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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3330/2014

ATA/394/2015 du 28.04.2015 ( MARPU )

Parties : PASCUAL TRANSPORTS GENEVE / VILLE DE GENEVE - DIRECTION DU PATRIMOINE BÂTI
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3330/2014-MARPU ATA/394/2015

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt sur partie du 28 avril 2015

 

dans la cause

 

PASCUAL TRANSPORTS GENÈVE

contre

VILLE DE GENÈVE - DIRECTION DU PATRIMOINE BÂTI



EN FAIT

1) La Ville de Genève (ci-après : la ville) a, dans le cadre de la rénovation de l’école des Crêts-de-Champel, devisée au total à plus de CHF 20'000'000.-, invité les entreprises SRS Swiss Recycling Service, Pascual Transports Genève (ci-après : Pascual Transports), Serbeco, Retripa SA et Transvoirie SA à soumissionner au marché portant sur la gestion des déchets du chantier.

La pondération des critères d’adjudication, mentionnés dans l’appel d’offre, était la suivante :

- prix 30 %

- organisation 45 %

- qualité technique 20 %

- formation des apprentis 5 %.

Concernant le critère « prix », la notation serait faite selon la méthode « T2 » du guide romand et un facteur de crédibilité pourrait être utilisé pour pondérer le note obtenue.

2) SRS Swiss Recycling Service, Serbeco, Pascual Transports et Transvoirie SA ont déposé des offres dans le délai.

Les prix suivants ressortaient des offres de Pascual Transports et de Transvoirie SA :

Position

Pascual Transports

Transvoirie SA

2.5 cartons

CHF 0.- (Retripa ou Rotelli repreneur)

- CHF 20.- (Papirec SA repreneur)

2.6 métaux totaux

CHF 0.- (Rotelli repreneur)

- CHF 85.- (Jaeger et Bosshard SA repreneur)

2.7 Fenêtres et cadres

CHF 0.- (Pascual Transports repreneur)

+ CHF 50.- (Sogetri repreneur)

Le total de l’offre de Pascual Transports était de CHF 58'195.15 alors que celle de Transvoirie SA était de CHF 63'395.20.

3) Lors de l’évaluation des offres, Pascual Transports s’est vu attribuer la note 4 pour le critère « qualité économique » soit 120 points au classement final. La note de 5 avait été pondérée par un facteur de crédibilité de 0.8, les évaluateurs ayant considéré que l’offre était peu crédible au vu du prix de CHF 0.- indiqué pour le traitement des fenêtres.

De son côté, pour ce critère, Transvoirie SA s’est vu attribuer la note 4.21 (soit 126,4 points), avec un facteur de 1 pour la crédibilité.

Dans l’évaluation finale, Transvoirie SA était première avec 407,55 points alors que Pascual Transports était seconde avec 388,75 points.

4) Le 28 octobre 2014, la ville a informé Transvoirie SA que le marché lui était attribué pour CHF 63'395.20. Pascual Transports a été informé, le lendemain, que son offre était écartée.

5) Le 30 octobre 2014, Pascual Transports a saisi la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) d’un recours contre la décision précitée. Dès lors qu’elle disposait d’une installation spéciale pour le traitement des déchets amiantés, elle était équipée également pour le traitement des fenêtres avec joints amiantés. Elle était actuellement la seule entreprise autorisée à Genève à traiter l’amiante. Les vitres étaient reprises gratuitement par son repreneur et les cadres de fenêtres étaient refondus. Cela expliquait le tarif proposé à la rubrique « 2.7 Fenêtres et cadres ».

Au recours était annexé une copie de l’autorisation d’exploiter une plateforme de tri et de transfert de déchets, accordée par le service de géologie, sols et déchets (ci-après : GESDEC) à Pascual Transports, concernant notamment les déchets de chantier contenant des fibres d’amiante libre ou libérable ainsi que les matériaux d’isolation contenant de l’amiante.

6) Le 20 novembre 2014, la ville a conclu au rejet du recours. Pascual Transports n’avait pas joint l’attestation du GESDEC l’autorisant à traiter l’amiante, si ce n’est lors de la procédure de recours. En tout état, cette attestation ne pouvait viser que les fenêtres en verre et métal à l’exclusion de celles contenant du bois.

Dès lors que la ville n’avait pas été informée de cette autorisation, elle était légitimée à considérer que le prix proposé n’était pas crédible. Cela était d’autant plus vrai que, même si certains éléments pouvaient être recyclés gratuitement, le travail de séparation des diverses parties ainsi que celui de tri devaient être rémunérés. Moins de 30 % des fenêtres de l’école concernée avaient des cadres entièrement métalliques, le solde étant partiellement en bois.

7) Le 27 novembre 2014, la ville a informé la chambre administrative que le contrat avec Transvoirie SA avait été signé, dès lors que la restitution de l’effet suspensif n’avait pas été sollicitée.

8) La recourante ne s’est pas déterminée dans le délai qui lui avait été accordé pour exercer son droit à la réplique, et la cause a été gardée à juger le 19 décembre 2014.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le marché est soumis notamment à l’Accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05), au règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01) ainsi qu’à la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’AIMP du 12 juin 1997 (L-AIMP - L 6 05.0). L’autorité adjudicatrice a fait usage de la clause de minimis, lui permettant de soustraire aux règles régissant les marchés soumis aux traités internationaux ceux qui n'atteignent pas séparément la valeur de deux millions de francs et, calculés ensemble, ne dépassent pas 20 % de la valeur totale de l'ouvrage (art. 10 al. 1 RMP).

Le recours, qui respecte le délai légal de dix jours des art. 15 al. 2 AIMP et 56 al. 1 RMP, est recevable sous cet angle.

3) L’adjudicataire évincé a qualité pour recourir contre une décision d’adjudication, dès lors qu’il est touché personnellement et directement par cette décision (art. 60 let. a LPA).

4) Selon l’art. 18 al. 2 AIMP, lorsque le contrat est déjà conclu, l’autorité qui admet le recours ne peut que constater le caractère illicite de la décision. Dans une telle situation, une issue favorable dudit recours ouvre le droit à une indemnisation pour le soumissionnaire lésé (ATF 125 II 86 consid. 5b p. 96).

En tant que soumissionnaire évincée, la recourante conserve également un intérêt actuel à recourir contre la décision d’adjudication au sens de l’art. 60 let. b LPA (ATA/681/2010 du 5 octobre 2010).

Le recours peut être formé pour violation du droit, y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation, ainsi que pour constatation inexacte ou incomplète des faits pertinents, à l’exception du grief d’inopportunité (art. 16 al. 1 et 2 AIMP ; art. 61 al. 1 et 2 LPA).

5) Le droit des marchés publics vise notamment au respect des principes de non-discrimination et d’égalité de traitement entre soumissionnaires (art. 11 let. a AIMP ; art. 16 RMP). Il vise également à promouvoir une concurrence efficace (art. 11 AIMP ; art. 17 RMP).

6) L’AIMP a pour objectif l’ouverture des marchés publics (art. 1 al. 1 AIMP). Il vise à harmoniser les règles de passation des marchés ainsi qu’à transposer les obligations découlant de l’accord GATT/OMC ainsi que de l’accord entre la communauté européenne et la Confédération suisse (art. 1 al. 2 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des données publiques (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 AIMP, notamment art. 11 let. a et b AIMP).

7) L’évaluation des offres est faite selon les critères prédéfinis dans l’appel d’offres (art. 43 al. 1 RMP) et le résultat de celle-ci doit faire l’objet d’un tableau comparatif (art. 43 al. 2 RMP). Le marché est attribué au soumissionnaire ayant déposé l’offre économiquement la plus avantageuse, c’est-à-dire celle qui présente le meilleur rapport qualité-prix, eu égard aux critères pris en considération selon ce qui figure dans les documents d’appel d’offres (art. 43 al. 3 RMP).

La jurisprudence reconnaît une grande liberté d’appréciation au pouvoir adjudicateur (ATF 125 II 86 consid. 6 p. 98). L’appréciation de la chambre administrative ne saurait donc se substituer à celle de ce dernier. Seul l’abus ou l’excès de pouvoir d’appréciation doit être sanctionné, ce que le Tribunal fédéral a affirmé à maintes reprises (ATF 130 I 241 consid. 6.1 p. 251 ; arrêts du Tribunal fédéral 2P.111/2003 du 21 janvier 2004 consid. 3.3 ; 2P.172/2002 du 10 mars 2003 consid. 3.2 ; RDAF 1999 I p. 301). En outre, pour que le recours soit fondé, il faut encore que le résultat, considéré dans son ensemble, constitue un usage abusif ou excessif du pouvoir d’appréciation (JAAC 1999 p. 143).

De plus, lorsque l’autorité se trouve en présence d’une offre paraissant anormalement basse, l’art. 41 RMP lui fait obligation de demander au soumissionnaire de justifier ses prix, selon la forme prévue à l'art. 40 al. 2 de ce règlement.

8) La recourante se plaint de la façon dont son offre a été évaluée, faisant valoir que la pondération de 0.8 appliquée au critère « prix » était infondée, dès lors qu’elle disposait des installations nécessaires pour traiter elle-même les fenêtres.

L’autorité a appliqué cette pondération en considérant que le prix annoncé pour le traitement des fenêtres était peu crédible. Elle explique, dans sa réponse au recours, qu’il lui apparaît impossible que l’élimination des fenêtres puisse être réalisée sans coûts.

Dans ces circonstances, il lui appartenait d’interpeller la recourante afin qu’elle communique les explications nécessaires, puis qu’elle décide d’une éventuelle pondération du prix une fois ces informations connues. En appliquant un facteur de crédibilité de 0.8 au prix proposé, déclassant de ce fait l’offre de la recourante de la première à la deuxième place, sans formellement obtenir de Pascual Transports les informations nécessaires, ni même tenter de le faire, la ville a contrevenu aux dispositions rappelées ci-dessus, et la décision litigieuse est contraire au droit.

La recourante ne s’étant pas déterminée sur la question du dommage et de l’indemnité, une instruction sera ouverte sur cette question (ATA/309/2013 du 14 mai 2013).

9) Au vu de ce qui précède, le recours sera admis dans cette mesure. Un délai sera fixé aux parties pour se déterminer sur le montant du dommage et pour produire toutes pièces probantes à cet effet. Le sort des frais sera réservé jusqu'au prononcé de l'arrêt final de la chambre de céans.

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 30 octobre 2014 par Pascual Transports Genève contre la décision de la Ville de Genève - Direction du patrimoine bâti du 29 octobre 2014 ;

au fond :

l'admet ;

constate l'illicéité de la décision d'adjudication du 28 octobre 2014 ;

cela fait :

ouvre une instruction sur le montant du dommage occasionné à Pascual Transports Genève ;

fixe à Pascual Transports Genève un délai au 29 mai 2015 pour justifier son dommage et produire toutes pièces probantes à cet effet ;

fixe à la Ville de Genève un délai au 29 juin 2015 pour répondre ;

réserve le sort des frais jusqu'au prononcé de l'arrêt final de la chambre de céans ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s’il soulève une question juridique de principe ;

- sinon, par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

communique le présent arrêt à Pascual Transports Genève, à la Ville de Genève - Direction du patrimoine bâti, ainsi qu’à la Commission de la concurrence.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, M. Dumartheray, Mme Payot
Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

M. Rodriguez Ellwanger

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :