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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2419/2015

ATA/516/2016 du 14.06.2016 ( EXPLOI ) , REJETE

Descripteurs : VIOLATION DE L'OBLIGATION D'ANNONCER; RESSORTISSANT ÉTRANGER; CONTRÔLE DE L'EMPLOYEUR; SANCTION ADMINISTRATIVE
Normes : LDét.7.al2 ; LDét.9.al2.letb ; LDét.12.al1 ; LIRT.35.al1
Résumé : Confirmation d'une interdiction d'offrir ses services en Suisse pour une période de deux ans prononcée par l'OCIRT à l'encontre d'une entreprise n'ayant pas annoncé des travailleurs et ayant violé son obligation de renseigner.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2419/2015-EXPLOI ATA/516/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 juin 2016

2ème section

 

dans la cause

 

A______

contre

OFFICE CANTONAL DE L'INSPECTION ET DES RELATIONS DU TRAVAIL

 



EN FAIT

1) A______ est une société par actions simplifiée de droit français ayant son siège à B______ (France), immatriculée au registre du commerce et des sociétés depuis le 20 avril 1972. La société dont Monsieur C______ est président a pour activité principale le commerce et les travaux de revêtements de sols.

2) Le 21 novembre 2013, lors d’un contrôle sur le chantier D______, la commission paritaire des métiers du bâtiment du second œuvre de Genève (ci-après : la commission paritaire) a constaté un défaut d’annonce pour cinq travailleurs détachés par A______ : Messieurs E______, F______, G______, H______ et Madame I______.

La commission paritaire a requis le même jour de la direction de A______, l’envoi, pour le 17 décembre 2013, de la liste de rémunération du personnel, d’un extrait du registre du commerce (ci-après : RC), de l’organigramme de l’entreprise, des attestations de salaire du mois de novembre 2013 des travailleurs détachés complétées et signées ainsi que des bulletins de paie contresignés par les travailleurs. Elle exposait en outre en détail le fonctionnement et les exigences légales concernant le détachement de travailleurs en Suisse.

3) Le 6 janvier 2014, n’ayant pas reçu de réponse à son courrier du 21 novembre 2013, la commission paritaire a fixé un second délai au 24 janvier 2014 à A______. Sans réception des documents dans le délai, une amende serait prononcée conformément à la convention collective de travail du second œuvre (ci-après : CCT SOR). Les peines prévues par la loi fédérale sur les mesures d'accompagnement applicables aux travailleurs détachés et aux contrôles des salaires minimaux prévus par les contrats-types de travail du 8 octobre 1999 (LDét - RS 823.20) demeuraient réservées.

4) Lors d’un autre contrôle effectué sur le chantier le 21 janvier 2014, il a été constaté la présence de deux autres travailleurs détachés non annoncés par A______ : MM. J______ et K______.

5) Le 3 février 2014, A______ a fait parvenir un extrait du RC et des sociétés concernant l’entreprise, son organigramme ainsi que des bulletins de paie, attestations de salaire et de présence du mois de novembre 2013 pour Messieurs L______, J______, H______, G______ et Mme  I______.

6) Le 6 mai 2014, la commission paritaire, faisant suite au contrôle effectué en janvier 2014, a demandé des pièces à A______.

7) Le 6 août 2014, sans réponse de la part de A______, la commission paritaire a fixé un nouveau délai au 3 septembre 2014 pour l’envoi des documents.

8) Le 6 août 2014 également, la commission paritaire a indiqué à A______ que les conditions minimales de travail et salaire telles que prévues par la CCT SOR n’avaient pas été respectées pour les travailleurs détachés. Des documents concernant MM. E______ et F______ ainsi que la preuve du réajustement de salaire de M. ______ contresignés devaient être transmis avant le 3 septembre 2014.

9) Le 7 octobre 2014, sans réponse de la part de A______, la commission paritaire a notifié deux avis comminatoires séparés fixant un délai au 27 octobre 2014 pour l’envoi des pièces manquantes concernant les mois de novembre 2013 et janvier 2014. En cas d'absence de réception dans le délai imparti une amende serait prononcée, les peines légales étant réservées.

10) Le 27 janvier 2015, l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) a informé A______ que la commission paritaire avait transmis son dossier, dont il ressortait qu’une infraction à l’obligation de renseigner avait été commise. Un délai de quinze jours était fixé pour fournir les documents manquants et pour déposer des observations.

11) Le 22 juin 2015, alors que les documents n’avaient pas été remis par A______, l’OCIRT a prononcé à son encontre une décision d’interdiction d’offrir ses services en Suisse pour une durée de deux ans. L’interdiction prenait effet dès l’entrée en force de la décision.

12) Par envoi du 8 juillet 2015, reçu par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) le 13 juillet 2015, A______ a contesté la décision de l’OCIRT contre laquelle elle entendait interjeter appel. À cet effet, le directeur, M. C______, joignait les fiches de paies du mois de décembre 2013 et 2014 récapitulatives ainsi que les bordereaux de congés payés. Les éléments manquants concernaient les salariés sortis et une demande avait été faite pour obtenir les documents auprès de la caisse indépendante et corporative en charge de la gestion des congés payés. Les taux horaires annuels étaient égaux voir supérieurs aux taux horaires suisses. L’administration du canton de Vaud avait accepté le fait que la rémunération annuelle permettait de voir que la rémunération minimale était au moins atteinte.

13) Le 25 août 2015, l’OCIRT a déposé ses observations concluant au rejet du recours.

En l’espace de deux ans, A______ n’avait répondu que très partiellement aux nombreuses demandes de la commission paritaire et n’avait pas donné suite à la possibilité de combler cette lacune après réception du courrier du 27 janvier 2015. Ce n’est qu’après la réception de la décision que l’entreprise avait fait parvenir des documents. La sanction devait avoir un effet dissuasif et en l’absence de pièces, le contrôle du respect de la législation suisse en matière de travailleurs détachés n’avait pas pu être fait. Il fallait éviter que les mesures d’accompagnement à la libre circulation des personnes ne soient vidées de leur substance.

14) La cause a été gardée à juger après qu’un délai a été fixé aux parties pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, ce dont elles se sont abstenues.

EN DROIT

1) a. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable de ce point de vue (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

b. Selon l’art. 65 LPA, l’acte de recours contient, sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (al. 1). Il contient également l’exposé des motifs ainsi que l’indication des moyens de preuve (al. 2). Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, la jurisprudence fait preuve d’une certaine souplesse s’agissant de la manière par laquelle sont formulées les conclusions du recourant. Le fait qu’elles ne ressortent pas expressément de l’acte de recours n’est, en soi, pas un motif d’irrecevabilité, pour autant que l’autorité judiciaire et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant (ATA/770/2015 du 28 juillet 2015 ; ATA/958/2014 du 2 décembre 2014 ; ATA/754/2014 du 23 septembre 2014 ; ATA/427/2014 du 12 juin 2014).

En l’espèce, la recourante n’a pas pris de conclusions formelles en annulation de la décision de l’autorité intimée. L’on comprend toutefois de son acte de recours qu’elle demande matériellement l’annulation de la décision. Il en résulte que le recours est recevable sous cet angle également.

2) En l’espèce, l’OCIRT reproche à la recourante une violation de son obligation de renseigner.

3) a. Les conditions minimales de travail et de salaire applicables aux travailleurs détachés pendant une période limitée en Suisse par un employeur ayant son domicile ou son siège à l’étranger sont réglées par la LDét (art. 1 al. 1 LDét).

b. L’employeur est tenu de remettre aux organes compétents qui les demandent tous les documents attestant du respect des conditions de travail et de salaire des travailleurs détachés (art. 7 al. 2 LDét).

c. L’OCIRT est l’autorité cantonale compétente au sens de la LDét (art. 35 de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 12 mars 2004 - LIRT - J 1 05). La commission paritaire étant chargée du contrôle des dispositions prévues par la CCT (art. 7 al. 1 let. a LDét).

4) En l’espèce, il ne fait aucun doute que la recourante n’a pas fourni à la commission paritaire puis à l’OCIRT après la transmission du dossier, les renseignements permettant à ces autorités de vérifier le respect des conditions de travail et de salaire des travailleurs détachés.

Ce n’est qu’après un deuxième constat d’infraction que l’entreprise a fourni une partie des documents demandés par la commission paritaire et après la notification de la décision litigieuse une autre partie de ceux-ci.

De fait, la recourante a empêché les autorités chargées de l’application de la LDét d’effectuer leur contrôle, violant clairement l’art. 7 al. 2 LDét. À cet égard, la remise tardive de documents n’est pas susceptible de modifier cette conclusion, la violation de l’obligation de renseigner ayant déjà été commise et la question de savoir si l’employeur a également violé les conditions de travail et de salaire des travailleurs détachés ou non est exorbitante au litige.

L’entreprise ayant violé l’obligation qui lui incombait, la sanction est justifiée dans son principe.

5) a. Sera puni d’une amende de CHF 40'000.- au plus, à moins qu’il ne s’agisse d’un délit pour lequel le code pénal prévoit une peine plus lourde, quiconque en violation de l’obligation de renseigner, aura donné sciemment des renseignements inexacts ou aura refusé de donner des renseignements (art. 12 al. 1 let. a LDét).

b. L’OCIRT peut interdire à l’entreprise concernée d’offrir ses services en Suisse pour une période d’un à cinq ans lorsqu’elle commet une infraction visée à l’art 12 al. 1 LDét (art. 9 al. 2 let. b LDét ; art. 35 al. 1 LIRT).

6) Les amendes administratives prévues par les législations cantonales sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des contraventions pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut au demeurant aussi exister. C’est dire que la quotité de la sanction administrative doit être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/74/2013 du 6 février 2013 et les arrêts cités).

Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d’une simple négligence (Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/ Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 2006, p. 252 n. 1179). Selon la jurisprudence constante, l’administration doit faire preuve de sévérité afin d’assurer le respect de la loi et jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour infliger une amende (ATA/74/2013 précité et les arrêts cités). La chambre de céans ne la censure qu’en cas d’excès ou d’abus (ATA/160/2009 du 31 mars 2009). Enfin, l’amende doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 ; ATA/61/2014 du 4 février 2014 ; ATA/74/2013 précité et les arrêts cités).

L’autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d’une sanction doit également faire application des règles contenues aux art. 47 ss du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0 ; principes applicables à la fixation de la peine), soit tenir compte de la culpabilité de l’auteur et prendre en considération, notamment, les antécédents et la situation personnelle de ce dernier (art. 47 al. 1 CP). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur, et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP ; ATA/74/2013 précité).

En l’espèce, l’infraction commise par la recourante est d’une certaine gravité, elle concerne au moins sept travailleurs sur une durée de un à trois mois dont les conditions de travail n’ont pas pu être contrôlées et dont le détachement n’a pas été annoncé. Les demandes de renseignements ont été faites à six reprises et deux avis comminatoires ont été notifiés à la recourante qui n’y a répondu que de façon très lacunaire et tardive. L’entreprise n’a pas non plus profité de l’ultime occasion laissée par l’OCIRT de transmettre des documents.

Il découle de ce qui précède qu’en prononçant une interdiction correspondant à moins de la moitié du maximum prévu par la loi, l’autorité n’a pas abusé de son pouvoir d’appréciation, et la sanction n’apparaît pas disproportionnée.

En conséquence, la décision ne peut être que confirmée et le recours rejeté. Vu l’issue du litige un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et il ne sera alloué aucune indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

 

 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 juillet 2015 par A______ contre la décision de l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail du 22 juin 2015 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 500.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______, à l’office cantonal de l’inspection et des relations du travail, ainsi qu’au secrétariat d’État à l’économie.

Siégeants : M. Verniory, président, MM. Thélin et Dumartheray, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :