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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/283/2000

ATA/523/2000 du 29.08.2000 ( TPE ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : CONSTRUCTION ET INSTALLATION; VILLA; SURFACE; PLAN DIRECTEUR; TPE
Normes : LALAT.13; LCI.59 al.4 litt.b; LALAT.14
Résumé : Le règlement de construction du village de Lully doit être considéré comme un plan d'utilisation du sol et il a valeur de plan d'affectation. Une dérogation au rapport de surface nécessite les préavis de la commune et de la CMNS.

 

 

 

 

 

 

 

 

du 29 août 2000

 

 

dans la cause

 

Madame F. B.

 

Madame Ch. W. et Monsieur W. W.

 

Monsieur S. H.

 

Monsieur J. M.

représentés par Me Bernard Cron, avocat

 

 

contre

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE DE CONSTRUCTIONS,

 

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DE L'ÉQUIPEMENT ET DU LOGEMENT

 

Monsieur J.-D. V.

représenté par Me Christian Buonomo, avocat



EN FAIT

 

1. Messieurs J.-D. et Pascal V. sont copropriétaires de la parcelle 2767, feuille 15, de la commune de Bernex, aux adresses 36 à 36C, 38 à 38C, 40 et 40A du chemin de la Lécherette. Le terrain est situé en 5ème zone de construction (zone villas) au sens de l'article 19 alinéa 3 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, du 4 juin 1987 (LALAT - L 1 30) et en limite de zone agricole (à l'est).

 

2. Par requête datée du 22 décembre 1998, MM. V. ont demandé l'autorisation de construire sur la parcelle précitée cinq maisons en ordre contigu, comportant chacune deux logements individuels (séparés par un mur mitoyen) et reliés par des couverts à voitures pour un maximum de 20 véhicules (ci-après : le projet).

3. a. Le 27 janvier 1999, la commune de Bernex a émis un préavis favorable au projet et a octroyé une dérogation à l'indice d'utilisation du sol, autorisant une surface construite occupant 29 % de la parcelle, comme l'y autorise l'article 59 alinéa 4 lettre b de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), alors qu'en principe l'indice régissant cette zone est de 20 %.

 

b. Le 26 janvier 1999, la commission d'architecture a émis un préavis favorable au projet et à l'octroi de la dérogation.

 

c. A la même date, l'office des transports et de la circulation a aussi préavisé favorablement le projet, sous réserve d'un élargissement des accès prévus au chemin de la Lécherette en vue de garantir une visibilité raisonnable aux débouchés; modification conforme a été réalisée le 21 avril 1999.

 

4. Le département de l'aménagement, de l'équipement et du logement (ci-après : le département) a délivré l'autorisation de construire définitive DD 95'876 à MM. V. le 16 juin 1999 et l'a publiée dans la Feuille d'avis officielle (F.A.O.) du 21 juin 1999.

 

5. Par acte expédié le 20 juillet 1999, Madame F. B. et Monsieur et Madame W. W., propriétaires respectivement des parcelles n° 3172 et 2761 à 2766 B, ont recouru contre la décision d'autorisation de construire précitée auprès de la commission de recours en matière de constructions (ci-après : la commission).

 

6. La commission a effectué un transport sur place le 3 décembre 1999 et a constaté que la parcelle en cause était bordée de villas à l'est et à l'ouest. Au nord se trouve un vignoble et au sud de grands arbres bordent l'Aire.

7. Par décision du 28 janvier 2000, la commission a rejeté le recours précité et confirmé la décision du département du 16 juin 1999.

 

Les villas projetées étaient de petite taille (un niveau sur rez) et leur orientation était telle qu'elles présenteraient leurs côtés les plus étroits aux recourants. En outre, les façades projetées mesuraient 18 m. de longueur et celle de M. et Mme W. était d'au moins 12 m. Enfin, le trafic engendré par ces dix nouvelles villas ne pouvait être considéré comme une gêne durable. La dérogation respectait donc l'article 59 LCI et correspondait à la politique genevoise en matière d'aménagement du territoire qui privilégiait une meilleure utilisation et une densification du sol en zone villas.

 

8. Par acte expédié le 9 mars 2000, Madame B., Monsieur et Madame W. W., Monsieur S. H. (propriétaire de la parcelle n° 6003) et Monsieur J. M. (propriétaire des parcelles n° 6001 et 6002) ont recouru auprès du tribunal de céans contre la décision de la commission de recours du 28 janvier 2000, reçue le 8 février 2000.

 

Les abords de la promenade de l'Aire étant peu construits, le site serait dénaturé en cas de réalisation du projet autorisé par le département et la commission. Il s'agissait d'un site de récréation et de faune à protéger.

Selon le plan directeur, partie intégrante du règlement de construction de la commune de Bernex, accepté par le conseil municipal le 30 mars 1982 et approuvé par arrêté du Conseil d'Etat du 26 janvier 1983 (ci-après : le règlement), la parcelle n° 2767, feuille 15 de la commune de Bernex était située dans le secteur C destiné à l'habitation individuelle (et non dans le secteur B destiné à l'habitation individuelle en ordre contigu). Aucune construction de type villa jumelle n'avait été autorisée dans ce quartier auparavant. Une dérogation à ce régime n'était possible que si les circonstances le justifiaient et si aucune atteinte au but général visé par le règlement n'en découlait; ces conditions n'étaient pas respectées en l'espèce, vu que le projet impliquait une défiguration du site et une intensification du trafic, en violation de l'article 14 LCI. La commission avait donc interprété le règlement de façon arbitraire.

 

En outre, le principe d'égalité avait été violé car lorsque M. P., propriétaire de la parcelle adjacente à l'ouest, avait voulu vendre une partie de celle-ci, le département l'avait contraint à la partager de manière à garantir au futur acquéreur la possibilité de construire une villa individuelle conformément au règlement de construction en vigueur. L'autorisation définitive de construire DD 95'876 devait donc être annulée.

 

9. Le 23 mars 2000, la commission a persisté dans les termes de sa décision.

 

10. M. J.-D. V. a conclu au rejet du recours, à la confirmation de la décision attaquée et à la condamnation des recourants au paiement des frais et d'une indemnité de procédure. Le recours de MM. S. H. et J. M. était irrecevable. Ils n'avaient pas la qualité pour recourir car ils n'avaient pas participé à la procédure ayant abouti à la décision attaquée.

 

11. Le département a également nié la qualité pour recourir de MM. H. et M.. De toute façon, le recours devait être rejeté : la nature juridique du règlement de construction de Lully pouvait rester indécise puisque la possibilité d'y déroger était prévue en son article 9; le principe de la construction de villas jumelles n'était ainsi pas absolument exclu dans ce secteur. L'article 59 alinéa 4 LCI prévoyait des dérogations quant à l'indice d'utilisation du sol, sous réserve de conditions qui avaient été respectées en l'espèce. Le département jouissait d'une certaine latitude de jugement. Tous les préavis requis étaient favorables. L'augmentation du trafic routier due à la construction était mineure et ne saurait créer une gêne durable. Enfin, les griefs d'inégalité de traitement et d'arbitraire étaient également infondés.

 

12. a. Lors du transport sur place du 8 juin 2000, le juge délégué a constaté que la parcelle n° 2767 jouxtait au sud la promenade boisée de l'Aire; le projet, concentré sur le haut de la parcelle, respectait la limite de 30 m. prescrite par la loi cantonale sur les forêts publiques et privées (art. 11 LFo - M 5 10; art. 17 al. 2 LFo féd. - RS 921.0).

 

La parcelle était bordée à l'est par un terrain initialement en zone agricole, puis déclassé en zone 5 suite à un échange de parcelles, où étaient sises les deux villas des familles T. et M., non recourantes.

Une zone viticole se trouvait au nord de la parcelle en cause. A l'ouest était érigée la villa individuelle de M. P., non recourant.

b. Selon Mme W., une renaturation de l'Aire était en cours et l'accès au chemin de la Lécherette par le bord de l'Aire, actuellement réservé aux riverains, allait être entièrement interdit à la circulation. Les habitants actuels et futurs du chemin de la Lécherette seraient donc obligés d'emprunter le chemin de la Parouse et la partie nord du chemin de la Lécherette pour accéder à leur demeure; une augmentation du trafic telle que celle projetée (20 voitures) ne tenait pas compte de l'exiguïté desdits chemins.

 

c. La représentante du département a signalé que la parcelle n° 2767 se trouvait en zone constructible, que les chemins concernés étaient communaux et que l'OTC avait préavisé favorablement le projet après que les accès aient été améliorés, comme cet office l'avait demandé.

 

 

EN DROIT

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10) le recours est recevable de ce point de vue.

 

2. La question de la qualité pour recourir de MM. H. et M. (qui n'ont pas participé à la procédure de première instance) peut rester ouverte puisque la qualité des autres recourants doit être admise. En effet, Mme B. ainsi que M. et Mme W. ont été parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée (art. 60 lit. a LPA) et ont un intérêt personnel et actuel digne de protection (art. 60 lit. b LPA; ATA P. du 11 mai 1999 et la jurisprudence citée). Le recours de ces derniers est donc recevable.

 

3. Le présent litige porte sur le bien-fondé de l'autorisation de construire délivrée pour le projet susdécrit sur une parcelle située en 5ème zone de construction (zone villas) au sens de l'article 19 alinéa 3 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire, du 4 juin 1987 (LALAT - L 1 30) et en limite de zone agricole.

 

Deux dérogations ont été accordées dans le cadre de l'autorisation de construire précitée : l'une au taux d'utilisation du sol, telle que prévue à l'article 59 alinéa 4 lettre b LCI pour les constructions en ordre contigu ou sous forme d'habitat groupé, et l'autre au principe de non-contiguïté des habitations dans ce secteur, tel que prévu à l'article 9 du règlement de construction de la commune de Bernex pour l'aménagement de Lully et son plan directeur, accepté par le conseil municipal le 30 mars 1982 et approuvé par arrêté du Conseil d'Etat du 26 janvier 1983 (ci-après : le règlement et le plan directeur).

 

4. Il convient préalablement de déterminer la nature juridique du règlement de construction du village de Lully et du plan y annexé, aux fins de savoir s'il s'agit d'un plan d'affectation - obligeant les particuliers - ou d'un plan directeur communal, document de travail sans portée juridique (T. TANQUEREL, La participation de la population à l'aménagement du territoire, Lausanne, 1988, p. 233). Le Tribunal administratif a déjà admis la valeur de plan d'affectation au sens des articles 14 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin l979 (LAT - RS 700) et 13 LALAT du règlement de construction du village de Bernex et du plan qui y est annexé (ATA Groupement des Habitants de Saint-Mathieu du 18 février 1997, ATA G. du 9 août 2000).

 

Il ressort du projet de plan directeur et règlement de Bernex concernant tout l'aménagement de Lully, établi en mars 1982 par J.-P. et A. O., architectes SIA, que ceux-ci ont été adoptés par le Conseil municipal de Bernex le 30 mars 1982 et approuvés par arrêté du Conseil d'Etat du 26 janvier 1983, au terme d'une procédure au cours de laquelle tant la commission communale "études et grands travaux", le département des travaux publics d'alors, la commission consultative cantonale d'urbanisme, la CMNS, que la population et les propriétaires ont été informés et consultés. Aussi, bien qu'antérieurs à l'introduction des dispositions concernant les plans d'utilisation du sol dans la loi sur l'extension des voies de communication et l'aménagement des quartiers ou localités, du 9 mars 1929, entrée en vigueur le 1er mars 1929 (LExt - L 1 40), leur procédure d'adoption et leur contenu correspondent, sur le principe, aux exigence des articles 15A et suivants LExt. Par son adoption par le Conseil d'Etat et comme c'était le cas dans les ATA précités, ce règlement doit donc être considéré comme un plan d'utilisation du sol, et il a valeur de plan d'affectation, au sens des articles 14 LAT et 13 LALAT (T. TANQUEREL, op. cit., p. 258; ATA G. M. T. du 28 mars 1990, G. des H. de St-Mathieu du 18 février 1997, G. du 9 août 2000).

 

L'éventuel défaut de publication dudit règlement dans la F.A.O. ne porte pas préjudice à sa validité, puisqu'avant 1987, les règlements spéciaux n'étaient pas systématiquement publiés (T. TANQUEREL, op. cit. p. 256 et note n° 217; ATA G. des H. de St-Mathieu du 18 février 1997).

 

5. Selon le plan directeur, la parcelle n° 2767, feuille 15 de la commune de Bernex est située dans le secteur C destiné à l'habitation individuelle (art. 15 du règlement).

Le règlement prévoit également un secteur B destiné à l'habitation individuelle en ordre contigu (art. 13 du règlement), un secteur A destiné à l'habitation, au commerce et aux bâtiments agricoles construits en principe en ordre contigu (art. 10 et 11 al. 3 du règlement) et un secteur D pour l'activité agricole. En tout état de cause, le département peut déroger aux dispositions du règlement, après consultation de la commune et de la commission des monuments, de la nature et des sites (ci-après : la CMNS), si les circonstances le justifient et que cette mesure ne porte pas atteinte au but général visé (art. 9 du règlement).

 

6. Les recourants soutiennent que la construction de villas contiguës ne saurait être autorisée dans le secteur C puisque le législateur a délibérément créé deux secteurs distincts (les secteurs B et C) destinés à l'habitation individuelle, en ne les différenciant que par l'ordre autorisé des constructions. De plus, une dérogation au sens de l'article 9 du règlement ne saurait être accordée, car il n'existerait pas de circonstances justificatives et ladite dérogation entraînerait une atteinte au but général visé.

 

7. En vertu de l'article 9 du règlement, dont la force obligatoire est admise ci-dessus, le département ne peut octroyer une dérogation sans requérir les préavis de la commune et de la CMNS.

 

En l'espèce, seuls les préavis de la commune et de la commission d'architecture ont été requis. Au vu de l'absence de préavis de la CMNS, l'autorisation de construire attaquée ne pouvait être délivrée.

 

8. Le recours sera donc partiellement admis et la cause renvoyée au département pour nouvelle décision, après que le préavis de la CMNS aura été recueilli.

 

9. Un émolument de CHF 600.- sera mis à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, qui comprendra les frais de transport sur place à hauteur de CHF 60.-.

 

Une indemnité de CHF 1'000.- leur sera allouée, conjointement et solidairement, à la charge de l'Etat de Genève.

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 9 mars 2000 par Madame F. B., Monsieur W. et Madame Ch. W. contre la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 28 janvier 2000;

au fond :

 

admet partiellement le recours de Mme F. B., M. W. et Mme Ch. W.;

 

admet partiellement, dans la mesure où il est recevable, le recours de MM. S. H. et J. M.;

 

annule la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 28 janvier 2000;

renvoie la cause au département pour nouvelle décision au sens des considérants;

 

met un émolument de CHF 600.- à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, y compris les frais de transport sur place, à hauteur de CHF 60.-;

 

alloue aux recourants, pris conjointement et solidairement, une indemnité de CHF 1'000.-, à charge de l'Etat de Genève;

communique le présent arrêt à Me Bernard Cron, avocat des recourants, à Me Christian Buonomo, avocat de M. V., ainsi qu'à la commission cantonale de recours en matière de constructions et au département de l'aménagement, de l'équipement et du logement.

 


Siégeants : M. Schucani, président, M. Thélin, Mmes Bonnefemme-Hurni et Bovy, M. Paychère, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la secrétaire-juriste : le président :

 

E. Boillat D. Schucani

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme J. Stefanini