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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4662/2009

ATA/385/2010 du 08.06.2010 ( PROC ) , REJETE

Parties : GRAND CONSEIL / MAISON DE VESSY, TRIBUNAL ADMINISTRATIF, PRO NATURA GENEVE
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4662/2009-PROC ATA/385/2010

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 8 juin 2010

 

dans la cause

 

GRAND CONSEIL

 

contre

 

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

 

 

et

 

 

PRO NATURA GENèVE
représentée par Me Alain Maunoir, avocat

 

 

et

 

 

MAISON DE VESSY, appelée en cause
représentée par Me François Bellanger, avocat



EN FAIT

1. Par arrêt du 29 septembre 2009, le Tribunal administratif a admis le recours déposé par Pro Natura Genève (ci-après : Pro Natura) contre la loi de modification de zones n° 10174 adoptée le 25 avril 2008 par le Grand Conseil (ATA/473/2009).

Le litige portait uniquement sur la modification de zones en tant qu'elle réduisait le périmètre de protection des rives de l'Arve sur la parcelle n° 1568 de la commune de Veyrier, propriété de l'Etat de Genève (consid. 11 ATA/473/2009). La limite de protection sur cette dernière parcelle était repoussée d'environ 30 m sur la largeur de 160 m de la parcelle n° 1568 afin de permettre l'agrandissement et la mise aux normes de la Maison de Vessy (ci-après : l'EMS) érigée sur la parcelle n° 2765 de la commune de Veyrier, selon un projet de construction issu d'un concours. La surface de périmètre déclassée, retenue par le Tribunal administratif et mesurée sur les plans figurant au dossier, était de 4'800 m2.

Dans son arrêt, le tribunal de céans a retenu dans la partie en fait que lors de l'enquête technique réalisée entre juillet et septembre 2006, l'avant-projet de modification de zones avait été préavisé défavorablement, le 20 septembre 2006, par le domaine nature et paysage du département du territoire (ci-après : le DNP). Par ailleurs, tous les autres préavis recueillis étaient favorables ou favorables sous réserve.

Le projet finalement déposé sur le bureau du Grand Conseil le 23 novembre 2007 prévoyait le déclassement mentionné ci-dessus en vue de permettre l'agrandissement et la mise aux normes de l'EMS.

2. Aucun recours n'a été déposé contre l'arrêt du Tribunal administratif du 29 septembre 2009.

3. Le 23 décembre 2009, le Grand Conseil a déposé auprès du Tribunal administratif une demande en révision de l'arrêt précité. Il concluait à l'annulation de l'arrêt et au rejet du recours de Pro Natura ainsi qu'au versement d'une indemnité de procédure.

Trois versions du projet de modification de zones datant des 22 juin, 11 septembre et 19 octobre 2006 avaient été soumises successivement au préavis du DNP. Le préavis retenu dans l'arrêt, correspondait au second projet, abandonné par la suite. Le dernier préavis du DNP portant sur le projet finalement adopté, daté du 22 octobre 2007, était favorable. Le deuxième projet concernait une soustraction du périmètre de protection de 15'403 m2, soit les 5'732 m2 de la parcelle n° 1568 (correspondant aux 4'800 m2 tels que mesurés sur les plans produits et retenus dans l'arrêt) et à 9'671 m2 au sud de la parcelle n° 2765. Le projet finalement retenu ne portait plus que sur les 5'732 m2 situés au nord de l'EMS.

Par inadvertance, la décision ne tenait pas compte du dernier préavis du DNP, invoqué et établi par pièce. Il y avait motif à révision vu l'importance de ce préavis dans l'appréciation faite par le tribunal. L'empiètement sur le périmètre de protection des rives de l'Arve devait être qualifié de mineur, compte tenu du préavis favorable et de la surface concernée. La demande en révision devait être admise et le recours déposé par Pro Natura rejeté.

4. a. Le 1er février 2010, l'EMS a déposé ses conclusions. Elle soutenait intégralement la demande en révision en renvoyant à l'écriture du Grand Conseil pour le surplus.

b. Le 8 février 2010, l'EMS a retiré ses conclusions et s'en est rapportée à l'appréciation du Tribunal.

5. Le 8 mars 2010, Pro Natura s'est déterminée sur la demande de révision en concluant à son rejet et à l'octroi d'une indemnité de procédure.

Tous les préavis émis et figurant dans le dossier n'avaient pas été repris expressément dans l'arrêt, ce qui ne correspondait pas à une inadvertance, l'autorité judiciaire n'étant nullement tenue de fournir dans sa décision un compte-rendu exhaustif de tous les documents consultés.

Le fait prétendument erroné n'avait pas été invoqué. Aucune écriture du Grand Conseil dans la procédure ayant abouti à l'arrêt litigieux ne faisait mention du préavis favorable du DNP du 22 octobre 2007 qui n'était pas listé dans le bordereau de pièces déposé par le Grand Conseil mais figurait, mal classé, dans le dossier du département.

Ce préavis n'avait eu en outre aucune influence matérielle sur la décision prise.

La révision n'était pas ouverte lorsque l'inadvertance alléguée se rapportait non pas au contenu même du fait, mais à son appréciation juridique par les juges. En l'espèce, le Grand Conseil estimait que la prise en compte adéquate de l'ensemble des préavis émis aurait dû conduire le Tribunal administratif à limiter l'étendue de son pouvoir d'appréciation et à qualifier de mineur l'empiètement prévu sur le périmètre de protection. Ce raisonnement ne pouvait être suivi, le préavis n'ayant pas l'importance que lui donnait le Grand Conseil.

Finalement, la révision était un moyen de droit extraordinaire qui permettait exceptionnellement de remettre en question un arrêt entré en force. Les motifs devaient être particulièrement importants. Un recours au Tribunal fédéral aurait pu être déposé tant par l'Etat de Genève en tant que propriétaire de la parcelle que par l'EMS. La voie du recours ordinaire n'avait pas été utilisée et il ne se justifiait pas d'utiliser une voie exceptionnelle

6. Le 13 avril 2010, le Grand Conseil a répliqué.

L'inadvertance était vraisemblablement due au mauvais classement des pièces. Les préavis des 20 septembre 2006 et 22 octobre 2007 auraient dû figurer dans la partie réservée aux préavis techniques, ce qui n'avait pas été le cas.

Le préavis non pertinent retenu par le Tribunal administratif avait exercé une influence décisive sur l'issue du litige.

Le Conseil d'Etat, propriétaire de la parcelle, n'était pas partie au litige et il n'avait pas demandé à intervenir. Il ne pouvait pas recourir. Le Grand Conseil, comme autorité planificatrice ne pouvait se substituer au Conseil d'Etat et n'avait pas qualité pour recourir contre une décision prise par l'autorité cantonale de dernière instance en matière de plans d'affectation du sol.

Seule la voie de la révision était ouverte.

7. Le 14 mai 2010, Pro Natura a dupliqué.

Il n'y avait pas d'erreur dans l'interprétation du préavis et le fait prétendument erroné n'avait pas été invoqué. Surtout, il n'avait aucune incidence matérielle sur la décision prise.

8. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Aux termes de l'art. 81 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), la demande de révision doit être adressée par écrit à la juridiction qui a rendu la décision dans les trois mois dès la découverte du motif de révision.

La demande est ainsi recevable.

2. La jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de demande de révision fondée tant sur la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110) que sur la loi fédérale d’organisation judiciaire du 16 décembre 1943 (OJ - RS 173.110), en vigueur jusqu'au 31 décembre 2006 peut servir de référence en la matière (Arrêt du Tribunal fédéral 4F_7/2007 du 28 septembre 2007). La procédure administrative genevoise est similaire à la procédure fédérale en matière de révision (B. BOVAY, Procédure administrative, 2000, p. 439).

3. La révision, voie de droit extraordinaire, se distingue de l'appel. Elle vise à empêcher que le tribunal fonde sa conviction sur un état de fait incomplet et ignore des éléments déterminants qui résultent des pièces du dossier ; elle n'a pas pour but de permettre un réexamen de la solution juridique retenue par l'arrêt dont est révision (Arrêt du Tribunal fédéral 2A.287/2001 du 2 juillet 2001).

4. a. Selon l'art. 80 let. c LPA, il y a lieu à révision, notamment, lorsque, dans une affaire réglée par une décision définitive, il apparaît que, par inadvertance, la décision ne tient pas compte de faits invoqués et établis par pièce.

Commet ainsi une inadvertance, l'autorité qui néglige de prendre connaissance de documents déterminants ou s'écarte de leur sens manifeste (ATF 91 II 327 consid. 4).

En l'espèce, un préavis défavorable émanant du DNP et portant sur une version du projet de modification de zone qui a été finalement abandonnée a été mentionné dans les considérants en fait et en droit de l'arrêt litigieux, en lieu et place d'un préavis, ultérieur et favorable, du même service.

Aux problèmes de classement évoqués par le Grand Conseil, s'ajoute le fait que selon les pièces du dossier, le dernier préavis du DNP consistait en un échange de courriers électroniques entre un adjoint scientifique au DNP et le service des plans d'affectation, dans lequel étaient mentionnés pour mémoire les préavis de "l'enquête technique été 2006", dont notamment un préavis favorable du DNP du 18 juin 2006. Aucune mention n'était faite du deuxième préavis du 20 septembre 2006. A cela s'ajoute que les deux premiers préavis du DNP étaient formulés sur papier à entête du DNP et signés par le directeur dudit service.

Il en résulte qu'effectivement le tribunal de céans a considéré le deuxième préavis du 20 septembre 2006 comme étant le préavis final du DNP, ce qui peut être qualifié d'inadvertance.

b. En revanche, contrairement à ce que soutient le Grand Conseil, il n'y a pas eu d'inadvertance concernant la surface soustraite au périmètre de protection, liée à la confusion concernant les préavis. La surface de l'atteinte, de 4'800 m2 environ, comme retenu dans l'arrêt litigieux avait été calculée par le tribunal selon les plans fournis par le recourant. Il s'avère finalement, selon les plans plus précis produits à l'appui de la demande de révision, qu'elle est de 5'732m2, soit plus importante encore. Comme il ressort clairement de l'arrêt (consid. 6c, et 9 en droit), l'examen du tribunal a bien porté sur cette surface uniquement et non pas sur celles figurant dans les deux projets de modification de zone abandonnés.

5. Le motif de révision fondé sur une inadvertance doit porter sur des faits pertinents, susceptibles d'entraîner une décision différente de celle qui a été prise (ATF 122 II 17, consid. 3 et les références citées).

Reste ainsi à examiner si la prise en compte d'un préavis défavorable du DNP et l'omission concomitante du préavis favorable à la modification de zones, sont des faits déterminants pour la solution donnée au litige ou s'ils n'ont pas eu d'influence matérielle sur la décision prise.

A la lecture de l'arrêt, il apparaît que le préavis du DNP est cité une première fois dans les considérants en faits, comme étant le seul préavis défavorable au projet, parmi tous les préavis recueillis par l'autorité chargée d'élaborer le plan de modification de zones.

Il est cité ensuite dans la partie en droit de l'arrêt, le tribunal de céans ayant jugé que la diminution du périmètre de protection ne saurait être qualifiée de peu d'importance. Le préavis du DNP est cité en rapport avec la description de l'atteinte portée à la protection des rives de l'Arve et au maintien du réseau d'espaces verts. L'atteinte est jugée importante en raison de la surface de la modification du plan et du fait que les circonstances ayant mené à la création de la zone protégée ne s'étaient pas sensiblement modifiées.

Il apparaît ainsi que, loin d'être déterminant dans la solution donnée au litige, le préavis retenu par inadvertance n'a été mentionné que pour souligner un raisonnement mais non pour le fonder. La prise en compte d'un préavis favorable du DNP n'aurait pas modifié la solution retenue, tous les autres préavis étant par ailleurs favorables et le tribunal s'en étant également écarté.

Force est de constater que par cette demande en révision, le Grand Conseil allègue une inadvertance du tribunal mais que sa demande tend en réalité et pour l'essentiel, à contester l'arrêt du tribunal de céans, contre lequel il ne pouvait pas recourir auprès du Tribunal fédéral, selon ses propres affirmations.

En conséquence, la demande en révision sera rejetée.

6. Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du Grand Conseil. Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à Pro Natura, à la charge de l'Etat de Genève. Aucun émolument ne sera mis à la charge de l'EMS qui a retiré ses conclusions (art. 87 LPA).

 

* * * * *

 

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable la demande en révision déposée le 23 décembre 2009 par le Grand Conseil contre l'arrêt du Tribunal administratif du 29 septembre 2009 ;

au fond :

la rejette ;

met à la charge du Grand Conseil un émolument de CHF 1'000.- ;

alloue à Pro Natura Genève une indemnité de procédure de CHF 1'000.- à la charge de l'Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Alain Maunoir, avocat de Pro Natura Genève, au Grand Conseil ainsi qu’à Me François Bellanger, avocat de la Maison de Vessy, appelée en cause.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Bovy, Hurni et Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste adj. :

 

 

F. Glauser

 

le vice-président :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :