genève (ci-après : la ville) au sein de la direction des ressources humaines (ci-après : RH) du département municipal des finances et du logement (ci-après : le département).

À ce titre, elles ont été entendues en août 2013, dans le cadre d'une étude réalisée par deux professeurs mandatés par le Conseil administratif de la ville, portant sur l'analyse de la fonction des ressources humaines au sein de l'administration municipale.

2) Le 28 mai 2014, les professeurs ont rendu leur rapport, intitulé « Analyse de la fonction RH - Rapport final à l'attention du Conseil Administratif » (ci-après : le rapport). Une présentation de suivi de ce rapport a été effectuée par la directrice du département lors de séances des 26 août et 9 septembre 2014, auxquelles Mmes A______ et B______ ont été convoquées.

3) Par demandes réitérées des 28 avril, 9 et 15 juin 2015, Mmes A______ et B______ ont demandé la production du rapport d'analyse. Après plusieurs refus de la direction du département, la ville a, par décision du 22 juin 2015, refusé la production du rapport, s'agissant d'un document échangé entre membres de la direction.

4) Le 24 juin 2015, Mmes A______ et B______ ont saisi le préposé cantonal à la protection des données et à la transparence (ci-après : le préposé) pour qu'il invite la ville à communiquer le rapport qui avait été établi par des mandataires externes et constituait un document public.

5) Le 30 septembre 2015, le préposé a recommandé à la ville de maintenir son refus de transmettre le rapport.

6) Par décision du 12 octobre 2015, la ville a maintenu son refus de transmettre le rapport aux intéressées.

7) Par acte du 12 novembre 2015, Mmes A______ et B______ ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision de la ville leur refusant la transmission du rapport, en concluant à son annulation et à la transmission totale ou partielle du rapport, ainsi qu'au versement d'une indemnité de procédure.

8) La ville a répondu au recours le 18 décembre 2015 en concluant au rejet de celui-ci.

9) Par arrêt du 3 mai 2016 (ATA/376/2016), la chambre administrative a rejeté le recours.

10) Par arrêt du 29 novembre 2016 (1C_277/2016), le Tribunal fédéral a admis le recours formé par Mmes A______ et B______ et annulé l'arrêt de la chambre administrative. Il lui a renvoyé la cause afin qu'elle ordonne à la ville de communiquer le rapport litigieux, après avoir examiné préalablement si certaines parties du document devaient demeurer secrètes en application d'autres dispositions de la loi sur l'information du public, l'accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08). La chambre administrative devait statuer à nouveau sur les frais et dépens de la procédure cantonale.

11) Après reprise de la procédure devant la chambre administrative, le 6 janvier 2017, les recourantes ont demandé que le rapport leur soit transmis dans son intégralité.

12) Le 1er février 2017, la ville a conclu au refus de l'accès aux recourantes sur certains éléments du rapport, soit les noms des anciens directeurs des RH, les pourcentages d'activité, ainsi que le nombre de personnes concernées par des tâches RH. Elle déposait un rapport caviardé en ce sens.

Il y avait un intérêt tant public que privé manifeste à garder ces informations secrètes qui touchaient des données personnelles, et dont la divulgation porterait atteinte à la sphère privée ou familiale. Transmettre ces données revenait à donner accès au dossier administratif des employés de la ville, ce qui était expressément exclu par le règlement d'application de la LIPAD.

13) Le 1er février 2017, les recourantes ont maintenu leurs conclusions visant à la transmission intégrale du rapport.

14) Le 28 février 2017, les recourantes ont fait valoir que le caviardage auquel avait procédé la ville n'était pas justifié, car certaines informations étaient notoires et d'autres ne concernaient que des données anonymes et générales n'ayant aucun lien avec telle ou telle personne.

15) Le 1er mars 2017, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) La recevabilité du recours a été admise par la chambre administrative dans l'ATA/376/2016 et n'a pas été remise en cause.

2) Par arrêt du 29 novembre 2016 (1C_277/2016), le Tribunal fédéral a renvoyé la cause à la chambre de céans pour qu'elle ordonne à la ville de communiquer aux recourantes le rapport après avoir examiné si certaines parties dudit rapport devaient demeurer secrètes en application des dispositions de la LIPAD, en particulier s'il devait contenir des données personnelles dont la révélation pourrait porter atteinte à la sphère privée.

3) La ville fait valoir que la liste nominative des anciens directeurs RH, les pourcentages d'activité, ainsi que le nombre de personnes concernées par des tâches RH devaient rester secrètes.

4) Il convient dès lors d'examiner si ces données remplissent les conditions prévues par la LIPAD pour demeurer secrètes.

a. La LIPAD régit à la fois l'information relative aux activités des institutions et la protection des données personnelles (art. 1 al. 1 LIPAD). Elle poursuit deux objectifs, à savoir, d'une part, favoriser la libre formation de l'opinion et la participation à la vie publique ainsi que, d'autre part, protéger les droits fondamentaux des personnes physiques ou morales de droit privé quant aux données personnelles les concernant (art. 1 al. 2 let. a et b LIPAD).

b. En édictant cette loi, le législateur genevois a renversé le principe du secret assorti d'exceptions prévalant jusqu'alors dans l'administration genevoise, au profit de celui de la transparence sous réserve de dérogations
(MGC 2000 45/VIII 7641 p. 7675 ss ; MGC 2001 49/X 9676 p. 9679 ss). Il a érigé la transparence au rang de principe aux fins de renforcer tant la démocratie que le contrôle de l'administration et de valoriser l'activité étatique et favoriser la mise en oeuvre des politiques publiques (MGC 2000 45/VIII 7641 p. 7671 ss). Le principe de transparence est un élément indissociable du principe démocratique et de l'État de droit prévenant notamment des dysfonctionnements et assurant au citoyen une libre formation de sa volonté politique (ATA/1060/2015 du 6 octobre 2015 consid. 3 et les références citées). Ce droit trouve depuis 2013 une assise constitutionnelle à l'art. 28 al. 2 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00). Ni cette disposition, ni l'art. 9 al. 3 Cst-GE n'ont cependant une portée plus large que la LIPAD (arrêt du Tribunal fédéral du 29 janvier 2015 1C_379/2014 consid. 5.4 ; Bulletin officiel de l'Assemblée constituante genevoise, Tome IV p. 1888 s ; Rapport sectoriel 102 du 30 avril 2010 de la Commission 1 « Dispositions générales et droits fondamentaux », p. 49).

c. Sont en revanche soustraits au droit d'accès les documents à la communication desquels un intérêt public ou privé prépondérant s'oppose (art. 26 al. 1 LIPAD). La loi prévoit ensuite dans l'al. 2 let. a à l, les cas où, notamment, cet accès doit être refusé. Cette énumération n'est pas exhaustive mais correspond aux exceptions qui « constituent des clauses de sauvegarde suffisante pour les informations qui ne doivent pas être portées à la connaissance du public » (cf. MGC 2000 45/VIII 7641-7714, p. 7691).

C'est le cas par exemple lorsque cet accès est propre à rendre inopérantes les restrictions légales à la communication de données personnelles à des tiers (let. f), ou porter atteinte à la sphère privée ou familiale (let. g). Par ailleurs, les notes échangées entre les membres d'une autorité collégiale ou entre ces derniers et leurs collaborateurs sont exclues du droit d'accès (art. 26 al. 3 LIPAD). Sont également exclus du droit d'accès les documents à la communication desquels le droit fédéral ou une loi cantonale fait obstacle (art. 26 al. 4 LIPAD). Finalement, l'institution peut refuser de donner suite à une demande d'accès à un document dont la satisfaction entraînerait un travail manifestement disproportionné (art. 26 al. 5 LIPAD).

d. Le règlement sur l'information du public et la protection des données du 21 décembre 2011 (RIPAD - A 2 08.01), précise à son art. 7 al. 1 let. c, comme exception à la transmission des données, celui du dossier administratif du membre du personnel au sens de l'art. 17 du règlement d'application de la loi générale relative au personnel de l'administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01).

e. L'art. 27 LIPAD portant sur l'accès partiel ou différé à un document est, dans ses quatre alinéas, une concrétisation du principe de la proportionnalité (MGC 2000 45/VIII 7641 p. 7699 s.).

En l'espèce, le Tribunal fédéral a déjà jugé que le rapport ne pouvait être exclu du droit d'accès sur la base de l'art. 26 al. 3 LIPAD, ne pouvant être assimilé à des notes échangées entre les membres d'une autorité collégiale ou entre ces derniers et leurs collaborateurs. Il s'agit d'un document dont la production ne révélerait absolument rien sur le processus de décision qui s'en est suivi et sur les opinions qui ont pu être formulées dans ce cadre. Il n'y avait dès lors aucune atteinte possible au processus décisionnel, lequel avait déjà pris fin (arrêt du Tribunal fédéral 1C_277/2016 précité consid. 3.5).

La ville fait valoir une exception à la diffusion de ce document, relative à l'accès au dossier administratif de son personnel. Ce dernier serait dévoilé par la communication des pourcentages d'activité répertoriés dans le rapport ou le nombre de personnes concernées par des tâches RH.

Cependant, à la lecture du rapport, il apparaît qu'aucun nom, hormis ceux des directeurs RH successifs, n'y figure. À cet égard, le nom de la directrice actuelle est publié par l'intimée sur son site internet (www.______). Ce nom, et ceux des personnes ayant occupé cette fonction par le passé ne sont donc pas susceptibles d'être révélés par la transmission du rapport, étant déjà connus du public. Aucune indication autre que leur date d'entrée en service et leur date de sortie ne figure en outre dans le rapport.

Le rapport, qui a pour objectif de fournir un bilan descriptif et analytique de la fonction RH au sein de l'administration de l'intimée, ne contient aucun des propos individuels tenus lors des entretiens ayant servi de base à l'étude. Les auteurs précisent d'ailleurs que la matière ainsi récoltée avait fait l'objet de notes de synthèse qui avaient servi de base aux propositions formulées dans le rapport (rapport p. 7).

Quant aux chiffres concernant les emplois à plein temps (ci-après : EPT), les effectifs des services des différents départements de l'administration de la ville, le ratio entre ces EPT et l'activité RH déployée à l'intérieur des services, de même que le nombre de fonctions impliquées dans les activité RH avec l'indication du nombre de personnes et de la fréquence des activités, ne représentent pas des éléments qui relèvent d'un cahier des charges précis ou qui donneraient accès à un dossier administratif nominatif. Il ne s'agit que de chiffres, dont l'analyse subséquente qu'en ont fait les rédacteurs du rapport n'a pas été considérée comme secrète par la ville elle-même, puisqu'elle n'a pas proposé de tenir secrets les paragraphes concernés. De même, les recommandations faites par les rédacteurs du rapport et les chiffres qu'elles contiennent, que ce soit des nombres d'EPT pour l'une ou l'autre activité, des pourcentages quant à une dotation pour la gestion RH, ou encore le nombre de personnes concernées, ne sont pas couvertes par la protection donnée au dossier administratif de tout fonctionnaire ou employé de la ville au sens de l'art. 7 al. 1 let. c RIPAD. La ville publie d'ailleurs elle-même des documents tels que des bilans sociaux, dans lesquels figurent des données détaillées quant à la structure de son personnel
(www.ville-geneve.ch/fileadmin/public/Departement_1/Publications/bilan-social-2015-ville-geneve.pdf).

En conséquence, il apparaît que le rapport litigieux ne comporte aucune donnée personnelle susceptible de porter atteinte à la sphère privée, ni aucun élément couvert par une exception prévue par la loi. Le rapport litigieux devra donc être produit dans son intégralité.

5) Il découle de ce qui précède que le recours sera admis.

Aucun émolument ne sera mis à la charge des recourantes, qui obtiennent gain de cause (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée aux recourantes, à la charge de l'intimée (art. 87 al. 2 LPA).

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 12 novembre 2015 par Madame B______ et Madame A______ contre la décision de la Ville de Genève du 12 octobre 2015 ;

au fond :

l'admet ;

ordonne à la Ville de Genève de communiquer à Madame A______ et Madame B______ le rapport intitulé « Analyse de la fonction RH » du 28 mai 2014, rédigé par le professeur C______ et le professeur D______ sans restriction ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à Madame A______ et Madame B______, conjointement et solidairement, à la charge de la Ville de Genève ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain Jordan, avocat des recourantes, à la Ville de Genève, ainsi qu'au préposé cantonal à la protection des données et à la transparence, pour information.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, M. Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen et M. Pagan, juges.

 

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

A. Piguet Maystre

 

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :