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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4715/2017

ATA/554/2018 du 05.06.2018 ( PROF ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4715/2017-PROF ATA/554/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 5 juin 2018

1ère section

 

dans la cause

 

Monsieur A______

contre

COMMISSAIRE DE POLICE



EN FAIT

1) Monsieur A______, ressortissant suisse né en 1970, est domicilié à Genève.

2) L’intéressé a demandé, le 25 octobre 2017, au commissaire de police de lui délivrer un certificat de bonne vie et mœurs (ci-après : CBVM), nécessaire à l’obtention de l’autorisation d’exploiter une buvette liée à son magasin de vin.

3) Le 27 octobre 2017, le commissaire de police a refusé de lui délivrer le document sollicité.

D’une part, son extrait de casier judiciaire comportait une inscription incompatible avec la délivrance d’un CBVM soit :

« 13.07.2017 : opposition ou dérobade aux mesures visant à déterminer l’incapacité de conduire (véhicule automobile). Violation des obligations en cas d’accident. Peine pécuniaire 100 jours-amende à 60.- CHF. Sursis à l’exécution de la peine, délai d’épreuve 3 années. Amende 1'700.- CHF. »

D’autre part, les renseignements de police le concernant n’étaient pas compatibles avec l’obtention d’un CBVM. Le 25 juin 2017, il avait été arrêté par la police, en tant que gérant d’un établissement public, en flagrant de contravention pour excès de bruit et piéton créant une perturbation, à 04h43 le matin. Le 7 janvier 2016, il avait eu un accident avec dégâts matériels sur une propriété privée et il n’avait pas rempli ses devoirs en cas d’accident ni accepté de se soumettre au contrôle d’usage.

4) Le 28 novembre 2017, M. A______ a saisi la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) d’un recours contre la décision précitée.

Les éléments qui lui étaient reprochés n’étaient pas suffisamment graves pour justifier ce refus, qui l’empêcherait de travailler dans son magasin, seule source de ses revenus.

Concernant l’accident du 7 janvier 2016, sanctionné par l’ordonnance pénale du 13 juillet 2017, la peine pécuniaire lui avait été notifiée une année et demi après les faits ; étant en vacances et ne s’y attendant pas, il n’avait pas pu la contester. La procédure liée au retrait de permis de conduire était toujours en cours.

Le 25 juin 2017, il n’avait pas été arrêté, mais interpellé par la police puis emmené au poste. Il avait admis qu’il s’agissait d’un débordement inutile dont il s’était excusé. Cet incident avait eu lieu pendant la fête de la musique.

5) Le 11 janvier 2018, le commissaire de police a conclu au rejet du recours.

Le 2 octobre 2015 à 20h35, la police avait constaté que la buvette permanente de l’intéressé était encore ouverte, avec cinq clients, alors qu’elle aurait dû être fermée dès 19h00.

Le 7 janvier 2016, semblant être sous l’effet de l’alcool selon un témoin, M. A______ avait endommagé du mobilier appartenant à un hôtel puis avait quitté les lieux sans remplir ses devoirs en cas d’accident. Ultérieurement, il n’avait pas ouvert la porte à la police, ce qui avait empêché les contrôles d’usage.

Le 26 février 2016, une patrouille de police avait à nouveau constaté que sa buvette était exploitée après l’heure d’ouverture autorisée.

Le 25 juin 2017 à 04h43, la police avait été attirée par un fort bruit de musique émanant de la buvette de M. A______. Quinze personnes environ s’y trouvaient. M. A______ avait tenté de se soustraire au contrôle et s’y était opposé. Il avait ensuite crié dans la rue et tenté d’échapper à son interpellation.

Ces circonstances justifiaient le refus du CBVM, au vu des dispositions légales en vigueur.

6) Le 13 février 2018, M. A______ a exercé son droit à la réplique.

Les reproches qui lui étaient faits, au vu des années d’exploitation, demeuraient isolés et mineurs. Le refus du CBVM condamnait son commerce alors qu’aucun reproche sérieux et mettant en doute son honorabilité n’était porté contre lui. Il s’engageait à tout faire pour améliorer encore la situation.

7) Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées le 15 février 2018.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) En vertu de l'art. 8 de la loi sur les renseignements et les dossiers de police et la délivrance des certificats de bonne vie et mœurs du 29 septembre 1977 (LCBVM - F 1 25), quiconque justifie de son identité et satisfait aux exigences du chapitre IV de la loi peut requérir la délivrance d'un CBVM.

Le CBVM vise à assurer la constatation de la bonne réputation de l'intéressé à l'égard des tiers dans certaines situations où il est requis, par exemple pour la prise d'un emploi. L'exclusion d'un tel certificat est attachée à l'existence d'un comportement répréhensible par rapport aux critères éthiques adoptés par la majorité de la population (ATA/1226/2017 du 22 août 2017 et les références citées). La bonne réputation peut se définir comme le fait de ne pas avoir enfreint les lois régissant la vie des hommes en société, ni heurté au mépris d'autrui les conceptions généralement répandues, conçues comme des valeurs et formant la conscience juridique de la majorité de la population (RDAF 1976 p. 68).

3) La décision de délivrer ou non un CBVM ne relève pas de l'opportunité, mais repose sur des éléments objectifs et d'autres relevant du pouvoir d'appréciation de l'autorité, dont l'excès et l'abus sont revus par la chambre de céans avec plein pouvoir d'examen (art. 61 al. 1 let. a et al. 2 LPA).

4) a. Le CBVM est refusé à celui dont le casier judiciaire contient une condamnation à une peine privative de liberté. L’autorité compétente apprécie librement, eu égard aux circonstances, si certaines condamnations de peu de gravité peuvent ne pas être retenues. Il peut en être de même des condamnations en raison d’une infraction non intentionnelle (art. 10 al. 1 let. a LCBVM). Le CBVM est également refusé à celui dont l'honorabilité peut être déniée avec certitude en raison soit d'une ou de plusieurs plaintes fondées concernant son comportement, soit de contraventions encourues par lui à réitérées reprises, notamment pour ivrognerie ou toxicomanie, ou encore s'il s'agit d'un failli inexcusable (art. 10 al. 1 let. b LCBVM). Les faits de peu d'importance ou ceux qui sont contestés et non établis ne sont pas pris en considération (art. 10 al. 2 LCBVM).

b. Celui qui tombe sous le coup de l’art. 10 al. 1 let. a LCBVM peut néanmoins recevoir un CBVM si la moitié de la durée déterminante pour l'élimination de l'inscription en vertu de l'art. 369 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) est écoulée (art. 11 al. 1 LCBVM). Celui qui tombe sous le coup de l’art. 10 al. 1 let. b LCBVM peut recevoir un certificat de bonne vie et mœurs si dans les deux ans qui précèdent la demande, sa conduite n’a donné lieu à aucun fait pouvant porter atteinte à son honorabilité (art. 11 al. 2 LCBVM).

Selon l’art. 369 al. 3 CP, les jugements qui prononcent une peine privative de liberté avec sursis, une privation de liberté avec sursis, une peine pécuniaire, un travail d'intérêt général ou une amende comme peine principale sont éliminés d'office après dix ans.

5) Dans l’ATA/648/2017 du 13 juin 2017, la chambre administrative a interprété la notion de « peine privative de liberté » contenue à l’art. 10 al. 1 let. a LCBVM, dont la formulation n’a pas été modifiée depuis l’entrée en vigueur, au 1er janvier 2007, de la nouvelle partie du CP (sous réserve de la suppression, le 27 janvier 2007 des termes « non radiée » après le mot « condamnation » – MGC 2006-2007/IA – 487), et qui avait été adopté alors que la peine privative de liberté était la peine centrale du CP. Elle a jugé que la peine pécuniaire, nouvelle peine centrale depuis cette révision, équivalait à une peine privative de liberté sous l’égide de l’ancienne partie générale du CP. Par conséquent, la condamnation d’une personne à une peine pécuniaire constituait un motif de lui refuser la délivrance d’un CBVM au sens de l’art. 10 al. 1 let. a LCBVM, à condition qu’il ne s’agisse pas d’une infraction de peu de gravité au sens de l’art. 10 al. 1 let. a 2ème phrase LCBVM (ATA/648/2017 précité consid. 7).

6) a. L'art. 10 al. 1 let. b LCBVM a été introduit dans le but de saisir les comportements relevant du droit pénal dès leur commission, et de permettre au commissaire de police d'en tenir compte avant la fin de l'instruction pénale et le prononcé judiciaire (Mémorial des séances du Grand Conseil de la République et canton de Genève, 1977/V, p. 4774). Celui qui a fait l'objet de plaintes, même si elles sont encore en cours d'instruction, peut ainsi faire l'objet d'un refus de délivrance d'un CBVM (ATA/648/2017 précité consid. 3 et les références citées).

b. Une interprétation littérale de l'art. 10 al. 2 LCBVM viderait l'institution du CBVM de son sens : elle mettrait le requérant non pas au bénéfice du doute, mais du manque d'information. Elle empêcherait le commissaire de police d'apprécier si les faits resteront vraisemblablement et définitivement non établis ou si, au contraire, ils seront susceptibles d'être prouvés. En revanche, une interprétation qui négligerait le but de l'alinéa 2 porterait une atteinte grave à la liberté individuelle. C'est pourquoi il appartient au commissaire de police d'effectuer ses recherches en tenant compte, notamment, de la gravité de l'infraction, de la complexité des enquêtes et des circonstances particulières ; il devra, dans un délai raisonnable et après avoir procédé à une pesée des intérêts en cause, prendre une décision motivée permettant un contrôle judiciaire (ATA/648/2017 précité consid. 3 et les références citées).

7) En l’espèce, le recourant a été condamné à une peine pécuniaire prononcée moins de six mois avant la demande du CBVM, sanctionnant des infractions réalisées moins de deux ans avant cette date.

Les faits qui lui sont reprochés ne peuvent être considérés comme étant de peu de gravité, eu égard aux circonstances.

Concernant l’incident du mois de janvier 2016, les conditions dans lesquelles le recourant a circulé sur la terrasse d’un établissement public en y commettant des dégâts pendant la manœuvre, et cela sans s’en rendre compte, puis en quittant les lieux malgré les appels du personnel de l’hôtel sur place, enfin en refusant de répondre aux questions des gendarmes lorsqu’ils ont cherché à prendre contact avec lui peu après l’accident ne sont pas de peu de gravité. À ces éléments s’ajoute l’incident du 25 juin 2017, qui, à lui seul, ne permettrait pas de refuser le certificat sollicité, mais qui s’additionne aux reproches liés à l’événement du 7 janvier 2016. En effet, même pendant les fêtes de la musique, il n’est pas admissible de laisser une buvette ouverte après les heures autorisées ni, alors qu’un contrôle de police est en cours, de tenter d’évacuer les personnes présentes par l’arrière, de refuser d’ouvrir la porte aux représentants des forces de l’ordre ainsi que de vociférer et de tenter d’échapper à la police.

8) Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté.

Au vu de cette issue, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 novembre 2017 par Monsieur A______ contre la décision du commissaire de police du 27 octobre 2017 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

 communique le présent arrêt à Monsieur A______ ainsi qu'au commissaire de police.

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, MM. Thélin et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :