Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/2535/2012

ATA/570/2014 du 29.07.2014 ( MARPU ) , ADMIS

Parties : RENGGLI AG, RENGGLI AG / DEPARTEMENT DE L'URBANISME, WALDNER S.A.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2535/2012-MARPU ATA/570/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 29 juillet 2014

 

dans la cause

 

RENGGLI AG
représentée par Me Ludovic Tirelli, avocat

contre

DéPARTEMENT de l'aménagement, du logement et de l'énergie

et

WALDNER SA, appelée en cause


 



EN FAIT

1) Le 11 avril 2011, l’État de Genève, soit pour lui le département des constructions et des technologies de l’information, devenu le département de l'aménagement, du logement et de l'énergie (ci-après : le département), a procédé à un appel d’offres portant sur un marché public non soumis aux accords internationaux. Il s’agissait de deux lots de travaux de construction de laboratoires à la faculté des sciences de l’Université de Genève.

2) Le 9 mai 2011, Renggli AG a produit une offre d’un montant de CHF 1’302’474.-.

3) Son dossier de soumission se composait, pour les deux lots, de nonante-trois pages préformulées par l’autorité adjudicatrice et complétées quant au prix par Renggli AG. Le reste était constitué d’un « planning d’intervention prévisionnel - phase appel d’offre », d’annexes comportant diverses attestations, conditions générales et références, ainsi que de la documentation présentant des travaux effectués par l’intéressée. Un chef de projet et un coordinateur de projet seraient mis à disposition pour l’exécution du marché à un taux total de 70 % (Annexe
R 6).

4) Par décision du 6 août 2012, le département, représenté par l’office des bâtiments, a signifié à Renggli AG que le marché avait été adjugé à Waldner SA.

5) Par acte du 20 août 2012, Renggli AG a recouru contre cette décision auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative). Elle a conclu notamment à son annulation, à ce que les frais et dépens de l’instance soient mis à la charge du département, ainsi qu’à l’ouverture d’une instruction sur le montant du dommage qu’elle avait subi.

6) Par arrêt sur partie définitif du 14 mai 2013 (ATA/309/2013), la chambre administrative a admis le recours, constaté l’illicéité de la décision du 6 août 2012, qui avait été notifiée tardivement à Renggli AG, ouvert une instruction sur le montant du dommage occasionné à la société et réservé le sort des frais au prononcé de l’arrêt final.

7) Par acte du 28 juin 2013, Renggli AG a préalablement conclu à ce qu’il soit fait droit à sa requête de confidentialité portant sur les documents de calculation de son offre et, principalement, à ce que la somme de CHF 60'491.-, avec intérêts à 5 % dès le 20 août 2012, lui soit allouée.

Son dommage se composait de trois postes. Le premier se rapportait aux honoraires de son conseil, qui avait consacré trente-six heures et dix-huit minutes à cette affaire, au tarif horaire de CHF 350.-, soit CHF 13'961.15, TVA comprise.

Le deuxième poste était composé de coûts liés à l’élaboration de l’offre. Ceux-ci s’élevaient à CHF 31'000.-, soit deux cent vingt-deux heures à un tarif de CHF 140.- de l’heure, étant précisé qu’au stade de la soumission, certains coûts avaient déjà été engagés par Renggli AG. Ce montant correspondait aux postes C31, H11 et H12 des tableaux de calculation qu’elle annexait à son écriture.

Le troisième poste comprenait les coûts relatifs à la procédure de recours. Le directeur ainsi que le responsable des ventes de Renggli AG y avaient consacré cent sept heures au tarif de CHF 140.-, soit CHF 14'980.-. Celle-ci se prévalait à titre de preuve de la pièce 15 produite dans le cadre de la procédure ayant constaté l’illicéité de la décision. L’avance de frais de CHF 1'000.- devait lui être restituée.

Renggli AG a annexé à son écriture un chargé de pièces comportant une note d’honoraires de son conseil, accompagnée d’une liste des opérations effectuées, un décompte des heures consacrées par son personnel à l’élaboration de la soumission, deux tableaux de calculation, ainsi qu’un autre tableau distinguant certains postes de la calculation.

8) Les pièces dont Renggli AG avait demandé une restriction d’accès n’ont pas été consultées par le département ni par Waldner S.A.

9) Dans ses déterminations du 15 août 2013, le département a conclu au rejet de la demande en indemnité de Renggli AG.

Le lien de causalité entre l’illicéité de l’adjudication et le dommage invoqué n’était pas établi, car même si la décision d’adjudication avait été notifiée à temps, Renggli AG aurait supporté les mêmes frais.

Le dommage lié à l’élaboration de l’offre n’avait pas été démontré de manière crédible, les tâches administratives devant par ailleurs être comptabilisées à un coût horaire inférieur à CHF 140.-.

Le département s’en rapportait à justice concernant les honoraires du conseil de Renggli AG.

Le poste relatif à la procédure de recours était sans fondement et superfétatoire, car Renggli AG avait eu recours à un mandataire externe à la société et n’avait fourni qu’un décompte succinct à l’appui de ses allégations.

Le département citait, comme point de comparaison, les sommes allouées à titre de réparation du dommage en matière de marchés publics par la chambre administrative, qui n’étaient jamais aussi élevées que les prétentions de Renggli AG.

10) Le 15 octobre 2013, Renggli AG a maintenu ses conclusions. L’illicéité de l’adjudication avait été constatée par arrêt du 14 mai 2013. Ne restait qu’à déterminer le montant du dommage. Les tâches administratives n’avaient pas été décomptées dans les coûts de planification et de calculation, ni dans les coûts financiers qu’elle avait produits.

11) Waldner SA ne s’est pas déterminée dans le délai qui lui avait été imparti à cet effet.

12) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) a. Le marché offert est soumis notamment à la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997
(L-AIMP - L 6 05.0), ainsi qu’à la loi sur la procédure administrative du
12 septembre 1985 (LPA – E 5 10 ;
ATA/309/2013 du 14 mai 2013).

Selon l’art. 3 al. 3 L-AIMP, une fois le caractère illicite de la décision constaté, le recourant peut demander devant l'autorité compétente la réparation de son dommage, limité aux dépenses qu'il a subies en relation avec les procédures de soumission et de recours. Le cas échéant, la chambre administrative donne un délai au recourant permettant à celui-ci de quantifier et de motiver sa prétention.

Par dépenses « subies » « en relation » avec ces procédures, le législateur a visé les dépenses exposées par le soumissionnaire lésé ; il a nécessairement exclu les dépenses inutiles ou superflues que celui-ci a engagées du fait d’une mauvaise gestion ou de circonstances exorbitantes auxdites procédures. Du point de vue du droit de la responsabilité, il n’est en effet pas possible d’imputer à l’auteur du dommage - fût-ce une collectivité publique - une lésion qui ne se serait pas produite en présence d’une gestion normale et régulière de la société. Cette condition découle du principe de causalité adéquate, qui exige qu’il existe un rapport raisonnable entre le dommage subi et l’illicéité de la décision
(ATF 131 III 12 consid. 4 p. 13 et les références citées ; ATA/123/2011 du
1er mars 2011).

b. La L-AIMP est calquée, de ce point de vue, sur la loi fédérale sur les marchés publics du 16 décembre 1994 (LMP – RS 172.056.1) qui prévoit, en son art. 34 al. 1, une limitation de la responsabilité aux dépenses « nécessaires » engagées par le soumissionnaire en relation avec les procédures d’adjudication et de recours. Plus explicitement que dans la L-AIMP, mais de la même manière, la loi fédérale exclut les dépenses subies par le soumissionnaire lésé qui sortent du cadre des dépenses ordinaires consenties par une société régulièrement administrée.

Selon la jurisprudence de la chambre de céans, le dommage que peut donc réclamer la recourante en se fondant sur l’art. 3 al. 3 L-AIMP est limité à la réparation des impenses engagées dans la procédure de soumission, inclut le remboursement de ses frais d’avocat, à défaut de la réparation du gain manqué, voire d’autres indemnités susceptibles d’être réclamées en raison de la conclusion anticipée du contrat (ATA/469/2014 du 24 juin 2014 ; ATA/123/2011 précité ; ATA/626/2009 du 1er décembre 2009 ; ATA/409/2005 du 7 juin 2005).

2) En l’espèce, par arrêt du 14 mai 2013, la chambre de céans a définitivement tranché les questions de la recevabilité du recours et de l’illicéité de la décision du département. Il n’y a pas lieu d’y revenir.

Le fait que Renggli AG aurait de toute façon supporté les frais qu’elle allègue même si la décision d’adjudication avait été notifiée à temps n’est pas pertinent, la loi prévoyant la réparation du dommage, une fois le caractère illicite de la décision constaté.

Reste néanmoins à examiner le montant du dommage subi, les frais allégués à ce titre par la recourante devant être en lien avec la procédure, conformément au principe du lien de causalité.

a.              La recourante allègue un montant de CHF 13'961.15, TVA comprise, à titre d’honoraires de son conseil, qui a consacré trente-six heures et dix-huit minutes à cette affaire au tarif horaire de CHF 350.-. Le département s’en rapporte à l’appréciation de la chambre de céans concernant ce montant.

Il ressort de la note d’honoraires ainsi que de la liste des opérations produites que le travail du conseil de Renggli AG est en lien avec la procédure engagée devant la chambre de céans et était nécessaire à une bonne défense des droits de la recourante. Le tarif horaire est même inférieur aux tarifs généralement admis à Genève.

Nonobstant l’absence d’indication mentionnant l’intervention de collaborateurs, ce poste du dommage sera admis.

b.             Renggli AG avance un montant de CHF 31'000.-, soit deux cent vingt-deux heures à un tarif de CHF 140.- de l’heure pour l’élaboration du dossier de soumission. Ce montant est contesté par le département tant concernant le nombre d’heures que le tarif horaire, qui est, selon lui, trop élevé s’agissant de tâches purement administratives.

Le décompte des heures consacrées par le personnel de la recourante à l’élaboration de la soumission démontre que Renggli AG y a consacré dix-sept jours. Il n’a ainsi pas dépassé le nombre de jours prévus à cet effet par le « planning d’intervention prévisionnel - phase appel d’offre » figurant dans son dossier de soumission et en retenant vingt-neuf. Il faut également souligner que Renggli AG a fourni un travail certain, car son dossier de soumission contient plus de nonante pages détaillées concernant la série de prix pour le marché concerné.

Contrairement à ce qu’allègue la recourante, il ne ressort pas des tableaux de calculation que les postes C31, H11 et H12 soient en lien avec ses coûts en personnel relatifs au projet. Par conséquent, le décompte susmentionné est le seul document produit par la recourante qui atteste des heures consacrées par son personnel à l’offre. Il apparaît dans ledit décompte que certains employés de Renggli AG ont travaillé à certaines occasions plus de huit heures par jour à cette offre et plus de quatre de ses employés y ont pris part. Or, le dossier de soumission prévoyait uniquement l’intervention de deux employés de la recourante à un taux total de 70 % pour l’exécution du marché. Enfin, il n’a pas été démontré que toutes les activités mentionnées dans le décompte ne devaient pas être tarifées à CHF 140.- par heure, certaines pouvant être de simples tâches administratives.

Ainsi, pour dix-sept jours de travail de huit heures chacun à un taux d’activité de 70 % et à un tarif horaire de CHF 140.-,  on parvient à un montant total de CHF 13'328.

Au vu de ce qui précède et compte tenu de l’importance des documents et du montant de l’offre de Renggli AG de CHF 1'302'474.-, la chambre de céans admet le montant de CHF 13'328.- pour ce poste.

c.              La recourante indique que l’avance de frais de CHF 1'000.- doit lui être restituée.

L’avance de frais sera remboursée par la chambre de céans à Renggli AG lorsque le présent arrêt sera devenu définitif. Elle ne constitue donc pas un poste du dommage.

d.             Selon Renggli AG, ses représentants ont consacré cent sept heures (soixante-cinq heures pour son responsable des ventes et quarante-deux heures pour son directeur) à la procédure de recours au tarif de CHF 140.-, soit CHF 14'980.- hors taxes (HT). Le département conteste ces frais qui sont, selon lui, superfétatoires et infondés.

La pièce 15 produite par la recourante dans le cadre de la procédure ayant constaté l’illicéité de la décision comporte uniquement les heures qu’auraient consacrées les représentants de la recourante au recours, ainsi que leur tarif horaire. Aucun détail des activités effectuées n’a été produit ni aucune explication fournie quant au fait que deux représentants de Renggli AG auraient dû se consacrer à ladite procédure. Par ailleurs, la recourante avait mandaté un conseil pour la défense de ses intérêts.

Il ressort de la liste des opérations produites par l’avocat de Renggli AG, avec sa note d’honoraires, des contacts entre le conseil et la recourante d’une durée de l’ordre de cinq heures vingt en tout. En admettant un tarif horaire à CHF 140.- pour ses représentants, Renggli AG a subi des coûts en lien avec la procédure à hauteur de CHF 742.-, qu’il faudra doubler pour tenir compte de la préparation du dossier à l’interne ainsi que de la lecture des courriels et écritures de l’avocat.

Compte tenu de ce qui précède, la demande sera admise à concurrence de CHF 1’500.-.

3) En définitive, le montant du dommage est composé de la manière suivante :

Frais d’avocat : CHF 13'961.15

Frais engagés dans la procédure de soumission :  CHF 13'328.-

Frais liés à la procédure de recours : CHF 1'500.-

Total = CHF 28'789.15

4) a. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l'État et les administrés sont tenus de payer des intérêts moratoires de 5 %, lorsqu'ils sont en demeure d'exécuter une obligation pécuniaire de droit public. Il s'agit là d'un principe général du droit, non écrit, auquel la loi peut certes déroger, mais qui prévaut lorsque celle-ci ne prévoit rien, comme c’est le cas en l’espèce (ATF 101 Ib 252 consid. 4b p. 259 ; 95 I 263 consid. 3 p. 262 ; ATA/469/2014 précité).

La mise en demeure intervient le jour où le lésé demande le paiement de son dommage (ATF 101 Ib 252 consid. 4b p. 259 ; ATA/469/2014 précité).

b. En l’espèce, cette date correspond à celle du dépôt de son recours du 20 août 2012 dans lequel la recourante demande l’ouverture d’une instruction pour déterminer son dommage.

5) Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge de la recourante, qui obtient gain de cause (art. 87 al. 1 LPA). Vu son objet, il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

statuant sur les dommages-intérêts

alloue à Renggli AG un montant de CHF 28'789.15, à charge de l’État de Genève, département de l'aménagement, du logement et de l'énergie, à titre de réparation du dommage, avec intérêts à 5 % dès le 20 août 2012 ;

y condamne l’État de Genève, soit pour lui le département de l'aménagement, du logement et de l'énergie en tant que besoin ;

dit qu'il n'est pas perçu d'émolument ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s’il soulève une question juridique de principe ;

- sinon, par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Ludovic Tirelli, avocat de la recourante, au département de l'aménagement, du logement et de l'énergie ainsi qu'à Waldner SA.

 

Siégeants : M. Verniory, président, M. Thélin, Mme Junod, MM. Dumartheray et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :