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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1278/2006

ATA/405/2006 du 26.07.2006 ( DCTI ) , REJETE

Recours TF déposé le 15.09.2006, rendu le 12.03.2007, ADMIS, A 147/05, 1A.196/2006
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1278/2006-DCTI ATA/405/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 26 juillet 2006

dans la cause

 

Hoirie de feu Monsieur Y_____ S_____, soit pour elle :
Madame A_____ S_____

Monsieur D_____ S_____

Monsieur Aa_____ S_____

Madame M_____ S_____
représentés par Me Lucien Lazzarotto, avocat

 

contre

 

DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION


 


1. Madame A_____ S_____ et ses trois enfants, D_____, Aa_____ et M_____, forment l'hoirie de feu Monsieur Y_____ S_____, décédé le 11 décembre 2003, qui fut respectivement leur époux et père.

Les époux S_____ avaient acquis, le 20 décembre 1989, la parcelle n° _____, feuille _____ de la commune de Jussy, sise _____, route de _____.

Cette parcelle est située en zone agricole au sens de l’article 20 alinéa 1 de la loi d'application de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30).

Sur cette parcelle sont édifiés un bâtiment d'habitation avec un logement, un garage privé et une annexe de 23 m2.

2. Lors d'une visite sur place effectuée le 23 janvier 2006 par un inspecteur de la police des constructions du département des constructions et des technologies de l'information (ci-après : le DCTI ou le département), il a été constaté que diverses constructions avaient été édifiées sans autorisation sur la parcelle n° ___.

Il s'agissait d'un auvent appuyé au garage, d'un auvent et d'un jardin d'hiver accolés à l'annexe, d'un biotope et d'une piscine ronde d'un diamètre d'environ 7 mètres, creusée dans le sol et affleurante au niveau du terrain.

Un rapport de constat CFA-147/2005 a été établi, comprenant également plusieurs photos. A teneur de ce dernier, Mme S_____ avait déclaré lors du contrôle que toutes ces constructions étaient postérieures à 1989, à l'exception de la piscine, édifiée par l'ancien propriétaire sans autorisation entre 1974 et 1982.

3. Par courrier daté du 31 janvier 2006, dont il a transmis copie à Mme S_____, le département a invité l'ancien propriétaire à lui indiquer les dates de construction de la piscine et du biotope.

Mme S_____, dans ses courriers des 6 et 26 février 2006, a confirmé que seul l'ancien propriétaire devait être en mesure de déterminer la date de construction de la piscine. Quant au biotope, il existait déjà lors de l'achat de la propriété, sous forme d'un petit monticule herbeux au pied duquel s'était formée une rétention d'eau permanente. Les copropriétaires n'avaient fait que mettre une bâche étanche au fond de la "flaque" (sic!) et agrémenter le pourtour.

Dans sa réponse du 27 avril 2006, faite à son retour d'un séjour de trois mois à l'étranger, l'ancien propriétaire a indiqué qu'il avait lui-même posé une piscine démontable "vers 1975", à même le sol sur un lit de sable. Il joignait une photo attestant du démontage de la structure, effectué à la requête des époux S_____ lors de la vente de la parcelle. Quant au biotope, il avait également été créé par ceux-ci après la vente.

4. Par décision du 7 mars 2006, adressée à Mme S_____ et reçue selon ses dires au plus tôt le 8 mars 2006, le département lui a ordonné de démolir les deux auvents, le jardin d'hiver, la piscine et le biotope dans un délai de 60 jours dès réception.

En l'état, ces constructions et installations constituaient une infraction à l'article 1 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05), ainsi qu'à l'article 20 LaLAT. L'ordre de destruction était prononcé conformément aux articles 129 et suivants LCI.

5. Par acte du 6 avril 2006, déposé le même jour au Tribunal administratif, Mme S_____ a recouru à l'encontre de cette décision.

Elle conclut préalablement, d’une part, à la suspension de la procédure jusqu'à la fin de l'instruction d'une demande en autorisation de construire concernant l'auvent et le jardin d'hiver, et d'autre part, à un transport sur place dès que la procédure aura repris, avec possibilité de compléter ses écritures à ce moment.

Principalement, elle conclut à l'annulation de la décision du département du 7 mars 2006.

Pour le surplus, ses arguments étaient identiques à ceux qu'elle avait développés dans ses courriers des 6 et 26 février 2006. Elle précisait que la piscine existait depuis plus de trente ans. Quant au biotope, il ne s'agissait pas d'une construction soumise à la LCI mais d'un léger aménagement du terrain conforme à la zone agricole.

S'agissant des auvents et du jardin d'hiver, ils n'avaient pas été autorisés, mais elle entendait déposer, à très brève échéance, une demande d'autorisation de construire a posteriori selon l'article 27c LaLAT.

6. Dans ses observations du 15 mai 2006, le département a conclu au rejet du recours et à la confirmation de sa décision.

L'ordre de démolition était fondé dans son principe. Les constructions litigieuses n'étaient pas conformes à la zone agricole. Une dérogation au sens de l'article 24 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700) ne pouvait être envisagée, de sorte que les travaux n'étaient en tout état de cause pas autorisables. La recourante ne faisait valoir que des intérêts de pure convenance personnelle, qui devaient s'effacer devant l'intérêt public à rétablir une situation conforme au droit.

7. Sur quoi, par courrier adressé aux parties le 24 mai 2006, la cause a été gardée à juger.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. L'article 46 alinéa 2 LPA prévoit que les décisions sont notifiées aux parties, le cas échéant à leur domicile élu auprès de leur mandataire, par écrit.

b. A teneur de l'article 47 LPA, une notification irrégulière ne peut entraîner aucun préjudice pour les parties.

c. En pareil cas, la décision en cause n'est ni nulle ni annulable, mais elle est en principe inopposable à ceux qui auraient dû en être les destinataires, à savoir les enfants de Mme S_____ et de feu son mari (ci-après : les enfants S_____ ; P. MOOR, Droit administratif, Vol. II, Berne 2002, p. 318, ch. 2.3.2.4).

d. Cependant, la personne à laquelle l'acte n'a pas été notifié doit s'en prévaloir en temps utile, dès que, d'une manière ou d'une autre, elle est au courant de la situation : attendre passivement serait contraire au principe de la bonne foi (ibidem, p. 319). En définitive, le vice ne peut être sanctionné s'il peut être réparé sans préjudice pour les parties (ibidem, p. 304, ch. 2.2.8.4).

En l'espèce, la décision a été notifiée à Mme S_____ seulement. Il ne ressort pas du dossier que Mme S_____ était titulaire, à l'époque de la notification, des pouvoirs de représenter l'hoirie. A cet égard, l'exigence de notification aux parties, au sens de l'article 46 alinéa 2 LPA, n'a pas été pleinement respectée.

Toutefois, dans l'acte de recours, le conseil de Mme S_____ déclare, d'une part, représenter également les enfants S_____ dans la procédure et, d'autre part, que ces derniers adhèrent au recours. La qualité de partie leur est ainsi reconnue, de telle sorte qu'ils ne subissent aucun préjudice de la notification irrégulière de la décision. Ce vice a par conséquent été valablement réparé et il sera ci-après fait référence non plus à la seule recourante mais aux recourants.

3. Les recourants sollicitent la suspension de la procédure.

Selon l’article 14 alinéa 1 LPA, lorsque le sort d’une procédure administrative dépend de la solution d’une question de nature civile, pénale ou administrative relevant de la compétence d’une autre autorité et faisant l'objet d'une procédure pendante devant ladite autorité, la suspension de la procédure administrative peut être prononcée. Il s’agit pour le Tribunal d’une faculté et non pas d’une obligation.

En l’espèce, les recourants ont déclaré avoir l'intention de déposer une requête en autorisation de construire, mais n'ont produit aucune pièce démontrant que tel avait été le cas. Le département ne s'y réfère pas davantage : au contraire, il a clairement exprimé, dans ses observations au présent recours, que les travaux et installations en cause n'étaient en aucun cas autorisables.

La procédure ne fera ainsi pas l'objet d'une suspension, faute d'en réunir les conditions.

4. Le Tribunal peut renoncer à un transport sur place requis à titre d'offre de preuves notamment lorsqu'il acquiert la certitude que cet acte d'instruction ne pourrait l'amener à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATA/912/2004 du 23 novembre 2004 ; ATA/172/2004 du 2 mars 2004).

En l'espèce, le tribunal de céans renoncera à effectuer l'inspection locale suggérée par les recourants, dès lors que le dossier comprend suffisamment d'éléments, en particulier le constat de l'inspecteur du département, pour établir les faits pertinents.

5. a. Selon l’article 1 alinéa 1 lettre a LCI, nul ne peut, sur tout le territoire du canton, sans y avoir été autorisé, élever en tout ou partie une construction ou une installation. De même n’est-il pas possible de modifier, même partiellement, le volume, l’architecture, la couleur, l’implantation, la distribution ou la destination d’une construction ou d’une installation sans autorisation (art. 1 al. 1 let. b LCI).

b. Par constructions ou installations, on entend toutes choses immobilières ou mobilières édifiées au-dessus ou au-dessous du sol ainsi que toutes leurs parties intégrantes et accessoires (art. 1 al. 1 du règlement d'application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 - RALCI - L 5 05 01).

c. En zone à bâtir, l’édification de constructions de très peu d’importance - les cabanes amovibles de dimension modeste, de l'ordre de 5 m2 au sol et 2 m de hauteur, entre autres – n’est pas soumise à autorisation de construire (art. 1 al. 3 et 4 let. a LCI). Toutefois, la parcelle des recourants sur laquelle sont édifiées les constructions litigieuses est sise en zone agricole. Le régime dérogatoire de l’article 1 alinéa 3 LCI ne s’appliquant qu’en zone à bâtir, il ne leur est en tout état pas applicable.

d. Dans une jurisprudence récente, le Tribunal administratif a jugé que l'aménagement d'une mare similaire à celle dont il est question ici était soumis à autorisation (ATA/912/2004 précité). Il n'y a pas lieu de s'en écarter en l'espèce.

L'aménagement du jardin d'hiver, de la piscine, des deux auvents et du biotope, dont il est établi qu'ils ont été effectués par Mme S_____ et son défunt mari, sont ainsi des constructions soumises à autorisation au sens de la LCI. Reste à examiner si elles peuvent être autorisées en zone agricole.

6. Selon l’article 20 alinéa 1 lettres a, b et c LaLAT, ne sont autorisées en zone agricole que les constructions et installations qui sont destinées à cette activité et aux personnes l’exerçant à titre principal, respectant la nature et la paysage ainsi que les conditions fixées par les articles 34 et suivants de ordonnance sur l'aménagement du territoire du 28 juin 2000 (OAT - RS 700.1). Cette dernière précise notamment que les constructions et installations qui servent à l’agriculture pratiquée en tant que loisir ne sont pas réputées conformes à l’affectation de la zone agricole.

Tant la situation personnelle des recourants – dont aucun n'exerce d’activité agricole – que l’utilisation des constructions litigieuses excluent la conformité de ces dernières à une affectation agricole.

7. Selon l’article 24 de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire du 22 juin l979 (LAT - RS 700), des autorisations peuvent être délivrées hors des zones à bâtir pour de nouvelles constructions ou installations ou pour tout changement d’affectation, si l’implantation de ces constructions ou installations est imposée par leur destination (let. a) et qu’aucun intérêt prépondérant ne s’y oppose (let. b). La teneur de l’article 27 LaLAT est identique.

La LAT a subi diverses modifications qui sont entrées en vigueur le 1er septembre 2000, sans toutefois toucher la substance des conditions précitées (F. MEYER-STAUFFER, La zone agricole, in Journée du droit de la construction, 2001, p. 48).

Ni le jardin d'hiver, ni les auvents, ni la piscine, ni le biotope ne sont des constructions dont l’emplacement est imposé en zone agricole par leur destination. Elles ne peuvent par conséquent bénéficier d’une dérogation fondée sur l’article 27 LaLAT.

8. Lorsqu’une construction ou une installation n’est pas conforme aux prescriptions de la LCI et de ses dispositions d’application, le département peut notamment ordonner sa suppression ou sa démolition (art. 129 let. e et 130 LCI).

Comme vu ci-dessus, les constructions litigieuses, soumises au régime ordinaire de l’autorisation, ont été édifiées en violation de l’article 1 alinéa 1 LCI.

Elles ne sont pas autorisables en zone agricole et ne bénéficient pas de la prescription trentenaire (ATA/363/2005 du 24 mai 2005).

Le département était donc en droit d’ordonner leur démolition.

9. Un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 6 avril 2006 par l’hoirie de feu Monsieur Y_____ S_____, soit pour elle Mesdames A_____ et M_____ S_____ et Messieurs D_____ et Aa_____ S_____ contre la décision du département des constructions et des technologies de l'information du 7 mars 2006 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 1'500.- ;

dit que, conformément aux articles 97 et suivants de la loi fédérale d'organisation judiciaire, le présent arrêt peut être porté, par voie de recours de droit administratif, dans les trente jours dès sa notification, par-devant le Tribunal fédéral ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé en trois exemplaires au moins au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14 ; le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyen de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Lucien Lazzarotto, avocat des recourants, ainsi qu'au département des constructions et des technologies de l'information.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Paychère, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

 

M. Tonossi

 

la vice-présidente :

 

 

 

L. Bovy

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :