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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4481/2008

ATA/401/2011 du 21.06.2011 sur DCCR/339/2010 ( PE ) , ADMIS

Descripteurs : RESSORTISSANT ÉTRANGER ; AUTORISATION DE SÉJOUR; CAS DE RIGUEUR; ÉGALITÉ DE TRAITEMENT; INTÉGRATION SOCIALE
Normes : Cst.8 ; LEtr.30.al1 ; LEtr.96 ; OASA.31.al1
Résumé : Admission d'un recours contre le refus de l'office cantonal de la population de soumettre favorablement le dossier du recourant à l'autorité fédérale en vue de l'octroi d'une autorisation de séjour. Le recourant, indépendant sur le plan financier, intégré socialement à Genève, y séjourne depuis 1976 avec des interruptions entre 1987 et 1997. Compte tenu de la longueur de son séjour en Suisse, de son âge et des difficultés d'intégration qu'il risque de rencontrer en Egypte, le refus de l'OCP viole le principe de l'égalité de traitement.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4481/2008-PE ATA/401/2011

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 21 juin 2011

2ème section

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Razi Abderrahim, avocat

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION

_________


Recours contre la décision de la commission cantonale de recours en matière administrative du 9 mars 2010 (DCCR/339/2010)


EN FAIT

1. Monsieur A______, né le ______ 1950, est ressortissant égyptien.

2. Il est arrivé à Genève le 30 août 1976, étant mis au bénéfice d’un permis de séjour temporaire aux fins d’études, renouvelé jusqu’au 28 février 1983.

3. Le 11 février 1983, il a déposé une demande d’asile qui a abouti à une décision négative assortie d’un renvoi, lequel fut exécuté le 15 mai 1987, M. A______ acceptant de quitter volontairement la Suisse et retirant le recours qu’il avait interjeté contre l’ordre de renvoi.

4. Entre 1989 et 1997, M. A______ est revenu à plusieurs reprises en Suisse, au bénéfice de plusieurs visas de séjour.

5. Après la délivrance du dernier visa en 1997, M. A______ est resté en Suisse, vivant à la Chaux-de-Fonds, ayant des projets de mariage avec une ressortissante suisse.

6. Le 26 octobre 1999, le service des étrangers du département de l’économie publique du canton de Neuchâtel lui a écrit. Dès lors qu’il n’arrivait pas à concrétiser ses projets de mariage par l’obtention d’une autorisation de mariage auprès de l’état civil du canton, sa présence sur le territoire cantonal était tolérée jusqu’au 15 janvier 2000.

7. Les projets de mariage de M. A______ n’ayant pu définitivement se concrétiser, celui-ci s’est rendu en janvier 2000 à Genève, sans être au bénéfice d’une autorisation de séjour.

8. Le 10 mai 2008, l’entreprise B______, sise 14, rue L______ à Genève, a sollicité la délivrance d’une autorisation de séjour pour M. A______ qu’elle désirait engager comme cuisinier-pâtissier en rapport avec des spécialités libanaises.

9. Le 4 juin 2008, M. A______ a demandé à l’office cantonal de la population (ci-après : OCP) la délivrance d’une autorisation de séjour pour cas individuel d’une extrême gravité.

10. Le 9 juillet 2008, l’OCP a délivré à B______ l’autorisation de travail requise jusqu’à droit connu sur la demande d’autorisation de séjour, autorisation révocable en tout temps.

11. Le 9 septembre 2008, M. A______ a été entendu par l’OCP. La vie en Egypte était difficile et il n’arrivait pas à s’y habituer. Il avait une mentalité d’européen et se sentait bien intégré en Suisse, notamment socialement. Il souhaitait travailler en qualité de réceptionniste d’hôtel ou de chauffeur de taxi.

12. Le 6 novembre 2008, l’OCP a refusé de soumettre favorablement le dossier de M. A______ à l’autorité fédérale en vue de l’octroi d’une autorisation de séjour. En outre, aucun motif n’étant allégué ni ne ressortant du dossier quant à l’existence d’obstacles à son retour en Egypte, le requérant était renvoyé de Suisse, un délai au 5 février 2009 lui étant imparti pour quitter la Suisse. Le dossier allait être transmis ultérieurement à l’office fédéral des migrations (ci-après : ODM) pour qu’il prononce une interdiction d’entrée à l’endroit de M. A______.

13. Le 8 décembre 2008, M. A______ a recouru contre la décision précitée auprès de la commission cantonale de recours en matière de police des étrangers, remplacée depuis le 1er janvier 2009 par la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : la commission), elle-même devenue depuis le 1er janvier 2011 le Tribunal administratif de première instance. Il devait être mis au bénéfice d’une dérogation aux conditions d’admission ordinaires d’un étranger, au sens de l’art. 30 al. 1 let. b de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr - RS 142.20) pour tenir compte d’un cas individuel d’une extrême gravité. Conformément à l’art. 31 de l’ordonnance relative à l’admission, au séjour et à l’exercice d’une activité lucrative du 24 octobre 2007 (OASA - RS 142.01), il était parfaitement intégré en Suisse, s’exprimant parfaitement en français, tant écrit qu’oral, membre d’associations syndicales et ayant noué d’innombrables connaissances et amitiés dans le cadre de la société genevoise. Il n’avait jamais fait l’objet d’aucune condamnation. Il n’avait plus aucune situation familiale en Egypte, n’ayant personne pour l’accueillir directement s’il était renvoyé. Il avait toujours été autonome financièrement, travaillant pour subvenir à ses besoins. Il avait séjourné à Genève sans interruption entre 1976 et 1987, puis depuis 1997 à ce jour. Son état de santé était bon, néanmoins il souffrait d’un état de choc et de détresse accentué après le rejet de sa demande de régulariser son séjour en Suisse. Il n’avait de possibilité de réintégration en Egypte. Il avait 58 ans et n’était plus capable de comprendre la mentalité égyptienne qu’il avait perdue depuis longtemps. Il serait totalement déraciné s’il venait à être renvoyé dans son pays d'origine. Il serait notamment vraisemblablement au chômage et incapable de fonder une famille. Il a annexé à son recours un certificat médical de la Doctoresse Suzanna Joliat Du Berg. Celle-ci l’avait reçu dès le 12 novembre 2008. Il présentait un état de choc et de détresse intense, soit un état anxieux important avec des moments stuporeux, proférant des propos auto et hétéro agressifs. Le risque suicidaire n’était pas à l’heure actuelle exclu. Selon le patient, devoir retourner vivre en Egypte c’est pire que mourir. Compte tenu de sa structure psychologique, de son âge et de son investissement affectif dans son pays d’accueil, il était difficilement imaginable que M. A______ puisse trouver la force de réintégrer son pays d’origine. Cette perspective soulevait en lui des angoisses incoercibles, constitutives d’un traumatisme et de l’effondrement de toute son organisation de vie.

14. Le 29 janvier 2009, l’OCP a conclu au rejet du recours.

15. Lors d’une audience de comparution personnelle du 9 mars 2010, M. A______ a confirmé sa situation personnelle devant la commission. Il travaillait comme cuisinier et n’avait rien à ajouter par rapport aux pièces transmises récemment le 5 mars 2010. Parmi celles-ci figuraient différentes attestations en rapport avec son intégration, son absence de dettes. Concernant sa situation médicale, un certificat de la Dresse Joliat Du Berg du 25 février 2010 confirmait une prise en charge pour une psychopathologie dépressive ou anxieuse consécutive à sa situation juridique et administrative et sociale, liée à son absence de permis de séjour.

16. Par décision du 9 mars 2010, la commission a rejeté le recours de M. A______. Son cas ne remplissait pas les critères déterminants pour la reconnaissance d’un cas individuel d’extrême gravité au sens de l’art. 31 al. 1 OASA, interprété à la lumière de la pratique relative à l’application de l’ancien art. 13 let. f de l’ordonnance limitant le nombre des étrangers du 6 octobre 1986 (OLE - RS 823.21) et de la circulaire n° 52.4.7 de l’ODM du 1er janvier 2007. Le recourant avait certes séjourné durant vingt-trois ans en Suisse mais cette durée devait être relativisée car il n’avait pas séjourné en Suisse de manière continue et avait effectué une partie de son séjour de manière illégale, notamment de 1999 à 2008. Son intégration professionnelle n’était pas exceptionnelle car il n’avait pas acquis de connaissances ou de qualifications spécifiques qu’il pourrait mettre en pratique dans son pays. Il n’avait pas fait preuve d’une évolution professionnelle remarquable. Son intégration sociale n’était pas particulièrement intense et son comportement n’était pas irréprochable dès lors qu’il avait contrevenu aux dispositions légales régissant l’entrée et le séjour des étrangers en Suisse. Ses problèmes de santé n’impliquaient pas qu’il doive rester en Suisse et il n’avait pas allégué suivre de traitement particulier nécessitant un séjour dans ce pays. S’il était certain qu’un retour en Egypte impliquerait des difficultés pour le recourant, tant sur le plan personnel que financier, il n’en demeurait pas moins qu’il n’y avait pas d’élément prépondérant attestant que ses difficultés seraient plus graves que pour d’autres compatriotes contraints de retourner dans leur pays d’origine. Il avait tout de même des sœurs qui vivaient en Egypte et qui pourraient l’aider à se réintégrer socialement.

17. Par acte posté le 16 avril 2010, M. A______ a recouru auprès du Tribunal administratif, devenu depuis le 1er janvier 2011 la chambre administrative de la section administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), contre la décision précitée, communiquée le 16 mars 2010. Il conclut à son annulation et à ce qu’il soit mis au bénéfice d’une autorisation de séjour en Suisse en vertu de l’art. 30 al. 1 LEtr. Il conclut également au versement d'une indemnité de procédure. Il se référait aux faits qu’il avait exposés antérieurement. Entre 1989 et 1997, il avait passé près de cinq cent jours en Suisse dans le cadre des visas qui lui avaient été accordés mais ce n’était pas pour accompagner de manière ponctuelle de riches familles arabes, comme l’avait affirmé la commission. Son retour en Egypte en 1989 s’était soldé par un échec, dès lors qu’il se sentait très étranger au système social égyptien. Il devait être mis au bénéfice de l’art. 31 al. 1 b LEtr et pouvoir obtenir un permis à titre de rigueur personnelle au sens de cette disposition. Le grief principal adressé à la commission était d’avoir relativisé la durée de son séjour en Suisse en retenant qu’il s’était déroulé en partie d’une manière illégale et en faisant abstraction de la durée réelle dudit séjour, soit vingt-quatre ans, tout en faisant abstraction du fait qu’il avait près de 60 ans et passé la plus importante partie de sa vie en Suisse. Il critiquait la non-prise en considération de son intégration professionnelle et de sa situation de santé, son médecin ayant précisé qu’un retour en Egypte n’était pas raisonnablement exigible, au regard de sa structure psychologique et de l’investissement affectif dans son pays d’accueil.

18. La commission a transmis son dossier le 21 avril 2010 sans formuler d’observations.

19. Le 2 juin 2010, l’OCP a répondu au recours. Il conclut à son rejet. Le recourant ne remplissait pas les conditions d’application de l’art. 31 al. 1 let. b LEtr, ceci à teneur de la jurisprudence du Tribunal fédéral citée par l’intimée. En outre, son renvoi dans son pays d'origine n’était pas impossible. En particulier, le recourant avait effectué de nombreux et longs séjours à l’étranger, notamment en Egypte. Sa situation n’était ainsi pas comparable à celle d’une personne ayant séjourné continuellement dans notre pays, lequel devient alors l’unique point de rattachement social, culturel et professionnel.

20. Le 30 août 2010, les parties ont été entendues par le juge délégué.

Selon le recourant, lorsqu’il avait quitté la Suisse en 1987, il s’était rendu en Italie chez son frère ayant peur de rentrer en Egypte de crainte d’être arrêté. Sa famille l’ayant rassuré à ce sujet, il était retourné dans son pays et n’avait pas été inquiété. Par contre, il était rapidement retourné en Suisse dès 1989 également, effectuant des allers-retours entre la Suisse et l’Egypte de 1989 à 1997 profitant des visas qui avaient été délivrés pour accompagner un prince saoudien qui l’avait engagé. Dès 1997, il était resté en Suisse, vivant à la Chaux-de-Fonds où il avait des projets de mariage. En 1999, ayant dû renoncer à ces derniers, il était revenu à Genève sans s’annoncer à l’OCP, mais en travaillant pour le compte de la régie C______ comme gardien d’une villa jusqu’en 2008, puis en travaillant dans un restaurant libanais. Il avait alors effectué des démarches auprès de l’OCP. Il était au chômage depuis mars 2010. Au plan médical, il rencontrait des problèmes de santé liés à l’arthrose, l’hypertension et le cholestérol, devant prendre des médicaments. Sur le plan psychologique, il était affecté par la présente situation et suivi par la doctoresse Joliat Du berg, qui lui avait prescrit des tranquillisants à prendre lorsqu’il ne se sentait pas bien ainsi que du Dormicum.

En Egypte, il n’avait plus qu’une sœur, qu’il devrait aider financièrement. En effet, sa deuxième sœur était décédée quelque mois avant l’audience. A Genève, un contentieux financier l’opposait à son ancien avocat pour être indemnisé car ce dernier avait laissé échapper le délai de recours contre le jugement des prud’hommes statuant, sur un litige qu’il avait encore avec la régie C______ relatif aux rapports de travail. Plusieurs personnes, voisins et connaissances pouvaient attester de sa bonne intégration ainsi que le confirmaient plusieurs déclarations signées qu’il versait à la procédure.

21. Le 15 septembre 2010, le juge délégué a requis de l’OCP, aux fins de comparaison, la transmission du dossier d’une famille de ressortissants du Kosovo qui avait fait l’objet d’une décision de la part de cette autorité refusant l’octroi d’un permis à titre de rigueur personnelle et qui avait fait l’objet d’une décision de renvoi mais qui venait d’être mise au bénéfice d’une autorisation de séjour en dérogation des conditions d’admission.

22. L’OCP s’est exécuté le 21 septembre 2010. Le dossier en question concernait le cadre d’un ressortissant serbe, originaire du Kosovo, arrivé en Suisse en 1990 et rejoint par son épouse et ses deux enfants en 2005. Par arrêt du 10 septembre 2007, le Tribunal administratif fédéral avait rejeté un recours qu’il avait interjeté contre le refus de lui accorder une autorisation de séjour fondée sur l’art. 13 let. f OLE. Le 8 mars 2010, l’OCP avait prononcé le renvoi de cet étranger et de sa famille et leur avait imparti un délai de départ. Ces derniers avaient recouru auprès de la commission contre cette décision. Pendant l’instruction du recours, la situation de la famille précitée avait fait l’objet d’intervention de la commune et de privés, demandant qu’un permis de séjour leur soit accordé en raison de leur intégration parfaite sur le plan professionnel, social et scolaire, demande à laquelle l'OCP avait accédé.

23. Les parties ont été informées de la transmission au juge de cette procédure et le 30 novembre 2010, elles ont été avisées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Depuis le 1er janvier 2011, suite à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), l'ensemble des compétences jusqu'alors dévolues au Tribunal administratif a échu à la chambre administrative de la Cour de justice, qui devient autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 131 et 132 LOJ).

Les procédures pendantes devant le Tribunal administratif au 1er janvier 2011 sont reprise par la chambre administrative (art. 143 al. 5 LOJ). Cette dernière est ainsi compétente pour statuer.

2. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A aLOJ et 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 dans se teneur au 31 décembre 2010).

3. Le recours contre les décisions de police des étrangers peut être formé pour violation du droit, y compris l’exercice ou l’abus du pouvoir d’appréciation (art. 61 al. 1 let. a LPA) ou pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents (art. 61 al. 1 let. b LPA). En revanche, la chambre administrative ne revoit pas l’opportunité des décisions prises dans ce domaine, la loi ne le prévoyant pas (art. 61 al. 2 LPA).

4. La décision de l’OCP du 6 novembre 2008 que le recourant conteste comporte deux volets, savoir un refus de soumettre le cas de ce dernier à l’ODM pour qu’il lui soit délivré un permis en dérogation du régime d’autorisation de séjour ordinaire et un renvoi de Suisse avec fixation de départ.

L’art. 8 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) consacre le principe de l’égalité de traitement qui interdit d’établir des distinctions qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou à omettre de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas tranché de manière identique et que ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente (ATF 118 Ia consid. 3 p. 2-3 et arrêts cités).

5. La demande d’autorisation de séjour pour cas d’extrême gravité ayant été formée le 4 juin 2008, la procédure est régie par la LEtr et sa législation d’application, notamment l’OASA (ATA/162/2010 du 9 mars 2010 ; ATA/646/2009 du 8 décembre 2009).

6. Selon l’art. 30 al. 1 let. b LEtr, il est possible de déroger aux conditions d’admission d’un étranger en Suisse pour tenir compte d’un cas individuel d’extrême gravité.

L’art. 31 al. 1 OASA indique que, lors de l’appréciation du cas d’extrême gravité, il convient de tenir compte notamment :

a) de l’intégration du requérant ;

b) du respect de l’ordre juridique suisse par le requérant ;

c) de la situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants ;

d) de la situation financière ainsi que de la volonté de prendre part à la vie économique et d’acquérir une formation ;

e) de la durée de la présence en Suisse ;

f) de l’état de santé ;

g) des possibilités de réintégration dans l’Etat de provenance.

Les art. 30 LEtr et 31 OASA réglant les cas d’octroi de permis pour situation d’extrême gravité ayant remplacé les situations réglées par l’art. 13 let. f OLE. La jurisprudence développée jusqu’au 31 décembre 2007 en rapport avec l’application de cette dernière disposition légale est toujours d’actualité. En particulier, les dispositions dérogatoires en question présentent un caractère exceptionnel et les conditions pour la reconnaissance d’une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATA/531/201 du 4 août 2010 ; ATA/162/2010 précité), même si l’administration jouit d’un certain pouvoir d’appréciation dans ce domaine.

En règle générale, il est nécessaire que l’étranger concerné se trouve dans une situation de détresse personnelle. Cela signifie que ses conditions de vie et d’existence, comparées à celles applicables à la moyenne des étrangers, doivent être mises en cause de manière accrue, c’est-à-dire que le refus de soustraire l’intéressé à la réglementation ordinaire d’admission comporte pour lui de graves conséquences. Le fait qu’il ait séjourné en Suisse pendant une assez longue période, qu’il y soit bien intégré socialement et professionnellement et que son comportement n’ait pas fait l’objet de plaintes ne suffit pas, à lui seul, à constituer un cas d’extrême gravité ; il faut encore que sa relation avec la Suisse soit si étroite qu’on ne puisse exiger qu’il aille vivre dans un autre pays, notamment dans son pays d’origine. A cet égard, les relations de travail, d’amitié ou de voisinage que l’intéressé a pu nouer pendant son séjour ne constituent normalement pas des liens si étroits avec la Suisse qu’ils justifieraient une exception (ATF 124 II 110 consid. 3 ; Arrêts du Tribunal administratif fédéral C-6628/2007 du 23 juillet 2009, consid. 5 ; 2A.429/2003 du 26 novembre 2003 consid. 3 et les références citées ; ATA/648/2009 du 8 décembre 2009 ; A. WURZBURGER, La jurisprudence récente du Tribunal fédéral en matière de police des étrangers in RDAF I 1997 p. 267 ss). Son intégration professionnelle doit en outre être exceptionnelle ; le requérant possède des connaissances professionnelles si spécifiques qu’il ne pourrait les utiliser dans son pays d’origine ; ou alors son ascension professionnelle est si remarquable qu’elle justifierait une exception aux mesures de limitation (Arrêt du Tribunal fédéral 2A.543/2001 du 25 avril 2002, consid. 5.2).

Quant aux séjours illégaux en Suisse, ils ne sont en principe pas pris en compte dans l’examen d’un cas d’extrême gravité. La longue durée d’un tel séjour n’est pas, à elle seule, un élément constitutif d’un cas personnel d’extrême gravité, sinon l’obstination à violer la législation en vigueur serait, en quelque sorte, récompensée (Arrêt du Tribunal fédéral C-6628/2007 déjà cité).

7. Une décision ou un arrêté viole le principe de l’égalité de traitement garanti par l’art. 8 Cst. lorsqu’il établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu’il omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et lorsque ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente. Cela suppose que le traitement différent ou semblable injustifié se rapporte à une situation de fait importante. La question de savoir si une distinction juridique repose sur un motif raisonnable peut recevoir une réponse différente selon les époques et suivant les conceptions, idéologies et situations du moment (ATF 131 I 1 consid. 4.2 p. 6/7 ; 129 I 346 consid. 6 p. 357 ss ; 129 I 113 consid. 5.1 p. 125 ; V. MARTENET, Géométrie de l'égalité, Zürich-Bâle-Genève 2003, p. 260 ss). Dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, l’administration doit respecter ce principe.

8. En l’occurrence, au cours de l’instruction de la présente cause, le cas d’une famille originaire du Kosovo, vivant la même situation procédurale que le recourant puisque s’étant vue refuser l’octroi d’un permis de séjour à titre de rigueur personnelle et renvoyée de Suisse, a été évoqué dans les médias, le monde politique et par l’opinion publique. En comparaison de leurs dossiers respectifs, il n’apparaît pas que la situation de l’intéressé diffère de celle de cette famille. A l’instar des membres de celle-ci, le recourant vit en Suisse depuis de nombreuses années, voire depuis plus longtemps que ces derniers, puisqu’il est arrivé à Genève en 1976, qu’il y a vécu légalement jusqu’en 1987, puis avec des interruptions entre 1987 et 1997, profitant de visas qui lui avaient été accordés pour qu’il puisse travailler pour une riche famille arabe, puis revenant s’installer définitivement en Suisse dès 1997 et à Genève depuis l’an 2000. Certes, son séjour en Suisse s’est, pour une partie, effectué dans l’illégalité, mais en cela, sa situation n’est en rien différente de celle de la famille à laquelle l'OCP a accepté de délivrer une autorisation de séjour. Dès lors que le recourant n’a pas fait l’objet de poursuites pénales et qu’il s’est révélé indépendant sur le plan financier, n’émargeant pas à l’assistance publique, qu’à la lecture des documents figurant au dossier, il se révèle intégré socialement à Genève, on ne voit pas pour quelle raison l’OCP, compte tenu de la longueur de son séjour en Suisse et des difficultés d’intégration qu’il risque de rencontrer en Egypte (art. 31 al. 1 let. g OASA) refuserait de soumettre favorablement son dossier à l’autorité fédérale en vue de l’obtention d’un permis de séjour hors contingent, sauf à commettre une violation grave de l'égalité de traitement. Certes, compte tenu de l’âge du recourant, sa situation professionnelle est moins assurée que celle de la famille d'étrangers précitée. Néanmoins, il a largement démontré sa volonté de travailler pour être indépendant financièrement, bénéficiant d’une formation et d’une expérience professionnelles, ainsi que d’un permis de conduire. L’octroi d’un permis de séjour lui permettrait d’améliorer ses chances de se réinsérer professionnellement.

9. En considération de ce qui précède, l’OCP aurait dû reconnaître, en application de l'art. 96 LEtr, que le recourant remplissait les conditions de l’art. 30 al. 1 let. b LEtr et 31 al. 1 OASA. La décision de la commission du 9 mars 2010 sera réformée. Le recours de M. A______ contre celle-ci sera admis et la cause renvoyée à l’OCP pour nouvelle décision au sens des considérants.

10. Un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de l’OCP (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée au recourant, qui y a conclu (art. 87 al. 2 LPA)

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 avril 2010 par Monsieur A______ contre la décision du 9 mars 2010 de la commission cantonale de recours en matière administrative ;

au fond :

l’admet ;

retourne la cause à l'office cantonal de la population pour qu'il présente la cause de Monsieur A______ avec un préavis formel en vue de l'octroi d'une autorisation de séjour ;

met à la charge de l’office cantonal de la population un émolument de CHF 400.- ;

alloue à Monsieur A______ une indemnité de CHF 1'000.- à la charge de l’Etat de Genève ;

dit que, les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Razi Abderrahim, avocat du recourant, à l'office cantonal de la population, à l'office fédéral des étrangers (ODM), ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, Mme Hurni, M. Dumartheray, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste. :

 

 

D. Werffeli Bastianelli

 

la présidente :

 

 

L. Bovy

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :

 

 

 

 

 

 


Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

______________________________________________

Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.