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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/117/2005

ATA/381/2005 du 24.05.2005 ( ECOLE ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/117/2005-ECOLE ATA/381/2005

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 24 mai 2005

dans la cause

 

M. M__________

contre

DIRECTION GÉNÉRALE DE LA HAUTE ÉCOLE SPECIALISÉE DE GENÈVE

et


CONSEIL DE DIRECTION DE L’ÉCOLE D’INGÉNIEURS DE GENÈVE


1. M. M__________ a effectué la première année à l’Ecole d’ingénieurs de Genève (ci-après : EIG), filière télécommunication, durant l’année scolaire 2002-2003.

Sa moyenne générale étant de 2,3, il n’a pas été promu, comme cela ressort de son bulletin scolaire du 26 septembre 2003.

Il a recommencé cette première année durant l’année académique 2003-2004.

2. Au terme du premier semestre, soit en mars 2004, M. M__________ a reçu une lettre de l’EIG l’informant que sa situation scolaire était préoccupante et que seule une fréquentation assidue des cours lui permettrait de réussir ses études.

Le bulletin des notes de l’intéressé établi le 27 septembre 2004 fait apparaître que M. M__________ n’était pas promu. La moyenne des disciplines principales était de 2,4 et la moyenne générale de 3,1, alors que ces moyennes devaient être de 4 au moins. De plus, il avait une moyenne annuelle de 1,8 en théorie des circuits alors qu’aucune note inférieure à 2,5 n’était tolérée.

Enfin, l’étudiant totalisait 143 heures d’absence sur l’année.

3. Par courrier daté du 26 septembre 2004 adressé au responsable de la formation et de la coordination des enseignements, M. M__________ a sollicité un rendez-vous et l’octroi d’une dérogation pour refaire une nouvelle fois la première année de l’EIG.

En septembre 2003, son oncle, qui finançait son séjour et ses études en Suisse, était décédé.

De plus, le 3 novembre 2003, il avait eu une petite fille née un mois et demi avant terme. La mère de l’enfant habitant en Suisse allemande, l’enfant était restée deux mois et demi en couveuse à l’hôpital à Berne et il était apparu que le bébé souffrait de drépanocytose, une maladie du sang. Il avait été bouleversé et ne pouvait plus se concentrer pour ses études.

L’enfant avait encore été hospitalisée entre les mois de mai et septembre 2004.

4. Sans convoquer M. M__________, le conseil de direction de l’EIG a refusé le 1er octobre 2004 la promotion par dérogation sollicitée, « en raison du statut de doubleur » de l’intéressé durant l’année académique 2003-2004.

En conséquence, l’étudiant devait quitter l’établissement, un éventuel recours n’ayant pas d’effet suspensif.

Cette décision a été signifiée à M. M__________ par courrier du 5 octobre 2004.

5. Par pli daté du 8 octobre 2004, M. M__________ a recouru contre cette décision auprès de la direction générale de la Haute Ecole Spécialisée de Genève (ci-après : HES).

Il expliquait la raison principale de son échec par l’état de santé de sa fille. Il demandait à refaire une troisième fois la première année ou tout au moins à la refaire dans une autre unité d’enseignement.

Si la décision attaquée était maintenue, il ne pourrait plus s’inscrire dans une autre HES, les inscriptions étant closes. Il serait alors dans l’obligation de quitter la Suisse alors que sa fille avait besoin de ses deux parents pour l’aider dans ce dur combat contre la maladie.

6. Par décision du 2 décembre 2004, la direction générale de la HES a rejeté le recours.

La décision attaquée n’était pas arbitraire : en effet, selon l’article 9 du règlement d’études des filières de l’EIG, une même année ne pouvait être répétée qu’une fois.

De plus, les résultats scolaires du recourant étaient trop médiocres et il ne remplissait pas les conditions d’une promotion par dérogation, qui pouvait être envisagée si les résultats obtenus s’écartaient d’un dixième au plus de la moyenne ou des notes requises.

Enfin, le recourant était déjà en situation d’échec à la fin de la première année, alors que sa situation personnelle n’était pas problématique.

Certes, malgré ses demandes, le recourant n’avait jamais été entendu ou convoqué par l’autorité scolaire qui n’avait pas reçu ses courriers en ce sens.

7. Par acte posté le 14 janvier 2005, M. M__________ a recouru contre cette décision auprès du Tribunal administratif en concluant principalement à l’annulation de la décision attaquée et à la reconduction de son inscription pour lui permettre de poursuivre ses études en toute sérénité. La décision prise à son encontre était arbitraire.

L’école ne l’avait pas entendu malgré les démarches qu’il avait faites en ce sens, afin d’expliquer les difficultés rencontrées dans sa vie privée.

De plus, un autre étudiant, M. P__________, avait refait trois fois sa première année. M. M__________ se plaignait ainsi d’être victime d’une violation du principe d’égalité de traitement.

8. Le 28 février 2005, la direction générale de la HES a conclu au rejet du recours en reprenant son argumentation.

a. La décision du 2 décembre 2004 avait été notifiée une première fois à l’étudiant mais elle avait été renvoyée à l’expéditeur. La direction l’avait alors réexpédiée au recourant à sa nouvelle adresse à Moutier et celui-ci l’avait réceptionnée le 16 décembre 2004, selon l’attestation fournie par La Poste.

b. M. P__________, soit l’étudiant auquel se comparait le recourant et qui avait pu bénéficier d’une dérogation pour refaire son année pour la troisième fois setrouvait dans une situation différente : en effet, cet étudiant avait abandonné sa formation en cours d’année de sorte que cette année-ci n’avait pas été prise en considération.

c. Enfin, selon la pratique constante de l’EIG, une promotion par dérogation pouvait être accordée si, cumulativement :

- l’étudiant en faisait formellement la demande ;

- la demande était motivée par de bonnes raisons non connues de l’école jusqu’alors ;

- l’écart entre la moyenne ou la note minimale autorisée ne devait pas excéder 1/10ème ;

- le préavis de la Conférence des maîtres était positif.

Ces conditions n’étaient pas remplies en l’espèce.

C’était sans arbitraire que le refus de promotion par voie dérogatoire avait été prononcé et cette décision ne contrevenait pas non plus au principe d’égalité de traitement.

L’exclusion définitive de l’étudiant ne pouvait qu’être confirmée.

9. Les parties ont été entendues en audience de comparution personnelle le 15 avril 2005.

a. M. M__________ a indiqué qu’à ce jour, il n’était pas inscrit dans une autre école et demeurait dans l’attente de l’issue du recours qu’il avait interjeté. Il était au bénéfice d’un permis étudiant et craignait que celui-ci ne soit pas renouvelé. Au printemps 2003, il avait connu des difficultés de logement. Le week-end il se rendait à Moutier pour voir son amie, celle-ci étant enceinte. Il avait alors trouvé un logement au Lignon. En mai 2003, il avait fait part à l’autorité scolaire du fait que son oncle, qui lui venait en aide financièrement jusqu’ici, était menacé dans son pays, soit au Zaïre. Il avait cependant terminé l’année académique.

Le 31 octobre 2003, il avait été appelé en urgence pour se rendre à Moutier, l’enfant que son amie attendait étant peut-être mort. Il était revenu à Genève le dimanche soir mais il avait dû retourner à Moutier le 3 novembre 2003. Ce jour-ci, sa fille était née. Compte tenu des problèmes de santé qui étaient apparus, il avait informé sa maîtresse de classe, Mme B__________, de cette naissance et de l’obligation qui était la sienne de se rendre fréquemment en Suisse alémanique. Durant toute cette période, il avait de la peine à se concentrer pour ses études. Il avait néanmoins terminé l’année.

Il souhaitait refaire une troisième fois la première année, l’état de santé de sa fille s’étant amélioré. Il était dorénavant en mesure de se consacrer à ses études. Il souhaitait pouvoir rester en Suisse et assurer une certaine stabilité à son amie, elle-même requérante d’asile et actuellement enceinte de leur second enfant. Il sollicitait une troisième chance en raison de la situation de détresse dans laquelle il se trouvait et dans le respect de l’article 3 de la convention sur les droits de l’enfant.

Il avait également deux autres enfants de 17 et 12 ans, restés au pays et élevés par sa proche parenté.

b. L’autorité intimée a produit le règlement d’études des filières de l’EIG. Celui-ci ne prévoyait pas de circonstances exceptionnelles pouvant justifier l’octroi d’une dérogation.

Le responsable de la coordination de la formation et des enseignements a précisé que les conditions cumulatives énoncées par l’école dans sa réponse au recours et qui devaient être réunies pour l’octroi d’une dérogation résultaient d’une pratique constante de celle-ci avant même qu’elle ne devienne une HES. Si l’écart de note entre la moyenne générale minimale requise et celle du candidat n’excédait pas 1 ou 2/10, le Conseil de direction entrait en matière sur la demande de dérogation. En l’espèce, les écarts présentés par les notes du recourant étaient tels qu’une dérogation n’était pas envisageable.

Quant au cas cité à titre de comparaison par le recourant, soit celui de M. P__________, il différait en ce sens que cet étudiant avait demandé dans le délai prévu à l’article 18 du règlement précité que sa première année ne soit pas prise en compte, de sorte que le refus opposé à M. M__________ n’était pas contraire au principe d’égalité de traitement.

10. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

1. Interjeté en temps utile devant le juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56B al. 4 litt b) de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 – LOJ – E 2 05 ; art. 20C litt b de la loi sur l’instruction publique du 6 novembre 1940 – LIP – C 1 10 ; art. 28A al. 2 de la loi cantonale sur les hautes écoles spécialisées du 19 mars 1998 – LHES – C 1 26 ; art. 63 al. l litt a) de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 – LPA – E 5 10).

2. M. M__________ se plaint de la violation de son droit d’être entendu. Le droit d’être entendu est une garantie constitutionnelle de caractère formel (ATF 120 Ib 383 consid. 3b ; 119 Ia 138 consid. 2b F., et les autres arrêts cités). Tel que garanti par l’article 29 alinéa 2 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999, en vigueur depuis le 1er janvier 2000 (RS 101), il comprend le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou, à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATA/172/2004 du 2 mars 2004 ; ATA/819/2003 du 2 décembre 2003).

3. Dans la décision attaquée, l’autorité intimée admet n’avoir pas entendu M. M__________ au motif qu’elle n’avait pas retrouvé les traces des courriers de celui-ci et qu’en l’absence de preuve formelle de demande d’entretien, aucune violation du droit d’être entendu ne peut être retenue.

Or, le courrier du 26 septembre 2004 adressé par le recourant au responsable de la formation et de la coordination des enseignements a été produit par l’autorité intimée. Celle-ci l’avait bien reçue !

4. En l’espèce cependant, cette violation du droit d’être entendu du recourant a pu être réparée par son audition devant le Tribunal de céans. M. M__________ a en effet pu exposer sa situation personnelle délicate et cela même si sur le fond du litige, l’autorité de recours n’a pas le même pouvoir de cognition que l’autorité intimée (ATA/73/2005 du 15 février 2005).

5. M. M__________ invoque une violation du principe de l’égalité de traitement garanti par l’article 8 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999, entrée en vigueur le 1er janvier 2000 (Cst féd – RS 101) lorsqu’elle établit des distinctions juridiques qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard de la situation de fait à réglementer ou lorsqu’elle omet de faire des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances, c’est-à-dire lorsque ce qui est semblable n’est pas traité de manière identique et lorsque ce qui est dissemblable ne l’est pas de manière différente (ATF 118 Ia 1 consid. 3 p. 2 et 3 et les arrêts cités ; ATA/96/2005 du 1er mars 2005).

6. M. P__________, cité à titre de comparaison, a certes pu recommencer pour la troisième fois sa première année parce qu’il s’est conformé à l’article 18 du règlement, à teneur duquel :

« L’étudiant qui abandonne ses études doit l’annoncer par écrit à la direction de l’école avec copie au maître de classe.

L’année entamée n’est pas prise en compte au titre des règles de répétition d’une année si l’abandon est annoncé conformément à l’alinéa l, au plus tard vingt jours après la date d’émission du bulletin de la première période ».

Ainsi, à l’occasion de l’un de ses essais, M. P__________ a abandonné l’année, qui n’a donc pas compté, de sorte que sa situation diffère de celle de M. M__________.

7. Pour les raisons exposées ci-dessus, le cas de M. P__________ diffère ainsi de celui du recourant, ce dernier n’ayant pas abandonné une année scolaire aux conditions prévues par l’article 18 du règlement, de sorte que le principe d’égalité de traitement n’a pas été violé.

8. Contrairement au libellé de la décision attaquée, M. M__________ ne demande pas à bénéficier d’une promotion par dérogation, telle qu’elle est prévue par l’article 8 du règlement d’études des filières de l’EIG, auquel renvoie l’article 8 alinéa 2 litt a du règlement sur les filières genevoises de la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO) du 8 septembre 1999 (C 1 26.03), mais il souhaite refaire une troisième fois sa première année, malgré ses mauvais résultats, en invoquant des circonstances personnelles exceptionnelles.

Or, l’article 9 du règlement d’études prévoit que « chaque année ne peut être répétée qu’une seule fois ».

En cas d’élimination, il ne réserve pas l’existence ou la prise en compte de situations exceptionnelles, comme le fait par exemple l’article 22 alinéa 3 du règlement sur l’université du 7 septembre 1988 (RU – C 1 30.06). Or, ce principe général devrait trouver application lorsque – comme en l’espèce – l’autorité intimée n’est pas entrée en matière sur les difficultés personnelles importantes alléguées par le recourant.

Il apparaît qu’en novembre 2003, en raison de la naissance et de la maladie inattendue de son enfant, M. M__________ pouvait légitimement éprouver de la difficulté à étudier. L’état de santé de sa fille s’étant amélioré selon ses dires, il devrait pouvoir se consacrer à ses études.

C’est la raison pour laquelle, à titre exceptionnel, le recourant doit être autorisé à refaire sa première année, même s’il n’a pas sollicité l’application de l’article 18 du règlement d’études, toute décision contraire étant disproportionnée et partant, arbitraire.

9. Le recours sera ainsi admis. Vu l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 LPA).

 

* * * * *

 

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 janvier 2005 par M. M__________ contre la décision de la direction générale de la Haute Ecole Spécialisée de Genève du 2 décembre 2004 ;

au fond :

l’admet ;

annule la décision du conseil de direction de l’Ecole d’Ingénieurs de Genève du 1er octobre 2004 ainsi que la décision querellée du 2 décembre 2004 ;

autorise M. M__________ à refaire sa première année à l’Ecole d’Ingénieurs de Genève ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité ;

communique le présent arrêt à M. M__________, à la direction générale de la Haute Ecole Spécialisée de Genève ainsi qu’au Conseil de direction de l’Ecole d’ingénieurs de Genève.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Paychère, Mme Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

 

 

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

la vice-présidente :

 

 

L. Bovy

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :