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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/665/2003

ATA/839/2003 du 18.11.2003 ( FIN ) , ADMIS

Recours TF déposé le 14.01.2004, rendu le 01.09.2004, REJETE, 2A.23/04
Descripteurs : IMPOT; CALCUL DE L'IMPOT; ACTIVITE LUCRATIVE; ACTIVITE LUCRATIVE INDEPENDANTE; GAIN EN CAPITAL; IMPOT FEDERAL DIRECT; FIN
Normes : LIFD.21 al.1 litt.a; LIFD.21 al.1 litt.d
Résumé : Imposition du gain provenant de la vente d'actions parce que l'activité du contribuable était axée sur l'obtention d'un gain et dépassait la simple gestion du patrimoine privé. Critères retenus : planification du groupe de sociétés, lien entre l'activité professionnelle du contribuable et l'utilisation de connaissances spéciales, participation financière de l'épouse du contribuable.
En fait
En droit

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 18 novembre 2003

 

 

 

dans la cause

 

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE GENEVOISE

 

 

 

 

contre

 

 

Monsieur C. L.

représenté par Me Antoine Berthoud, avocat

 

Madame C. F. L.

 

ADMINISTRATION FÉDÉRALE DES CONTRIBUTIONS

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS DE L'IMPÔT FÉDÉRAL DIRECT


EN FAIT

 

 

1. Monsieur C. L. (ci-après: M. L., le contribuable ou l'intimé) a été employé par la Banque Fa. à Genève comme membre de la direction de 1979 à 1987.

 

2. Le 21 août 1987, Mme C. F. L. (ci-après: Mme L.), épouse du contribuable, a constitué la société G. S.A. (ci-après: G.) avec siège à Genève. Le capital- actions de CHF 60'000.- était divisé en 600 actions au porteur d'une valeur nominale de CHF 100.- chacune. Mme L. en avait souscrit 598, son mari une action et le directeur de la société, M. P. D., également une action. La société avait comme but statutaire : "constitution, administration, domiciliation, organisation et la gestion de sociétés, ainsi que la constitution et gestion de trusts participations". Le contribuable était administrateur avec signature individuelle.

 

3. Le 29 septembre 1987, le contribuable a acheté la totalité du capital-actions de la société F. sise à Genève pour un montant de CHF 10'150.-. S'agissant d'une société dont le capital-actions s'élevait à CHF 580'000.- divisé en 5'800 actions de CHF 100.- chacune, M. L. a en fait versé CHF 1,75 par action. La majeure partie de ces actions, 5'675, ont été acquises de Jo., groupe auquel appartenait la Banque Fa, alors employeur de l'intimé. Les 125 actions restantes ont été acquises de M. J.-L. de G..

 

La société avait apparemment dû cesser toute activité en raison d'un procès civil l'opposant à un ancien client en faillite, raison pour laquelle le prix d'acquisition des actions était si peu élevé.

 

Cette société, fondée en 1958, avait pour but statutaire la réalisation de toutes activités fiduciaires et de gestion de fortune. M. L. faisait partie du conseil d'administration de la société.

 

4. A partir du 1er janvier 1988, le contribuable s'est mis à son compte en tant que conseiller indépendant en ingénierie financière (conseils en fusion et acquisition notamment).

 

M. L. n'a jamais été inscrit au registre du commerce. N'étant pas astreint à tenir des livres, il établissait chaque année un compte de recettes et de dépenses.

 

Il a ainsi déclaré les bénéfices suivants pour les années 1990 à 1993: CHF 124'000.- en 1990; CHF 225'235.- en 1991; CHF 398'630.- en 1992; CHF 414'853.- en 1993.

5. Le 14 mars 1988, Mme L. a constitué à Zoug la société F. Holding S.A. (ci-après: F. Holding ou la holding) au capital-actions de CHF 60'000.- divisé en 60 actions au porteur de CHF 1'000.- chacune.

 

Mme L. a souscrit 58 actions, son mari et un avocat une action chacun. Le 2 novembre 1988, la société a transféré son siège à Genève.

 

Le but de la société était "participations à d'autres sociétés commerciales, industrielles et financières, à l'exception de toute participation immobilière en Suisse".

 

M. L. était administrateur avec signature individuelle.

 

6. Le 31 décembre 1988, le contribuable a vendu 2'204 actions de F. (soit 38% du capital-actions) à F. Holding pour le prix de CHF 154'300.-, soit environ CHF 70.- par action.

 

Le même jour, son épouse a cédé la totalité du capital-actions de G., soit 600 actions, pour le prix de CHF 196'700.- à F. Holding, soit environ CHF 328.-par action.

7. Le 10 octobre 1989, les 60 actions au porteur de F. Holding ont été transformées en 600 actions nominatives de CHF 100.- chacune, enregistrées au nom de Mme L.. Simultanément, le capital-actions de la holding a été augmenté de CHF 40'000.- par l'émission de 400 nouvelles actions nominatives de CHF 100.- chacune souscrites par Mme L., et de CHF 100'000.- par l'émission de 100 actions au porteur de CHF 1'000.- chacune souscrites par la société E. (ci-après: la société E.).

 

Le 7 novembre 1989, le contribuable est entré au conseil d'administration de F., sans être rémunéré.

 

8. Le 14 décembre 1989, Mme L. a souscrit 152'940 actions de USD 1 chacune de la société E.. Cette société, ayant son siège à Grand Cayman, a été fondée en 1985. D'après le "Memorandum of Association", la société a un capital-actions de USD 900'000.- divisé en 900'000 actions de USD 1 chacune. Elle a pour but statutaire de mener à bien des affaires "to carry on business" dans des domaines variés.

 

Par la suite, Mme L. a vendu 15'000.- actions de cette société par l'intermédiaire d'un courtier étranger, le montant de la transaction n'étant pas connu. Elle détenait alors 137'940 actions soit environ 15% du capital-actions de la société E..

 

9. Le 14 décembre 1989 également, F. a acheté 1800 actions de la société E. pour le prix de USD 180'OOO.-, soit USD 100.- par action. Le montant de CHF 286'831,25 a été débité du compte de F. auprès de la Banque Fa à Genève à cet effet.

 

10. Il résulte du bilan de la société F. Holding arrêté au 31 décembre 1989 que la société E. lui a accordé un prêt sans intérêts.

 

11. M. et Mme L. étaient mariés sous le régime de la séparation de biens.

 

L'achat des titres susmentionnés avait été financé par leurs biens propres. Ils n'avaient eu recours à aucun emprunt.

 

12. Le 23 octobre 1993, les époux L. (ci-après: les contribuables) ont rempli leur déclaration d'impôt cantonal 1993 et d'impôt fédéral direct 1993-1994.

 

Dans l'état des titres au 1er janvier 1993, ils ont indiqué entre autres les actions suivantes:

 

- 1'000 actions nominatives de CHF 100.- de F. Holding pour une valeur imposable de CHF 100'000.-;

 

- 3'596 actions de F. pour une valeur imposable de CHF 251'750.- (ramenée à CHF 125'800.- par l'administration fiscale);

 

- 137'940 actions de la société E., sans valeur imposable car non cotées, selon les contribuables.

 

Selon cette déclaration, la valeur imposable totale de leur fortune mobilière s'élevait à CHF 1'335'800.-.

 

13. Par contrat conclu le 18 octobre 1993 au Luxembourg, les contribuables ont vendu pour le prix de CHF 4'290'000.- à la société K. SA (ci-après: la société K.), société de droit luxembourgeois, les susdites actions soit:

 

- 1'000 actions nominatives de F. Holding (100% du capital-actions);

 

- 3'596 actions de F. (62% du capital-actions);

 

- 137'940 actions de la société E. (15% selon annexe A)

 

La société K. faisait également l'acquisition des sociétés et prises de participation détenues par F. Holding soit:

 

- 100% G., C. et Fi.

 

- 38% F.

 

- 14,28% C.

 

- 5,37% R. Holding

 

- 85% la société E.

 

Cette vente constitue la cession de la totalité du groupe F. à la société K..

 

En annexe de ce contrat figurait l'organigramme du groupe F. (annexe A). Selon cet organigramme, M. et Mme L. détenaient la totalité du capital-actions de la société E. directement à raison de 15% et indirectement à raison de 85% par le biais de F..

 

L'annexe B au contrat, intitulée "répartition du prix", indiquait de quelle manière était réparti le prix de vente entre les différentes actions du groupe. Cette répartition correspondait à la réalité économique représentée par chacune des sociétés dans le groupe F.:

 

- CHF 2'269'655.- pour les 1000 actions F. Holding;

 

- CHF 1'397'017.- pour les 3596 actions de F.;

 

- CHF 623'328.- pour les 137'940 actions de la société E..

 

Toujours le 18 octobre 1993, le contribuable, en qualité de garant, et la société K., en qualité de cessionnaire, ont conclu une convention de garantie.

 

14. Le contribuable a mis un terme à son activité d'indépendant le 31 décembre 1993. A partir du 15 avril 1994, M. L. a eu une activité dépendante auprès de la société anonyme F., (ci-après: F.) dont il sera question ci-dessous, et a réalisé la première année un salaire brut de CHF 148'500.-, selon certificat de salaire du 21 mars 1995.

 

15. Faisant suite à une demande de l'administration fiscale cantonale (ci-après: l'AFC) dans le cadre de l'impôt cantonal 1994, le contribuable a répondu le 9 mars 1995 que l'augmentation de sa fortune et celle de son épouse au 1er janvier 1994 résultait de la vente des actions du groupe F. le 18 octobre 1993 pour le prix de CHF 4'290'000.-.

 

16. Le 26 septembre 1997, l'AFC a notifié aux époux L. un bordereau d'impôt fédéral direct 1995-1996.

 

Calculé sur la base d'un revenu imposable de CHF 2'218'800.-, l'impôt s'élevait à CHF 255'162.- par année.

 

Selon l'avis de taxation annexé et en se fondant sur l'aliénation d'éléments du patrimoine commercial, l'administration a procédé à une reprise de CHF 4'269'909.- sur les revenus acquis en 1993 et correspondant au prix de la vente des actions du groupe F. (CHF 4'290'000.-) moins leur estimation selon l'état des titres au 1er janvier 1993 (CHF 225'860.-).

 

17. Le 24 octobre 1997, les contribuables ont déposé réclamation à l'encontre de ce bordereau.

 

Ils ont fait valoir en substance que leur participation dans le groupe F. faisait partie de leur patrimoine privé et non de leur fortune commerciale. Cela était attesté par le fait que la vente desdites participations était une opération ponctuelle qui ne s'inscrivait pas dans une planification systématique de réalisation de profits. Les contribuables avaient simplement saisi l'occasion de réaliser une plus-value sur un élément de leur fortune privée. La vente réalisée constituait ainsi un gain en capital réalisé sur un élément de la fortune privée des contribuables et à ce titre était exonéré d'impôts.

 

Pour le surplus ils estimaient que, même si ces participations relevaient de leur fortune commerciale, le bénéfice résultant de leur vente n'était pas imposable aux termes de l'article 21 alinéa 1 lettre d de l'arrêté du Conseil fédéral sur la perception d'un impôt fédéral direct du 9 décembre 1940 (AIFD- RS 642.11), car ils n'exerçaient pas une activité astreinte à tenir des livres. L'AIFD était applicable parce que la vente était intervenue en 1993. Ils concluaient donc à ce que le bénéfice de la vente des actions du 18 octobre 1993 soit exempt d'impôt.

 

Enfin, les contribuables demandaient à être mis au bénéfice d'une taxation intermédiaire au 1er janvier 1994 en raison de la cessation de l'activité indépendante de M. L., devenu salarié dès le 1er avril 1994.

 

18. Par décision du 22 août 2000, l'AFC a admis partiellement les conclusions des époux L..

 

Elle a admis le principe d'une taxation intermédiaire pour changement de profession et a notifié un bordereau rectificatif daté du 25 août 2000, fondé sur un revenu imposable de CHF 2'139'900.-.

 

En revanche, l'AFC a confirmé l'imposition du bénéfice de CHF 4'269'909.-. A son avis, c'est la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct (ci-après: LIFD) qui était applicable. En effet, celle-ci est entrée en vigueur le 1er janvier 1995, elle était donc applicable pour la période fiscale du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1996. Bien que le calcul du revenu imposable soit basé sur les revenus acquis pendant les années 1993 et 1994, il a été déterminé selon les règles établies par la LIFD. A ce titre, l'AFC estimait que la vente d'actions intervenue en 1993 devait être considérée comme un revenu d'une "autre activité lucrative indépendante", imposable selon les dispositions de l'article 18 alinéa 1 LIFD. Elle tenait compte pour cela de la profession exercée par l'intimé, de ses connaissances spécialisées dans le domaine, du nombre d'acquisitions, de créations et de ventes de titres effectués de 1987 à 1993 et du bénéfice réalisé lors de la vente des actions en 1993.

 

19. Le 21 septembre 2000, les contribuables ont interjeté recours contre cette décision.

 

Ils ont repris leur argumentation pour contester l'imposition du bénéfice résultant de la vente des titres le 18 octobre 1993. Ils ont maintenu que le bénéfice réalisé à cette occasion constituait un gain en capital non imposable au vu des critères définis par le Tribunal fédéral et la doctrine afin de délimiter la gestion d'un patrimoine privé et d'un patrimoine commercial.

 

Ils ont également mis l'accent sur le temps qui s'était écoulé entre la date d'acquisition des participations et leur vente à un tiers, ce qui démontrait leur intention d'effectuer un placement à long terme et non de réaliser un profit immédiat.

 

Ils concluent à ce que le bénéfice réalisé sur la vente du 18 octobre 1993 soit exclu de l'assiette imposable de l'impôt fédéral direct 1995-1996.

 

20. Invitée à se déterminer, l'administration fédérale des contributions (ci-après: l'administration fédérale), a écrit à la commission le 28 mars 2001.

 

Estimant ne pas être en mesure de se prononcer en l'état, l'administration fédérale sollicitait la comparution personnelle de M. L. ainsi que la production des bilans et comptes de pertes et profits de la société E. pour les années 1991 et 1992.

 

21. Par pli du 2 avril 2001, la commission a indiqué qu'elle ferait connaître sa décision quant à la nécessité de procéder à l'audition de M. L. après avoir reçu son dossier fiscal et les observations du fisc genevois.

 

22. Dans sa réponse du 28 mai 2001, l'AFC a invoqué l'application de la loi fédérale sur l'impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD - RS 642.11) et a estimé que le bénéfice réalisé lors de la vente du 18 octobre 1993 était imposable à la fois comme vente professionnelle de titres (article 18 alinéa 1 LIFD) et comme aliénation de la fortune commerciale (article 18 alinéa 2 LIFD). En conséquence, elle concluait principalement au rejet du recours, et subsidiairement à ce que toutes les démarches nécessaires soient entreprises afin de compléter les faits.

 

23. Par courrier du 6 novembre 2001 et rappel du 18 janvier 2002, la commission a invité les contribuables à fournir les pièces suivantes:

 

- le contrat de vente des 15'000 actions de la société E. par Mme L.;

 

- les contrats d'acquisition et annexes des actions de la société E. par F.;

 

- les bilans et comptes de profits et pertes de la société E. pour les années 1988 à 1992;

 

- les bilans et comptes de profits et pertes des sociétés Cc., Fi., S. et R.Holding pour les années 1988 à 1992;

 

- le contrat de travail de M. L. auprès de F..

 

24. En réponse, les contribuables ont produit le 18 février 2002 les états financiers de Cc., Fi. et R. Holding pour les années 1990 à 1992 ainsi que de S. pour les années 1989 à 1992. Ils ont indiqué que les pièces manquantes seraient produites ultérieurement.

 

25. Sur la base des tableaux récapitulatifs de l'AFC, les sociétés précitées ont réalisé les bénéfices ou les pertes suivants:

 

F. Holding:

 

- Avant la vente des actions:

 

En 1989, une perte de CHF 8'669.-; en 1990, un bénéfice de CHF 23'200.-; en 1991, un bénéfice de CHF 7'734.-; en 1992, un bénéfice de CHF 5'200.-; en 1993, un bénéfice de CHF 10'040.-;

 

- Après la vente des actions:

 

En 1994, une perte de CHF 14'588.-; en 1995, une perte de CHF 1'405.-; en 1996, un bénéfice de CHF 34'276.-; en 1997, une perte de CHF 3'642.-;

 

Les dettes de F. Holding ascendaient à CHF 889'931.- en 1989 pour un total de bilan de CHF 1'079'107.-. Les créanciers de la société se décomposaient comme suit: P. à raison de CHF 150'000.-; la société E. à raison de CHF 446'831; F. à raison de CHF 38'000.- et G. à raison de CHF 255'000.-. Pour les années 1989 à 1993, on pouvait constater des chiffres similaires.

 

G. S.A.

 

- Avant la vente des actions :

 

En 1989, un bénéfice de CHF 29'505.-; en 1990, un bénéfice de CHF 36'599.-; en 1991, un bénéfice de CHF 42'666.-; en 1992, un bénéfice de CHF 21'958.-; en 1993, un bénéfice de CHF 24'270.-;

 

- Après la vente des actions :

 

En 1994, un bénéfice de CHF 25'539.-; en 1995, un bénéfice de CHF 29'340.-; en 1996, un bénéfice de CHF 918'463.-; en 1997, un bénéfice de CHF 80'077.-. Le bénéfice exceptionnel de 1996 était dû, selon la comptabilité de la société, à des honoraires plus élevés que les autres années;

 

F.

 

- Avant la vente des actions :

 

En 1989, un bénéfice de CHF 3'640.-; en 1990, un bénéfice de CHF 2'139.-; en 1991, une perte de CHF 34'049.-; en 1992, un bénéfice de CHF 1'967.-; en 1993, une perte de CHF 22'555.-;

 

- Après la vente des actions :

 

En 1994, un bénéfice de CHF 17'877.-; en 1995, un bénéfice de CHF 23'194.-; en 1996, un bénéfice de CHF 27'972.-, en 1997, un bénéfice de CHF 23'177.-

 

26. Contrairement à leurs assertions, les contribuables n'ont fourni aucun autre document. Par courrier du 15 janvier 2003, la commission a informé les parties que la cause était gardée à juger.

 

27. Dans sa décision du 5 mars 2003, la commission a considéré que l'AIFD était applicable. Elle a estimé que dans l'ensemble, les contribuables n'avaient pas dépassé la gestion de leur patrimoine. En conséquence, le bénéfice en capital n'était pas imposable. Le recours était donc admis et il appartenait à l'AFC de notifier un nouveau bordereau de taxation.

 

28. L'AFC a interjeté un recours à l'encontre de cette décision par acte du 17 avril 2003. Elle a repris en substance les arguments qu'elle avait développés devant la commission et a conclu à l'annulation de la décision entreprise.

 

Dans ses observations, l'administration fédérale des contributions s'est ralliée au recours de l'AFC.

 

M. L. a maintenu sa position dans sa réponse, en concluant au rejet du recours et à la confirmation de la décision entreprise. Mme L., divorcée depuis le 22 février 2001, ne s'est pas prononcée sur le recours interjeté.

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 53 alinéa 1 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 LPFisc - D 3 17; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

 

2. Le présent litige concerne l'impôt fédéral direct 1995-1996. Pour le calcul des éléments imposables, il faut donc se référer à la période 1993-1994. La question litigieuse est de savoir si le produit de la vente d'actions réalisé par les époux L. le 18 octobre 1993 doit être pris en compte pour le calcul de l'impôt 1995-1996.

 

3. Le 1er janvier 1995 est entrée en vigueur la LIFD qui a abrogé l'AIFD. Il convient dès lors de déterminer quel est le droit applicable à la prise en compte du produit de la vente d'actions précitée.

a. En prévision de l'entrée en vigueur de la LIFD, l'administration fédérale des contributions a adressé aux administrations fiscales cantonales une circulaire n°2 du 12 novembre 1992 relative à la période fiscale 1995-1996 dans laquelle elle leur a demandé d'appliquer les directives contenues dans sa notice du 12 novembre 1992 intitulée "Revenu provenant de l'activité lucrative indépendante selon l'article 18 LIFD". Selon cette notice, l'administration fédérale recommandait au point 1 in fine ce qui suit: "Pour le calcul ordinaire du revenu provenant de l'activité lucrative indépendante, établi pour la première fois selon les dispositions de la LIFD, le revenu moyen des exercices clos en 1993 et 1994 est déterminant. Les bénéfices en capital sur la fortune commerciale réalisés durant ces années-là sont donc imposables. En revanche, lorsque, durant la période fiscale 1993/94, l'assujettissement à l'impôt cesse ou qu'il est procédé à une taxation intermédiaire conformément à l'article 96 AIFD, on appliquera encore les dispositions de l'AIFD (art. 43, 1er al., en relation avec l'art.21, 1er al.,let. d et f, AIFD)".

 

L'AFC ayant procédé à une taxation intermédiaire pour changement de profession du contribuable dans le courant de l'année 1994, la commission a fait application de l'AIFD en se référant à la directive précitée. La recourante a objecté que si l'AIFD était bien applicable à la détermination du revenu du contribuable, c'est la LIFD qui devait régir le traitement du produit de la vente des actions réalisée le 18 octobre 1993 puisque ce dernier élément n'était pas visé par la taxation intermédiaire.

 

b. Selon le principe de la non-rétroactivité des lois, le nouveau droit ne s'applique pas aux faits antérieurs à sa mise en vigueur (ATA V. du 25 juin 2002; ATA H. du 23 avril 2002; B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4ème édition, Bâle, 1991, p. 116).

 

Le calcul des éléments imposables doit ainsi être effectué conformément au droit en vigueur au moment où les faits générateurs de l'impôt se sont produits (ATF n.p. du 31 janvier 2000, 2P/411/1998 et 2A/568/1998, consid. 10a).

 

c. En règle générale, les instructions, les circulaires et les directives administratives - ou, en d'autres termes, les ordonnances administratives - n'ont, selon la jurisprudence et la doctrine, pas force de loi et ne constituent pas du droit fédéral au sens de l'article 49 let. a de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (PA-RS 172.021) (ATF 121 II 478 consid. 2b, ATA B. du 3 décembre 2002 consid. 5 et les références citées)

 

Si les directives, circulaires ou instructions émises par l'administration ne peuvent contenir de règles de droit, elles peuvent cependant apporter des précisions quant à certaines notions contenues dans la loi ou quant à la mise en pratique de celle-ci. Sans être lié par elles, le juge peut néanmoins les prendre en considération en vue d'assurer une application uniforme de la loi envers chaque administré. Il ne doit cependant en tenir compte que si elles respectent le sens et le but de la norme applicable (ATF 121 II 478 consid. 2b).

d. En l'occurrence, la directive précitée a été critiquée par la doctrine qui estimait qu'en dehors du cas spécifique de la taxation intermédiaire, elle conférait à la loi un effet rétroactif inadmissible, contraire à la constitution (Walter Ryser, Bernard Rolli, Précis de droit fiscal suisse, 3e édition, Berne 1994, p.173).

 

Il résulte des principes rappelés ci-dessus que la règle, en l'absence de dispositions transitoires ad hoc, est le principe de non-rétroactivité de la loi.

Au vu de ces considérations, il convient de ne pas donner à la directive précitée une interprétation extensive allant à l'encontre du principe de non-rétroactivité de la loi. En conséquence, l'AIFD est applicable pour déterminer si le produit de la vente d'actions du 18 octobre 1993 est imposable.

 

4. Aux termes de l'article 21 AIFD, l'impôt se calcule, sous réserve des articles 18bis, 19, 20, 21bis, 22, 22bis et 25, sur le revenu total du contribuable provenant d'une activité à but lucratif, du rendement de la fortune ou d'autres sources de recettes, en particulier:

 

let a) Sur tout revenu provenant d'une activité (p. ex. commerce, artisanat, industrie, agriculture ou sylviculture, profession libérale, fonction, emploi ou engagement, exécution d'un service obligatoire), y compris les revenus accessoires [...] et les revenus acquis en compensation [...];

 

let d) Sur les bénéfices en capital obtenus, dans l'exploitation d'une entreprise astreinte à tenir des livres, par l'aliénation ou la réalisation de biens, tels que les bénéfices sur immeubles, la plus-value provenant de l'aliénation de titres, les bénéfices de liquidation en cas de remise ou d'aliénation d'une entreprise, etc.;

 

En l'espèce, le recourant travaillait comme indépendant, il n'était pas inscrit au registre du commerce et n'était pas astreint à tenir des livres. Ces éléments n'ayant fait l'objet d'aucune contestation en cours de procédure, le produit de la vente d'actions du 18 octobre 1993 ne peut être imposé aux termes de l'article 21 alinéa 1er lettre d AIFD. Seule peut donc être envisagée l'imposition sous l'angle de l'article 21 alinéa 1er lettre a AIFD.

 

5. D'après l'article 21 alinéa 1er lit. a AIFD, est soumis à l'impôt fédéral direct tout revenu provenant d'une activité à but lucratif. Les gains en capital, c'est-à-dire le gain résultant de l'aliénation ou de la réalisation d'un élément de patrimoine (comme les bénéfices sur immeubles, les plus-values provenant de l'aliénation de titres, les bénéfices de liquidation en cas de remise ou d'aliénation d'une entreprise) ne sont imposables selon l'article 21 alinéa 1er lit. d AIFD que s'ils sont obtenus dans l'exploitation d'une entreprise astreinte à tenir des livres. Les gains en capital privés - c'est-à-dire les gains provenant de la réalisation d'un élément de patrimoine obtenus dans le cadre de l'administration privée de la fortune propre ou en profitant d'une occasion s'offrant par hasard - sont francs d'impôt. Si le gain provient au contraire d'une activité qui est entièrement consacrée à l'obtention d'un gain (revenu), il doit être imposé en vertu de l'article 21 al. 1er lit. a AIFD en tant que revenu provenant d'une activité lucrative. Le revenu provenant d'une activité à but lucratif est soumis à l'impôt sur le revenu en vertu de l'article 21 alinéa 1er lit. a AIFD sans égard à ce que cette activité soit exercée à titre principal ou accessoire, régulièrement, de manière sporadique ou isolée (RDAF 1997 II 383, 385).

 

En d'autres termes, les gains provenant de transactions sur papiers-valeurs, or et devises, ne sont pas uniquement soumis à l'impôt sur le revenu, lorsqu'ils sont obtenus dans l'exercice d'une activité professionnelle principale ou accessoire ou par un contribuable astreint à tenir des livres; de tels gains peuvent même être déjà frappés par l'impôt, lorsqu'ils proviennent d'une activité du contribuable qu'il y a lieu, dans son ensemble, de considérer comme axée sur l'obtention d'un gain. Seuls sont exceptés de l'imposition, selon l'article 21 1er alinéa lettre a AIFD, les bénéfices acquis dans le cadre de l'administration de la fortune privée ou obtenus lors d'une occasion fortuite saisie par le contribuable. L'exonération fiscale de tels gains est ainsi limitée à la stricte administration de la fortune privée. Tout ce qui excède cette gestion fonde l'assujettissement à l'impôt (RDAF 1993 1, 4).

 

6. Selon la jurisprudence, il y a lieu d'examiner dans chaque cas selon l'ensemble des circonstances si les gains réalisés sont le résultat de la simple administration du patrimoine ou s'il s'agit d'une activité poursuivant un but lucratif. A cette fin, un certain nombre d'indices ont été dégagés permettant de qualifier de professionnelle l'activité exercée par un contribuable. Selon la jurisprudence la plus récente (RDAF 2001 II 233), il s'agit des indices suivants:

 

- le caractère systématique ou planifié des activités;

 

- la fréquence des opérations et la courte durée de possession;

 

- le lien entre l'activité professionnelle du contribuable, l'utilisation de connaissances spéciales, l'activité dans le cadre de sociétés de personnes;

 

- l'utilisation de fonds étrangers;

 

- l'utilisation des recettes, respectivement le réinvestissement.

 

Ces indices ne sont pas cumulatifs. Suivant son importance dans un cas concret, la présence d'un seul indice (notamment le recours à des fonds étrangers) peut emporter qualification d'activité professionnelle (Xavier OBERSON, Droit fiscal suisse, 2e édition, p. 91, n°48 et les références citées).

 

7. Dans le cas d'espèce, il n'est pas contesté que la constitution du groupe F. a été financée par les époux L. sans qu'ils aient eu recours à des fonds étrangers.

 

La chronologie des activités des époux L. dans la gestion du groupe F. peut se décomposer en trois phases:

 

- D'août 1987 à mars 1988: création du groupe F. (août 1987 constitution de G. S.A.; septembre 1987 achat du capital-actions de F.; mars 1988 constitution de F. Holding).

 

- De décembre 1988 à décembre 1989: réorganisation du groupe F. (décembre 1988 vente d'actions de F. à F. Holding; octobre 1989 transformation du capital-actions de F. Holding et entrée dans le groupe de la société E. par la souscription d'une partie de ces actions; décembre 1989 souscription de 152'940 actions de la société E. par Mme L. et achat de 1'800 actions de la société E. par F.).

 

- 18 octobre 1993 : cession du groupe F. à la société K..

 

L'absence de fonds étrangers ainsi que la fréquence des transactions effectuées sur une période de six ans paraît militer plutôt en faveur de la simple gestion de patrimoine privé.

En revanche la chronologie reportée ci-dessus atteste du caractère planifié des activités des époux L.: chacune des phases décrites ci-dessus s'est déroulée dans un laps de temps bien déterminé.

 

De même, la constitution et la vente du groupe F. coïncident exactement avec la période pendant laquelle M. L. a travaillé comme indépendant. Ainsi, la constitution du groupe F. a été orchestrée juste avant que le recourant ne quitte la Banque Fa, tandis que quelques mois après la cession du groupe F. à la société K., le recourant a mis un terme à son activité d'indépendant. Dans ce contexte, le lien entre l'activité professionnelle du contribuable et la création, puis la vente du groupe F., prend toute son importance. D'après ses dires, il était conseiller indépendant en ingénierie financière, conseils en fusion et acquisition notamment. Or, dans la constitution, la gestion et la vente du groupe F., il a précisément mis en oeuvre son expérience en matière de montages de sociétés et a utilisé les connaissances particulières dont il disposait à cet égard. La chronologie des opérations accomplies par les époux L. démontre que le recourant a cessé de travailler comme employé en partie en tout cas pour se consacrer à la création et à la vente du groupe F..

 

Enfin, les époux L. étaient mariés sous le régime de la séparation de biens, ce qui implique qu'en se mariant ils ont maintenu leurs patrimoines respectifs séparés. Dans ce contexte, la participation importante de Mme L. au capital-actions des sociétés qui faisaient partie du groupe F. dénote plus qu'une simple administration du patrimoine conjugal, mais bien la volonté de créer une société simple entre les époux en vue de l'obtention d'un revenu.

 

La planification du groupe F., le lien entre l'activité professionnelle du contribuable et l'utilisation de connaissances spéciales ainsi que la participation financière de l'épouse du recourant démontrent que la vente du 18 octobre 1993 relève d'une activité commerciale et doit donc être imposée à ce titre conformément à l'article 21 alinéa 1er lettre a AIFD.

 

8. Le recours sera donc admis. La décision de la commission est annulée. Un émolument de CHF 4'000.- sera mis à la charge de M. et Mme L.. Aucune indemnité ne sera allouée.

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 24 avril 2003 par l'administration fiscale cantonale contre la décision du 5 mars 2003 de la Commission cantonale de recours de l'impôt fédéral direct et Monsieur C. L.;

 

au fond :

 

l'admet;

 

annule la décision de la commission cantonale de recours de l'impôt fédéral direct du 5 mars 2003;

 

confirme la décision de l'administration fiscale cantonale du 22 août 2000;

 

met à la charge de Monsieur C. L. et Madame C. F. L., pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 4'000.-;

 

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité;

 

dit que conformément aux articles 97 et suivants de la loi fédérale d'organisation judiciaire, le présent arrêt peut être porté, par voie de recours de droit administratif, dans les trente jours dès sa notification, par devant le Tribunal fédéral; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il est adressé en trois exemplaires au moins au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyen de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

communique le présent arrêt à l'administration fiscale cantonale ainsi qu'à la commission cantonale de recours de l'impôt fédéral direct, à l'administration fédérale des contributions, à Madame C. F. L. et à Me Antoine Berthoud, mandataire de Monsieur C. L..

 


Siégeants : M. Thélin, président, MM. Paychère, Schucani, Mmes Bonnefemme-Hurni, Bovy, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le président :

 

C. Del Gaudio-Siegrist Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme N. Mega