Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3059/2006

ATA/52/2007 du 06.02.2007 ( DCTI ) , ADMIS

Parties : HENAINE Joseph et Valérie, HENAINE Valérie / COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE DE CONSTRUCTIONS, DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION, FOLLONIER Jacques et Josefa, FOLLONIER Josefa
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3059/2006-DCTI ATA/52/2007

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 6 février 2007

dans la cause

 

Madame Valérie et Monsieur Joseph HENAINE
représentés par Me François Bellanger, avocat

contre

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIèRE DE CONSTRUCTIONS

et

DéPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION

et

Madame Josefa et Monsieur Jacques FOLLONIER
représentés par Me Christian Luscher, avocat


 


1. Madame Josefa et Monsieur Jacques Follonier (ci-après : les intimés ou les époux Follonier) sont copropriétaires depuis le 17 décembre 2004 de la parcelle n° 7266, feuille 25 de la commune de Bernex, à l’adresse 316-318, rue de Bernex dans le village éponyme.

Cette parcelle est située en zone 4B protégée au sens de l’article 19 alinéa 2 lettre b de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30).

2. Madame Valérie et Monsieur Joseph Henaine (ci-après : les recourants ou les époux Henaine) sont copropriétaires depuis le mois d’avril 2000 des parcelles nos 2467 et 7230 feuille 25 de la commune de Bernex, à l’adresse 320, rue de Bernex. La parcelle n° 2467 abrite un bâtiment du XVIIème siècle inscrit à l’inventaire et la parcelle n° 7230 des places de stationnement.

La parcelle n° 2467 est enclavée dans quatre parcelles, soit au sud-est la parcelle n° 7266 susmentionnée, au sud par la parcelle n° 7074, ancien cimetière de Bernex actuellement parc public propriété de la commune, au sud-ouest par la parcelle n° 2468 propriété privée et au nord par la parcelle n° 4463, propriété privée. Cette dernière est grevée d’une servitude de passage pour piétons en faveur de la parcelle n° 2467.

Les époux Henaine accèdent à leur propriété par un chemin privé, goudronné, longeant l’ancien cimetière, pour partie sur la parcelle n° 2468 et pour partie sur la parcelle n° 7266.

3. Par demande datée du 31 janvier 2005, les époux Follonier ont déposé en mains du département de l’aménagement, de l’équipement et du logement, devenu depuis lors le département des constructions et des technologies de l’information (ci-après : le département) une demande d’autorisation de construire un garage. Sur le plan initial, cette construction avait une hauteur de 3,75 mètres, une largeur de 6 mètres et une longueur de 8,27 mètres. Elle comportait un toit à un pan incliné. Le garage était accolé à la maison d’habitation. Ce premier projet a été modifié le 16 mars 2005, le gabarit et l’implantation du garage restant le même mais la toiture ayant deux pans.

4. Dans le cadre de l’instruction de cette demande enregistrée par le département sous APA 24386, la commune de Bernex (ci-après : la commune), a rendu un préavis favorable le 9 mars 2005, tout en rendant attentif le département au gabarit en limite d’un chemin privé.

Le 29 mars 2005, la commission des monuments de la nature et des sites (ci-après : CMNS), sous-commission architecture (ci-après : SCA) a rendu un préavis défavorable et demandé un projet modifié. Elle s’opposait à toute dérogation à l’article 106 de la loi sur les constructions et installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 1), vu les qualités patrimoniales du site concerné. Le requérant était prié de revoir tant la taille et l’architecture du garage proposé que son accrochage sur la ferme existante.

5. Le 14 juin 2005, la SCA a rendu un nouveau préavis défavorable sur le projet transmis au département le 31 mai 2005. Les dimensions étaient trop importantes (tant en plan, qu’en coupe). La SCA préconisait un projet plus modeste, avec une toiture plate ou à faible pente. Elle proposait que le couvert soit clairement dissocié du bâtiment et pour le surplus, formulait des réserves eu égard à la mise en œuvre de matériaux traditionnels à utiliser en zone 4B protégée.

6. Le 3 octobre 2005, les époux Follonier ont soumis un nouveau projet au département. Le volume du garage était réduit, soit une hauteur de 2,60 mètres, une largeur de 6 mètres et une longueur de 6,50 mètres. Le toit à un pan avait une faible pente (1 %).

La SCA a émis un nouveau préavis défavorable, le 1er novembre 2005. La faisabilité du projet était soumise à une dérogation de l’article 106 LCI. Or, la SCA estimait que le recours à cette dérogation n’était pas indispensable à une bonne intégration dans le site et de ce fait, elle se déclarait défavorable au garage proposé. Par souci d’égalité de traitement et pour éviter tout précédent, elle demandait que le projet soit mis en conformité avec les lois et règlements. Pour le surplus, elle rappelait son souhait de mise en œuvre de matériaux traditionnels.

7. Le 15 novembre 2005, les époux Follonier ont soumis un cinquième projet au département. Par rapport au projet précédent, la hauteur était diminuée à 2,5 mètres. Les autres paramètres étaient identiques.

8. Le 6 décembre 2005, la SCA a émis un préavis favorable en relevant que le projet répondait aux termes de son dernier préavis. Elle a néanmoins persisté dans ses réserves portant sur le choix des matériaux.

9. Le 5 janvier 2006, le département a délivré l’autorisation sollicitée (APA 24386-4).

10. Les époux Henaine ont saisi la commission de recours en matière de constructions (ci-après : la commission) d’un recours contre l’autorisation précitée par acte du 9 février 2006. Ils concluent à l’annulation de l’autorisation pour des motifs relevant de l’esthétique de la construction ainsi qu’à l’existence de servitudes et de droits de passage nécessaires à l’accès de leur parcelle.

11. La commission a convoqué en audience de comparution personnelle les parties ainsi qu’un représentant de la commune. Celui-ci a précisé que la commune avait été consultée dans le cadre de la procédure sur le premier projet présenté (toit à deux pans, proche du bâtiment existant). Sur la deuxième variante, la commune n’avait pas été appelée à donner son avis ; elle n’avait pris connaissance du projet autorisé qu’au moment de l’autorisation. Le garage était accolé au mur qui jouxtait la parcelle dont elle était propriétaire. Elle n’avait pas fait opposition à cette autorisation.

Les recourants ont sollicité la tenue d’un transport sur place.

12. Par décision du 28 juin 2006, la commission a rejeté le recours.

Le projet avait été modifié pour tenir compte des remarques de la CMNS pour aboutir à remplir pleinement les vœux de celle-ci dont les préavis en zone protégée avait un poids certain. Dès lors, le département n’avait pas violé la loi en suivant ce préavis. Quant aux griefs relevant du droit privé, elle n’était pas compétente pour en connaître.

13. Les époux Henaine ont saisi le Tribunal administratif d’un recours contre la décision précitée par acte du 26 août 2006.

La procédure d’APA n’était pas admissible, l’objet initial de la demande étant un garage d’une superficie de 48,37 m2. Comme tel, il ne pouvait pas être assimilé à une construction de peu d’importance. Le fait que le garage finalement autorisé après cinq variantes était d’une surface de 39 m2 ne réparait pas ce vice initial.

Selon l’article 5 alinéa 1 du règlement de construction du village de Bernex (ci-après : le règlement), les toitures devaient être à deux pans dans tous les secteurs, sauf le secteur 7 destiné à l’artisanat. Une dérogation n’était possible qu’aux conditions restrictives de l’article 10 du règlement. La construction projetée était un cube à toit plat alors que toutes les toitures alentours étaient à deux pans. Cette toiture plate n’avait pas fait l’objet d’une dérogation au sens de l’article 10 du règlement. La commune n’avait pas été consultée sur cette question et les conditions d’une telle dérogation n’étaient pas réalisées. Aucun intérêt général ne pouvait la justifier et l’implantation à cet endroit d’une telle construction à toit plat dénaturerait complètement l’environnement bâti adjacent.

L’autorisation violait l’article 106 LCI, dans la mesure où la commune n’avait été consultée que sur le premier projet. Cette lacune était grave, si tant est que le dernier projet, soit un cube à toit plat, n’avait strictement rien à voir avec celui soumis à la commune.

La CMNS n’avait étudié le projet que sous la problématique de la dérogation à l’article 106 LCI, sans se prononcer sur les problèmes posés par la construction projetée, à savoir qu’elle était érigée en limite du mur du jardin public plusieurs fois centenaire, cassant ainsi son aspect arrondi et qu’elle cachait la façade principale du bâtiment protégé des recourants. Le garage serait érigé sur l’assiette d’un chemin historique, enregistré comme faisant partie de la route de Bernex, et empêcherait les promeneurs d’accéder au site et de contempler son mas digne d’intérêt. Le garage avait une surface au sol imposante, sans rapport avec le bâtiment principal. Détaché de celui-ci, il était conçu comme une énorme verrue au milieu du chemin historique. Enfin, il avait un toit plat, atypique pour le site et contraire au règlement. Or, ces défauts majeurs n’avaient pas été pris en compte ni par la CMNS, ni par le département.

L’autorisation violait également l’article 30 LCI, aux termes duquel les constructions étaient en règle générale édifiées en ordre contigu. La dérogation de l’article 106 LCI n’était pas pertinente dès lors qu’elle avait été clairement refusée par la CMNS.

L’autorisation violait la loi sur les routes du 28 avril 1967 (LRoutes - L 1 10). Le chemin passant sur la parcelle des époux Follonier était enregistré comme une voie ouverte au public même s’il avait son assise sur des parcelles privées. Si la construction était réalisée, le chemin serait définitivement fermé au public. Il s’agirait d’une modification définitive d’une voie de circulation qui aurait dû faire l’objet d’une autorisation au sens de l’article 7 LRoutes. La construction projetée violait également l’article 14 LCI, en ce sens qu’elle créait deux dangers importants, soit un obstacle physique sur le chemin qui empêcherait l’accès des véhicules de secours d’une part, et en créant un angle mort, soit un danger pour la circulation d’autre part.

Enfin, les plans visés ne varietur par le département avalisaient l’existence de deux constructions non encore réalisées par les époux Follonier : un muret de séparation entre leur parcelle et celle des recourants ainsi qu’un dallage complet du sol devant leur maison. Les époux Follonier pourraient donc faire construire ces installations auxquelles le département ne pourrait pas s’opposer, dès lors qu’il avait reconnu leur existence en approuvant les plans.

Ils concluent à ce qu’un transport sur place soit ordonné, à l’audition d’un représentant de la CMNS et sur le fond à l’annulation de la décision de la commission et à celle de l’APA 24386-4, avec suite de frais et dépens.

14. Le 30 septembre 2006, le département a présenté ses observations.

C’était à juste titre qu’il avait traité le dossier sous la forme d’une APA, le garage litigieux consistant, comme les recourants le reconnaissaient, en une construction de peu d’importance.

Le premier projet prévoyait un garage en ordre contigu avec le bâtiment principal et couvert d’une toiture à deux pans. La commune avait préavisé favorablement ce projet auquel la CMNS, autorité spécialisée pour les constructions en zone protégée, s’était opposée. L’ouvrage finalement autorisé faisait suite aux remarques formulées par la CMNS. Le département n’avait pas estimé nécessaire de soumettre le projet modifié à l’examen de la commune, partant du principe que celui qui était finalement autorisé s’intégrait mieux dans le site et recevrait a fortiori l’approbation de celle-ci. En tout état, il n’était pas lié par les préavis des différentes instances.

C’était à tort que les recourants soutenaient que la construction litigieuse aurait dû faire l’objet d’une enquête publique en application de l’article 7 alinéa 6 LRoutes. Le chemin longeant l’extérieur du mur du cimetière possédait toute son emprise sur des parcelles privées, notamment celle des époux Follonier et Henaine. Il devait être considéré comme une voie privée de sorte que les époux Follonier pouvaient y édifier une construction.

Aucun inconvénient pouvant objectivement être qualifié de grave ne serait provoqué par l’édification du garage de sorte que les griefs relatifs à l’article 14 LCI étaient infondés.

Enfin, l’APA querellée ne portait que sur l’édification du garage et en aucune manière n’autorisait un quelconque muret ou dallage éventuel de sorte que ce grief était également mal fondé.

Il conclut au rejet du recours et à la confirmation de sa propre décision.

15. Les époux Follonier se sont déterminés le 30 octobre 2006.

Le garage projeté était une construction de peu d’importance de sorte que c’était à juste titre que le département avait traité le dossier sous forme de procédure accélérée.

La CMNS avait été particulièrement attentive à tous les aspects du projet et leur avait demandé d’en corriger les défauts, avant de rendre un préavis favorable.

La commune s’était déclarée en faveur du projet initial dont le gabarit était nettement plus imposant que le projet retenu. Lors de l’audience du 18 mai 2006 par-devant la commission, le représentant de la commune n’avait émis aucune réserve et rappelé que celle-ci n’avait pas fait opposition à l’autorisation de construire délivrée.

S’agissant des griefs relatifs aux articles 14 et 30 LCI et 7 LRoutes, les époux Follonier se sont ralliés aux arguments du département.

Ils concluent au rejet du recours avec suite de frais et dépens.

16. Du dossier, l’on retiendra encore un échange de correspondance entre la commune et le département.

Le 16 février 2006, la commune s’est adressée au département. En classant le dossier APA 24386-4, elle s’était rendu compte que le garage autorisé ne correspondait aucunement à la demande qui lui avait été envoyée pour préavis. Elle était surprise de ne pas avoir été consultée alors que le projet avait évolué pour un motif qu’elle ignorait. Elle attirait l’attention du département sur le fait que la nouvelle implantation du garage condamnait l’accès actuel à la parcelle n° 2647.

Le département a répondu le 7 mars 2006. Les modifications étaient intervenues à la demande de la CMNS. Le projet de départ nécessitait une dérogation selon l’article 106 LCI. Le projet modifié, puis autorisé était plus modeste, respectait les dispositions légales et n’impliquait pas de dérogation. Le département avait donc estimé qu’il n’était pas nécessaire de renvoyer le dossier à la commune pour un nouveau préavis.

Concernant la parcelle n° 2467, aucune servitude de passage n’était mentionnée à charge de la parcelle n° 7266 au profit de celle-là. Cette question relevait du droit privé.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. En matière de police des constructions, les voisins peuvent également recourir. Toutefois, seuls ceux dont les intérêts sont lésés de façon directe et spéciale ont l'intérêt particulier requis. Cette lésion directe et spéciale suppose qu'il y a une communauté de faits entre les intérêts du destinataire de la décision et ceux des tiers. Les voisins peuvent ainsi recourir contre des règles qui ne leur donnent aucun droit et qui ne sont pas directement destinées à protéger leurs intérêts (ATA 179/2004 du 2 mars 2004 et les références citées).

En l'espèce, il est établi que les recourants sont propriétaires des parcelles voisines de celle sur laquelle doit s’élever le garage litigieux.

Leur qualité pour agir est ainsi acquise.

3. Tel qu’il est garanti par l’article 29 alinéa 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre. Le droit de faire administrer des preuves n'empêche cependant pas le juge de renoncer à l'administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s'il acquiert la certitude que celles-ci ne pourraient l'amener à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (Arrêts du Tribunal fédéral 2P.200/2003 du 7 octobre 2003, consid. 3.1 ; 2P.77/2003 du 9 juillet 2003 consid. 2.1 et les arrêts cités ; ATA/172/2004 du 2 mars 2004 ; ATA/39/2004 du 13 janvier 2004 consid. 2).

En l'espèce, le tribunal de céans considère qu’il dispose d’éléments suffisants pour prendre sa décision. Il n’y a ainsi pas lieu d’ordonner des mesures d’instruction complémentaires et la conclusion des recourants tendant à un transport sur place sera rejetée.

4. Il convient en premier lieu d'examiner la question de la procédure accélérée choisie par le département pour la délivrance de l'autorisation, confirmée par la CCRMC, mais contestée par les recourants.

a. Selon l'article 3 alinéa 7 LCI, le département peut traiter par une procédure accélérée les demandes d'autorisation relatives à des travaux portant sur la modification intérieure d'un bâtiment existant ou ne modifiant pas l'aspect général de celui-ci. La procédure accélérée peut également être retenue pour des constructions nouvelles de peu d'importance ou provisoires (...). Dans ces cas, la demande n'est pas publiée dans la FAO et le département peut renoncer à solliciter le préavis communal. L'autorisation est, en revanche, publiée.

b. L’autorisation par procédure accélérée (APA) a été introduite par la modification législative du 18 décembre 1987. Jusqu’alors, toute demande d’autorisation de construire était soumise à la procédure prévue à l’article 3 LCI, procédure qui s’était révélée relativement lourde pour des travaux mineurs, tels que modification de quelques galandages à l’intérieur d’un immeuble, remplacement de la toiture d’un bâtiment, travaux de façades, constructions de peu d’importance telles que muret, portail, adjonction d’une cheminée, etc. (ATA/367/2003 du 13 mai 2003). Pour pallier cette situation insatisfaisante, une modification de procédure s’imposait, ce d’autant plus que le département désirait maintenir, pour certains travaux, une procédure facilitée et accélérée. Cette procédure devait en outre permettre de soulager la police des constructions surchargée de travail. C’est dans ce contexte qu’a été élaboré le projet de loi permettant de modifier la procédure d’autorisation par lettre pour la remplacer par une procédure accélérée (APA), applicable aux demandes d’autorisation de construire portant sur des travaux de peu d’importance ou ne modifiant pas l’aspect général d’un bâtiment existant. La notion de « travaux de peu d’importance » devait s’analyser par rapport à l’article 1 LCI auquel échappaient les travaux simples (entretien, etc.). La lecture des travaux préparatoires démontre que le législateur entendait bien limiter l’APA à des objets de peu d’importance, soit essentiellement à des projets de modification intérieure d’un bâtiment ne touchant ni les façades ou l’esthétique du bâtiment ou encore sa situation (Mémorial des séances du Grand Conseil du 10 décembre 1987, pp. 6971 ss, notamment 6972, 6979).

c. Selon la jurisprudence, un agrandissement est considéré comme de peu d’importance lorsque la destination de l’ouvrage reste inchangée et que les modifications apportées à l’aspect extérieur - taille, forme, proportions et organisation interne - s’intègrent logiquement, aux yeux d’un observateur neutre, au bâtiment dans le cadre de l’affectation de la zone. Les travaux ne doivent pas avoir pour effet de créer un ouvrage n’ayant plus aucun rapport avec l’immeuble primitif (Département fédéral de justice et police [DFJP]/Office fédéral de l’aménagement du territoire [OFAT], Etude relative à la loi fédérale sur l’aménagement du territoire Berne 1981, no 32, pp. 295, 296) ; il ne peut donc s’agir que d’agrandissements d’importance secondaire (ATF 108 Ib 361), respectant pour l’essentiel l’identité du bâtiment.

Cette condition peut être considérée comme remplie, notamment pour la construction d’un garage attenant à une maison d’habitation ou pour une légère augmentation de la surface utilisable d’un bâtiment, telle que l’adjonction d’une petite annexe. En revanche, elle ne l’est pas, lorsque l’extension d’une surface utilisable a pour effet de modifier sensiblement la dimension ou l’aspect extérieur du bâtiment, comme c’est le cas pour l’agrandissement d’une exploitation sans rapport avec la taille du bâtiment existant ou la construction d’un étage supplémentaire. Ainsi, le Tribunal fédéral a jugé que l’agrandissement d’un tiers environ d’un restaurant n’était pas de moindre importance (ATF 107 Ib 242 consid. 2b). Dans un autre arrêt, il a considéré que l’agrandissement d’environ 150 m3 (73 m2) d’un bâtiment de 910 m3 sur une surface existante de 200 m2, n’était pas non plus de peu d’importance (ZBl. 1984 pp. 78 ss). Enfin, il a jugé que la création d’une pièce de 17 m2, flanquée d’une terrasse sur excavation dans une résidence secondaire d’une surface de 69 m2 au sol, représentait bel et bien une construction nouvelle et non une transformation partielle. Le Tribunal fédéral a non seulement pris en compte l’agrandissement projeté - ici le rapport était de 24,6% - mais aussi de la terrasse et de la surface disponible sous la terrasse (ATF 112 Ib 94).

Il résulte de ce qui précède que l’appréciation faite par le département de soumettre, à la procédure accélérée, l’autorisation ayant pour objet un garage de dimension modeste n’est pas arbitraire. Les droits des tiers ont été sauvegardés par la publication de l’autorisation dans la Feuille d’avis officielle du 11 janvier 2006.

5. a. A teneur de l'article 19 alinéa 2 lettre b LaLAT, la 4ème zone B, dans laquelle s'inscrit le projet litigieux, est destinée principalement aux maisons d'habitations comportant en principe plusieurs logements. Suivant l'article 12 alinéa 5 LaLAT, lorsque la zone est en outre protégée, l'aménagement et le caractère architectural des quartiers et localités considérés peuvent être préservés. L'article 106 alinéa 1 LCI prévoit que dans les villages protégés, le département, sur préavis de la commune et de la CMNS, fixe dans chaque cas particulier l'implantation, le gabarit, le volume et le style des constructions à édifier, de manière à sauvegarder le caractère architectural et l'échelle de ces agglomérations ainsi que le site environnant. Le département peut en conséquence, à titre exceptionnel, déroger aux dispositions régissant les distances entre bâtiments, les distances aux limites de propriétés et les vues droites. L'article 107 LCI précise que dans la mesure où il n'y est pas dérogé par l'article précédent, les dispositions applicables à la 4ème zone rurale sont applicables aux constructions édifiées dans la zone des villages protégés.

b. L'article 30 alinéa 1 LCI, qui règle l'ordre des constructions en 4ème zone, prévoit que les constructions sont, en règle générale, édifiées en ordre contigu.

S'agissant des gabarits et hauteur de constructions dans la 4ème zone, l'article 32 alinéa 3 LCI prévoit que la hauteur de la ligne verticale du gabarit ne peut dépasser nulle part 15 mètres en zone urbaine et 10 mètres en zone rurale ; restent toutefois réservées les dispositions des articles 10 et 11 LCI et celles des plans localisés de quartiers au sens de la loi sur l'extension des voies de communication et l'aménagement des quartiers ou localités du 9 mars 1929 (LEXT - L 1 40) et de la loi générale sur les zones de développement du 29 juin 1957 (LGZD - L 1 35).

c. Selon l'article 10 alinéa 2 LCI, les règlements spéciaux peuvent prescrire des hauteurs inférieures ou supérieures à celles qui sont prévues par la LCI. L'article 11 LCI permet au département, sur préavis de la commission d'architecture, de s'écarter des hauteurs et du gabarit prévus par la LCI afin d'harmoniser une nouvelle construction avec celles qui lui sont immédiatement contiguës, lorsque celles-ci ont été autorisées avant le 1er mai 1940 ou lorsque le caractère des constructions et du quartier intéressé justifie la hauteur prescrite (al. 1). Le département peut aussi autoriser une hauteur supérieure dans d'autres circonstances mais il faut, au nombre des conditions à respecter, que la construction se justifie par son aspect esthétique et sa destination et qu'elle soit compatible avec le caractère, l'harmonie et l'aménagement du quartier (al. 4).

En vertu des articles 34 alinéas 1 et 2 LCI, lorsque la construction n'est pas édifiée à la limite de propriétés privées, une distance égale à la hauteur du gabarit, mais de six mètres au minimum, doit être respectée. L'article 45 LCI, applicable aux quatre premières zones, dispose que les distances entre deux constructions ne peuvent être inférieures à la somme des distances qui seraient exigibles entre chacune de ces constructions et une limite de propriété passant par elle (al. 1). Toutefois, cette disposition n'est pas applicable lorsqu'il existe, sur la propriété voisine, une construction autorisée avant le 1er mai 1940 et qui ne bénéficie pas d'une servitude sur le fonds où s'élève la nouvelle construction (al. 2). Les dispositions des articles 33 et 43 sont réservées (al 3).

6. Le Tribunal administratif a déjà jugé que le règlement de construction du village de Bernex est un plan d’affectation au sens de l’article 13 LaLAT (ATA 457/2000 du 9 août 2000).

L’article 5 du règlement a pour objet le caractère architectural et l’alinéa 2 de cette disposition précise qu’à l’exception du secteur artisanal, les toitures doivent être à deux pans.

Selon l’article 10 du règlement, si les circonstances le justifient et que cette mesure ne porte pas atteinte au but général visé, le département, après consultation de la commune et de la commission compétente, peut déroger aux dispositions du présent règlement.

7. Les recourants se plaignent d'une double violation du règlement de construction du village de Bernex et du plan qui y est annexé : l'indice d'utilisation du sol serait dépassé, et les règles concernant les distances aux limites de propriété violées.

a. La doctrine et la jurisprudence ont toujours reconnu un certain pouvoir d'appréciation à l'administration dans l'octroi de dérogations (RDAF 1976 p. 124 ; P. MOOR, Droit administratif, vol. I, Berne, 2ème éd., 1994, ch. 4.1.3.3 ; A. MACHERET, La dérogation en droit public : règle ou exception in Mélanges A. GRISEL, Neuchâtel, 1983, pp. 557-566 ; sur la notion de pouvoir d'examen : cf. ATF 119 Ib 401, consid. 5b in fine ; ATA W. du 15 octobre 1996). Lorsque la loi autorise l'autorité administrative à déroger à l'une de ses dispositions, notamment en ce qui concerne les constructions admises dans une zone, elle confère à cette autorité un certain pouvoir d'appréciation qui lui permet en principe de statuer librement. L'autorité est néanmoins tenue d'accorder la dérogation dans un cas où le texte légal l'y oblige expressément ou implicitement, ou encore lorsque la dérogation se justifie par des circonstances particulières, que notamment elle répond aux buts généraux poursuivis par la loi, qu'elle est commandée par l'intérêt public ou par un intérêt privé auquel ne s'opposent pas un intérêt public ou d'autres intérêts privés prépondérants, ou encore lorsqu'elle est exigée par le principe de l'égalité de traitement, sans être contraire à un intérêt public (ATF 117 Ia 146-147, consid. 4).

En tout état de cause, une dérogation ne peut être accordée ou refusée de manière arbitraire (SJ 1987 397-398 ; ATA H. du 11 mars 1987 ; B. du 7 décembre 1993).

b. L'interprétation des dispositions exceptionnelles ne doit pas être résolue dans l'abstrait, une fois pour toutes, mais de cas en cas, à l'aide des méthodes d'interprétation proprement dites, qui valent pour des dispositions exceptionnelles comme pour les autres règles (A. GRISEL, Traité de droit administratif, 1984, p. 139 ; ATA H. du 11 mars 1987 ; DTP c/ M. du 28 septembre 1988 ; N. du 18 octobre 1989).

Même expressément habilitée à le faire, l'autorité n'est pas tenue d'accorder une dérogation (ATF 99 Ia 471 consid. 3a) et peut interpréter restrictivement une norme dérogatoire (RDAF 1981 p.424). Ce principe n'a toutefois pas une portée absolue dans la mesure où les normes dérogatoires s'interprètent soit restrictivement, soit selon le sens et le but de la disposition dérogatoire elle-même (R. RHINOW/B. KRÄHENMANN, Schweizerische Verwaltungsrechtsprechung, Ergänzungband, 1990, no 37 B II). Plus récemment, la jurisprudence a encore précisé que la dérogation servait fondamentalement à éviter des hypothèses difficiles dans des cas limites, en permettant de prendre en considération des situations exceptionnelles à propos d'un cas d'espèce. La plupart du temps, toutefois, des considérations d'ordre économique ne permettent pas de justifier une dérogation qui ne peut en tout cas pas être accordée pour fournir « une solution idéale » au maître de l'ouvrage (ATF 107 Ia 216, ainsi que la doctrine et la jurisprudence citées ; ATA C. du 21 mai 1986 ; H. du 19 août 1988 ; B. du 7 décembre 1993).

c. A l'intérieur de la zone à bâtir, les dérogations ne peuvent être accordées que si quatre conditions cumulatives sont remplies :

a) le cas justifiant une exception doit être véritablement particulier ;

b) la voie de l'exception ne doit pas conduire à une large inapplication de la loi ;

c) elle ne doit pas aller à l'encontre de celle-ci ;

d) elle ne doit pas permettre d'assujettir l'ayant-droit à des charges nouvelles.

(cf. Etudes relatives à la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, OFAT 1981, p. 277 ad art. 23).

d. Enfin, la juridiction de céans est liée par l'article 61 alinéa 2 LPA qui proscrit le contrôle de l'opportunité des décisions entreprises, sauf exception prévue par la loi.

8. En l’espèce, le département a accordé l’autorisation par voie dérogatoire, sans préciser s’il a fait usage de l’article 106 LCI ou de l’article 10 du règlement. La CMNS-SCA s’est d’emblée opposée à l’octroi d’une dérogation à l’article 106 LCI, au vu des qualités patrimoniales de l’environnement (préavis du 29 mars 2005), puis en relevant qu’une telle dérogation n’était pas indispensable à une bonne intégration dans le site. Elle demandait que le projet soit mis en conformité avec les lois et règlements (préavis du 1er novembre 2005).

Dans son préavis définitif du 6 décembre 2005, la CMNS-SCA n’a fait aucune référence à une quelconque dérogation, se limitant à relever que le nouveau dossier correspondait aux termes de son dernier préavis.

L’autorisation du 5 janvier 2006 ne vise aucune disposition dérogatoire, qu’elle soit légale ou réglementaire. En revanche, le préavis du 6 décembre 2005 précité en fait partie intégrante (condition 4).

Dès lors, on s’étonne de lire sous la plume du département dans sa réponse du 30 septembre 2006 que l’article 106 LCI trouve son application en l’espèce alors que précisément la CMNS-SCA en a exclu l’application.

Ne peut donc entrer en considération que l’article 10 du règlement. Or, force est de constater que ni la CMNS ni la commune n’ont été consultées pour examiner le projet à l’aune de cette disposition réglementaire. Le département ne pouvait donc pas user de son pouvoir d’appréciation dérogatoire, sauf à vider le règlement de son sens.

Il est établi par pièces que la commune n’a pas été consultée sur le projet finalement retenu qui diffère fondamentalement de celui sur lequel elle s’était prononcée le 29 mars 2005. Les explications données à ce sujet par le département ne sont pas convaincantes. La question souffre de rester ouverte concernant la pratique du département dans le cadre de l’application de l’article 15 alinéa 2 LCI. En revanche, s’agissant de l’octroi d’une dérogation, le département ne pouvait pas sans autres, au mépris d’un règlement existant, décider que la seule consultation de la CMNS dès lors qu’elle est imposée par la loi était suffisante. Le Tribunal administratif relève par ailleurs que la CMNS-SCA a requis un projet conforme « aux lois et règlements » mais qu’à la lecture de ses observations, rien ne laisse à penser qu’elle aurait examiné la compatibilité du dernier projet avec le règlement.

A cela s’ajoute qu’aucun élément du dossier ne permet de comprendre la justification de la dérogation accordée : le département n’a développé aucun argument propre au projet qui serait de nature à démontrer que la toiture plate ne porte pas atteinte au but d’intérêt général visé par le règlement d’une part, et que les circonstances justifient qu’en cet endroit du village de Bernex, il soit dérogé au règlement d’autre part. Le Tribunal administratif a déjà eu l’occasion de juger qu’il résultait de la force obligatoire de l’article 9 du règlement que le département ne pouvait octroyer une dérogation sans requérir les préavis de la commune et de la CMNS (ATA/523/2000 du 29 août 2000).

Au vu de ce qui précède, l’autorisation de construire attaquée ne pouvait pas être délivrée. Le recours sera admis pour ce motif et il est dès lors superflu d’examiner les autres griefs soulevés par les recourants.

Le dossier sera renvoyé au département pour complément d’instruction.

9. Un émolument de CHF 1’500.- sera mis à la charge conjointe et solidaire des époux Follonier d’une part et du département d’autre part. Une indemnité de procédure de CHF 2'000.- sera allouée aux époux Henaine à charge conjointe et solidaire des époux Follonier d’une part et de l’Etat de Genève d’autre part (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 août 2006 par Madame Valérie et Monsieur Joseph Henaine contre la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 28 juin 2006 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision du 28 juin 2006 de la commission cantonale de recours en matière de constructions et l’autorisation de construire APA 24386-4 du 5 janvier 2006 ;

renvoie le dossier au département dans le sens des considérants ;

met à la charge conjointe et solidaire des époux Follonier d’une part et du département des constructions et des technologies de l’information d’autre part un émolument de CHF 1'500.- ;

alloue aux recourants une indemnité de CHF 2'000.- à charge conjointe et solidaire des époux Follonier d’une part et de l’Etat de Genève d’autre part ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me François Bellanger, avocat des recourants, à la commission cantonale de recours en matière de constructions, au département des constructions et des technologies de l’information ainsi qu’à Me Christian Luscher avocat de Madame Josefa et Monsieur Jacques Follonier.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Paychère, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

 

la vice-présidente :

 

 

L. Bovy

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :