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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/341/2008

ATA/325/2009 du 30.06.2009 ( DES ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : TAXI; CHAUFFEUR DE TAXI; PERMIS DE CIRCULATION; RÉTROACTIVITÉ; NULLITÉ; EXAMEN PRÉJUDICIEL; EX TUNC; INTÉRÊT MORATOIRE; PRINCIPE DE LA BONNE FOI ; INDEMNITÉ(EN GÉNÉRAL)
Résumé : Annulation avec effet ex tunc, par le Conseil d'Etat, d'un arrêté fixant le montant des indemnités compensatoires devant être versées aux chauffeurs de taxis cessant leur activité professionnelle. Une telle annulation viole l'interdiction de la rétroactivité et le principe de la bonne foi. Bien que la créance en indemnité soit exigible depuis longtemps, aucun intérêt n'est alloué, le chauffeur ayant continué à travailler jusqu'à droit jugé sur son recours.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/341/2008-DES ATA/325/2009

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 30 juin 2009

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Jacques Roulet, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'ÉCONOMIE ET DE LA SANTÉ



EN FAIT

1. Monsieur A______, de nationalité portugaise, est chauffeur de taxi à Genève et titulaire d'un permis de service public.

2. Le 15 mai 2005, est entrée en vigueur la loi sur les taxis et limousines (transport professionnel de personnes au moyen de voitures automobiles) du 21 janvier 2005 (LTaxis - H 1 30). Cette loi limite, notamment, le nombre de taxis de service public circulant à Genève.

3. En application de celle-ci, le département a fixé à 900 le nombre total de permis de service public pouvant être délivré (procès-verbal de la réunion du 21 juin 2006 de la commission consultative, composée du département de l'économie et de la santé [ci-après : le département] et des milieux professionnels, instaurée par l'art. 50 LTaxis).

La pertinence de ce nombre serait réévaluée dans une année.

Le fonds institué par la loi pour assurer le paiement d'un montant compensatoire aux chauffeurs quittant la profession disposait de quatre millions de francs. Trente-trois demandes étaient en attente et seraient réglées rapidement. Le montant compensatoire légal de CHF 40'000.- devait être augmenté dans le but de stimuler les départs. Toutefois, cette augmentation devait être progressive. Il convenait, en conséquence, de fixer ces montants comme suit :

2006 : CHF 45'000.-

2007 : CHF 55'000.-

2008 : CHF 66'000.-

2009 : CHF 77'000.-

Le montant des taxes uniques contre lesquelles les nouveaux permis étaient délivrés devait être semblable et suivre la même progression.

Le Conseil d'Etat présenterait un rapport au Grand Conseil sur l'application de la LTaxis au cours de la deuxième année suivant son entrée en vigueur, qui permettrait, "le cas échéant", de "corriger le tir".

4. Le 19 octobre 2006, M. A______ a adressé un courrier au service des autorisations et patentes (ci-après : le service, devenu depuis lors le service du commerce).

Il envisageait de prendre sa retraite anticipée en 2007 et de rentrer dans son pays d'origine. Afin de pouvoir planifier cette décision, il souhaitait connaître le temps d'attente existant entre sa demande éventuelle d'annulation de son permis et le versement du montant compensatoire.

5. Le 6 novembre 2006, le service lui a répondu.

En sollicitant son inscription à la date de ce courrier, le délai serait de deux à trois mois. Il n'était pas garanti que la situation serait la même dans une année. Il était prié de reprendre contact avec le service le moment opportun.

6. Par arrêté du 10 janvier 2007, le Conseil d'Etat, se prévalant des art. 21 al. 6 et 22 al. 4 LTaxis, a entériné les montants de la taxe unique et de l'indemnité compensatoire exposés ci-dessus.

7. Cet arrêté a été affiché notamment à la station de taxis de l'aéroport de Genève.

8. Pensant pouvoir bénéficier du montant compensatoire de CHF 55'000.- annoncé dans l'arrêté du 10 janvier 2007, M. A______, a décidé de prendre sa retraite. Il a demandé l'annulation de son permis de service public auprès du service, le 13 février 2007.

9. Le 16 février 2007, ce dernier a accusé réception de sa demande et l'a informé l'avoir inscrit sur la liste d'attente, en application de l'art. 22 al. 5 LTaxis.

Dès que le département disposerait des fonds nécessaires pour lui verser le montant compensatoire, le service reprendrait contact avec lui.

10. Le 21 juin 2007, le Conseil d'Etat a adressé au Grand Conseil un rapport portant sur l'application de la LTaxis et de son règlement d'exécution.

L'adéquation entre le montant de la taxe unique versé par le demandeur d'un permis de service public et le montant compensatoire versé aux chauffeurs déposant leur permis, n'était pas satisfaisante. Le nombre de demandes de permis, de 148 alors, excédait de loin le nombre de demandes d'annulation, qui était de 22. La rotation escomptée par la loi ne s'opérait pas. Partant, il convenait de réexaminer les montants prévus, pour redynamiser le système.

11. Quatre mois plus tard, le 26 juin 2007, M. A______, n'ayant pas de nouvelles du service, lui a adressé un nouveau courrier.

Suite à un entretien téléphonique que sa fille avait eu récemment avec une personne du service, il avait appris que le montant compensatoire ne pouvait lui être versé, faute de fonds. Or, l'institution commune des taxis lui avait indiqué que le fonds disposait de 4,9 millions. Il ne comprenait pas cet allégué, contredit par les faits, et pouvait démontrer qu'il existait plusieurs chauffeurs de taxis attendant de se voir délivrer un permis de service public, prêts à payer la taxe correspondante. Sa fille avait par ailleurs appris par le service que 121 chauffeurs de taxi, inscrits sur la liste d'attente, avaient renoncé à annuler leur permis ; ces annulations auraient dû le rapprocher de la tête de la liste et il souhaitait connaître sa position. Il avait besoin d'être informé de sa situation, car il souhaitait rentrer dans son pays d'origine, devait résilier ses contrats de bail et d'assurance, liquider ses comptes et ses impôts à Genève et organiser son départ.

12. Le 3 juillet 2007, le service a appelé M. A______ et lui a indiqué qu'il était onzième sur la liste d'attente et que le montant compensatoire ne pourrait lui être versé dans les délais usuels, sans autre précision.

13. Par arrêté du 3 octobre 2007, le Conseil d'Etat a annulé son arrêté du 10 janvier 2007 "avec effet ex tunc", en s'appuyant sur les art. 21 al. 6, 22 al. 4 et 58 al. 5 LTaxis.

14. Le 23 octobre 2007, le service a adressé un courrier à M. A______.

Suite à son inscription sur la liste d'attente, le service était désormais en mesure de lui verser l'indemnité compensatoire pour l'annulation de son permis.

Le montant de celle-ci était de CHF 40'000.- conformément aux art. 22 LTaxis et 20 du règlement d’exécution de la loi sur les services de taxis du 8 décembre 1999 (RTaxis – H 1 30.01). M. A______ était invité à déposer ses plaques et sa carte professionnelle avant le 2 janvier 2008.

15. L'intéressé a réagi à cet envoi par un courrier daté du 31 octobre 2007.

Il s'était inscrit le 13 février 2007. A cette date, le montant compensatoire fixé par le Conseil d'Etat était de CHF 55'000.- et non de CHF 40'000.-. Il avait donc droit à cette indemnité.

16. Le 20 décembre 2007, le service a confirmé à M. A______ que le montant compensatoire qui pouvait lui être octroyé était de CHF 40'000.- et non de CHF 55'000.-.

Certes, l'arrêté du 10 janvier 2007 du Conseil d'Etat prévoyait un montant compensatoire supérieur, mais il avait été annulé par celui du 3 octobre 2007.

17. Sous la plume de son conseil, M. A______ s'est opposé à ce courrier et a sollicité une nouvelle fois le versement s'un montant compensatoire de CHF 55'000.-.

18. Par décision du 20 décembre 2007, le service a confirmé les termes de son précédent courrier.

19. M. A______ a recouru auprès du Tribunal administratif contre cette décision, le 1er février 2008. Il conclut à son annulation et à ce que le département soit condamné, en échange de la restitution de son permis, à lui verser un montant compensatoire de CHF 55'000.- plus intérêts, à compter du 15 mars 2007, ainsi qu'à l'octroi d'une indemnité de procédure.

En prévoyant l'annulation de son précédent arrêté, avec effet ex tunc, le Conseil d'Etat avait violé les principes constitutionnels de non rétroactivité des lois et de la bonne foi. La rétroactivité prévue dans l'arrêté du 3 octobre 2007 violait également la clause de délégation législative figurant à l'art. 56 (recte : 58) LTaxis. Contrairement à ce que le service avait soutenu, le fonds disposait des ressources disponibles pour verser les montants compensatoires aux chauffeurs ayant sollicité l'annulation de leur permis. La loi n'avait institué le régime de la liste d'attente que pour pallier le manque éventuel de fonds disponibles. Quatre millions étant actuellement à disposition, l'indemnité aurait dû être versée immédiatement. Moyennant un délai d'un mois pour le traitement du dossier, la créance était donc exigible dès le 15 mars 2007, date à partir de laquelle un intérêt moratoire de 5% était dû.

20. Le département a répondu le 7 mars 2008 et a conclu au rejet du recours.

Si l'irrégularité d'une règle de droit était grave et facilement reconnaissable, cette dernière était nulle et l'autorité inférieure pouvait refuser de l'appliquer. Ainsi en allait-il de l'arrêté du Conseil d'Etat lequel, au lieu d'inciter les chauffeurs de taxis à prendre leur retraite et à demander l'annulation de leur permis, les invitait à attendre, les montants compensatoires fixés étant progressifs. Un tel système risquait de provoquer un départ massif des chauffeurs titulaires d'un permis de service public lorsque le montant octroyé serait au plus haut, non compensé par le versement d'un nombre suffisant de taxes uniques versées par les chauffeurs sollicitant la délivrance d'un permis. L'application de l'arrêté litigieux risquait de mettre en péril grave le fonds constitué. En outre, les conditions permettant la rétroactivité de l'arrêté du 3 octobre 2007 étaient remplies : celle-ci était prévue par la loi, puisque l'arrêté prévoyait sa propre rétroactivité. Elle était limitée dans le temps (à la durée de mise en vigueur de l'arrêté annulé, qui était de quelques mois). Elle était motivée par des raisons valables (violation grave du droit supérieur), ne devait pas conduire à des inégalités choquantes (aucun chauffeur ne s'était vu accorder le montant de CHF 55'000.- prévu par l'arrêté) et ne devait pas porter atteinte à des droits acquis (l'arrêté ne garantissait aucune pérennité des montants compensatoires octroyés). Le principe de la bonne foi n'était pas violé, car aucune promesse n'avait été faite à M. A______, s'agissant du traitement de sa demande. Certes, l'administré était protégé contre les comportements contradictoires de l'administration s'il avait pris des dispositions irréversibles, mais ce n'était pas le cas du recourant. Enfin, aucun intérêt moratoire n'était dû. L'art. 22 al. 5 LTaxis, qui excluait le versement d'un tel intérêt lorsque la demande d'indemnité était suspendue dans l'attente de fonds disponibles, devait s'appliquer par analogie lorsque le blocage était motivé par l'inapplicabilité d'une norme, comme c'était le cas en l'espèce. Par ailleurs, le recourant, qui avait continué à exercer son métier, n'avait subi aucun manque à gagner de ce fait.

21. Les parties ont été entendues en audience de comparution personnelle par le juge délégué, le 24 avril 2008.

a. Selon le département, avant l'arrêté du 10 janvier 2007, le montant compensatoire était celui fixé par la loi.

Entre le 10 janvier et le 3 octobre 2007 (dates des deux arrêtés du Conseil d'Etat précités), seules des indemnités de CHF 40'000.- avaient été proposées et versées aux chauffeurs qui avaient accepté ce montant.

Le service s'était rendu compte à la fin du mois de janvier 2007 que l'arrêté n'était pas conforme à la LTaxis. Il en avait alors immédiatement paralysé l'application. C'était à tort qu'il avait dit aux intéressés que l'annulation de leur permis était bloquée en raison d'une absence de fonds disponibles. L'information de cette situation avait pris du temps pour remonter au Conseil d'Etat et être suivie d'effets ; ceci expliquait que le second arrêté, annulant le premier, n'ait été pris qu'en octobre 2007. Avant ce blocage, le délai d'octroi des montants compensatoires était de deux à trois mois, sauf surcharge du service.

b. M. A______ a indiqué s'être rendu personnellement auprès de ce dernier, en février 2007, pour déposer sa demande. Personne ne lui avait dit, à cette occasion, que la validité de l'arrêté du 10 janvier 2007 était remise en cause et que son application était paralysée. Il n'avait appris ce fait qu'en novembre 2007, lorsqu'il s'était opposé au montant qu'on lui avait proposé.

Il continuait d'exercer sa profession. S'il avait demandé l'annulation de son permis en 2007, c'était en raison du montant compensatoire de CHF 55'000.- offert. Il n'aurait pas effectué cette démarche cette année-là si ce montant avait été de CHF 40'000.-.

22. Le 31 juillet 2008, le département a remis au tribunal de céans le procès-verbal de la séance du 21 juin 2006 de la commission consultative, la liste des personnes inscrites sur la liste d'attente des demandes d'annulation de permis entre le 10 janvier et le 3 octobre 2007, ainsi que les dossiers de dix-sept chauffeurs de taxis ayant déposé une demande d'annulation postérieurement à l'arrêté du 10 janvier 2007.

Il ressort de l'examen de ces pièces que le nombre total de permis de service public délivrés était, en septembre 2006, de 934, de 941 en février 2007 et de 932 en 2008.

Le département a bloqué toutes les demandes d'annulation et ne les a traitées, à l'instar de celle de M. A______, qu'après l'adoption de l'arrêté du 3 octobre 2007 du Conseil d'Etat. Il a proposé, à tous les intéressés, un montant compensatoire de CHF 40'000.-. Certains demandeurs se sont opposés à la fixation de ce dernier montant (un détenteur de cinq permis et deux autres chauffeurs) ; parmi eux, deux ont finalement renoncé à l'annulation de leur permis. Ils se sont vus appliquer, par le service, les pénalités appliquées aux personnes refusant de donner suite à la première proposition d'annulation (art. 22 al. 7 LTaxis et 20 al. 11 RTaxis).

23. Le recourant s'est exprimé sur la production de ces documents le 17 novembre 2008.

Si trente-trois demandes étaient en attente en 2006, il restait au minimum CHF 2'700'000.- de fonds disponibles en 2007 (4 millions - 33 x CHF 40'000.-). Les demandes pouvant être traitées immédiatement, l'établissement d'une liste d'attente n'était pas légal.

L'autorité intimée avait avoué en audience avoir donné aux intéressés un faux motif pour justifier l'établissement de cette liste d'attente et le retard du versement des montants compensatoires. Ce comportement violait le principe de la bonne foi.

Le nombre de 900 permis de service public ne résultait d'aucune décision formelle. Il figurait sous la forme d'un préavis du département, dans le procès-verbal de la réunion de la commission du 21 juin 2006, qui mentionnait, en outre, sa réévaluation l'année suivante. M. A______ ne disposait pas, dans ces conditions, des éléments pour connaître l'éventuelle illégalité de l'arrêté du 10 janvier 2007.

24. Le département a déposé ses observations le 5 décembre 2008.

Le nombre de permis pouvant être délivrés avait été préavisé par le département à 900, ainsi qu'il résultait du procès-verbal de la séance de la commission. Ce document, signé par le président du département, avait donné valeur de décision à ce préavis. Si le Conseil d'Etat avait considéré que ce nombre avait été atteint, il l'aurait mentionné en-tête de son arrêté du 10 janvier 2007.

25. Ensuite de quoi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A ss de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05  ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. La LTaxis est entrée en vigueur le 15 mai 2005. Elle réglemente, notamment, la délivrance et l'annulation des permis de service public accordés aux chauffeurs de taxis exerçant leur profession en qualité d'indépendants (art. 11 et 19 al. 2 LTaxis).

Conformément à l'art. 20 al. 1er LTaxis, le nombre de permis de service public est limité en vue d’assurer une utilisation optimale du domaine public, notamment des stations de taxis et des voies réservées aux transports en commun et un bon fonctionnement des services de taxis. Pour l'année 2007, ce nombre maximal a été fixé provisoirement par le département à 900, sur préavis des milieux professionnels concernés, en application de l'art. 20 al. 2 LTaxis. A cette date, le nombre des permis délivrés dépassait cette limite (934 permis en cours de validité).

Pour assurer le maintien du nombre maximal de permis délivrés au point d'équilibre, la loi prévoit le système suivant. Le département ne délivre pas de nouveaux permis de service public tant que le nombre de permis déjà émis est supérieur au nombre fixé (art. 21 al. 1er LTaxis). Si le nombre de requérants est supérieur au nombre de permis disponibles, l’octroi des permis est effectué sur la base d’une liste d’attente établie selon la date à laquelle l’inscription sur la liste est validée (art. 21 al. 3 LTaxis). Le permis est délivré contre le paiement d'une taxe unique (art. 21 al. 4 LTaxis). De l'autre côté de la chaîne, le titulaire d’un permis de service public qui cesse son activité remet son permis au département qui procède à son annulation (art. 22 al. 1er LTaxis). L’annulation d’un permis de service public confère à son titulaire le droit de percevoir un montant compensatoire, prélevé d'un fonds constitué aux fins d’améliorer les conditions sociales de la profession de chauffeur de taxi, géré par le département ou par les milieux professionnels dans le cadre d’un contrat de prestation (art. 22 al. 3 et 21 al. 4 LTaxis), qui est alimenté par la taxe payée par les chauffeurs entrants (art. 21 al. 4 LTaxis). Lorsque les demandes d’annulation des permis de service public représentent des montants compensatoires supérieurs au montant disponible dans le fonds constitué, additionné du montant prévisible, tel que résultant de la liste d’attente prévue à l’art. 21 al. 3 LTaxis, le département - soit pour lui le service du commerce - établit une liste d’attente selon l’ordre chronologique des demandes et verse les montants compensatoires, sans intérêts, à mesure des disponibilités financières du fonds (art. 22 al. 5 LTaxis et art. 1er al. 1er du règlement d’exécution de la loi sur les services de taxis du 8 décembre 1999 ; RTaxis – H 1 30.01). L’exploitant dispose alors de la faculté, dans l’attente du versement, de restituer immédiatement le permis de service public ou de continuer à exercer les droits qui y sont attachés jusqu’à réception du montant compensatoire. Le titulaire inscrit sur la liste d’attente au sens de l’al. 5 de cette disposition peut renoncer à l’annulation du permis de service public lorsque le versement du montant compensatoire lui est proposé, au profit des viennent ensuite (art. 22 al. 7 LTaxis et 20 al. 7 RTaxis). Toutefois, s'il renonce à cette annulation par deux fois dans un laps de temps de plus de douze mois, il est biffé de la liste d'attente et ne peut se réinscrire qu'après un délai d'attente de deux ans (art. 20 al. 11 RTaxis).

3. Le jeu des demandes spontanées de délivrance et d'annulation de permis ayant paru insuffisant au législateur pour assurer en tout temps une rotation équilibrée des permis, la loi accorde au Conseil d’Etat la possibilité d'adapter le montant compensatoire et celui de la taxe d'entrée, en fonction du nombre de demandes de délivrance et d'annulation de permis. Dans un sens comme dans l'autre, ces montants ne peuvent toutefois être inférieurs à CHF 40'000.-. Ainsi, lorsque le nombre de demandes de délivrance de permis est supérieur ou inférieur aux demandes d'annulation, le Conseil d'Etat peut intervenir sur ces montants, en augmentant ou en abaissant l'un ou l'autre, pour inciter les chauffeurs à prendre leur retraite, limiter le nombre de demandes de délivrance de permis ou, au contraire, la faire augmenter, etc. Cette prérogative du Conseil d'Etat ne prend toutefois naissance, selon l'art. 58 al. 5 des dispositions transitoires de la LTaxis, qu'après que le nombre de permis fixé par le département dès la deuxième année après l'entrée en vigueur de la loi est atteint et reste stable. Avant cette échéance, le montant compensatoire d’annulation des permis de service public au sens de l’art. 22 al. 3 LTaxis, est fixé par la loi à CHF 40'000.- et la taxe à CHF 60'000.-.

4. Alors que le nombre de permis délivrés était de 934 et celui "à atteindre" de 900, le Conseil d'Etat, souhaitant inciter les chauffeurs de taxis disposant d'un permis de service public à déposer leur permis et à prendre leur retraite, a affiché à cette fin - notamment à la station de taxis de l'aéroport de Genève - un arrêté daté du 10 janvier 2007 offrant à tous les chauffeurs demandant l'annulation de leur permis en 2007 une majoration de CHF 15'000.- sur le montant compensatoire minimum de CHF 40'000.- prévu par la loi (art. 21 al. 6 LTaxis).

5. Suite à cette publication, plusieurs chauffeurs ont déclaré auprès du service compétent vouloir déposer leur permis.

6. Presque simultanément, courant janvier 2007, le département a considéré que cet arrêté était vicié et en a paralysé l'application, en prétextant, auprès des chauffeurs concernés, une absence de disponibilité de fonds. Selon cette autorité, l'acte litigieux violait l'art. 58 al. 5 des dispositions transitoires de la LTaxis, car le nombre de 900 permis n'ayant pas été "atteint" (du haut vers le bas) et n'étant pas resté stable, le Conseil d'Etat ne pouvait user de la prérogative accordée. Par ailleurs, en prévoyant l'octroi d'un montant compensatoire plus élevé en 2008 qu'en 2007 et encore plus favorable en 2009, l'arrêté ne pouvait qu'avoir un effet inverse à celui recherché, les détenteurs de permis ayant tout intérêt à attendre le plus tard possible pour demander l'annulation de leur permis.

7. C'est dans ce contexte que le Conseil d'Etat a adopté l'arrêté du 3 octobre 2007 annulant celui du 10 janvier 2007 "avec effet ex tunc".

8. Il convient de déterminer préalablement le droit applicable.

La décision querellée a été prise le 20 décembre 2007, soit postérieurement à l'arrêté du 3 octobre 2007 et en application de ce dernier.

9. En vertu des principes de la légalité, de la prévisibilité et de la sécurité du droit, qui trouvent leur fondement dans l'art. 5 al. 1er de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), s'appliquent aux faits dont les conséquences juridiques sont en cause, les normes en vigueur au moment où ces faits se produisent (P. MOOR, Droit administratif, vol. 1, Berne 1994, p. 170, n. 2.5.2.3). La notion de fait n'est pas toujours simple à expliciter. Il n'y a aucune incertitude lorsqu'il s'agit d'un événement unique, tel que le dépôt d'une demande faisant naître, au bénéfice de l'administré, une prétention à une indemnité ; le droit en vigueur au moment où cet événement s'est produit est applicable (P. MOOR, idem, p. 171 et arrêtés cités).

Dans la LTaxis, on peut se demander lequel, de la demande ou du dépôt du permis, fait naître le droit à l'indemnité. En effet, selon l'art. 22 al. 5 de ladite loi, l'autorité peut différer le paiement de l'indemnité lorsque les demandes d'annulation dépassent les fonds disponibles, en échange de quoi le titulaire du permis peut conserver ce dernier et continuer à exercer sa profession. Si le détenteur du permis use de cette possibilité, la créance naît-elle au moment du dépôt de la demande ou au moment du dépôt du permis ? Cette question n'a pas à être tranchée en l'espèce. En effet, l'autorité a admis elle-même, d'une part, avoir retardé volontairement le traitement du dossier dans l'attente de l'adoption du nouvel arrêté et, d'autre part, que les délais d'attente ordinaires ne dépassaient pas trois mois. La créance en indemnité aurait donc du naître, en l'espèce, au plus tard fin mai 2007, soit trois mois après le dépôt de la demande du recourant, datée du 13 février 2007.

L'arrêté en vigueur au moment de la naissance du droit à l'indemnité était donc celui du 10 janvier 2007. Conformément aux principes énoncés ci-dessus, cette réglementation forme le cadre légal applicable à la demande du recourant, en l'absence de dispositions expresses contraires.

10. Il convient maintenant d'examiner si, comme l'allègue le département, cet arrêté est nul de plein droit. En effet, si tel était le cas, le régime légal de l'art. 58 al. 5 LTaxis, avec son indemnité compensatoire de CHF 40'000.-, ressusciterait automatiquement  ; l'arrêté du 3 octobre 2007 du Conseil d'Etat ne ferait, dans cette hypothèse, que constater cette situation.

Le Tribunal administratif peut contrôler, à titre préjudiciel, la légalité et la constitutionnalité d'un arrêté du Conseil d'Etat qui comporte des règles générales et abstraites et revêt en conséquence la nature d'une ordonnance d'exécution (ATA/819/2000 du 19 décembre 2000). La nullité, qui entache gravement les principes de sécurité et de prévisibilité du droit, ne doit être envisagée qu'en cas d'illégalité qualifiée et manifeste. En outre, en vertu du principe de la bonne foi, exprimé aux art. 5 et 9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), l’administration doit s’abstenir de toute attitude propre à tromper l’administré et ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d’une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 129 I 161 consid. 4 p. 170 ; 129 II 361 consid. 7.1 p. 381 ; Arrêt du Tribunal fédéral 9C.115/2007 du 22 janvier 2008 consid. 4.2). En application de ce dernier principe, le régime légal en cause n'est pas nul lorsqu'il confère des avantages aux administrés, qui se sont fondés sur le droit pour prendre des dispositions irrévocables.

En l'espèce, l'arrêté du 10 janvier 2007 se fonde sur l'art. 58 al. 6 LTaxis, qui dispose que dès que le département considère que le nombre de permis de service public adéquat est atteint et reste stable, le Conseil d’Etat fixe le montant de la taxe et du montant compensatoire en usant du pouvoir d'appréciation que lui confère l’art. 21 al. 6 LTaxis (en relation avec l'art. 21 al. 3 RTaxis). Cet arrêté donne expressément la compétence au Conseil d'Etat de fixer les barèmes litigieux lorsque certaines conditions sont réunies. Il ne peut donc être déclaré nul pour ce motif. D'ailleurs, dans son arrêté du 3 octobre 2007, le Conseil d'Etat ne s'est pas prévalu de son incompétence pour procéder à son annulation. Il n'en a pas non plus constaté la nullité. Il l'a "annulé", avec effet ex tunc, parce qu'il s'est aperçu, après l'avoir adopté, qu'il aurait l'effet inverse à celui souhaité. Cette intention résulte clairement du rapport adressé par cette autorité au Grand Conseil le
21 juin 2007, qui relève le manque de dynamisme dans la rotation des permis - due à l'inadéquation existant entre le montant de la taxe unique versée par le demandeur d'un permis de service public - et la nécessité en découlant de réexaminer les montants prévus. L'autorité ne peut se prévaloir de la nullité d'une réglementation pour corriger les effets d'une politique qui déçoit ou qui n'obtient pas les résultats escomptés. Une telle attitude est contraire au principe de la bonne foi et nuit gravement à la confiance que les administrés doivent pouvoir placer dans le comportement de l'administration.

La nullité ne saurait être admise, dans ces conditions.

11. C'est donc bien l'arrêté du 10 janvier 2007 qui aurait dû, normalement, être appliqué au recourant. En appliquant à la situation de ce dernier l'arrêté du 3 octobre 2007, le département a utilisé l'effet rétroactif prévu dans cette réglementation. La conformité de cette rétroactivité au droit supérieur doit être examinée.

12. En vertu du principe de non-rétroactivité, déduit de l'art. 4 al. 1er Cst., le nouveau droit ne s’applique pas aux faits entièrement révolus avant son entrée en vigueur (ATF 122 V 405 p. 408 consid. b.aa. et arrêts cités ; ATA/764/2003 du 21 octobre 2003 ; ATA/735/2003 du 7 octobre 2003 ; P. MOOR, Droit administratif, Vol. I, Berne 1994, p. 170). En effet, portant atteinte aux principes de la sécurité et de la prévisibilité du droit, la rétroactivité proprement dite est en effet normalement exclue. La jurisprudence l'admet cependant exceptionnellement en l'assortissant de conditions très strictes (ATF 122 V 405 p. 408 ; 119 Ia 254 p. 258 ; JAAC 2001/65 no 6). Au nombre de celles-ci figurent notamment les deux exigences suivantes : la rétroactivité doit se justifier par des motifs pertinents, c'est-à-dire répondre à un intérêt public plus digne d'être protégé que les intérêts privés en jeu ; à cet égard, un intérêt fiscal ne peut prévaloir que si les finances publiques sont en péril (ATF 119 Ia 254 p. 258). En outre, elle ne doit pas porter atteinte à des droits acquis.

Ces conditions, qui sont également tirées du principe de la bonne foi, valent chaque fois que la règle rétroactive entend imposer des obligations nouvelles ou retirer des avantages aux administrés (ATF 110 Ib 332 p. 337 ; 101 Ib 297 p. 300/301). Lorsqu'une telle règle vise à conférer de nouveaux avantages à ces derniers, elles est en principe également applicable (ATF 119 Ib 103 p. 110), mais seules les conditions de la base légale et de l'égalité de traitement ont alors une portée pratique.

En l'espèce, le département allègue comme motif d'intérêt public le fait que l'arrêté du 10 janvier 2007, s'il avait été appliqué, aurait eu un effet inverse à celui souhaité ; au lieu de favoriser les dépôts de permis, il aurait encouragé les chauffeurs à attendre 2008, voire 2009, pour prendre leur retraite. Si l'on peut souscrire à la pertinence de ce raisonnement à moyen terme, il est incompréhensible que l'autorité n'ait pas, dans l'attente du nouvel arrêté, honoré le départ tant souhaité des chauffeurs qui, nonobstant le caractère non attractif de la progressivité du barème, ont demandé l'annulation de leur permis en 2007. En n'accordant qu'un montant compensatoire de CHF 40'000.- à ces demandeurs, elle a encore renforcé la paralysie du système contre laquelle elle entendait prétendument lutter, ainsi qu'en témoignent la réaction du recourant et celle des chauffeurs qui ont préféré renoncer au dépôt de leur permis, malgré les pénalités appliquées, après avoir appris que les CHF 55'000.- offerts ne leur seraient pas versés. Par ailleurs, le fait que le fonds serait en péril n'a pas été démontré par le département, qui n'a pas contesté que plus de quatre millions étaient à sa disposition à la fin de l'année 2006. Il résulte en outre du rapport précité du 21 juin 2007 qu'à cette période, 148 personnes étaient en attente de la délivrance d'un permis, prêtes à payer la taxe correspondante, ce qui aurait renfloué le fonds à la hauteur des indemnités consenties. Enfin, l'autorité pouvait, sans crainte de violer la jurisprudence sur les droits acquis ou le principe de l'égalité de traitement, changer sa réglementation à compter de l'année 2008, et "corriger le tir" à ce moment-là, comme elle s'en était réservé la possibilité lors de la réunion de la commission consultative du 21 juin 2006.

Au vu de ce qui précède, il est difficile de saisir l'intérêt public de cette mesure et on peine à croire qu'il puisse en tout cas être supérieur à l'intérêt privé de l'intéressé, qui voit sa retraite diminuée de CHF 15'000.- sur une somme globale de CHF 55'000.-.

13. La rétroactivité ne saurait être admise dans ces circonstances. Le droit du recourant à une indemnité compensatoire de CHF 55'000.- doit donc être reconnu.

14. Demeure la question des intérêts.

Selon l'art. 22 al. 5 LTaxis, le département établit une liste d’attente selon l’ordre chronologique des demandes et verse les montants compensatoires, sans intérêts, à mesure des disponibilités financières du fonds. Cette dérogation au principe général selon lequel le débiteur d'une prestation de droit public doit des intérêts de retard est contrebalancée, dans la LTaxis, par le fait que l’exploitant dispose de la faculté, dans l’attente du versement, de restituer immédiatement le permis de service public ou de continuer à exercer les droits qui y sont attachés jusqu’à réception du montant compensatoire.

En l'espèce, le recourant continue d'exercer sa profession. Bien qu'il eût préféré la solution contraire, il a bénéficié de la contre partie offerte par la loi dans l'attente qu'il soit jugé sur son recours. Il ne saurait, dans ces circonstances, malgré l'illégalité de la mesure, bénéficier d'intérêts moratoires sur sa créance en indemnité.

Ce grief sera ainsi écarté.

15. Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis et la cause renvoyée au département pour exécution.

16. Un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du département. Une indemnité de CHF 2'000.- sera allouée au recourant, à la charge de l'Etat de Genève (art. 87 LPA).

 

* * * * *

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 4 février 2008 par Monsieur A______ contre la décision du département de l'économie et de la santé du 20 décembre 2007 ;

au fond :

l'admet partiellement ;

annule la décision du département de l'économie et de la santé du 20 décembre 2007 ;

dit que le recourant a droit au versement d'un montant compensatoire de CHF 55'000.-, sans intérêt, moyennant la restitution des documents prévus par la loi ;

renvoie la cause au département pour l'exécution de la présente décision ;

met à la charge du département de l'économie et de la santé un émolument de CHF 1'000.- ;

alloue au recourant une indemnité de CHF 2'000.- à la charge de l'Etat de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ; 

communique le présent arrêt à Me Jacques Roulet, avocat du recourant ainsi qu'au département de l'économie et de la santé.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Bovy, Hurni et Junod, M. Dumartheray, juges.

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste  adj. :

 

 

M. Tonossi

 

le vice-président :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :