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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/815/2007

ATA/416/2007 du 28.08.2007 ( FIN ) , REJETE

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/815/2007-FIN ATA/416/2007

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 28 août 2007

dans la cause

 

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

contre

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE D’IMPÔTS

et

Messieurs L______
représentés par Me Stéphane Piletta-Zanin, avocat



 


1. A la suite du décès de Madame L______ le ______1995, ses fils, Messieurs L______ (ci-après : l’hoirie L______ ou les hoirs L______), ont hérité de plusieurs parcelles sises dans la commune de Meyrin, notamment les parcelles n° ______ et n°______.

2. Dans le cadre de la fixation des droits de succession, l’administration fiscale cantonale (ci-après : l’administration ou l’AFC) a retenu, en application de l’article 10A de la loi sur les droits de successions du 26 novembre 1969 (LDS - D 3 25), que l’ensemble des parcelles propriété de l’hoirie L______ représentait une valeur de rendement de CHF 164’405.-, la valeur vénale s’élevant à CHF 11’607’332.-. Un bordereau de droits de succession en CHF 1’373,20 a été notifié aux hoirs L______ le 15 avril 1996.

3. Par arrêté du 12 janvier 2000, publié dans la Feuille d’Avis officielle (ci-après : FAO), le Conseil d’Etat a décrété l’expropriation, au profit de la commune de Meyrin, d’une surface de terrain à détacher des parcelles n° ______ et n° ______, destinée à l’édification d’un équipement scolaire.

4. Le 6 septembre 2000, la commission cantonale de conciliation et d’estimation en matière d’expropriation (ci-après : la commission LEX) a ordonné l’envoi en possession anticipée des emprises concernées par l’expropriation.

5. Au cours de l’année 2002, l’AFC a notifié à l’hoirie L______ un bordereau supplémentaire de droits de succession, à la suite de divisions et de ventes de parcelles non concernées par la présente procédure.

6. Le 1er octobre 2003, Me Yves Aubert, notaire, a demandé à l’AFC de lui communiquer les valeurs vénale et de rendement des parcelles n° ______ et n° ______. Il avait besoin de ces renseignements pour la préparation d’un acte portant sur la vente à la commune de Meyrin de certaines parties de ces terrains.

L’AFC a transmis les informations en question par pli du 7 octobre 2003.

7. Le 15 décembre 2003, l’hoirie L______ a vendu à la commune de Meyrin la parcelle n° ______ provenant de la division de la parcelle n°______, elle-même partiellement issue des anciennes parcelles n° ______ et n° ______, pour un moment total de CHF 2’212’300.-.

8. Le 5 février 2004, le conseil des hoirs L______ s’est adressé à l’AFC. Deux opérations successives avaient eu lieu, soit en premier une expropriation formelle, qui avait donné naissance à une nouvelle parcelle n° ______, issue d’une partie des parcelles n° ______ et n° ______, puis une vente d’une partie de la parcelle n°______.

Deux impôts distincts devaient être perçus, soit d’une part la reprise successorale calculée sur la différence entre la valeur de rendement et la valeur vénale et, d’autre part, l’impôt sur le bénéfice immobilier, pour autant que la valeur d’aliénation soit supérieure à la valeur vénale. Il désirait savoir si les plantations coûteuses effectuées sur le terrain pouvaient être prises en compte dans la détermination du calcul du bénéfice.

9. Le 30 avril 2004, l’AFC a notifié un bordereau de supplément de droits de succession. L’avoir net imposable était porté à CHF 1’455’103.- ; le supplément de droits de succession était de CHF 66’365,20, auquel il fallait ajouter des intérêts débiteurs.

10. Par courriers des 21 et 28 mai 2004, l’hoirie L______ a élevé réclamation. La cessation effective de l’exploitation était connue depuis plus de deux ans et le droit de taxer était prescrit, conformément à l’article 73 LDS. Les baux agricoles avaient été résiliés et ne figuraient plus dans les déclarations fiscales, et l’arrêté du Conseil d’Etat décrétant l’expropriation avait été publié.

11. Le 15 juillet 2004, l’AFC a rejeté la réclamation. Elle n’avait eu connaissance de la transaction intervenue entre l’hoirie L______ et la commune de Meyrin que le 15 décembre 2003 et le bordereau de succession supplémentaire avait été établi le 30 avril 2004, soit moins de deux ans après.

12. Le 4 août 2004, l’hoirie L______ a saisi la commission cantonale de recours en matière d’impôts (ci-après : la commission) du litige, reprenant et développant son argumentation antérieure.

13. L’AFC s’est opposée au recours le 26 août 2005. La cessation effective d’exploiter n’avait été portée à sa connaissance qu’au moment de la vente intervenue en décembre 2003. L’AFC n’avait pas qualité de partie dans la procédure d’expropriation. L’arrêté du Conseil d’Etat du 12 janvier 2000, publié, n’avait jamais été communiqué au département des finances (ci-après : le département). Il était déraisonnable d’exiger d’elle qu’elle fasse automatiquement le lien entre la publication d’un arrêté d’expropriation dans la FAO et la cessation d’exploitation d’une parcelle agricole, au regard de la LDS. De plus, la décision d’envoi en possession immédiate, rendue par la commission LEX, ne lui avait pas été notifiée et n’avait au demeurant pas à l’être.

14. Le 22 janvier 2007, la commission a admis le recours. Il y avait lieu d’admettre que l’expropriation prononcée le 12 janvier 2000 impliquait une désaffection immédiate de l’exploitation agricole et que le droit de taxer existait à partir de ce moment-là. Dès lors que ce dernier se prescrivait par deux ans dès le jour de la cessation d’exploitation, l’AFC n’était plus en droit de procéder à cette taxation. Elle ne pouvait prétendre avoir ignoré la publication dans la FAO de janvier 2000, dont le texte clair permettait de comprendre cette désaffectation.

15. Le 1er mars 2007, l’AFC a recouru auprès du Tribunal administratif contre cette décision. La publication dans la FAO du mois de janvier 2000 était loin d’être explicite, et l’arrêté pouvait faire l’objet d’un recours au Tribunal administratif. Elle n’avait eu connaissance que beaucoup plus tard de la décision rendue par la commission LEX le 6 septembre 2000, autorisant la prise de possession anticipée. On ne pouvait demander à l’AFC de connaître d’office toutes les décisions prises par un autre département ou une autre entité étatique, y compris dans des domaines n’étant pas de sa compétence. En conséquence, le droit de taxer avait pris naissance au plus tôt le 30 septembre 2003, et n’était pas prescrit.

16. L’hoirie L______ s’est opposée au recours le 13 juillet 2007, reprenant et développant tant son argumentation antérieure que celle de la commission.

 

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. En vertu du principe de la non rétroactivité, le nouveau droit ne s'applique pas aux faits antérieurs à sa mise en vigueur (P. MOOR, Droit administratif, Vol. I, 2ème édition, Berne, 1994, p. 178; B. KNAPP, Précis de droit administratif, 4ème édition, Bâle et Francfort sur le Main, 1991, p. 116). Le droit nouveau ne peut avoir un effet rétroactif que si la rétroactivité est prévue par la loi, est limitée dans le temps, ne conduit pas à des inégalités choquantes, est motivée par des intérêts publics pertinents et ne porte pas atteinte à des droits acquis (P. MOOR, op. cit., p. 179-180; B. KNAPP, op. cit., p. 118 ; ATA/891/2004 du 16 novembre 2004 ; ATA/665/2006 du 12 décembre 2006).

En l'espèce, les nouvelles dispositions du droit fiscal genevois - entrées en vigueur le 1er juin 2004 – relatives aux droits sur les successions ne prévoient pas d'effet rétroactif. La présente cause sera donc jugée selon le droit applicable à l'époque des faits.

 

 

3. Selon l’article 10A LDS, les immeubles et droits immobiliers ruraux sont estimés, pour la détermination des droits de succession, à leur valeur de rendement au jour du décès, pour autant que l’héritier ou les héritiers continuent à les exploiter ou à les faire exploiter à des fins exclusivement agricoles durant dix ans au moins. Si l’exploitation cesse pendant cette période, sauf pour cause de décès, l’AFC perçoit les droits de succession tels qu’ils auraient été dus si les immeubles et droits immobiliers, désaffectés de leur vocation agricole, avaient été estimés à leur valeur vénale lors de la succession.

De plus, selon l’article 73 alinéa 1 lettre b LDS, les droits de l’Etat résultant de l’assujettissement aux droits de succession se prescrivent par deux ans à compter du jour de la cessation d’exploitation en cas de reprise, conformément à l’article 10A alinéa 2 de ladite loi.

4. Dans le présent litige, la recourante considère que le délai de deux ans prévu à l’article 73 alinéa 1 lettre b LDS commence à courir dès le moment où elle a eu connaissance de la cessation de toute exploitation agricole. Le texte de la disposition litigieuse ne dit cependant pas cela et fixe le début du délai au jour de la cessation d’exploitation.

Si la ratio legis ne ressort pas clairement des travaux préparatoires - la disposition, introduite par le Grand-Conseil le 15 septembre 1983, n’est pas mentionnée dans le commentaire article par article - le rapport de la commission du Grand-Conseil démontre que cette dernière s’est préoccupée de la question :

« En réponse à un certain nombre d’interrogations des commissaires, le représentant de l’administration précise qu’il lui est loisible de surveiller ces changements d’affectation de tout ou partie de biens immobiliers de leur vocation agricole. En effet, cela apparaît dans les actes notariés et sera annoté au Registre foncier. En outre, toute nouvelle construction doit faire l’objet de demande d’autorisations auprès de la police des constructions » (Mémorial des séances du Grand-Conseil, 1983, p. 2903).

5. En l’espèce, la cessation de l’exploitation agricole a eu lieu au cours de l’année 2000. Il n’est pas nécessaire, vu la durée du délai de prescription, de déterminer si le jour exact est celui de la publication de l’arrêté d’expropriation, de la décision d’envoi en possession anticipée rendue par la commission LEX ou encore de l’ouverture du chantier, laquelle a été enregistrée par le département des constructions et des technologies de l’information le 4 octobre 2000 (voir le site consulté le 19 juillet 2007 : http://etat.geneve.ch/sadconsult/sadconsult.asp?wci=
frmSuiviDossier&td=DD&nm=96391/1 ).

Au vu de ce qui précède, il apparaît que, lors de la notification du bordereau litigieux le 30 avril 2004, le droit de percevoir un supplément de droits de succession était prescrit à la suite de l’écoulement du délai de deux ans. En conséquence, le recours sera rejeté.

6. Vu l’issue du litige, un émolument, en CHF 1’000.-, sera mis à la charge de l’AFC, qui succombe. Une indemnité de procédure, en CHF 1’500.-, sera allouée à l’hoirie L______, à la charge de l’Etat.

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 1er mars 2007 par l’administration fiscale cantonale contre la décision de la commission cantonale de recours en matière d’impôts du 22 janvier 2007 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1’000.- à la charge de l’administration fiscale cantonale ;

alloue une indemnité en CHF 1’500.- à MM. L______, à la charge de l’Etat de Genève ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à l’administration fiscale cantonale ainsi qu’à la commission cantonale de recours en matière d’impôts et à Me Stéphane Piletta-Zanin, avocat de MM. L______.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste  adj. a.i. :

 

 

P. Pensa

 

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :