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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/113/2004

ATA/288/2004 du 06.04.2004 ( CM ) , REJETE

Descripteurs : LIBERTE DE CULTE; LIBERTE DE CONSCIENCE ET DE CROYANCE; LIBERTE DE REUNION; CONSTITUTIONNALITE; DOMAINE PUBLIC; USAGE COMMUN ACCRU; AUTORISATION; PROPORTIONNALITE; AFFECTATION; DECISION; CM
Normes : RTEDP.1 al.2; LDP.13; LPA.4; CST-GE 164; CST.22; CST.15; LCulte.1
Résumé : Même sans acte formel d'affectation, une parcelle qui est la place du village fait partie du domaine public communal et un usage accru est soumis à autorisation en vertu de l'article 13 LDP. L'acte de refus est une décision sujette à recours. Le droit à l'usage accru du domaine public, prévu à l'article 1 al. 2 RDP, n'est pas absolu ; un refus d'autorisation doit s'analyser comme une restriction à une liberté et respecter les conditions de l'article 38 Cst. féd. La liberté de conscience et de croyance peut être exercée pleinement en d'autres lieux que sur le domaine public. En ce sens, un refus d'autoriser la célébration d'une messe sur la place du village, assorti de la mise à disposition gratuite d'une salle communale, ne viole pas la liberté de conscience et de croyance, ni la liberté de culte, et est proportionnée. L'article 1 de la loi genevoise sur le culte extérieur n'est cependant pas applicable, vu la jurisprudence fédérale à ce propos.
En fait
En droit

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 6 avril 2004

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur O. P.

 

et

 

SOCIÉTÉ ... ... DE ...

représentés par Me François Membrez, avocat

 

 

 

contre

 

 

 

 

COMMUNE DE ...

représentée par Me François Bellanger, avocat



EN FAIT

 

1. Le 25 novembre 2003, la Société ... ... de ..., constituée en association (ci-après : la paroisse), et Monsieur O. P., curé, se sont adressés à la commune de ... pour solliciter l'autorisation d'utiliser la Place du Village, le 9 mai 2004 de 10 à 12 heures, afin de célébrer la messe de première communion. A l'appui de leur demande, ils ont fait valoir que, vu le nombre élevé de communiants cette année, leur église ne pourrait accueillir tous les participants attendus, soit les enfants et leurs familles. Ils proposaient de placer l'autel sur le perron du centre paroissial, tandis que les participants se tiendraient sur la place. Ils demandaient également que la fontaine soit arrêtée pendant la durée de la célébration.

 

2. Par courrier du 17 décembre 2003, le maire de la commune, Monsieur ...-... ..., a communiqué le refus du Conseil administratif d'accorder l'autorisation sollicitée. Il fondait sa décision sur l'article 1 de la loi sur le culte extérieur du 28 août 1875 (C 4 10), et observait que les participants à la messe se trouveraient sur le domaine public.

 

Toutefois, comprenant l'impossibilité d'accueillir autant de personnes dans l'église, le Conseil administratif a proposé de mettre gracieusement à disposition de la paroisse la salle ... ou la salle de gymnastique de l'école de ...-....

 

3. Le 19 janvier 2004, la paroisse et M. P. ont interjeté recours contre dite décision, critiquant l'application d'une disposition légale qui avait été déclarée inconstitutionnelle par le Tribunal fédéral. Ils ont invoqué les articles 15 (liberté de conscience et de croyance) et 22 (liberté de réunion) de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (Cst. féd. - RS 101), ainsi que l'article 164 (liberté des cultes) de la Constitution genevoise du 24 mai 1847 (Cst. GE - A 2 00) et concluent à l'annulation de la décision entreprise.

 

4. Le Conseil administratif s'est déterminé le 8 mars 2004. Réflexion faite, il considérait que la Place du Village n'appartenait pas au domaine public, faute d'acte d'affectation, mais au patrimoine privé de la commune, et qu'à ce titre, la parcelle concernée n'était pas assujettie à la loi sur le domaine public du 24 juin 1961 (LDP - L 1 05). Le recours devait être déclaré irrecevable pour ce motif.

 

Se prononçant néanmoins sur le fond du litige, il a estimé que la tenue d'un office religieux sur la Place du Village était de nature à choquer ou gêner les citoyens qui n'étaient pas de la même confession, voire qui s'estimaient sans religion. Il a également relevé avoir mis gracieusement à disposition de la paroisse une salle communale, et se demandait dès lors quels buts poursuivait effectivement la paroisse. Il conclut au rejet du recours.

 

 

EN DROIT

 

1. L'autorité intimée prétend que son courrier du 17 décembre 2003 n'est pas une décision au sens de l'article 4 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), et donc qu'il n'est pas susceptible de recours, parce que la parcelle concernée appartient au patrimoine privé de la commune et n'est pas soumise à la LDP.

 

Selon l'article 4 alinéa 1 LPA, sont considérées comme des décisions les mesures individuelles et concrètes prises par l'autorité dans les cas d'espèce, fondées sur le droit public fédéral, cantonal ou communal, et visant à créer, modifier ou annuler des droits ou des obligations.

 

Il s'agit d'établir si la parcelle ... de la Commune de ... appartient au patrimoine privé ou au domaine public de la commune, afin de déterminer si le droit public est applicable à la présente cause.

 

2. L'affectation d'un bien-fonds au domaine public doit faire l'objet d'une loi conformément à l'article 1 LDP. De plus, en cas d'acquisition d'un bien-fonds, l'Etat ou la commune intéressée doit requérir du Registre foncier l'inscription du bien immobilier en cause comme élément du domaine public (art. 10 LDP). Même s'il n'a pas fait formellement l'objet d'un acte d'affectation, un bien-fonds peut être assimilé, en raison de sa destination et de son caractère, à une dépendance du domaine public (ATF 97 I 911). Tel est le cas, par exemple, de la plaine de Plainpalais (ATF P 610/85 du 21 janvier 1987) (F. BELLANGER, Commerce et domaine public, in F. BELLANGER et T. TANQUEREL, Le domaine public, Genève-Zurich-Bâle 2004, p. 46 note 15).

 

Il existe des affectations "immémoriales" dont il serait vain de rechercher un acte administratif constitutif. D'ailleurs, la doctrine considère qu'aucune forme n'est requise : l'affectation peut intervenir tacitement. Il en va ainsi de rues ou de places ouvertes au public sans qu'aucune décision n'ait jamais été prise, alors même que la parcelle serait immatriculée au Registre foncier comme propriété privée de l'Etat. La simple mise à disposition par la collectivité d'une surface pour un usage commun est un acte concluant d'affectation qui, en soi, est suffisant : ainsi une commune installe une fontaine ou transforme l'un de ses terrains privés pour en faire un parc, une place piétonnière, un square; des aménagements matériels suffisent, dont on peut déduire l'affectation décidée (P. MOOR, Droit administratif, vol. III : L'organisation des activités administratives; les biens de l'Etat, Berne 1992, pp. 272-273).

 

La parcelle ... est immatriculée au Registre foncier comme propriété privée de la commune de ... et aucune indication d'affectation au domaine public n'y figure. Cependant, il s'agit de la Place du Village, récemment aménagée en zone piétonnière. Ce fait n'est pas contesté. Dès lors, et conformément à la doctrine et à la jurisprudence, l'affectation de cette parcelle au domaine public ne fait aucun doute, même sans acte formel. La LDP est donc applicable à cette parcelle, et le refus d'en autoriser un usage accru se fonde sur le droit public cantonal. Le courrier du 17 décembre 2003 doit donc être qualifié de décision, et est à ce titre sujet à recours.

 

Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est donc recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a LPA).

 

3. Les recourants se plaignent de l'application d'une disposition qui a été déclarée inconstitutionnelle par le Tribunal fédéral, l'article 1 de la loi sur le culte extérieur, selon lequel toute célébration de culte, procession ou cérémonie religieuse quelconque est interdite sur la voie publique.

 

Dans l'arrêt R. du 12 mars 1982 (ATF 198 Ia 41), le Tribunal fédéral a examiné la constitutionnalité de cette disposition. Il a considéré, à propos d'une procession qui aurait dû emprunter la rue pendant une dizaine de minutes, que telle qu'elle était formulée, l'interdiction absolue posée par la loi sur le culte extérieur était contraire à la liberté de culte (art. 50 aCst. féd., art. 15 Cst. féd.) et aux principes jurisprudentiels.

 

Quoique le Tribunal fédéral s'en prenne au caractère absolu de l'interdiction, et non au principe de l'interdiction de célébrer une cérémonie religieuse sur la voie publique, il faut admettre qu'en l'état, l'article 1 de la loi sur le culte extérieur n'est pas applicable. Sur ce point, la motivation de la décision du Conseil administratif de ... est erronée.

 

Le tribunal de céans n'étant pas lié par les motifs que les parties invoquent (art. 69 al. 1 LPA), il faut encore examiner si le dispositif de la décision, soit le refus d'autorisation, est contraire aux libertés constitutionnelles invoquées par les recourants.

 

4. L'article 15 Cst. féd. garantit la liberté de conscience et de croyance, ainsi que l'article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) et l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966 (Pacte II - RS 0.103.22).

 

Selon la jurisprudence fédérale, la liberté religieuse garantit la libre formation, le libre exercice et la libre expression de la conviction religieuse de chaque être humain, sans que l'Etat puisse en principe y toucher. Elle protège également toutes les attitudes et activités qui sont directement liées à la religion, notamment celles qui consistent à manifester, à exprimer, à pratiquer ou à divulguer ses convictions religieuses (A. AUER, G. MALINVERNI, M. HOTTELIER, Droit constitutionnel suisse, vol. II: Les droits fondamentaux, Berne 2000, p. 219 et les références citées, p. 222).

 

Le litige ne porte pas sur la tenue de la cérémonie religieuse, mais seulement sur le lieu de son déroulement. Or, la commune a spontanément cherché à en faciliter la réalisation en mettant gratuitement une salle communale à disposition des recourants. En ce sens, la décision attaquée ne limite aucunement la liberté religieuse des recourants, pas plus que celle des participants attendus lors de la cérémonie du 9 mai 2004. Le grief de violation de la liberté religieuse doit donc être écarté.

 

Les recourants, qui n'ont pas donné suite à l'offre du Conseil administratif, semblent plutôt se prévaloir d'un droit à célébrer leur culte sur le domaine public.

 

5. Selon l'article 72 alinéa 1 Cst. féd., les cantons sont compétents pour réglementer les rapports entre l'Eglise et l'Etat. L'article 164 Cst. GE garantit la liberté de culte. L'article 165 alinéa 1 précise toutefois que les cultes s'exercent et les églises s'organisent en vertu de la liberté de réunion et du droit d'association, leurs adhérents étant tenus de se conformer aux lois générales ainsi qu'aux règlements de police sur leur exercice extérieur.

 

En vertu de l'article 13 LDP, toute utilisation du domaine public excédant l'usage commun est subordonnée à une permission. L'article 1 alinéa 2 du règlement concernant l'utilisation du domaine public du 21 décembre 1988 (RDP - L 1 10.12), reprenant, dans sa teneur du 27 janvier 1999, la récente jurisprudence fédérale en la matière, prévoit que, dans les limites de la loi et le respect des conditions liées à l'octroi de la permission, les particuliers disposent d'un droit à l'utilisation du domaine public excédant l'usage commun si aucun intérêt prépondérant ne s'y oppose. L'alinéa 3 précise que l'autorité compétente tient compte des intérêts légitimes du requérant, de ceux des autres usagers du domaine public et des voisins, de ceux découlant des concessions ou droits d'usage exclusifs ainsi que du besoin d'animation de la zone concernée.

 

Lorsque l'usage accru du domaine public vise à permettre l'exercice d'une liberté, la jurisprudence tant fédérale qu'européenne a admis que le régime d'autorisation est conforme à la Constitution et à la CEDH en raison de la diversité des intérêts en présence et de la nécessité de procéder, de cas en cas, à leur évaluation et à leur pesée objectives (ACDH Kokkinakis c/Grèce du 25 mai 1993, paragraphes 31-33). Tant l'Etat, qui a mission de protéger la sécurité et la tranquillité publiques ainsi que la propriété, que les organisateurs d'une réunion, qui ont le droit de propager leurs idées, peuvent se prévaloir d'un droit conféré par l'ordre juridique. Seul le régime de l'autorisation rend possible cette délicate balance des intérêts. L'essentiel est que l'autorité compétente procède à une pesée objective de tous les intérêts en présence et que sa décision soit susceptible d'un recours judiciaire.

 

Ainsi, le droit à un usage accru du domaine public n'est pas absolu. Les organisateurs d'une manifestation ne peuvent par exemple pas exiger de la tenir dans un lieu précis et à un moment déterminé, sans égard aux intérêts des autres usagers. Mais l'autorité est quant à elle tenue d'examiner avec eux des solutions alternatives, conformément au principe de la proportionnalité, par exemple la mise à disposition des organisateurs d'une autre place appropriée (G. MALINVERNI, L'exercice des libertés idéales sur le domaine public, in F. BELLANGER et T. TANQUEREL, op. cit., p. 29 et les références citées, p. 36; ATF 127 I 164; ACEDH 2001 504 consid. 3a).

 

Selon MALINVERNI toujours, la jurisprudence fédérale privilégie les libertés idéales par rapport à d'autres, comme la liberté économique. Ainsi, il faut davantage s'accommoder d'une entrave à l'usage commun ou à d'autres intérêts publics si elle résulte de l'exercice des libertés idéales (ATF 126 I 133). Cependant, le Tribunal fédéral semble faire une distinction entre deux catégories d'activité : celles qui ne peuvent être exercées efficacement que sur les voies publiques, comme les manifestations, et celles qui peuvent l'être autrement, par exemple la diffusion d'imprimés (ATF 105 Ia 22). S'agissant des premières, le pouvoir d'appréciation de l'autorité saisie d'une demande d'autorisation semble être très réduit. Pour les secondes en revanche, dès lors qu'elles peuvent fort bien être exercées sans mettre à contribution le domaine public, l'usage de celui-ci est considéré comme un avantage particulier. Le pouvoir d'appréciation de l'autorité est alors plus étendu et elle peut se montrer moins libérale (G. MALINVERNI, ibid. p. 38).

 

La célébration d'une messe appartient clairement à la catégories des libertés qui peuvent être exercées pleinement en d'autres lieux que sur le domaine public.

 

6. En tout état de cause, un refus des autorités d'octroyer une autorisation pour un usage accru du domaine public doit s'analyser comme une restriction à cette liberté et respecter les conditions posées par l'article 36 Cst. féd., à savoir l'existence d'une base légale, d'un intérêt public et le respect du principe de la proportionnalité.

 

En l'espèce, les articles 13 LDP et 1 RDP constituent des bases légales claires et suffisantes pour refuser une autorisation.

 

S'agissant de l'intérêt public en jeu, il convient de relever la diversité de la population meyrinoise sur les plans tant religieux, culturel que social. Les autorités communales ont adopté une attitude prudente pour assurer une cohabitation harmonieuse. Dans ce contexte, il ne leur est pas apparu judicieux d'autoriser la célébration d'une messe en plein air sur le domaine public.

 

Enfin, la décision de l'autorité intimée est proportionnée, dans la mesure où elle a proposé une solution alternative adéquate aux recourants, qu'ils n'ont pas jugée utile de relever.

 

Pour tous ces motifs, le dispositif de la décision litigieuse doit être confirmé, et le recours sera rejeté.

 

7. Un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement. Il ne sera pas alloué d'indemnité à l'intimée, qui est une commune de plus de 10'000 habitants, conformément à la jurisprudence du tribunal de céans en la matière (ATA G.-S. du 4 novembre 2003).

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 19 janvier 2004 par Monsieur O. P. et la Société ... ... de ... contre la décision de la commune de ... du 17 décembre 2003;

 

au fond :

 

le rejette;

 

met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 500.-;

 

communique le présent arrêt à Me François Membrez, avocat des recourants, ainsi qu'à Me François Bellanger, avocat de l'intimée.

 


Siégeants : M. Paychère, président, MM. Thélin, Schucani, Mmes Hurni, Bovy juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le vice-président :

 

C. Del Gaudio-Siegrist F. Paychère

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme N. Mega