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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/858/2007

ATA/417/2007 du 28.08.2007 ( CM ) , REJETE

Parties : JETTESET BAR SARL / VILLE DE CAROUGE
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/858/2007-CM ATA/417/2007

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 28 août 2007

dans la cause

 

JETTESET BAR SÀRL

contre

VILLE DE CAROUGE
représentée par Me Jean-Pierre Carera, avocat


 


1. La société à responsabilité limitée Jetteset Bar Sàrl, sise rue Vautier 14 à Carouge, a pour but l’exploitation d’un bar, le « Jet Set », à la même adresse. Monsieur Roberto Tiraboschi, associé gérant avec signature individuelle, est également l’exploitant de cet établissement public, depuis le mois d’avril 2006.

2. Le 8 novembre 2006, M. Tiraboschi a adressé à la Ville de Carouge une demande d’installation d’une terrasse devant son établissement, projet dont il souhaitait discuter. Il précisait que l’entrée du bar était en retrait par rapport à la rue et sans vitrine.

3. Par courrier du 22 novembre 2006, la Ville de Carouge a informé M. Tiraboschi qu’elle ne pouvait donner une suite favorable à sa demande. L’établissement public en cause n’avait pas d’accès direct sur le domaine public communal et le règlement communal n’autorisait de ce fait pas l’installation d’une terrasse sur la voie publique. Aucune voie de recours ni délai n’étaient mentionnés.

4. Le 19 décembre 2006, M. Tiraboschi a recouru contre cette décision auprès de la Ville de Carouge, contestant qu’il n’y ait pas d’accès direct de son établissement au domaine public : il existait sous forme de couloir droit indépendant. Sans terrasse durant l’été, il était dans l’obligation de congédier son employée durant une période de six à huit mois. En outre, la décision ne mentionnait aucune disposition réglementaire. Il réitérait sa demande d’autorisation d’installer une terrasse et sollicitait la remise du règlement invoqué.

5. Par décision du 6 février 2007, la Ville de Carouge a confirmé son refus. Selon une pratique constante valant disposition réglementaire, elle n’accordait pas de terrasse à un établissement n’ayant pas d’accès direct au domaine public. La même décision avait déjà été notifiée pour l’année 2006 à l’exploitant précédent, qui n’avait pas recouru.

6. Par acte du 5 mars 2007, M. Tiraboschi a recouru auprès du Tribunal administratif contre la décision précitée, concluant à ce qu’il soit ordonné à la Ville de Carouge « de reconnaitre les droits à l’établissement le "Jet Set" d’avoir une terrasse sur deux places de parking dans les plus brefs délais ». Le bar était situé derrière un autre établissement public et on y accédait par un couloir direct d’une dizaine de mètres. Dans ce secteur de la rue Vautier, tous les établissements avaient des terrasses, obtenues le plus souvent en supprimant des places de parking. Le « Jet Set » avait rouvert ses portes dix mois auparavant et il avait constaté qu’il était impossible de l’exploiter normalement sans terrasse, dans une zone fréquentée par une clientèle affectionnant ce style de vie à l’air libre. Le refus de la Ville de Carouge n’était économiquement pas supportable et sa pratique devait s’adapter aux changements climatiques. Déterminer ce qui était un accès direct au domaine public n’était pas clair. Il citait un autre établissement dans la même artère dont la terrasse était quinze mètres en amont de la rue, ou d’autres dont les terrasses se trouvaient de l’autre côté de la rue sur laquelle ils donnaient.

7. Le 27 avril 2007, la Ville de Carouge s’est opposée au recours. Elle avait adopté une pratique administrative en matière de terrasses saisonnières, en vigueur depuis plusieurs dizaines d’années, consistant à autoriser l’implantation de telles terrasses aux établissements donnant sur le domaine public et ayant un accès direct à celui-ci. Une telle implantation constituait le prolongement de l’établissement qui en bénéficiait, lequel devait nécessairement être directement ouvert sur le domaine public. Aucune autorisation n’avait jamais été accordée pour les établissements situés sur cour, à l’étage ou en sous-sol. Cette pratique allait être inscrite dans le règlement sur les terrasses encore à l’étude. Le bar « Jet Set » donnait sur une cour intérieure et n’était accessible qu’à travers un couloir traversant l’immeuble et servant d’entrée aux locaux d’habitation sis dans les étages. Une telle configuration ne se prêtait pas à l’exploitation d’une terrasse saisonnière et pouvait en outre être source de perturbation pour les locataires de l’immeuble.

8. Le 9 mai 2007, le juge délégué a demandé à la Ville de Carouge de produire les dossiers relatifs aux demandes de terrasses refusées au cours des dix dernières années pour un motif similaire à celui opposé à M. Tiraboschi.

9. Le 6 juin 2007, la Ville de Carouge a informé le tribunal de céans que les seuls refus correspondant à la requête précitée se rapportaient à deux demandes déposées pour le bar « Jet Set », l’une remontant à janvier 2000 et l’autre à avril 2006. Par ailleurs, cet établissement public était le seul ne disposant pas d’accès direct sur le domaine public à avoir déposé une demande tendant à l’installation d’une terrasse saisonnière. Aucune autorisation de cette nature n’avait donc jamais été délivrée sur le territoire carougeois.

10. Lors de l’audience de comparution personnelle des parties qui s’est tenue le 12 juillet 2007, le représentant de la Ville de Carouge a précisé que la notion d’accès direct sur le domaine public s’entendait comme un accès visible depuis la terrasse et de plain-pied par rapport à celle-ci. Ce n’était pas le cas du « Jet Set », seul établissement carougeois à n’avoir d’accès qu’au fond d’un couloir. A l’origine de la pratique carougeoise, on trouvait la volonté de ne pas autoriser l’installation de terrasse à des commerces n’ayant pas une vue directe sur ce qui s’y passait, vu la responsabilité de l’exploitant par rapport aux clients. Les exemples cités par M. Tiraboschi concernaient des établissements qui avaient une visibilité directe sur la terrasse et un accès direct et de plain-pied. Par ailleurs, les terrasses self-service n’étaient pas autorisées sur le territoire communal, à une exception près, concernant un stand de glaces. Enfin, lorsque M. Tiraboschi avait repris l’exploitation du « Jet Set », il savait que les demandes de terrasses avaient toujours été refusées.

M. Tiraboschi a confirmé son recours. Le « Jet Set » n’avait qu’un accès, soit celui donnant dans le couloir débouchant rue Vautier. Les heures d’ouverture du bar étaient de 20h00 à 02h00. Cet établissement existait depuis 30 ans et la terrasse serait un avantage par rapport à la situation actuelle. En cas d’autorisation d’en installer une, il prévoyait de placer une personne dehors en permanence pour répondre aux demandes des clients. Lorsqu’il avait repris l’exploitation de l’établissement, il savait qu’il n’y avait pas de terrasse, mais ignorait que les demandes d’en installer une avaient toujours été refusées. Dans un établissement de ce type, entre 30 % et 50 % du chiffre d’affaires résultait de l’exploitation d’une terrasse.

A l’issue de l’audience, la cause a été gardée à juger.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. Le litige a pour objet l’exploitation par le recourant d’une terrasses située sur le domaine public de la commune de Carouge.

La jurisprudence et la doctrine connaissent trois types d'usage du domaine public. Est considérée comme usage commun du domaine public l'utilisation que n'importe quelle personne peut en faire gratuitement et conformément à sa destination, sans que cet usage n'entrave ou n'exclut un usage similaire dans les mêmes conditions. L'usage accru du domaine public est caractérisé par l'exclusion de l'usage commun pour les tiers d'une certaine partie du domaine public, pour une durée déterminée; à l'opposé de l'usage commun, cette utilisation va à l'encontre de la destination ordinaire de la chose et est soumise à autorisation. Enfin, l'usage privatif a une intensité et une durée supérieures à toute autre forme d'usage; il n'est pas conforme à la destination ordinaire de la chose et s'oppose à l'usage commun ou à l'usage accru par les tiers de manière absolue. Il est soumis à concession et crée en faveur de son titulaire des droits acquis (cf. ATA/69/2004 du 20 janvier 2004 consid. 3).

Il est constant que l'installation d'une terrasse saisonnière sur le domaine public constitue un usage accru du domaine public (ATA/69/2004 du 20 janvier 2004 consid. 3 et arrêts cités).

3. En vertu de l'article 13 de la loi sur le domaine public du 24 juin 1961 (LDP - L 1 05), toute utilisation du domaine public excédant l'usage commun est subordonnée à une permission.

4. Lorsque l'usage accru du domaine public vise à permettre l'exercice d'une liberté, la jurisprudence tant fédérale qu'européenne a admis que le régime d'autorisation est conforme à la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) en raison de la diversité des intérêts en présence et de la nécessité de procéder, de cas en cas, à leur évaluation et à leur pesée objectives (ACEDH Kokkinakis c/Grèce du 25 mai 1993, paragraphes 31-33 ; ATA/288/2004 du 6 avril 2004 et les références citées).

5. Le refus des autorités d'octroyer une autorisation pour un usage accru du domaine public doit s'analyser comme une restriction à la liberté économique (ATA/451/1998 du 28 juillet 1998 consid. 4). Cette restriction doit reposer sur une base légale, être motivée par un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 Cst.).

6. L’article 15 LDP, selon lequel la permission visée par l’article 13 de la loi est accordée par l’autorité cantonale ou communale qui administre le domaine public, constitue une base légale suffisante même en l’absence de règlement formel de la Ville de Carouge. La compétence communale résulte en outre des articles 56 et 57 de la loi sur les routes du 28 avril 1967 (LRoutes - L 1 10) et de l’article 1 alinéa 1 lettre b du règlement concernant l’utilisation du domaine public du 21 décembre 1988 (L 1 10.12), qui disposent que toute utilisation du domaine public excédant l’usage commun au sens de l’article 13 LDP fait l’objet d’une autorisation délivrée par l’autorité communale (ATA/96/2005 du 1er mars 2005).

7. a. Selon les articles 18 et 19 LDP, les permissions sont accordées à titre précaire.

L'article 1 alinéa 2 du règlement concernant l'utilisation du domaine public du 21 décembre 1988 (RDP - L 1 10.12) reprenant, dans sa teneur du 27 janvier 1999, la récente jurisprudence fédérale en la matière, prévoit que, dans les limites de la loi et le respect des conditions liées à l'octroi de la permission, les particuliers disposent néanmoins d'un droit à l'utilisation du domaine public excédant l'usage commun si aucun intérêt prépondérant ne s'y oppose. Ce droit est conditionnel, conformément à la jurisprudence, en ce sens qu'il n'est reconnu que dans les limites de la loi et moyennant le respect des conditions liées à l'octroi de la permission. Il ne doit en outre aller à l'encontre d'aucun intérêt prépondérant (M. HOTTELIER, La réglementation du domaine public à Genève, SJ 2002/II pp. 147-148). L'article 1 alinéa 3 RDP précise que l'autorité compétente tient compte des intérêts légitimes du requérant, de ceux des autres usagers du domaine public et des voisins, de ceux découlant des concessions ou droits d'usage exclusifs ainsi que du besoin d'animation de la zone concernée.

b. Dans un arrêt rendu en 2000, le Tribunal fédéral a précisé comment effectuer la pesée des intérêts dans les causes liées à l'utilisation accrue du domaine public. Le refus d'autorisation doit répondre à un intérêt public - des restrictions fondées sur des motifs de police ne sont pas les seules admissibles -, reposer sur des critères objectifs et respecter le principe de la proportionnalité (ATF 126 I 133, JdT 2001 I p. 787 ; cf. aussi ATA/69/2004 du 20 janvier 2004 ; ATA/27/2004 du 13 janvier 2004).

Dans le cas d’espèce, l’intimée fonde son refus sur la nécessité pour l’exploitant de l’établissement d’avoir une vue directe sur ce qui se passe sur la terrasse, en raison de la responsabilité par rapport aux clients. A cet égard, le tribunal de céans ne peut que relever qu’il est dans l’intérêt non seulement des clients mais aussi des voisins que l’exploitation d’une terrasse se déroule sans incident et qu’en cas de perturbation de l’ordre public, le tenancier puisse y remédier rapidement. Il s’agit donc d’un intérêt public primant celui de la recourante qui est purement économique, à savoir l’amélioration du chiffre d’affaires.

8. La mesure doit encore être conforme au principe de la proportionnalité, qui exige qu’une mesure restrictive soit apte à produire les résultats escomptés et que ceux-ci ne puissent être atteints par une mesure moins incisive ; en outre, il interdit toute limitation allant au-delà du but visé et il exige un rapport raisonnable entre celui-ci et les intérêts publics ou privés compromis (ATF 126 I 219 consid. 2c p. 222 et les références citées).

Dans le cas particulier, l’établissement en cause n’ayant aucune visibilité ni accès direct immédiat sur le domaine public et devant en outre partager le couloir permettant d’y accéder avec les locataires de l’immeuble, son exploitant n’est pas à même d’avoir un contrôle suffisant de ce qui s’y passe. Le fait d’avoir une personne chargée du service sur la terrasse n’est pas suffisant puisque celle-ci ne pourrait y demeurer en permanence. Il n’y a ainsi pas d’autre mesure moins incisive.

9. Mal fondé, le recours sera rejeté. Un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 LPA). Aucune indemnité ne sera allouée à la Ville de Carouge, collectivité publique d’une taille suffisante pour disposer d’un service juridique et par conséquent apte à assurer la défense de ses intérêts sans recourir aux services d’un avocat (ATA/618/2003 du 26 août 2003).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 5 mars 2007 par Jetteset Bar Sàrl contre la décision de la Ville de Carouge du 6 février 2007 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de la recourante un émolument de CHF 500.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Jetteset Bar Sàrl ainsi qu'à Me Jean-Pierre Carera, avocat de la Ville de Carouge.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste  adj. a.i. :

 

 

P. Pensa

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :