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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/129/2008

ATA/379/2008 du 29.07.2008 ( FIN ) , ADMIS

Descripteurs : ; MANDATAIRE NON PROFESSIONNEL ; NOTAIRE ; FORMALISME EXCESSIF ; ACTE DE RECOURS ; REPRÉSENTATION EN PROCÉDURE ; QUALITÉ DE PARTIE
Normes : LPA.65 ; LPA.9 ; Cst.29
Résumé : Qualité de mandataire professionnellement qualifié d'un notaire admise dans le cadre d'une procédure fiscale.
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/129/2008-FIN ATA/379/2008

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 29 juillet 2008

 

dans la cause

 

Madame D______

représentée par Me Jean-Luc Ducret, notaire

 

contre

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE D’IMPÔTS

et

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 



 

EN FAIT

1. Madame D______, a reçu en héritage de sa mère, Madame F______ décédée en 1991, un immeuble, sis à Genève, comprenant trois appartements, par suite de la liquidation d’une société immobilière en 1999, ayant fait partie des actifs de la succession.

Le 2 septembre 2002, Mme D______ a déposé une requête en autorisation d’aliéner un des appartements. Les futurs acquéreurs étaient Madame B______ et Monsieur B______ (ci-après : les époux B______).

2. Le 24 septembre 2003, le département de l’aménagement, de l’équipement et du logement (devenu depuis lors, le département des constructions et technologies de l’information, ci-après : le DCTI) a délivré l’autorisation d’aliéner.

L’appartement a été vendu aux époux B______.

3. Suite à la déclaration pour l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers déposée par Mme D______ en février 2004, cette dernière s’est vue notifier en son domicile élu chez Me Ducret, notaire, un bordereau de taxation déterminant un impôt de CHF 62'909,40.- calculé sur un gain imposable de CHF 419'396.- à un taux de 15%.

4. Par courrier du 4 octobre 2005, par Me Ducret, Mme D______ a interjeté réclamation contre cette taxation.

La date d’acquisition de l’immeuble avait été fixée de manière erronée au moment de l’entrée en liquidation de la société, alors que l’administration aurait dû retenir la date du décès de Mme F______, soit l’an 1991.

5. Dans sa décision sur réclamation, notifiée à Me Ducret le 20 octobre 2005, l’administration fiscale cantonale (ci-après : l’AFC) a rejeté la réclamation.

La taxation était conforme aux dispositions spéciales relatives à l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers consécutifs à la revente d’un immeuble repris en nom suite à la liquidation d’une société immobilière au sens des articles 207 de la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct du 14 décembre 1990 (LIFD – RS 642.11) et 42 de la loi sur l’imposition des personnes morales du 23 septembre 1994 (LIPM – D 3 15).

6. Le 17 novembre 2005, Me Ducret a interjeté recours devant la commission cantonale de recours en matière d’impôts (ci-après : la CCRMI ou la commission) contre la décision sur réclamation de l’AFC du 20 octobre 2005, dans les termes suivants :

« Recours contre la décision sur réclamation de l’Administration fiscale cantonale du 20 octobre 2005,

Concerne : Madame D______ née F______, Bordereau de taxation N° 2______-1, Impôts sur les bénéfices et gains immobiliers. »

Reprenant l’argumentation précédente et s’exprimant à la première personne du singulier, le notaire concluait à ce que la taxation de Mme D______ qui présentait un caractère confiscatoire soit reconsidérée.

7. Dans sa réponse du 30 janvier 2007, l’AFC a conclu au rejet du recours au motif que la vente avait été correctement taxée.

Selon l’article 80 alinéa 1 de la loi générale sur les contributions publiques du 9 novembre 1887 (LCP – D 3 05),  l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers avait pour objet le bénéfice net provenant de l’aliénation d’immeubles ou de parts d’immeubles sis dans le canton, ainsi que certains gains que ces immeubles procurent sans aliénation. Il devait se lire en parallèle avec l’article 82 LCP déterminant le mode de calcul du bénéfice. Il ressortait d’un courrier du 25 mars 1997, confirmant les termes d’un échange de vues entre le représentant de la chambre des notaires et l’AFC, que l’imposition n’était pas prorogée (art. 81 alinéa 1 LCP), bien que les actionnaires locataires aient été économiquement propriétaires du bien immobilier en question avant même le transfert de propriété au sens du droit civil. En conséquence, il apparaissait que l’origine de la propriété ne remontait pas au décès de Mme F______ et que la valeur d’entrée dans le patrimoine de Mme D______ n’était pas celle retenue dans la succession de sa mère.

8. Le 10 décembre 2007, la CCRMI, considérant que Me Ducret agissait en son nom propre, a déclaré le recours recevable et l’a rejeté pour défaut de qualité pour agir du notaire.

Selon l’article 60 lettres a et b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1995 (LPA – E 5 10), a qualité pour agir, celui qui est touché directement par la décision attaquée et a un intérêt digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée. Les lettres a et b de cette disposition devaient se lire en parallèle. Ainsi, le particulier qui ne pouvait faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s’il était partie à la procédure de première instance.

Ce n’était pas faire preuve de formalisme excessif que de se poser la question de la qualité pour recourir d’un notaire dans une procédure contentieuse fiscale, car en matière de droits d’enregistrement pour les actes de son ministère et en matière de droits de succession, s’il était exécuteur testamentaire, il avait qualité pour agir en réclamation et en recours.

9. Le 16 janvier 2008, Me Ducret a recouru auprès du tribunal de céans. Il conclut au nom et pour le compte de Mme D______, à l’annulation de la décision de la CCRMI du 10 décembre 2007 et, au renvoi du dossier à la commission pour examen du fond, et subsidiairement, à la reconsidération de la taxation de la vente de Mme D______.

La commission ne l’avait, à aucun moment, interpellé pour la production d’un justificatif de ses pouvoirs. Or, celle-ci pouvait exiger des compléments d’informations et il était en mesure de les lui fournir, notamment sous la forme de la procuration que lui avait remise Mme D______, en décembre 2003, lui donnant tous pouvoirs pour régler les problèmes avec l’administration (paiement ainsi que toutes négociations, réclamations ou recours) qu’il a produite à l’appui du recours. De plus, il résultait expressément de la déclaration pour l’impôt sur les bénéfices et gains immobiliers du 13 décembre 2003 qu’il intervenait comme mandataire.

10. Le 23 janvier 2008, le tribunal de céans a imparti un délai au 29 février 2008 à l’AFC et à la CCRMI pour qu’elles lui communiquent leurs observations ainsi que leur dossier.

11. Le 4 février 2008, la CCRMI a transmis son dossier et persisté dans les considérants et le dispositif de sa décision.

12. Le 25 février 2008, l’AFC, considérant que le recours ne contenait aucun argument nouveau, a persisté dans l’argumentation qu’elle avait développée dans sa réponse du 30 janvier 2007 à la CCRMI.

13. Le 4 juillet 2008, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

 

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (article 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; article 53 al. 1er de la loi sur la procédure fiscale du 4 octobre 2001 –LPFisc – D 3 17 ; articles 57 à 65 LPA, applicables par renvoi de l’article 53 al. 4 LPFisc).

2. Selon l'article 65 alinéa 1 LPA, l'acte de recours contient sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant. En outre, il doit contenir l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve. Les pièces dont dispose le recourant doivent être jointes. A défaut, un bref délai pour satisfaire à ces exigences est fixé au recourant, sous peine d’irrecevabilité (art. 65 al. 2 LPA).

Dans le cas d’espèce, force est de constater que l’acte de recours contenait la référence à la décision entreprise, la désignation de la personne concernée et répondait aux exigences de l’article 65 LPA.

3. a. Les parties, à moins qu'elles ne doivent agir personnellement ou que l'urgence ne le permette pas, peuvent se faire représenter par un conjoint, un ascendant ou un descendant majeur, respectivement par un avocat ou par un autre mandataire professionnellement qualifié pour la cause dont il s’agit. Sur demande, le représentant doit justifier ses pouvoirs par une procuration écrite (art. 9 LPA).

b. Le Tribunal fédéral a jugé que l'aptitude à agir comme mandataire professionnellement qualifié devant le Tribunal administratif doit être examinée de cas en cas, au regard de la cause dont il s'agit, ainsi que de la formation et de la pratique de celui qui entend représenter une partie à la procédure. De manière à éviter le formalisme excessif et, conformément à la volonté du législateur, afin de ne pas limiter inutilement la représentation en matière de contentieux administratif, il est communément admis que le mandataire professionnellement qualifié au sens de l'article 9 LPA doit être doté de qualifications professionnelles dans le domaine dont relève l'objet du litige (ATF 125 I 166 consid. 2bb ; ATA/172/2004 du 2 mars 2004).

Dans le cas d’espèce, l’aptitude de mandataire professionnellement qualifié ne saurait être contestée, le notaire ayant les qualifications requises pour représenter une partie à une procédure contentieuse fiscale.

4. La décision du 20 octobre 2005 notifiée au notaire avait pour objet le maintien de la taxation d'une vente immobilière. Cette taxation ne le concernait pas personnellement, comme la CCRMI l’a expressément rappelé dans sa décision du 10 décembre 2007.

L’AFC n’a d’ailleurs pas émis la moindre réserve dans sa réponse du 30 janvier 2007 au sujet de l’identité de la recourante, au contraire : elle s’est référée à la recourante ou à l’argumentation du mandataire de celle-ci.

En considérant que ce n’était pas faire preuve de formalisme excessif que de se poser la question de la qualité pour recourir d’un notaire dans une procédure contentieuse fiscale, la CCRMI a purement et simplement ignoré le sens clair qu’il convenait de donner à la qualité de mandataire dans laquelle intervenait celui-ci, qui était pourtant reconnaissable dans le cas particulier. A supposer qu’elle ait éprouvé le moindre doute à cet égard, il était légitime d’attendre de bonne foi de sa part qu’elle interpelle Me Ducret à ce sujet.

5. La jurisprudence a tiré de l’article 29 alinéa 1 de la Constitution fédérale du 18 avril 1999 (Cst. – RS 101), et de l’obligation d’agir de bonne foi à l’égard des justiciables (art. 5 et 9 Cst.), le principe de l’interdiction du déni de justice formel qui comprend la prohibition de tout formalisme excessif. Un tel formalisme existe lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique sans raison objective la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l'accès aux tribunaux (Arrêts du Tribunal fédéral 2A.507/2002 du 31 mars 2004, consid.5.2 et références citées ; 1P.109/2004 du 10 mars 2004, consid.2.1 et références citées). C’est en particulier le cas lorsque la violation d’une règle de forme de peu d’importance entraîne une sanction grave et disproportionnée, telle par exemple une décision d’irrecevabilité (ATA/473/2004 du 25 mai 2004 ; ATA/561/2003 du 23 juillet 2003 ; P. MOOR, Droit administratif, vol. II, Berne 2002, p. 230 et ss n. 2.24.6 et références citées).

En l’occurrence, au vu de ce qui précède, en ne retenant que le fait que le signataire du recours s’est exprimé à la première personne du singulier en présentant le recours et en concluant, pour en déduire qu’il aurait ainsi entendu recourir personnellement contre la décision sur réclamation de l’AFC, la CCRMI a fait preuve de formalisme excessif.

La décision entreprise sera donc annulée.

6. Selon un principe général de procédure, les qualités des parties sont rectifiées lorsqu'une erreur affecte la dénomination de l'une d'elles. Il s'agit d'une simple erreur rédactionnelle. Une rectification n'est possible qu'à la condition que tout risque de confusion puisse être exclu, autrement dit, qu'il n'existe aucun doute sur l'identité des parties. Il faut donc avoir la certitude que la partie adverse a reconnu l'erreur et qu'elle n'a de ce fait pas été trompée. Ainsi, des doutes raisonnables, même minimes, excluent la simple rectification rédactionnelle, sous peine de violation du principe de l'interdiction de l'arbitraire (ATF 131 I 57 = SJ 2005 I p. 312 et références citées not. ATF 118 Ia 129 consid. 2b ; ATF 116 V 335 consid. 4b).

Au vu de ce qui précède il y a lieu de rectifier la qualité de la partie recourante qui est ainsi Mme D______, représentée par Me Jean-Luc Ducret, notaire.

7. Le recours sera admis. La décision de la CCRMI sera annulée, la cause lui étant retournée afin qu’elle statue sur le fond du recours, après avoir rectifié la qualité des parties devant elle.

Vu l’issue du litige, aucun émolument ne sera mis à la charge de la recourante. En revanche un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge de l'AFC.

8. Le recours étant admis, et la recourante ayant dû exposer les frais d'un conseil, une indemnité de CHF 2’000.- lui sera allouée, à charge de l'Etat de Genève (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 16 janvier 2008 par Madame D______, contre la décision du 10 décembre 2007 de la commission cantonale de recours en matière d’impôts;

au fond :

l’admet ;

annule la décision du 10 décembre 2007 de la commission cantonale de recours en matière d’impôts du 10 décembre 2007 ;

lui renvoie la cause pour décision au fond après rectification de la qualité des parties devant elle ;

met à la charge de l’administration fiscale cantonale un émolument de CHF 1'000.- ;

alloue à Madame D______ une indemnité de CHF 2'000.- à charge de l’Etat de Genève ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Jean-Luc Ducret, mandataire de la recourante, à la commission cantonale de recours en matière d’impôts, ainsi qu’à l’administration fiscale cantonale.

Siégeants : Mme Bovy, présidente, M. Thélin, Mmes Hurni et Junod, juges, M. Torello, juge suppléant.

Au nom du Tribunal Administratif :

la greffière-juriste adj.:

 

 

M. Tonossi

 

la présidente :

 

 

L. Bovy

 

 

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :