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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1172/2014

ATA/355/2014 du 14.05.2014 sur JTAPI/434/2014 ( MC ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1172/2014-MC ATA/355/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 14 mai 2014

en section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Philippe Girod, avocat

contre

OFFICIER DE POLICE

 


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 avril 2014 (JTAPI/434/2014)


EN FAIT

1) Monsieur A______, né le ______ 1972, originaire de Palestine a déposé le 6 janvier 2011 une demande d’asile en Suisse.

2) Dans le cadre de la procédure d’asile, il est apparu que l’intéressé avait requis l’asile en Espagne le 24 août 2010.

3) Par décision de non-entrée en matière du 31 mars 2011, entrée en force le 16 avril 2011, l'office fédéral des migrations (ci-après : ODM) a rejeté la demande d'asile de l’intéressé et ordonné son renvoi en Espagne.

4) Le 18 décembre 2011, l'ODM a notifié à M. A______ une décision d'interdiction d'entrée en Suisse valable du 20 décembre 2011 au 19 décembre 2014.

5) Le 20 décembre 2011, M. A______ a été refoulé en Espagne.

6) M. A______ est revenu en Suisse « au printemps ou en été 2013 » selon ses propres déclarations.

7) M. A______ a fait l’objet de plusieurs condamnations pénales, respectivement :

- le 15 décembre 2011, par le Ministère public, à une peine pécuniaire de 45 jours-amende, avec sursis pendant trois ans pour infraction à l'art. 115 de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr - RS 142.20) et vol (art. 139 ch. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) ;

- le 29 avril 2013, par le Ministère public, à une peine privative de liberté de trois mois pour infraction à l'art. 115 LEtr et vol ;

- le 16 juin 2013, par le Ministère public, à une peine privative de liberté de deux mois pour infraction à l'art. 115 LEtr ;

- le 17 septembre 2013, par le Ministère public, une peine privative de liberté ferme de six mois, pour infraction à l'art. 115 LEtr et vol.

8) Selon son conseil, M. A______ a été placé en détention à Champ-Dollon le 17 septembre 2013.

9) Le 26 mars 2014, M. A______, détenu, a été entendu par la police dans le cadre d’une procédure de réadmission Schengen-Dublin. L’intéressé ne s’opposait pas à son renvoi en Espagne. Il prenait note que dès sa libération conditionnelle, il pourrait être refoulé en Espagne ou placé en détention administrative dans l’attente de l’issue de la procédure de renvoi.

10) L’ODM a été informé, le 2 avril 2014, par les autorités genevoises, de ce que l’intéressé se trouvait en Suisse sans autorisation.

11) Une comparaison avec la base de données européenne d’empreintes digitales a révélé que M. A______ avait déposé une demande d’asile à deux reprises en Espagne, le 24 août 2010 puis le 25 mai 2011.

12) Le 10 avril 2014, l’ODM a soumis une requête aux fins de l’admission de l’intéressé aux autorités espagnoles, conformément à l’art. 18 al. 1 let. b du règlement (CE) N° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (Règlement Dublin).

13) Le 23 avril 2014, les autorités espagnoles ont accepté la requête des autorités suisses.

14) M. A______ a été libéré conditionnellement de la prison de Champ-Dollon, le 24 avril 2014, à 9h15. Il a été acheminé dans le canton de Lucerne où il est arrivé à 17h30.

15) Adressé à Lucerne par erreur, M. A______ a quitté cette ville le 25 avril 2014 (départ à 7h00) en direction de Genève, où il est arrivé dans les locaux de la police genevoise à 17h15. L'officier de police a prononcé, sur la base de l’art. 75 al. 1 let. h LEtr, un ordre de mise en détention administrative de M. A______ pour une durée d'un mois à 18h00 le 25 avril 2014.

16) Le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) a tenu audience le 28 avril 2014.

M. A______ a confirmé qu'il ne s'opposait pas à son renvoi vers l'Espagne.

Le représentant de l'officier de police a expliqué que l'ODM se chargeait des démarches en vue de la réadmission. Celui-là était dans l'attente d'une réponse des autorités espagnoles.

17) Par jugement du 28 avril 2014, notifié le jour même, le TAPI a confirmé l’ordre de mise en détention administrative de M. A______ pour une durée d’un mois, soit jusqu’au 25 mai 2014.

18) Le 29 avril 2014, l’ODM a notifié à M. A______ une décision de renvoi de Suisse vers l’Espagne. Un éventuel recours contre la décision n’avait pas d’effet suspensif.

La copie de la décision versée au présent dossier comprend une annotation manuscrite de M. A______ selon laquelle il ne s’oppose pas au départ en Espagne et ne souhaite pas faire recours. Il n’est pas fait mention de la date à laquelle cette annotation a été faite.

19) M. A______ a interjeté recours le 8 mai 2014. Il a conclu à l’annulation du jugement entrepris et à sa libération immédiate.

Selon la jurisprudence, la détention administrative ne commençait pas à la sortie de l’intéressé de prison, mais lors de son transfert effectif aux autorités compétentes pour exécuter le renvoi. Jusqu’au moment de la remise effective, la détention revêtait un caractère pénal (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_618/2011). En l’espèce, si le trajet du recourant du 24 avril 2014 de Champ-Dollon à Lucerne revêtait un caractère pénal au vu de la jurisprudence, son retour de Lucerne à Genève le 25 avril 2014 ne s’inscrivait plus aussi clairement dans cette hypothèse. Les premiers juges avaient considéré que la détention administrative avait débuté le 25 avril 2014 à 17h15 et que, partant, le délai de 96 heures avait été respecté. Qu’en était-il toutefois de la nature de la détention du recourant dès son arrivée à Lucerne, dont l’heure précise était de surcroît ignorée, puis de son retour à Genève ? Il appartenait à la chambre administrative de la Cour de Justice d’apprécier si l’erreur commise dans le cadre du transfert du recourant en vue de son renvoi pouvait lui être opposée dans le cadre de l’examen de la légalité de sa détention administrative.

Par ailleurs, selon l’art. 75 al. 2 LEtr, l’autorité compétente doit prendre, sans délai, une décision quant au droit de séjour de la personne mise en détention. S’il n’était pas contesté qu’une réponse des autorités espagnoles était nécessaire à la réadmission du recourant dans le cadre des accords de Dublin, c’était bien la célérité des autorités suisses et la durée encore prévisible de telles démarches qui étaient remises en question. Le recourant avait été détenu pénalement durant plus de sept mois. Il était à disposition des autorités administratives. Il ne ressortait pas de la procédure qu’il n’ait pas collaboré ou qu’il ait refusé de décliner son identité. Selon ses propres déclarations, il était d’accord d’être renvoyé en Espagne. Les démarches en vue de son renvoi n’avaient été entreprises que depuis le 26 mars 2014, soit après plus de six mois de détention. Le recourant était sans nouvelles de celles-ci depuis cette date, soit depuis plus de six semaines. Sous l’angle de la proportionnalité de sa détention administrative, il ne pouvait pas être retenu que les autorités satisfaisaient à la condition d’agir avec célérité.

20) Par réponse du 13 mai 2014, l’officier de police a conclu au rejet du recours.

Une demande de réservation de vol avait été adressée le 9 mai 2014 à swissREPAT et un vol avait été confirmé pour le 20 mai 2014.

La question du délai de 96 heures était théorique. Même à retenir le dies a quo au 24 avril 2014 à 9h15, le délai avait été respecté. Quant à la qualification du transport de retour entre Lucerne et Genève, il convenait soit de postuler théoriquement que l’intéressé était libéré le 24 avril 2014 à 9h15 à Genève, soit de prendre en considération l’erreur et de faire débuter le délai dès le retour à Genève. Un mélange des genres ne faisait guère de sens. La rétention de M. A______ pour un motif de droit des étrangers avait débuté le 25 avril 2014 à 17h15, « sa libération conditionnelle ayant été différée d’un peu moins d’un jour et demi en raison d’une regrettable erreur d’acheminement ».

Concernant la diligence des autorités, celles-ci n’entamaient pas le processus Dublin trop tôt, afin de préserver les délais de reprise en charge. Elles étaient intervenues plus d’un mois avant la libération conditionnelle de l’intéressé. Le renvoi de M. A______ avait été prononcé deux jours après l’acceptation par les autorités espagnoles de la reprise en charge.

21) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté le 8 mai 2014 contre le jugement du TAPI prononcé et communiqué aux parties le 28 avril 2014, le recours l'a été en temps utile auprès de la juridiction compétente (art. 132 al. 2 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 10 al. 1 de la loi d’application de la LEtr du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10 ; art. 17 et 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Selon l’art. 10 al. 2 LaLEtr, la chambre administrative doit statuer dans les dix jours qui suivent sa saisine. Ayant reçu le recours le 9 mai 2014 et statuant ce jour, elle respecte ce délai.

3) La chambre de céans est compétente pour apprécier l’opportunité des décisions portées devant elle (art. 10 al. 2 LaLEtr). Elle peut confirmer, réformer ou annuler la décision attaquée ; cas échéant, elle ordonne la mise en liberté de l’étranger (art. 10 al. 3 LaLEtr).

4) a. Aux termes de l’art. 75 al. 1 LEtr, afin d'assurer l'exécution d'une procédure de renvoi, l'autorité cantonale compétente peut ordonner la détention pendant la préparation de la décision sur le séjour, pour une durée de six mois au plus, d'un étranger qui n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, de séjour ou d'établissement, notamment s’il franchit la frontière malgré une interdiction d'entrer en Suisse et ne peut pas être renvoyé immédiatement ou s’il a été condamné pour crime (art. 75 al. 1 let. c et h LEtr). L'autorité compétente prend sans délai une décision quant au droit de séjour de la personne mise en détention (art 75 al. 2 LEtr).

b. Lorsqu'une décision de renvoi ou d'expulsion de première instance a été notifiée, l'autorité compétente peut, afin d'en assurer l'exécution, maintenir en détention la personne concernée lorsque celle-ci est déjà détenue en vertu de l'art. 75 LEtr. (art. 76 al. 1 let. a LEtr). Les démarches nécessaires à l’exécution du renvoi doivent être entreprises sans tarder (art. 76 al. 4 LEtr).

c. Selon l'art. 79 al. 1 LEtr, la détention en phase préparatoire et la détention en vue du renvoi ou de l’expulsion visées aux art. 75 à 77 LEtr ainsi que la détention pour insoumission visée à l’art. 78 LEtr ne peuvent excéder six mois au total. Cette durée peut néanmoins, avec l'accord de l'autorité judiciaire cantonale, être prolongée de douze mois au plus lorsque la personne concernée ne coopère pas avec l’autorité compétente (art. 79 al. 2 let. a LEtr). L'art. 79 al. 2 LEtr n'instaure pas un nouveau régime de détention dont les conditions s'apprécieraient distinctement de celles de l'art. 79 al. 1 LEtr. Il s'agit de la simple extension de la durée maximale possible de la mesure, notamment lorsque la personne concernée ne collabore pas.

d. La détention en phase préparatoire peut être remplacée directement par une détention en vue de refoulement - c'est-à-dire sans qu’il soit nécessaire de libérer l’étranger dans l’intervalle, lorsque la décision de renvoi est prise en première instance. Une telle démarche implique une décision formelle, soumise à un contrôle judiciaire qui doit intervenir dès la notification de la décision de renvoi (ATF 121 II 105 consid 2a ; Tarkan GÖKSU in Martina CARONI / Thomas GÄCHTER / Daniela THURNHERR [éd.], Bundesgesetz über die Ausländerinnen und Ausländer [AuG], 2010, n. 6 ad art. 76 LEtr ; Nicolas WISARD, Les renvois et leur exécution en droit des étrangers et en droit d'asile, 1997, p. 310) (ATA/85/2012 du 10 février 2012).

e. La légalité et l'adéquation de la détention doivent être examinées dans un délai de 96 heures par une autorité judiciaire au terme d'une procédure orale. Si la détention en vue du renvoi ou de l'expulsion au sens de l'art. 77 a été ordonnée, la procédure d'examen se déroule par écrit (art. 80 al. 2 LEtr).

5) En l’espèce, l’ordre de mise en détention est fondé sur l’art. 75 LEtr relatif à la détention en phase préparatoire. Le jugement du 28 avril 2014 dont est recours a confirmé ledit ordre.

M. A______ a fait l’objet d’une décision de renvoi le 29 avril 2014. Or, la détention en phase préparatoire ne peut durer, selon la loi, que jusqu'à la notification de la décision de renvoi de première instance.

Selon la loi, la légalité et l'adéquation de la détention doivent être examinées dans les 96 heures au plus tard par une autorité judiciaire au terme d'une procédure orale (art. 80 al. 2 LEtr). Quand l'étranger se trouvait déjà en détention (en phase préparatoire), c'est la notification de la décision de renvoi de première instance qui en constitue le point de départ. C’est par cette décision que la détention en phase préparatoire perd sa justification (ATF 121 II 105).

La décision de première instance, par laquelle l’ODM a ordonné le renvoi du recourant, porte la date du 29 avril 2014. On ignore à quelle date précisément elle a été notifiée au recourant.

Aucune pièce au dossier ne fait mention de l’existence d’un ordre de mise en détention fondé sur l’art. 76 LEtr ni d’un contrôle de la détention dans les 96 heures qui suivent.

Les prescriptions formelles relatives à la détention ont été gravement violées dans le cas particulier. Le recourant se trouve depuis plusieurs jours en détention sans aucun titre de détention valable et sans qu’aucun contrôle de la légalité de celle-ci n’ait pu être effectué.

6) Conformément à la jurisprudence, toute violation des règles de procédure ne conduit pas forcément à une mise en liberté de l'intéressé.

La règle de l'art. 80 al. 2 LEtr, qui exige que la détention soit contrôlée dans les 96 heures par une autorité judiciaire au terme d'une procédure orale, représente une garantie formelle essentielle pour assurer la protection contre une privation arbitraire de la liberté (ATF 121 II 105 = JdT 1997 I p. 707).

A l’instar du cas jurisprudentiel précité, l'inobservation de cette garantie dans la situation de M. A______ est grave. Le délai légal a été dépassé de façon significative, sans aucun titre de mise en détention, sans aucun contrôle de celle-ci. Il se justifie, dans ces conditions, d'ordonner la libération immédiate du recourant.

7) Cette solution s’impose d’autant plus que le TAPI avait dûment attiré l’attention de l’intimé sur cette problématique dans le consid. 12 de son jugement en mentionnant notamment que « si le renvoi est prononcé, la détention devra, le cas échéant, être convertie en détention en vue du renvoi (cf. ATF 125 II 377 consid. 2b), ce qui implique que l'officier de police devra prendre un nouvel ordre de mise en détention ».

8) Il n’est pas nécessaire d’analyser les deux griefs soulevés par le recourant.

9) Au vu de ce qui précède, le recours sera admis et la mise en liberté immédiate du recourant prononcée.

10) Vu la nature comme l’issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 12 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).

Vu l’issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 500.- sera allouée au recourant, à charge de l’Etat de Genève (art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 8 mai 2014 par Monsieur A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 28 avril 2014 ;

au fond :

l’admet ;

 

annule le jugement du TAPI du 28 avril 2014 ;

 

ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur A______ ;

 

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

 

alloue une indemnité de CHF 500.- au recourant, à la charge de l’Etat de Genève ;

 

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

 

communique le présent arrêt à Me Philippe Girod, avocat du recourant, à l'officier de police, au Tribunal administratif de première instance, à l'office cantonal de la population et des migrations, à l'office fédéral des migrations, ainsi qu'à l'établissement de Favra, pour information.

Siégeants : M. Verniory, président, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F.Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :