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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4175/2013

ATA/54/2016 du 19.01.2016 sur JTAPI/207/2015 ( ICCIFD ) , ADMIS

Descripteurs : DROIT FISCAL ; IMPÔT SUR LA FORTUNE ; PERSONNE PHYSIQUE ; TRUST ; USUFRUIT ; FORTUNE COMMERCIALE ; PROFESSION LIBÉRALE ; INVESTISSEMENT
Normes : LIPP.46 ; LIPP.47 ; LIPP.48 ; LIPP.58.al2 ; LDIP.149a ; LDIP.149c
Résumé : Impôt sur la fortune des personnes physiques. Trusts irrévocables, distinction entre le trust discrétionnaire et le trust fixe, le bénéficiaire du trust fixe pouvant être assimilé à un usufruitier et donc soumis à l'impôt sur la fortune pour sa part au patrimoine du trust. In casu trust discrétionnaire, pas d'incorporation du patrimoine du trust dans la fortune du contribuable. Déduction des éléments de fortune investis dans l'exploitation commerciale admise, même s'agissant de l'exercice d'une profession libérale. Confirmation de la jurisprudence.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4175/2013-ICCIFD ATA/54/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 janvier 2016

4ème section

 

dans la cause

Madame A______ et
Monsieur A______
représentés par Me Alan Hughes, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
et
ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

ainsi que

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE
et
ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

contre

Madame A______ et
Monsieur A______
représentés par Me Alan Hughes, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 février 2015 (JTAPI/207/2015)


EN FAIT

1) Monsieur A______, de nationalité américaine et son épouse, Madame A______, de nationalité suisse et américaine (ci-après : le, la ou les contribuables) sont domiciliés dans le canton de Genève. Ils se sont mariés à Genève en 1988. Ils sont tous deux arrivés à Genève en provenance des États-Unis en date du 10 février 1979.

2) La contribuable exerce une activité indépendante de médecin.

3) Selon les données du registre cantonal de la population, elle est la fille de Madame B______ née C______ et la petite-fille de Monsieur C______, ainsi que de Madame C______ née D______.

4) À ce stade de la procédure, le litige ne porte plus que sur l'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) lié aux exercices fiscaux 2010 et 2011 en rapport avec la question de l'assiette de la fortune imposable des contribuables, ainsi que l'admissibilité d'une déduction sur la fortune commerciale déclarée. Seuls les faits en rapport avec ces questions seront donc rappelés ci-après.

5) Dans leur déclaration fiscale 2010, transmise à l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) le 15 novembre 2011, les contribuables ont mentionné avoir reçu, à titre de revenu, CHF 37'938.- du trust D______. Ils ont également déduit de leur fortune un montant de CHF 5'888.- au titre de déduction sur la fortune commerciale investie.

6) Sur demande de renseignements de l'AFC-GE, la contribuable a transmis les justificatifs bancaires relatifs aux revenus du trust précité.

7) Par courrier du 6 juillet 2012, l'administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) leur a demandé la production de l'acte constitutif du trust D______, d'une copie des comptes commerciaux 2010 de celui-ci, le nombre de jours de présence physique passés en 2010 relatifs à leur activité dans celui-ci et le descriptif des locaux dudit trust.

8) Suite à cette requête, les contribuables se sont rendus, le 5 septembre 2012, au guichet du service de taxation de l'AFC-GE. Selon le procès-verbal d'entretien, ils ont remis au taxateur une copie du « trust deed » (ci : après : l'acte constitutif) établi par Monsieur D______, le grand-père [recte : arrière-grand-père] de la contribuable en 1941 [recte : 1939], en précisant que celle-ci, en exécution de cet acte, percevait quatre fois par année sur son compte UBS un montant provenant dudit trust. Elle n'avait aucun pouvoir sur celui-ci ou le trustee, ni aucun droit de regard sur les comptes. Elle était donc passive et n'était que la récipiendaire des fonds, conformément à la volonté du constituant. Bank of America fonctionnait comme trustee.

L'acte constitutif du trust était un testament déposé par M. D______ au Tribunal de la ville de Norfolk en Virginie, aux États-Unis. La copie transmise était certifiée conforme à l'original par le greffier dudit Tribunal. Selon ce document daté du 21 novembre 1939, le testateur léguait différents biens à ses deux enfants C______ et D______ junior. Il constituait un premier trust en faveur de son épouse. Pour le surplus, il léguait la moitié de sa fortune à son fils en pleine propriété et l'autre moitié, désignée comme « trust fund », en fiducie, à deux personnes désignées, lesquelles devaient agir en tant que trustees selon des modalités, conditions et dispositions définies à l'art. V de l'acte. Les trustees pouvaient acquérir, gérer, contrôler, investir ou réinvestir dans le cadre de la gestion des avoirs du trust, percevoir toute forme de revenus y afférents et payer tous frais et impôts à charge de celui-ci. Les revenus restants, ainsi que le capital du trust devaient être versés selon les modalités déterminées dans le document. Ainsi, pendant l'existence du trust, les revenus nets, ou la part que les trustees devaient déterminer devaient être distribués semestriellement, ou plus souvent si possible, et/ou être utilisés pour le profit, les besoins, la subsistance, le support, l'éducation et le confort de la fille du testateur, Mme C______ et/ou son époux et/ou leurs enfants, de la manière dont les trustees le jugeaient la plus appropriée, à leur entière discrétion. Si tout ou partie des revenus nets n'étaient pas distribués ou utilisés, ils devaient être conservés et réinvestis par les trustees, de la même manière que le trust fund. Ils pouvaient toutefois être considérés comme des revenus et distribués ou utilisés les années suivantes par les trustees à leur entière discrétion.

L'acte constitutif réglait les modalités de la cessation d'activité du trust et celles de sa liquidation. Le trust ne pouvait être révoqué que par Madame C______, à défaut, il devait être liquidé vingt-et-une années après le décès du dernier de ses descendants. Des dispositions pour le remplacement des trustees étaient prévues. En cas de liquidation, la fortune et les revenus non distribués devaient être immédiatement versés à la fille du testateur ou à ses descendants ou à leurs héritiers légaux.

Les trustees pouvaient gérer les avoirs du trust fund à leur entière discrétion. Ils pouvaient décider à leur entière discrétion de ce qui était considéré comme fortune, revenus et revenus nets du trust, ainsi que de quels types de dépenses pouvaient être imputées de ceux-ci.

9) Le 23 septembre 2012, les contribuables ont transmis les justificatifs des versements reçus du trust D______ sur le compte de la contribuable à l'UBS.

10) Dans leur déclaration fiscale 2011, déposée le 2 décembre 2012, les contribuables ont déclaré avoir reçu en 2011, à titre de revenu, CHF 39'352.- du trust précité. Ils ont également déduit de leur fortune un montant de CHF 4'058.- au titre de déduction sur la fortune commerciale investie.

11) Le 17 avril 2013, l'AFC-GE a notifié aux contribuables un bordereau relatif à l'impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) 2010, d'un montant de CHF 41'565.-, calculé sur un revenu imposable de CHF 186'768.- au taux de CHF 188'245.- et une fortune de CHF 778'057.- imposable au taux de CHF 870'775.-.

En rapport avec l'impôt sur la fortune, elle avait repris la fortune brute immobilière des contribuables en y ajoutant un montant de CHF 446'329.- représentant la valeur du trust D______ par capitalisation d'un montant de CHF 37'938.- à 8.5 %. En outre, elle n'a pas admis la déduction sociale sur la fortune commerciale investie déclarée par les contribuables. Le bordereau en question rectifiait un bordereau notifié antérieurement le 10 avril 2013.

12) Le 17 avril 2013, l'AFC-GE a également notifié un bordereau rectificatif relatif à l'ICC 2011. Le montant d'impôt à payer s'élevait à CHF 41'605.80 pour un revenu imposable de CHF 190'667.- au taux de CHF 189'580.- et une fortune de CHF 714'239.- au taux de CHF 801'533.-.

À l'instar du bordereau ICC 2010, elle a ajouté à la fortune des contribuables un montant de CHF 404'693.- par capitalisation d'un montant de CHF 31'352.- à 7.5 %, représentant la valeur du trust D______. En outre, elle n'a pas admis la déduction sociale sur la fortune commerciale investie de CHF 4'058.- déclarée par les contribuables.

13) À réception des bordereaux fiscaux ICC 2010 et 2011 précités, les contribuables ont interjeté le 18 avril 2013 une réclamation à l'encontre de chacun d'eux.

Ils contestaient, tant pour l'exercice fiscal 2010 que 2011, la reprise sur la fortune imposable par capitalisation des revenus du trust D______. Celui-ci était constitué en un trust discrétionnaire, sur lequel la contribuable n'avait aucune emprise, s'agissant des décisions de distribution et d'utilisation du capital. Celle-ci ne disposait d'aucun droit à recevoir des revenus du trust et les décisions d'effectuer des distributions de fonds étaient du ressort exclusif du trustee.

En outre, L'AFC-GE devait prendre en compte les montants qu'ils avaient déclarés au titre de déduction sociale sur la fortune commerciale investie.

14) Le 26 juillet 2013, les contribuables ont transmis à l'AFC-GE les copies des déclarations fiscales du trust D______ et de la contribuable, en sa qualité de contribuable américaine. Ils ont rappelé que cette dernière n'avait aucun pouvoir sur le trust et que les distributions effectuées en sa faveur étaient à la totale discrétion du trustee. Elle n'avait aucune possibilité d'utiliser sa « part » de capital, ni d'en exiger le versement. L'adjonction d'une quote-part de capital à sa fortune imposable ne pouvait donc être admise.

15) Le 28 novembre 2013, l'AFC-GE a statué sur la réclamation du 18 avril 2013 relative à l'ICC 2010 concernant l'ICC. Elle transmettait aux contribuables un bordereau rectificatif modifiant et complétant leur imposition pour tenir compte d'un autre élément contesté à ce stade. Pour le surplus, elle a maintenu leur taxation.

Les professions libérales étaient exclues du cercle des bénéficiaires du droit à la déduction sociale sur la fortune commerciale.

En rapport avec la question encore litigieuse liée au trust D______, il ressortait des dispositions testamentaires de ce dernier, qu'après son décès et celui de son épouse, un trust subsistait, durant l'existence duquel les revenus nets devaient être distribués au minimum deux fois l'an à sa fille et à sa descendance, soit en l'occurrence à la contribuable. Contrairement à ce que les contribuables mentionnaient dans leur courrier du 16 avril 2013, le pouvoir décisionnel relatif aux distributions n'appartenait aucunement au trustee, mais découlait directement des dispositions testamentaires établies par le« settlor » (ci-après : le constituant). Par ailleurs, l'analyse des dossiers fiscaux des années précédentes faisait ressortir des distributions régulières et trimestrielles en faveur de la contribuable.

Le trust devait être qualifié de « fixed interest trust » (ci-après : trust fixe). Dès lors, le revenu de ce trust pouvait être capitalisé, conformément à ce que prévoyait la circulaire no 20 du 27 mars 2008 de l'administration fédérale des contributions sur l'imposition des trusts de l'administration fédérale des contributions (ci-après : la circulaire n° 20). L'article 19 de la Convention de la Haye relative à la loi applicable au trust et à sa reconnaissance du 1er juillet 1985 (RS 0.221.271) (ci-après la convention de la Haye) réservait la compétence des États en matière fiscale. Dès lors, l'AFC-GE défendait l'application, en droit genevois, des principes énoncés dans la circulaire n° 20.

Avec la décision sur réclamation précitée, l'AFC-GE a notifié aux contribuables un bordereau rectificatif ICC, prenant en compte notamment un revenu du trust D______ imposable de CHF 25'270.- et, pour l'ICC, une valeur capitalisée du trust de CHF 446'329.- (par capitalisation d'un montant de CHF 37'938.- à un taux de 8.5 %).

Le montant de l'ICC s'élevait à CHF 39'675.90 en relation avec un revenu de CHF 186'768.- imposable à un taux de CHF 188'245.- et une fortune de CHF 778'557.- imposable à un taux de CHF 870'775.-.

16) Le 28 novembre 2013, l'AFC-GE a également statué sur la réclamation des contribuables relative à l'imposition 2011 concernant l'ICC. Elle leur a également notifié un bordereau rectificatif en prenant en compte certains points litigieux à ce stade. Pour le surplus, la taxation était maintenue pour des motifs similaires à ceux qu'elle avait mentionnés dans sa décision sur réclamation relative à l'ICC 2010.

Selon le bordereau rectificatif annexé à cette décision, les revenus imposables provenant du trust D______ pris en considération dans la taxation s'élevaient à CHF 21'245.-. La valeur de capitalisation du trust s'élevait à CHF 404'693.- (par capitalisation d'un montant de CHF 30'352.- au taux de 7.5 %).

L'ICC s'élevait à CHF 34'525.- en rapport à un revenu imposable de CHF 169'720.- au taux de CHF 168'633.- et une fortune de CHF 714'239.- au taux de CHF 801'533.-.

17) Le 27 décembre 2013, les contribuables ont interjeté un recours auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre les décisions sur réclamation du 28 novembre 2013 relatives à l'ICC.

Ils ont également demandé la prise en compte des montants qu'ils avaient déclarés au titre de déduction sociale sur la fortune commerciale investie.

Ils ont conclu à l'annulation des reprises effectuées en 2010 et en 2011 pour l'imposition de leur fortune en rapport avec les avoirs du trust. L'adjonction à celle-ci d'une quote-part de capital obtenue par capitalisation des revenus du trust D______ était contraire aux principes constitutionnels et jurisprudentielsde l'imposition selon la capacité contributive. En effet, la fortune imposable ne devait comprendre que des éléments dont un contribuable était propriétaire du point de vue civil et dont il avait la jouissance et le pouvoir de disposition.

Ils ont également conclu à ce que les revenus perçus du trust D______ soient exemptés d'imposition, dès lors qu'ils avaient été imposés aux États-Unis.

18) Le 16 mai 2014, l'AFC-GE a répondu au recours en concluant à son rejet.

Les revenus d'un trust fixe étaient imposables auprès du bénéficiaire au moment où ils étaient encaissés.

Les contribuables pouvaient prétendre déduire de leur fortune un montant au titre de déduction sociale sur la fortune commerciale investie. En effet, la déduction instaurée par l'art. 58 al. 2 de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08) visait à prendre en considération des investissements effectués dans le but de faire fonctionner une entreprise, pour la développer et en finalité encourager la création d'emplois. Toutefois, la volonté du législateur n'était pas d'étendre la déduction litigieuse à l'ensemble des professions indépendantes. L'absence du terme « profession libérale » dans la loi ne relevait pas d'une lacune, mais d'un silence qualifié. Ce n'était pas sans motif que les professions en question étaient distinguées des activités dites d'exploitation commerciale, artisanale ou industrielle expressément visées dans la disposition de la LIPP précitée.

Concernant le traitement fiscal des revenus et de la dotation en trust, elle maintenait avoir traité ces éléments conformément au droit. La convention de la Haye permettait la reconnaissance de trust étranger sur le plan du droit civil, en se fondant sur des normes reconnues internationalement et améliorait la sécurité juridique dans ce domaine. Toutefois, le traitement fiscal des trusts restait déterminé exclusivement par le droit fiscal suisse, ainsi que le prévoyait ladite convention. Elle n'avait fait qu'appliquer les principes énoncés dans la circulaire n° 20.

Au vu des définitions figurant dans la circulaire no 20, le trust D______ était un trust fixe. Selon l'acte constitutif de celui-ci, le trustee ne possédait pas de marge d'appréciation quant à l'attribution des revenus. Il n'avait ni une possession économique, ni un pouvoir de disposition autonome sur le patrimoine du trust. Durant l'existence dudit trust, les revenus nets devaient être distribués au minimum deux fois l'an à la fille du constituant, puis à défaut à sa descendance. Le trustee devait suivre les dispositions testamentaires sans pouvoir s'en écarter.

En l'occurrence, la contribuable avait touché en 2010 et en 2011 des montants respectifs de CHF 37'938.- et CHF 30'352.-. Dans les déclarations fiscales antérieures, des montants similaires avaient été versés régulièrement chaque année. Il s'agissait de versements effectués à un rythme régulier trimestriel depuis une décennie et qui ne portaient que sur des revenus nets. Du fait qu'un droit existait en leur faveur, qui était connu, une part correspondante du patrimoine du trust devait leur être attribuée. Les distributions aux bénéficiaires constituaient en principe un revenu imposable, considéré comme réalisé au moment où le bénéficiaire acquérait le droit ferme sur les revenus du trust, ou au moment où il encaissait la prestation. Pour l'imposition sur la fortune, deux hypothèses se présentaient : soit la part du bénéficiaire générant le revenu pouvait être déterminée, auquel cas c'était cette valeur qui était imposée, soit elle n'était pas déterminée, auquel cas le revenu perçu devait être capitalisé en appliquant les taux de capitalisation établis par la liste des cours de l'AFC-CH. C'est ce que l'AFC-GE avait effectué en prenant en considération les revenus perçus du trust par la contribuable en 2010 et en 2011 et en déterminant une valeur de fortune par capitalisation desdits montants au taux de 8.5 % en 2010 et 7.5 % en 2011.

19) Le 3 septembre 2014, les contribuables ont écrit au TAPI pour transmettre, à sa demande, les photocopies de leurs déclarations d'impôts américaines pour 2010 et 2011, démontrant que les revenus du trust D______ avaient été déclarés au fisc américain en rapport avec ces deux années.

20) Le 24 octobre 2014, l'AFC-GE a maintenu sa position quant à la qualification de la nature du trust.

21) Par jugement du 17 février 2015, le TAPI a admis partiellement le recours des contribuables et a renvoyé la cause à l'AFC-GE pour nouvelle décision.

a. Concernant la prise en considération du montant déclaré à titre de déduction sociale sur la fortune commerciale, l'AFC-GE ne pouvait d'emblée exclure, à teneur de l'art. 58 al. 2 LIPP qu'une telle déduction n'était pas possible dans le cas de l'exercice d'une activité indépendante de type libéral, telle l'exploitation d'un cabinet de médecin. Le champ d'application de cette disposition devait être déterminé au regard de la forme d'activité en question, en prenant en compte la spécificité et le degré investissement dans l'outil de travail. Sur ce point, le dossier lui était retourné pour qu'elle se livre à cet exercice. Le TAPI se référait à ce propos à différents arrêts rendus par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative).

b. En rapport avec l'imposition sur la fortune par capitalisation des revenus du trust, il a admis très partiellement le recours. L'AFC-GE était en droit de déterminer la valeur du trust par capitalisation de ses revenus. En revanche, le taux de capitalisation à appliquer était de 7.5 %.

Au vu des documents présentés, le trust constituait un trust irrévocable. En outre, l'acte constitutif désignait clairement les bénéficiaires, soit la fille du testateur, son époux, ainsi que leurs descendants. Les trustees devaient soit verser de l'argent directement aux bénéficiaires, soit l'utiliser à leur bénéfice, leurs soins, leur entretien, leur soutien, leur éducation ou leur confort. Ils n'avaient pas de marge d'appréciation quant à l'attribution des revenus, si bien qu'il s'agissait d'un trust fixe.

Dès lors, non seulement les montants versés par le trust à la contribuable tant en 2010 qu'en 2011 constituaient un revenu imposable, tant pour l'ICC que pour l'IFD, mais aussi, s'agissant de l'imposition sur la fortune, l'AFC-GE était en droit de procéder à une capitalisation des revenus perçus en fonction des taux figurant dans la liste des cours publiés par l'AFC-CH. Toutefois, elle s'était trompée en augmentant de CHF 404'693.- la fortune des contribuables pour l'année 2011. Elle avait appliqué un taux de 7.75 % pour l'année 2011, alors qu'il était de 8.5 %, si bien que le montant à ajouter à leur fortune en 2011 était de CHF 357'082.- (CHF 30'352.- x 100 ./. 8.5).

c. S'agissant du droit d'imposer les revenus du trust en Suisse, la Convention du 2 octobre 1996 entre la Confédération suisse et les États-Unis d'Amérique en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu (CDI-US RS 0.672.933.61) se révélait muette au sujet de l'État compétent. Toutefois, elle prévoyait que les autres revenus, non spécifiés, devaient être imposables dans l'État de la résidence du contribuable. C'est ainsi que la Suisse avait le droit de les taxer, compte tenu de l'assujettissement illimité découlant du domicile genevois de ceux-ci.

22) Par acte posté le 23 mars 2015, les contribuables ont interjeté un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement du TAPI du 17 février 2015 reçu le 23 février 2015en concluant à son annulation et à l'annulation des décisions sur réclamation.

Ils se référaient aux faits tels qu'établis par le TAPI, ainsi qu'aux pièces produites.

Ils ne contestaient plus l'imposition des revenus perçus par la contribuable et provenant du trust D______.

Ils contestaient que celui-ci soit qualifié de trust fixe, même s'il s'agissait d'un trust irrévocable. Pour retenir une telle qualification, il était nécessaire que les bénéficiaires disposent d'une prétention qu'ils puissent faire valoir en justice. En l'espèce, tel n'était pas le cas de la contribuable, qui dépendait du pouvoir absolument discrétionnaire des trustees et qui n'avait pas la possibilité d'agir en justice si elle ne bénéficiait pas de leurs libéralités. Dans la mesure où les trustees détenaient un pouvoir discrétionnaire portant sur la manière dont ils verseraient les revenus et le capital du trust, elle ne pouvait être assimilée à une usufruitière, car elle ne détenait aucun droit réel dont elle pouvait se prévaloir. Il était faux de prétendre qu'entre 2001 et 2010 elle avait reçu durant chaque exercice des dividendes de l'ordre de CHF 40'000.- puisqu'elle n'en n'avait pas perçus en 2006, ainsi que l'AFC-GE le relevait elle-même. Le pouvoir discrétionnaire accordé aux trustees pouvait être déduit de la façon dont l'acte constitutifavait été rédigé. Celui-ci se référait à l'appréciation des trustees ou à l'utilisation de formules du type « et, par, ou ». Dans ces circonstances, l'AFC-GE n'était pas en droit d'ajouter à la fortune des contribuables, un montant déterminé par capitalisation des revenus perçus durant l'exercice.

Les contribuables ont annexé à leur recours une copie d'un courrier adressé le 15 mai 1991 par un avocat américain à la contribuable. Celui-ci lui demandait son accord à un projet visant à fusionner les avoirs d'un autre trust, soit le E______ trust, dont la famille de M. D______ était également bénéficiaire et qui possédait un immeuble, avec les deux trusts constitués par ce dernier dans ses dispositions pour cause de mort, dont le trust D______. Dans ce courrier, l'avocat rappelait les conditions régissant les attributions de ces trois trusts : E______ trust était un trust opérant une distribution obligatoire de ses revenus, tandis que les deux autres trusts étaient des trusts discrétionnaires dont les trustees avaient le pouvoir de cumuler et de distribuer les revenus.

Ils ont également annexé à leur recours un courrier du service des trusts de Bank of America du 20 mars 2015 attestant que le trust D______ était irrévocable et que les attributions se faisaient à la seule discrétion du trustee unique, Bank of America. Pendant de nombreuses années, le trustee avait versé les revenus nets aux bénéficiaires du trust en vertu de l'art. V du trust deed. En 2008, le trustee avait pris la décision de modifier les montants versés au bénéficiaire, passant de la formule des revenus nets à celle du 3.75 % de la fortune principale du trust, telle que déterminée par la moyenne, calculée sur une période de trois ans, de sa valeur. Ces versements aux bénéficiaires étaient strictement à la discrétion du trustee et étaient revus annuellement.

23) Par acte posté le 24 mars 2015, l'AFC-GE a également recouru contre le jugement du TAPI du 17 février 2015reçu le 23 février 2015, en concluant à son annulation partielle.

D'une part, le TAPI avait admis à tort que les contribuables étaient en droit de déduire un montant de CHF 5'888.- en 2010 et de 4'058.- en 2011 au titre de fortune commerciale investie.

En outre, pour déterminer le taux de capitalisation du revenu du trust D______, le TAPI s'était fondé à tort sur un taux de 8.5 %. La circulaire no 20 n'imposait pas d'appliquer des taux de capitalisation établis par la liste des cours de l'AFC-CH. Cette liste valait pour les titres non cotés en bourse. Or, l'AFC-GE ignorait en quoi consistait le patrimoine du trust, lequel pouvait être composé de titres cotés en bourse, de titres non cotés en bourse, d'obligations, de comptes bancaires, etc. Dès lors, il y avait lieu d'appliquer la lettre circulaire portant sur les taux d'intérêts admis fiscalement sur les avances ou les prêts en monnaies étrangères, dès lors que ces taux étaient déterminés sur la base des rendements d'investissements à long terme, ce qui était en soi le propre d'un trust. C'était la raison pour laquelle elle avait retenu l'application d'un taux de 7.5 % en 2011 et non de 8.5 %, ce qui conduisait à retenir une valeur patrimoniale de CHF 404'693.-.

24) Le 1er juillet 2015, l'AFC-GE a répondu au recours des contribuables, en concluant à son rejet, dans la mesure où le trust D______ devait être qualifié de trust fixe.

25) Le 2 juin 2015, les contribuables ont, de leur côté, conclu au rejet du recours de l'AFC-GE. Concernant la déduction sociale sur la fortune, ils se référaient à la jurisprudence récente rendue par la chambre administrative qui imposait que la déduction sociale déclarée soit admise.

Concernant le traitement fiscal du trust D______, les contribuables contestaient qu'une part quelconque du patrimoine de ce dernier puisse être assimilée sur le plan fiscal à leur patrimoine. La contribuable se trouvait dans une situation de pure expectative, qui ne saurait être en aucune manière qualifiée d'élément de fortune. L'appréciation de l'AFC-GE, partant du TAPI, qualifiant le trust précité de trust fixe, ne reposait sur aucune raison objective et était en contradiction évidente avec la situation effective des bénéficiaires dudit trust, que ce soit sur un plan formel ou en rapport avec les clauses constitutives du trust, ou matérielles. Sur le plan formel, l'état de fait retenu comportait plusieurs erreurs. Il ne ressortait aucunement du testament du 21 novembre 1939 rédigé par l'arrière-grand-père de la contribuable qu'il aurait astreint par ses dernières volontés les trustees à effectuer un versement des revenus du trust au minimum deux fois l'an aux bénéficiaires. En outre, l'art. 5 du testament précité représentait l'acte constitutif du trust en question, dès le décès du testateur. Il se référait expressément et à plusieurs reprises au libre arbitre des trustees quant à l'administration, à la conservation et à la distribution du patrimoine en trust. Il y avait lieu de citer sur ce point l'art. V let. b de l'acte constitutif du trust D______ qui stipulait à deux reprises la liberté d'appréciation de ceux-ci, s'agissant des distributions opérées, ainsi que les paragraphes V let. h, i et m, qui mentionnaient également expressément les prérogatives discrétionnaires conférées à ceux-ci, s'agissant de la fortune et des revenus du trust.

Concernant l'aspect matériel, la contribuable n'était aucunement en mesure de disposer de la fortune du trust ou d'exiger des distributions des trustees. Elle appartenait à la classe des bénéficiaires du trust. Elle n'était pas nommément désignée par l'acte constitutif de celui-ci, mais l'était indirectement parce qu'elle appartenait à la descendance de la fille du constituant. Le trust D______ ne saurait être qualifié de trust irrévocable et fixe, que ce soit en droit fiscal suisse, ou en droit américain.

La Suisse avait ratifié en 2007 la convention de la Haye. Même si le champ d'application de cette convention n'empiétait pas sur la compétence fiscale des États l'ayant ratifiée, la doctrine considérait que l'autorité fiscale devait tenir compte de la qualification du trust selon le droit désigné par la convention. Dès lors que le trust D______ avait été constitué aux États-Unis par un ressortissant américain, le droit américain lui était applicable au sens de l'art. 7 de la convention de la Haye. À ce sujet, Ils se référaient au courrier du 20 mars 2015 du trustee du trust D______, soit Bank of America, qui confirmait à plusieurs reprises le caractère irrévocable et complètement discrétionnaire dudit trust.

La contribuable n'étant que la bénéficiaire d'un trust discrétionnaire ; le TAPI avait violé le principe constitutionnel de la légalité en confirmant que l'AFC-GE était en droit d'ajouter à sa fortune une partie des actifs d'un trust créé par son arrière-grand-père sur lequel elle n'avait aucune emprise, à savoir aucune possibilité de modifier l'acte constitutif, de révoquer la structure, d'en exiger la liquidation ou de s'opposer aux décisions du trustee concernant les actifs du trust.

Au surplus, subsidiairement, lors de la capitalisation des distributions perçues par la contribuable en provenance du trust, l'AFC-GE se trompait en appliquant des taux d'intérêts admis fiscalement sur les avances ou les prêts en monnaies étrangères plutôt que la liste des cours HB publiée annuellement par l'AFC-CH, préconisés dans la circulaire no 20. La situation de la contribuable comme bénéficiaire du trust ne présentait aucune analogie avec des titres de participations, qui, par définition étaient cessibles et conféraient des droits sociaux et patrimoniaux à leurs titulaires. L'application des taux d'intérêts sur les avances ou les prêts en monnaies étrangères impliquait un droit de créance au bénéfice d'un porteur de parts ou actionnaire à l'encontre d'une personne morale, ce qui n'était pas le cas de la recourante.

26) Le 3 août 2015, les parties ont persisté dans leurs conclusions et la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La présente cause concernant l'ICC pour les exercices fiscaux 2010 et 2011, lui sont applicables, les dispositions de la LIPP, entrée en vigueur le 1er janvier 2010 au-delà de celle de la loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 (LHID - RS 642.14).

Recours des contribuables

3) En matière d'ICC, le canton perçoit un impôt sur la fortune des personnes physiques (art. 2 al. 1 let. a LHID ; art. 1 LIPP). Il a pour objet l'ensemble de la fortune nette après déductions sociales (art. 46 LIPP). Les éléments patrimoniaux soumis à l'impôt sur la fortune sont énoncés à l'art. 47 LIPP. Parmi ceux-ci figurent les actions, les obligations et les valeurs mobilières de toute nature, la mise de fonds, apports et commandite représentant une part de l'intérêt dans une entreprise, une société ou une association (art. 47 let. b LIPP), ainsi que l'argent comptant et les dépôts bancaires ou en titres représentant la possession d'une somme d'argent (art. 47 let. c LIPP). De même, la fortune grevée d'usufruit est imposable auprès de l'usufruitier (art. 48 LIPP).

4) Le 1er juillet 2007, la convention de la Haye est entrée en vigueur pour la Suisse. Depuis cette date, l'institution anglo-saxonne du trust est reconnue juridiquement aux conditions mentionnées dans cette convention.

Par trust, sont visées les relations juridiques créées par une personne, le constituant - par acte entre vifs ou à cause de mort - lorsque des biens ont été placés sous le contrôle d'un trustee dans l'intérêt d'un bénéficiaire ou dans un but déterminé (art. 2 de la convention de la Haye ; art. 149a de la loi fédérale sur le droit international privé du 18 décembre 1987 - LDIP - RS 291). Le droit qui régit le trust est celui choisi par le constituant ou, à défaut, celui avec lequel il présente le lien le plus étroit (art. 6 et 7 de la convention de la Haye ; art. 149c LDIP).

5) Selon l'art. 19 de la Convention de la Haye, celle-ci ne porte pas atteinte à la compétence des États en matière fiscale. Toutefois, dans le traitement fiscal du trust, la définition de celui-ci, posée à l'art. 2 de la Convention précitée reste déterminante en droit suisse, de même que les dispositions de la LDIP précitées. Le droit fiscal doit prendre en considération l'état de fait tel qu'il est établi par les règles du droit privé. En revanche, c'est en fonction des principes du droit fiscal que doit être analysée la question de savoir comment le trust et les personnes qui y participent sont imposables en Suisse, notamment à quel moment un revenu est réalisé ou une fortune doit être attribuée à l'un d'entre eux. Pour résoudre ces questions, l'analyse fiscale doit tenir compte du droit privé. Néanmoins, l'autorité fiscale conserve la faculté de remettre en cause, sur la base de la réserve de l'évasion fiscale, les opérations insolites mises en oeuvre pour échapper à l'impôt (Xavier OBERSON, le traitement fiscal du trust en droit suisse, Archiv 76, p. 481 et 482). Ainsi que le relève cependant ce dernier auteur, une telle remise en cause suppose que les trois conditions cumulatives de l'évasion fiscale soient remplies, à savoir : un transfert insolite, aux fins d'économiser des impôts et qui conduit effectivement à une telle économie (Xavier OBERSON, op. cit. p. 486).

6) a. La circulaire n° 20 de l'AFC-CH à laquelle l'autorité fiscale intimée se réfère, consultable sur le site internet de l'AFC-CH (www.estv.admin.ch), reprend le contenu d'une circulaire n° 30 du 22 août 2007 adoptée par la conférence suisse des impôts (CSI), association qui réunit les administrations fiscales cantonales et l'AFC-CH dans le but de coordonner les législations fiscales de la Confédération et des cantons, ainsi que leur application et leur développement.

b. Si les directives, circulaires ou instructions émises par l'administration ne peuvent contenir de règles de droit, elles peuvent cependant apporter des précisions quant à certaines notions contenues dans la loi ou quant à la mise en pratique de celle-ci. Sans être lié par elles, le juge peut néanmoins les prendre en considération en vue d'assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré. Il ne doit cependant en tenir compte que si elles respectent le sens et le but de la norme applicable (ATF 121 II 473 consid. 2b ; ATA/87/2015 du 20 janvier 2015 consid. 7a ; ATA/563/2012 précité consid. 14 ; ATA/12/2012 du 10 janvier 2012 consid. 3 ; ATA/839/2003 du 18 novembre 2003 consid. 3c). En d'autres termes, à défaut de lacune, elles ne peuvent prévoir autre chose que ce qui découle de la législation ou de la jurisprudence (ATF 133 II 305 consid. 8.1 ; 121 II 473 consid. 2b ; 117 Ib 225 consid. 4b).

c. La circulaire rappelle les caractères essentiels devant exister pour que l'on admette être en présence d'un trust. Il doit y avoir un rapport juridique ayant effet à l'encontre des tiers, qui prend naissance lorsque sur la base d'un document de constitution (« trust deed »), le constituant (« settlor ») transfert des valeurs patrimoniales déterminées à une ou plusieurs personnes (trustees), lesquels ont l'obligation de les gérer et de les utiliser dans un but établi à l'avance par le settlor en faveur d'un ou de plusieurs tiers (« beneficiaries »).

d. En l'espèce, et à juste titre, il est admis par les parties que le trust D______ est un trust au sens de la Convention de la Haye ou de l'art. 149a LIDP, ainsi que de la circulaire précitée.

7) Pour le traitement fiscal des trusts, la circulaire distingue le « revocable trusts » (ci-après : le trust révocable), soit celui dans lequel le constituant s'est expressément réservé dans l'acte constitutif la faculté de le révoquer, de l'« irrevocable trust », (ci-après : le trust irrévocable) (Sibilla GUISELDA CRETTI, Le trust, aspects fiscaux, 2007, n. 30, p. 19). Parmi les trusts irrévocables, elle distingue le trust discrétionnaire (« discretionary trust ») du trust fixe (« interest fixed trust »).

8) a. Constitue un trust fixe, un trust dont l'acte constitutif accorde au bénéficiaire un droit à percevoir une certaine part des revenus nets du trust au fur et à mesure de leur perception (Sibilla GUISELDA CRETTI, op. cit., n. 31, p. 20). Constitue un trust discrétionnaire un trust dans lequel le bénéficiaire n'a aucun droit à faire valoir vis-à-vis des trustees pour qu'il soit payé ou qu'il reçoive une part des revenus nets du trust.

Dans un trust discrétionnaire, l'acte constitutif se limite à prévoir une classe de bénéficiaires potentiels. C'est ensuite aux trustees qu'il appartient de désigner, parmi ce cercle de personnes, le ou les bénéficiaires pouvant prétendre à une distribution ainsi que le moment et l'étendue de celle-ci (Robert DANON, l'imposition du « private express trust », analyse critique de la circulaire du 22 août 2007 et proposition de modèle d'imposition de lege ferenda, in Archiv 76, p. 439). Le bénéficiaire n'acquiert pas ab initio un droit équitable de propriété. Il n'a qu'une expectative. Il n'a pas de titularité sur le patrimoine trustal sous-jacent (Sibilla GUISELDA CRETTI, op. cit., n. 35, p. 24).

b. L'essentiel de la distinction réside dans le fait que la création d'un trust fixe ne laisse aucune marge d'appréciation aux trustees quant à la distribution des revenus et actifs du trust. Les montants, ainsi que le moment des distributions sont déterminés par avance. Les bénéficiaires ont une prétention patrimoniale qu'il peuvent faire valoir en justice (Jessica SALOM, l'attribution du revenu en droit fiscal suisse, 2010, § 4.2.3 p.123 ; Sibilla GUISELDA CRETTI, op. cit., n. 32, p. 21 et 23).

c. La circulaire reprend cette distinction.

Selon celle-ci, dans le cadre d'un trust fixe, les détails touchant aux bénéficiaires et aux droits qui leur sont conférés ressortent directement de l'acte constitutif du trust. Le trustee ne possède pas de marge d'appréciation quant à l'attribution des revenus et/ou des actifs du trust. Il n'a ni possession économique, ni pouvoir de disposition autonome sur le patrimoine du trust. Dans un tel cas, le bénéficiaire dispose d'une prétention patrimoniale qu'il peut faire valoir en justice. Il peut être ainsi assimilé à un usufruitier (circulaire, ch. 3.7.2).

En revanche, dans le cas d'un trust discrétionnaire, l'acte de constitution ne décrit que des classes abstraites de bénéficiaires. La décision déterminante qui, en définitive, doit entrer en possession des attributions du trust, est laissée au trustee. Aucun enrichissement du bénéficiaire ne se produit au moment de la création d'un trust discrétionnaire, car on ne peut alors encore déterminer quelles personnes entreront effectivement en possession d'une attribution du trust, pas plus que l'importance et le moment de cette attribution (circulaire, ch. 3.7.3).

9) La circulaire rappelle que, selon le principe de la transparence, pour leur imposition, les valeurs patrimoniales et les revenus du trust (capital, gain en capital, rendement courant) sont imputables soit auprès du bénéficiaire, soit auprès du constituant. En effet, selon le droit suisse, les valeurs patrimoniales concernées ne peuvent être attribuées ni au trust ni au trustee (circulaire, ch. 5.1 ; dans le même sens, Jessica SALOM, op. cit., § 4.2.1 et 4.2.2, p.119 à 121 ; Xavier OBERSON, op. cit., p. 482).

Si l'on est en présence d'un trust fixe, le bénéficiaire du trust peut être assimilé à un usufruitier, en conséquence de quoi le patrimoine et les revenus du trust lui sont attribués fiscalement (Jessica SALOM, op. cit. § 4.2.3, p. 121). Selon la circulaire, les distributions effectuées par le trust en faveur du bénéficiaire sont traitées, soit comme gain en capital, soit comme revenu. Pour le patrimoine, il y a lieu de considérer qu'il y a donation du constituant au bénéficiaire à hauteur du capital du trust. Le bénéficiaire est soumis à l'impôt sur la fortune pour sa part au patrimoine du trust. Si celle-ci ne peut être déterminée, le revenu que le bénéficiaire en tire peut-être capitalisé par l'autorité fiscale cantonale, par exemple en appliquant les taux de capitalisation établis par la liste des cours de l'AFC-CH (circulaire, ch 5.2.2 ; dans le même sens : Jessica SALOM, op. cit. § 4.2.3, p. 124 ; Robert DANON, op. cit., p. 456 ; Xavier OBERSON, op. cit.,p. 487).

Selon la circulaire, dans l'hypothèse d'un trust discrétionnaire, si le constituant est domicilié en Suisse au moment la création du trust, le patrimoine du trust et ses rendements restent attribués à ce dernier. Si en revanche il est domicilié à l'étranger au moment de la création du trust, le patrimoine de celui-ci ne peut être imputé ni au constituant ni au bénéficiaire. Ce dernier n'est imposé que sur les montants qu'il perçoit du trust et n'est pas imposé sur le patrimoine de celui-ci au titre de l'impôt sur la fortune (circulaire, ch 5.2.3 ; dans le même sens, Jessica SALOM, op. cit. § 4.2.3, p. 124 ; Xavier OBERSON, op. cit.,p. 487).

10) a. Les parties, à juste titre, retiennent que le trust D______ appartient à la catégorie des trusts irrévocables. Elles divergent en revanche sur la question de savoir si, dans cette catégorie de trusts il s'agit d'un trust discrétionnaire ou d'un trust fixe. Selon la contribuable, à teneur de l'acte de constitution du trust et des autres documents qu'elle avait produits, il était constant qu'elle ne bénéficiait d'aucune prérogative dans la gestion du trust D______, ni ne pouvait faire valoir aucun droit patrimonial vis-à-vis de celui-ci ou de ses trustees afin d'obtenir le versement de dividendes ou d'autres attributions patrimoniales. Dès lors, le trust en question constituait un trust discrétionnaire. Pour l'autorité intimée, rejointe en cela par le TAPI l'acte en question qui prévoyait, d'une manière qui liait les trustees, le versement de dividendes aux bénéficiaires au minimum deux fois l'an - versements qui avaient été effectués avec régularité - devait être qualifié de trust fixe.

b. En l'occurrence, le trust D______ a été constitué en 1939 par l'arrière-grand-père de la contribuable. Il s'agit d'un trust soumis au droit des États-Unis. Cette structure juridique existait lorsque celle-ci est arrivée en Suisse. Elle a produit auprès de l'autorité fiscale la documentation permettant d'en analyser l'origine, la structure et l'organisation. Il en ressort que le constituant, par dispositions pour cause de mort, a prévu qu'une partie de ses biens ne reviendrait pas directement à sa fille puis à sa descendance, mais serait constituée en trust au sens du droit applicable en Virginie et confiée à la gestion d'un trustee en faveur de cette dernière mais également de sa descendance. La seule bénéficiaire nommément désignée dans l'acte constitutif est la grand-mère de la recourante. La contribuable n'est devenue bénéficiaire du trust que parce qu'elle est la descendante de cette dernière et qu'elle fait partie du cercle des bénéficiaires abstraitement désignés à titre subsidiaire, sans être jamais nommée directement dans l'acte constitutif. Concernant l'organisation du trust, l'acte constitutif ne prévoit aucun droit de regard des bénéficiaires sur la gestion de celui-ci. Si ce document prévoit que les revenus du trust doivent être versés aux personnes faisant partie du cercle des bénéficiaires, il accorde toute liberté au trustee de décider non seulement de la gestion des avoirs du trust, mais de l'attribution des revenus de celui-ci, voire de tout ou partie de son capital, de la détermination des quotités qui seraient versées ainsi que du choix des destinataires parmi les bénéficiaires. Un courrier du trustee, Bank of America, confirme ce fonctionnement, en expliquant qu'il lui appartenait en tant que trustee de déterminer seul la façon dont les montants revenant à la contribuable devaient être calculés. Si l'acte constitutif prévoit des versements annuels, il ne ressort aucunement de ce document que la contribuable se voit conférer un droit d'en exiger le versement et qu'elle détienne une créance à ce propos qu'elle pourrait faire valoir en justice. Certes, ainsi que l'AFC-GE l'expose, celle-ci a reçu quasiment chaque année entre 2001 et 2011 un montant de l'ordre de CHF 40'000.- en provenance du trust. Néanmoins, elle n'a rien reçu en 2006 et n'apparaît pas avoir reçu ce montant dans les années suivantes, en sus des sommes qui devaient lui être ordinairement versées en fonction des résultats de l'exercice. Sur la base de ces éléments, et au regard des critères détaillés tirés de la circulaire n° 20, il doit être retenu que la contribuable n'a pas de droit à percevoir les montants qui lui sont versés par le trust si ce n'est une expectative découlant de l'acte constitutif. Elle n'a pas non plus de droits patrimoniaux qu'elle puisse directement exercer sur les avoirs du trust. Dans ces circonstances, le trust en question doit être qualifié de trust discrétionnaire, avec pour conséquence que si la contribuable doit être imposée sur les montants qu'elle perçoit du trust en tant que bénéficiaire, la valeur des avoirs de celui-ci n'a pas à être prise en considération comme élément de sa fortune.

11) Selon l'AFC-GE, nonobstant les éléments d'organisation du trust résultant de son acte constitutif, la répétition et la régularité des versements reçus autorise tout de même les autorités fiscales à qualifier le trust de trust irrévocable fixe. Cette hypothèse est évoquée dans la doctrine. Ainsi, Xavier OBERSON relève l'existence de pratiques visant à construire l'existence d'un trust fixe en cas de distribution régulière des fonds à un même bénéficiaire, sans toutefois se prononcer sur la conformité au droit d'une telle démarche (Xavier OBERSON, op. cit., p. 487). En l'espèce, la régularité des versements n'est pas acquise totalement dans la mesure où dans les dix ans qui ont précédé l'exercice fiscal litigieux, aucun versement n'est intervenu en 2006. Mais surtout, l'examen de la situation fiscale de ce trust, au vu de son historique et de son fonctionnement spécifique, ne permet pas de retenir sur le plan fiscal d'autre qualification que celle de trust discrétionnaire, à l'aune des critères de qualification retenus dans la circulaire. Dès lors, il y a lieu d'appliquer à la situation de la contribuable les principes retenus dans cette directive en matière d'imposition du bénéficiaire d'un trust discrétionnaire, puisque leur objectif est d'uniformiser la pratique en matière de trust.

12) Cette solution s'impose d'autant plus en l'absence d'indices que le trust en question ait été constitué dans un but d'évasion fiscale. Historiquement, sa constitution s'explique et la recourante, qui n'est pas le constituant, n'a joué aucun rôle dans sa mise en place. Elle a déclaré régulièrement les revenus provenant de ces trusts, tant en Suisse qu'aux États-Unis, et il n'y a pas d'éléments permettant de retenir que l'on se trouve face à une structure mise en place dans le cadre d'une opération insolite aux fins d'économies et des impôts, impliquant, s'agissant de l'impôt sur la fortune, de devoir appliquer le principe de transparence.

13) Le recours des contribuables sera admis. Le jugement du TAPI sera annulé en tant qu'il confirme le droit de l'AFC-GE d'incorporer à la fortune imposable des contribuables, un montant de CHF 446'329.- pour l'exercice 2010 et de CHF 357'082.- pour l'exercice 2011. De même, les deux décisions sur réclamation de l'AFC-GE relatives à l'ICC 2010 et 2011 seront mises à néant en tant qu'elles confirmaient l'une le bordereau ICC 2010 du 17 avril 2013 incorporant à la fortune imposable des contribuables un montant de CHF 446'329.-, et l'autre le bordereau ICC 2011 du 17 avril 2013 y incorporant un montant de CHF 404'693.-.

Recours de l'AFC-GE

14) Le volet du recours de l'AFC-GE se rapportant au taux de capitalisation à utiliser dans l'hypothèse d'une capitalisation des revenus versés à un bénéficiaire d'un trust fixe ne sera pas traité dans la mesure où l'existence d'un tel trust n'est pas admise par la chambre de céans.

15) Le recours de l'AFC-GE a également pour objet la décision du TAPI de ne pas confirmer sans autre son refus d'admettre que la contribuable puisse en 2010 et 2011, déduire au titre de déduction sociale sur la fortune commerciale investie, des montants respectifs de CHF 5'888.- pour l'exercice 2010 et CHF 4'058.- pour l'exercice 2011, l'art. 58 al. 2 LIPP n'autorisant pas une telle déduction pour les professions libérales telle celle de médecin indépendant exercée par la contribuable.

16) À teneur de l'art. 58 al. 2 LIPP, il est accordé une déduction égale à la moitié des éléments de fortune investis dans l'exploitation commerciale, artisanale ou industrielle du contribuable, au prorata de sa participation, mais au maximum CHF 500'000.-.

17) Cette question a été traitée par la chambre administrative dans trois arrêts, soit les ATA/1156/2015, ATA/1157/2015 et ATA/1158/2015 du 27 octobre 2015, mais aussi dans les ATA/764/2014 et ATA/765/2014 du 30 septembre 2014  dont ils ont repris et complété les considérants.

18) Selon la jurisprudence de la chambre de céans précitée, les déductions sociales sur la fortune commerciale investie instaurées par l'art. 58 al. 2 LIPP ne sont pas contraires aux dispositions de la LHID dans la mesure où elles relèvent de la compétence tarifaire laissée aux cantons et visent à une répartition équitable de la charge fiscale. Il ne s'agit pas de déduire tout investissement fait par le contribuable dans son entreprise, mais seulement celui qui est fait dans des circonstances permettant de retenir qu'il y a investissement dans l'outil de travail. Une telle déduction s'applique également aux investissements au sens précité, consentis dans l'exercice d'une profession libérale.

19) Conformément à la jurisprudence développée par la chambre de céans au travers des cinq arrêts rendus en 2014 et 2015 rappelés ci-dessus, le recours de l'AFC-GE sera rejeté sur ce point également. Le jugement du TAPI sera confirmé en tant qu'il annulait les décisions sur réclamation de l'AFC-GE, refusant de prendre en considération par principe les déductions sociales sur la fortune commerciale investie déclarées par les contribuables pour les exercices 2010 et 2011, dans la mesure où elles étaient en lien avec l'exercice d'une profession libérale. La cause sera donc renvoyée à l'AFC-GE pour traitement de l'admissibilité d'une telle déduction en fonction des considérants des arrêts rendus par la chambre de céans. En particulier, il est impossible en l'espèce d'établir à quel investissement dans l'entreprise de la contribuable, se rapportent les montants dont la déduction est sollicitée. Il s'agira pour l'AFC-GE d'examiner cette question en fonction des critères qu'elle aura élaborés pour l'application de l'art. 58 al. 2 LIPP.

20) Le recours des contribuables sera admis et celui de l'AFC- GE rejeté. Au vu de l'issue des deux recours, aucun émolument de procédure ne sera mis à la charge de l'un ou l'autre des recourants (art. 87 al. 1 LPA). En revanche, une indemnité de procédure de CHF 2'500.- sera accordée aux contribuables, dans la mesure où ils y ont conclu, qui sera mise à la charge de l'État de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 23 mars 2015 par Madame A______ et Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 février 2015 ;

déclare recevable le recours interjeté le 24 mars 2015 par l'administration fiscale cantonale contre le même jugement;

au fond :

rejette le recours de l'administration fiscale cantonale ;

admet le recours de Madame A______ et Monsieur A______ ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 février 2015 en tant qu'il confirme le droit de l'administration fiscale des cantonale d'imposer Madame A______ et Monsieur A______ sur une fortune supplémentaire de CHF 446'329.- dans le cadre de l'impôt cantonal et communal 2010, et de CHF 404'693.- dans le cadre de l'impôt cantonal et communal 2011.

le confirme pour le surplus ;

annule la décision sur réclamation de l'administration fiscale des contributions du 28 novembre 2013 relative à l'impôt cantonal et communal 2010 et le bordereau rectificatif y afférent en tant qu'ils imposent Madame A______ et Monsieur A______ sur une fortune supplémentaire de CHF 446'329.- et refusent d'admettre une déduction sociale sur la fortune commerciale investie de CHF 5'888.- ;

annule la décision sur réclamation de l'administration fiscale des contributions du 28 novembre 2013 relative à l'impôt cantonal et communal 2011 et le bordereau rectificatif y afférent en tant qu'ils imposent Madame A______ et Monsieur A______ sur une fortune supplémentaire de CHF 404'693.- et refusent d'admettre une déduction sociale sur la fortune commerciale investie de CHF 4'058.- ;

renvoie la cause à l'administration fiscale cantonale pour nouvelle taxation au sens des considérants ;

dit qu'il n'est pas prélevé d'émolument ;

alloue à Madame A______ et Monsieur A______  une indemnité de procédure de CHF 2'500.- qui sera mise à la charge de l'État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Alan Hughes, avocat de Madame A______ et Monsieur A______, à l'administration fiscale cantonale et à l'administration fédérale des contributions, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : M. Verniory, président, Mme Junod et M. Dumartheray, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler-Enz

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :