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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2844/2020

ATA/292/2022 du 22.03.2022 sur JTAPI/1156/2021 ( LDTR ) , REJETE

Recours TF déposé le 12.05.2022, rendu le 07.03.2023, REJETE, 1C_264/2022
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2844/2020-LDTR ATA/292/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 22 mars 2022

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me François Bellanger, avocat

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 novembre 2021 (JTAPI/1156/2021)


EN FAIT

1) Madame A______ est propriétaire de la parcelle no 1______ de la commune de Genève-Cité, sise rue B______. Un immeuble de huit étages (R+7) y est érigé, destiné à du logement.

2) Entre 2011 et 2015, Mme A______ a procédé à des travaux dans certains des appartements sis dans l’immeuble, principalement pour rénover les salles de bain et les cuisines. Elle n’a pas sollicité d’autorisation.

3) À la suite d’une visite dans l’immeuble, de l’office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : l’OCLPF) du département du territoire (ci-après : le DT ou le département), l’office des autorisations de construire (ci-après : OAC) a ouvert une procédure d’infraction sous les références I-2______, le 23 juillet 2019.

Un délai de trente jours était imparti à la propriétaire pour requérir une ou plusieurs autorisations de construire visant à régulariser les travaux entrepris dans dix-huit appartements.

4) Après un échange de correspondances, la propriétaire a déposé une demande d’autorisation en procédure accélérée (ci-après : APA) afin de régulariser les travaux dans seize appartements.

5) Par décision du 3 juin 2020, l’OAC a délivré l’APA 3______, régularisant les travaux faits dans les appartements. Le loyer était fixé individuellement pour chaque appartement pour une durée de trois ans, dès la fin des travaux.

6) Par décision du 10 juillet 2020, le DT a infligé une amende administrative de CHF 150'000.- à Mme A______, « au vu de l’infraction commise, dont le périmètre comprend une quinzaine d’appartements, des importantes sommes encaissées indûment, des circonstances aggravantes telles que l’appât du gain et la récidive dans le cadre des dossiers I-4______, I-5______, I-6______, I-7______ et I-8______, et en application des art. 44 LDTR et 137 LCI ».

Le département avait délivré l’autorisation de construire APA 3______ le 3 juin 2020. Cette autorisation régularisait l’infraction commise tant en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988
(LCI - L 5 05) que de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20), suite aux travaux entrepris sans autorisation de construire dans les divers appartements concernés.

Conformément à la condition n° 3 du préavis LDTR de l’autorisation précitée, le loyer maximum de quinze appartements avait été fixé selon des modalités précises, telles que : « le loyer annuel effectif du logement [ref] n° 101 ne doit pas excéder le montant de CHF 10'452.- par an, soit CHF 6'968.- la pièce par an pour la période du 15 octobre 2011 au 14 octobre 2014. Ce loyer sera appliqué pour une durée de trois ans à compter du 15 octobre 2011 ».

Suivaient le récapitulatif des loyers effectifs versés en faveur du propriétaire pour chacun des appartements susvisés durant les périodes considérées ainsi que le décompte des trop-perçus pour chacun des quinze logements. Le trop-perçu s’échelonnait entre CHF 322.- pour l’appartement n° 104 et CHF 100'800.- pour le n° 601, pour un montant total de CHF 411'518.-. Un délai de trente jours était imparti à la propriétaire pour établir de nouveaux contrats de bail à loyer dans le respect de la condition n° 3 du préavis LDTR de l’autorisation de construire APA  3______ et rembourser le trop-perçu aux locataires concernés, soit le montant de CHF 411'518.-. Les justificatifs, soit les nouveaux contrats de bail ainsi que les avis de fixation du loyer initial et la preuve de remboursement des trop-perçus, devaient parvenir au département dans le même délai.

7) Par acte du 14 septembre 2020, Mme A______ a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre la décision précitée.

8) Par jugement du 16 novembre 2021, le TAPI a partiellement admis le recours, pris acte du fait que le montant des loyers perçus en trop s’élevait à CHF 212'501.50, annulé la décision du département du 10 juillet 2020 en tant qu’elle fixait le montant de l’amende infligée à Mme A______ à CHF 150'000.-, réduit le montant de l’amende à CHF 100'000.- et confirmé la décision pour le surplus.

La propriétaire ne contestait pas le rétablissement d’une situation conforme au droit, par la notification de nouveaux contrats de bail dans le respect de la condition n° 3 du préavis LDTR, faisant partie intégrante de l’autorisation de construire, ainsi que le remboursement du trop-perçu aux locataires. Le département avait pour sa part admis des erreurs dans le calcul du trop-perçu, rectifiant celui-ci au montant calculé par Mme A______, soit CHF 212'501.50.

Le principe d’une amende administrative à son encontre était acquis, ce qu’elle ne contestait à juste titre pas.

Dans un premier argument, elle considérait que la prescription, courant depuis la fin des travaux, serait atteinte pour tous les appartements, sauf quatre d’entre eux. En l’espèce, la sanction visait exclusivement l’infraction commise en lien avec la perception de loyers excédant les maxima prévus par l’OCLPF pendant la période de contrôle concernée. Dès lors, c’était la date de sortie de contrôle des appartements concernés qui était déterminante et non celle de réalisation des travaux. Le département avait admis la prescription pour deux appartements. La prescription n’était toutefois pas acquise pour les treize autres, de sorte que le grief était écarté.

S’agissant de l’appréciation de la culpabilité de Mme A______, celle-ci était propriétaire de plusieurs immeubles, représentée par un mandataire et elle ne pouvait ignorer qu’elle enfreignait la loi en fixant et en percevant des loyers supérieurs à ceux que prévoyait l’autorisation de construire du 3 juin 2020. Les montants initialement retenus par le département à titre de trop-perçus avaient toutefois été substantiellement revus à la baisse.

Contrairement à ce que l’intéressée soutenait, une partie des antécédents devait être retenue à son encontre. Si, certes, certaines infractions avaient été commises par ses mandataires, une sanction avait été prononcée à son encontre en raison d’une infraction à la LDTR le 23 octobre 2019 dans une procédure parallèle (I-4______). Non contestée à teneur du dossier, cette amende concernait cependant des travaux qui s’étaient déroulés parallèlement à ce qui lui était reproché dans la décision querellée. Partant, ils ne pouvaient pas être pris en considération comme antécédents. Cela étant, elle avait déjà été sanctionnée à titre personnel par le département pour des infractions à la LCI (procédures I-7______ et
I-6______) et, même s’il s’agissait d’infractions différentes de celle reprochée en l’espèce, puisqu’elles concernaient des travaux sans autorisation, le département pouvait en tenir compte au titre d’antécédents. Partant, c’était à juste titre que le DT avait retenu la récidive comme circonstance aggravante.

S'agissant de la cupidité, la propriétaire indiquait que les profits issus des loyers trop élevés auraient servi à des donations charitables à hauteur de CHF 274'224.- entre 2010 et 2018 et qu'il ne saurait donc être question de lui reprocher d'avoir agi par appât du gain. Or, il ressortait des pièces fournies qu'elle avait certes procédé à divers dons entre 2012 et 2018, mais seulement pour un montant total démontré d'environ CHF 95'000.-, dont CHF 87'000.- avaient été reversés à l'association dont elle était fondatrice et présidente (D______). Le montant total ne correspondait dès lors de loin pas aux sommes illégalement perçues en raison des loyers trop élevés. La circonstance aggravante de la cupidité était ainsi réalisée et devait être prise en compte dans la fixation de l'amende.

Objectivement, l’infraction était particulièrement grave. La différence entre le montant des loyers pratiqués par la bailleresse et ceux autorisés correspondait, à teneur des pièces versées à la procédure et pour la période de contrôle, à plusieurs centaines de milliers de francs. Sa faute apparaissait particulièrement lourde, dès lors qu'elle était assistée d'une régie, versée dans le domaine immobilier, et réalisait deux des circonstances aggravantes énoncées à l'art. 137 al. 3 LCI. Sa faute était intentionnelle, à tout le moins par dol éventuel.

Toutefois, si une sanction sévère devait certes lui être infligée, le département avait abusé de son pouvoir d'appréciation en fixant le montant de l'amende à CHF 150'000.-, soit au maximum légal possible. L'amende était donc réduite à CHF 100'000.-, afin de mieux prendre en considération l'ensemble des circonstances utiles, respecter davantage le principe de la proportionnalité, à savoir la prescription concernant deux appartements, le montant correct des loyers perçus en trop en violation de la loi, des antécédents limités aux seules infractions qui lui avaient été reprochées, tout en retenant la gravité de l'infraction dont elle s’était rendue coupable. Pour le surplus, il ne ressortait pas du dossier et elle n’alléguait pas qu'une telle sanction l'exposerait à une situation financière difficile.

9) Par acte du 3 janvier 2022, Mme A______ a interjeté recours contre le jugement précité auprès de la chambre administrative de la Cour de justice
(ci-après : la chambre administrative). Elle a conclu à son annulation et à la réduction du montant de l’amende à CHF 15'000.- maximum.

Elle ne contestait pas le principe de l’amende, la violation de la LDTR étant reconnue. Le TAPI avait retenu la circonstance aggravante de la cupidité, deux antécédents ainsi que la gravité de l’infraction pour justifier le maintien de l’amende d’un montant de CHF 100'000.-. Ces éléments ne justifiaient pas une amende de ce montant.

Pour des raisons indépendantes de sa volonté, elle n’avait pas été en mesure de produire des preuves de versement à des œuvres caritatives pour un montant supérieur à CHF 95'000.- devant le TAPI. Dans l’intervalle, elle avait pu réunir les documents nécessaires attestant du fait que ses dons avaient en réalité été bien supérieurs à cette somme. L’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC) avait admis, pour les années 2011 à 2018, des dons à hauteur de CHF 152'199.-. Par ailleurs, d’autres montants ne figuraient pas dans ceux admis par l’AFC, dans le cas, par exemple, où les associations bénéficiaires n’avaient pas leur siège en Suisse. Elle détaillait les dons effectués pour CHF 106'086.-. Le montant total des donations entre 2011 et 2018 s’élevait ainsi à CHF 258'285.-. Ce montant excédait largement la somme des loyers illégalement perçus, qu’elle avait restituée, de sorte qu’il ne saurait être question de lui reprocher d’avoir agi par appât du gain. Elle n’avait aucunement profité personnellement du trop-perçu. La circonstance aggravante de la cupidité n’était pas réalisée, ce qui devait conduire à une diminution du montant de l’amende.

Elle ne contestait pas avoir déjà été sanctionnée, personnellement, dans le cas des procédures d’infractions I-7______ et I-6______. Celles-ci ne pouvaient toutefois tenir lieu d’antécédents. En effet, elles avaient sanctionné respectivement l’exécution de travaux sans autorisation et l’exécution de travaux non conformes à une autorisation de construire. Le cas d’espèce représentait la première fois qu’elle encaissait indûment des loyers. Elle était prête à en assumer les conséquences, mais une amende de CHF 100'000.- pour une « première fois » constituait un montant déraisonnable. Même si, par impossible, il convenait de tenir compte du montant des amendes infligées dans les procédures d’infractions précitées,
celles-ci s’élevaient respectivement à CHF 2'000.- et CHF 3'000.-. Si, certes, le nombre d’appartements était plus important, la différence entre CHF 3'000.- et CHF 100'000.- était disproportionnée.

Le TAPI avait retenu une faute « particulièrement grave », compte tenu du montant de « plusieurs centaines de milliers de francs » et du fait qu’elle était assistée d’une régie. Or, la terminologie utilisée par le TAPI pouvait laisser croire à des montants bien plus importants que les CHF 212'501.50. Ce montant s’expliquait par le fait qu’il concernait quinze appartements, en comptant les appartements « prescrits », soit environ CHF 14'166.- par appartement en moyenne, ce qui n’apparaissait pas démesuré, et s’étalait sur une période de trois années. Les loyers n’excédaient pas de manière importante les montants admis par la LDTR. Enfin, il ne pouvait être retenu à charge qu’elle était assistée par une régie. À suivre le raisonnement du TAPI, la quasi-totalité des propriétaires aurait à chaque fois une circonstance aggravante dans une telle situation. Ces éléments ne pouvaient donc être retenus pour définir l’infraction comme « grave ».

10) Le département a conclu au rejet du recours.

Le fait que la recourante ait reversé le trop-perçu, en partie ou en totalité, à des œuvres caritatives, n’était pas pertinent. Selon la définition du dictionnaire, la notion de cupidité n’impliquait aucunement une volonté d’utiliser les biens pour sa propre personne. Il ne faisait en l’occurrence aucun doute que la recourante avait perçu un montant de loyer bien plus élevé que ce qui lui était légalement possible, au détriment des locataires, et ce afin d’augmenter ses propres capacités financières. Cela n’avait en outre pas été réalisé pour un seul appartement, mais pour quinze, ce qui permettait de démontrer la cupidité. Que cet argent lui serve ensuite à s’acheter des biens personnels ou alimenter des œuvres caritatives importait peu. Ceci était d’autant plus vrai qu’à teneur des documents de la recourante, la grande majorité des dons avait été effectuée à l’association dont elle était la fondatrice et présidente. De surcroît, elle avait bénéficié, grâce à ces dons, de réduction d’impôts et s’était donc personnellement enrichie. La circonstance aggravante de la cupidité était réalisée.

La recourante ne contestait pas avoir déjà été sanctionnée à deux reprises. Que lesdites amendes concernent la seule violation de la LCI n’était pas pertinent. La LDTR renvoyait, en ce qui concernait les mesures et sanctions, à la LCI et toute infraction à la LDTR l’était aussi à la LCI. En cas d’amende, le département émettait une seule décision portant sur les deux lois, ce que précisait la décision querellée. Les précédentes infractions de la recourante pouvaient raisonnablement être retenues au titre de circonstance aggravante.

L’infraction était grave. L’intéressée comptait plusieurs infractions à son dossier. Au vu de ses antécédents et des autorisations de construire qu’elle avait déjà déposées et obtenues auparavant, elle ne pouvait de bonne foi ignorer que des règles relatives au droit de la construction et au contrôle des loyers s’appliquaient dans le cas d’espèce, d’autant plus qu’elle était assistée d’une régie, soit une entité professionnelle dans le domaine de l’immobilier. La recourante faisait preuve d’une volonté avérée d’enfreindre de manière systématique la LCI et la LDTR.

Le montant de CHF 100'000.- était proportionné.

11) À l’appui de sa réplique, le recourante a produit de nombreuses attestations pour un montant total de CHF 121'675.77. La définition du dictionnaire de la cupidité laissait toutefois entendre clairement une volonté de s’enrichir. Tel n’avait pas été son cas, une somme équivalente et même supérieure au trop-perçu ayant été versée en faveur de diverses associations et fondations caritatives. Qu’une partie de ces montants l’ait été à sa propre fondation n’était pas pertinent, dès lors qu’elle ne pouvait pas disposer personnellement des dons accordés à celle-là. De même, le fait qu’elle ait pu bénéficier de déductions fiscales grâce à ces dons ne signifiait pas qu’elle s’était enrichie. Elle avait payé des impôts sur les trop-perçus, considérés comme des revenus. Elle n’avait donc pas profité de cette situation sur le plan fiscal.

Une infraction à la LDTR ne constituait pas une violation de la LCI. Les deux lois avaient des buts différents et étaient indépendantes l’une de l’autre. Le fait que le département n’émette qu’une seule décision portant sur les deux lois n’était pas pertinent. Il devait être retenu qu’elle n’avait aucun antécédent LDTR.

12) Sur ce, les parties ont été informées le 22 février 2022 que la cause était gardée à juger.

13) a. Il ressort du dossier que la procédure I-8______ porte sur l’immeuble sis au __, rue de C______. Il s’agissait de travaux effectués sans autorisation. Aucune amende n’a été infligée. La décision date du 27 mai 2002.

b. La procédure I-7______ porte également sur l’immeuble sis au __, rue de C______. Une amende de CHF 1'000.- avait été infligée à la recourante le 30 mars 2010 pour violation de la LCI et de la LDTR suite à des travaux entrepris dans un appartement, sans autorisation de construire. Il s’agissait de la rénovation complète du local cuisine avec démolition des revêtements, de l’aménagement et la rénovation complète de la salle de bains, impliquant la démolition des doublages des gaines techniques, des revêtements, et l’installation des appareils sanitaires ; réfection de la peinture des murs et des plafonds de l’appartement ainsi que la rénovation de l’installation électrique. L’intéressée avait été contrainte de déposer une APA, qui lui avait été délivrée le 22 juillet 2010.

c. La procédure I-6______ porte sur l’immeuble sis au __, rue de C______. Une amende de CHF 3'000.- a été infligée à la recourante le 5 décembre 2013. Les travaux engagés aux fins de créer deux appartements dans les combles ne correspondaient pas aux plans de l’autorisation délivrée (typologie des appartements ; fenêtres sur rue, éclairages notamment), ce qui avait été constaté par un inspecteur de la direction des autorisations de construire le 21 décembre 2012. Un arrêt de chantier avait été ordonné. L’amende était fondée sur l’art. 137 LCI.

d. La procédure I-5______ porte sur l’immeuble sis rue B______. Une amende de CHF 10'000.- a été infligée au mandataire de l’intéressée le 27 octobre 2015. Les travaux n’étaient pas conformes à l’autorisation qui avait été délivrée, ce qui avait été constaté par un inspecteur de la direction des autorisations de construire le 3 octobre 2014.

e. La procédure I-5______ porte également sur l’immeuble sis rue B______. Une amende de CHF 8'700.- a été infligée à la recourante le 23 octobre 2019 à la suite de travaux non conformes à la DD 9______ délivrée le 3 novembre 2015 et la mise en location d’appartements meublés, sans autorisation. Au vu de la condition n° 2 du préavis LDTR de ladite autorisation, CHF 43'634.- avaient été encaissés en trop au titre de loyers.

14) D______ SA est inscrite au registre du commerce depuis le 25 mai 2007. La recourante en est l’administratrice présidente avec signature individuelle. La société a pour but l’amélioration des conditions de vie, notamment par la mise en place d’initiatives et de projets dans les secteurs de la défense de la dignité humaine, de l’éducation et de la formation, de la santé et de la médecine, y compris traditionnelle, de la protection de l’environnement, de la communication et la sensibilisation et de contribuer au développement de projets de microfinance.

Selon ses statuts, tout profit tiré de ses investissements est réinvesti dans les projets de la société.

15) Le contenu des pièces et des écritures des parties sera pour le surplus repris en tant que de besoin de la partie en droit du présent arrêt.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 -
LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La recourante s’est vu infliger une amende administrative de CHF 150'000.- réduite par le TAPI à CHF 100'000.- en raison de violations des dispositions de la LDTR.

Cette loi a pour but de préserver l'habitat et les conditions de vie existants ainsi que le caractère actuel de cet habitat, en apportant notamment des restrictions aux transformations et au changement d'affectation des maisons d'habitation (art. 1 LDTR). Les transformations ou rénovations, au sens de l'art. 3 LDTR, ne sont ainsi autorisées, selon l'art. 9 LDTR, qu'en présence d'un intérêt public ou général, compte tenu notamment des besoins prépondérants de la population. Selon la jurisprudence, cette politique procède d'un intérêt public important (ATF 113 Ia 126 consid. 7a ; 111 Ia 23 consid. 3a et les arrêts cités). Conformément aux art. 10 ss LDTR, le département fixe, comme condition de l'autorisation de construire, le montant maximum des loyers des logements après travaux.

3) a. Celui qui contrevient aux dispositions de la LDTR est passible des mesures et des sanctions administratives prévues par les art. 129 à 139 LCI, et des peines plus élevées prévues par le code pénal suisse du 21 décembre 1937
(CP - RS 311.0 ; art. 44 al. 1 LDTR).

b. Selon l'art. 137 al. 1 LCI, est passible d'une amende administrative de CHF 100.- à CHF 150'000.- tout contrevenant à la LCI (let. a), aux règlements et arrêtés édictés en vertu de la LCI (let. b) et aux ordres donnés par le département dans les limites de la LCI et des règlements et arrêtés édictés en vertu de celle-ci (let. c). Le montant maximum de l'amende est de CHF 20'000.- lorsqu'une construction, une installation ou tout autre ouvrage a été entrepris sans autorisation mais que les travaux sont conformes aux prescriptions légales (art. 137 al. 2 LCI). Il est tenu compte, dans la fixation du montant de l'amende, du degré de gravité de l'infraction; constituent notamment des circonstances aggravantes la violation des prescriptions susmentionnées par cupidité, les cas de récidive et l'établissement, par le mandataire professionnellement qualifié, d'une attestation, au sens de l'art. 7 LCI, non conforme à la réalité (art. 137 al. 3 LCI).

Le montant maximum de l’amende a été modifié le 1er septembre 2010 et porté de CHF 60'000.- à CHF 150'000.-.

4) a. Les amendes administratives prévues par les législations cantonales sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des contraventions pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut au demeurant aussi exister. C’est dire que la quotité de la sanction administrative doit être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/440/2019 du 16 avril 2019 ; ATA/19/2018 du 9 janvier 2018).

b. En vertu de l’art. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 (LPG - E 4 05), les dispositions de la partie générale du CP s’appliquent à titre de droit cantonal supplétif. On doit cependant réserver celles qui concernent exclusivement le juge pénal (ATA/440/2019 précité ; ATA/19/2018 précité). Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d’une simple négligence. Selon la jurisprudence constante, l’administration doit faire preuve de sévérité afin d’assurer le respect de la loi (ATA/19/2018 précité).

L’autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d’une sanction doit également faire application des règles contenues aux art. 47 ss CP (principes applicables à la fixation de la peine), soit tenir compte de la culpabilité de l’auteur et prendre en considération, notamment, les antécédents et la situation personnelle de ce dernier (art. 47 al. 1 CP). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP ; ATA/19/2018 précité).

c. Le département jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour fixer la quotité de l’amende. La chambre de céans ne le censure qu’en cas d’excès ou d’abus. Sont pris en considération la nature, la gravité et la fréquence des infractions commises dans le respect du principe de proportionnalité (art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101 ; ATA/440/2019 précité ; ATA/945/2018 du 18 septembre 2018 ; ATA/19/2018 précité).

5) a. L'obligation de respecter le montant des loyers maximaux fixés dans l'autorisation de construire est imposée en priorité au propriétaire de l'immeuble soumis à la LDTR, si bien qu'il lui incombe de prendre toutes les mesures utiles pour éviter un dépassement de ces loyers (Alain Maunoir, La nouvelle LDTR au regard de la jurisprudence, in: RDAF 1996 p. 328; La jurisprudence du Tribunal administratif genevois et du Tribunal fédéral concernant la législation cantonale genevoise en matière de démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation, in: Office fédéral des questions conjoncturelles, Aspects juridiques relatifs à la rénovation de l'habitat - Spécificités romandes, 1996, p. 65, et les arrêts cantonaux cités). Le propriétaire de l'immeuble a donc une obligation juridique d'agir, de sorte qu'il peut réaliser une infraction à la LDTR s'il n'empêche pas l'infraction commise ou ordonnée par un tiers, alors qu'on pouvait l'attendre de lui (ATF 115 Ia 406 consid. 4c et les références).

b. Doivent être notamment prises en compte au titre de circonstances aggravantes, le fait d’avoir agi par cupidité, la récidive, la profession de l’auteur de l’infraction ainsi que le nombre élevé ou la proportion importante des appartements ou immeubles concernés par la violation de la LDTR. Au titre de circonstances atténuantes, doivent être prises en compte notamment l’absence de volonté délictuelle, une violation de la LDTR sur un appartement ou un immeuble isolé seulement, le fait qu’une réaffectation en logement soit aisée (Emmanuelle GAIDE/Valérie DÉFAGO GAUDIN, La LDTR : Démolition, transformation, rénovation, changement d'affectation et aliénation : immeubles de logement et appartements : loi genevoise et panorama des autres lois cantonales, 2014, p. 490-491 et les jurisprudences citées). La doctrine cite ainsi parmi les exemples de circonstances aggravantes, outre celles mentionnées par la loi, le nombre élevé ou la proportion importante des appartements ou immeubles concernés par la violation de la LDTR ainsi que le montant élevé du trop-perçu de loyer touché (ibid. p. 490).

Il doit être tenu compte de la capacité financière de la personne sanctionnée (ATA/806/2005 du 29 novembre 2005 consid. 3d).

c. Il ressort de la jurisprudence cantonale que le montant maximum de l’amende, de CHF 60'000.- en vigueur jusqu’au 1er septembre 2010, a été infligé à un administrateur de sociétés immobilières pour avoir loué après des travaux non autorisés des appartements à des loyers bien plus élevés que ceux bloqués par le département dans les autorisations rétroactives (ATA/195/2005 du 5 avril 2005 confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 11P.309/2005 du 1er novembre 2005).

Le maximum a aussi été infligé à un propriétaire ayant loué des appartements de plusieurs de ses immeubles à des loyers plus élevés que les loyers fixés dans les autorisations de construire afin d’obtenir un gain illicite de plusieurs centaines de milliers de francs, ayant agi intentionnellement et par cupidité, étant en outre multirécidiviste, ayant enfin tenu des propos mensongers et exercé des pressions à l’égard des locataires et ayant antidaté des contrats de bail rectifiés (ATA/195/2005 du 5 avril 2005 confirmé par arrêt du Tribunal fédéral 11P.309/2005 du 1er novembre 2005).

Un quart du montant maximum, soit CHF 15'000.-, a été infligé à un propriétaire ayant transformé, sans autorisation, des chambres en appartement et ayant perçu des loyers supérieurs à ceux finalement autorisés (ATA/567/2005 du 16 août 2005 consid. 30).

Dans un litige plus récent, l’objet porté devant la chambre administrative s’est limité à la question de savoir s'il convenait de faire obligation au bailleur d'établir et de communiquer à la locataire un nouvel avis de fixation du loyer initial. L'obligation faite au bailleur de rembourser le trop-perçu à la locataire concernée, réduite par le TAPI de CHF 40'662.- à CHF 20'862.-, ainsi que le montant de l'amende infligée, diminuée de CHF 8'100.- à CHF 5'000.-, n’étaient plus litigieux, compte tenu de l'absence de recours du DT sur ces points (ATA/1343/2020 du 22 décembre 2020).

Enfin, dans un arrêt du 23 février 2021, la chambre administrative a confirmé une amende de CHF 225'000.- infligée au recourant ; les quatre sociétés recourantes dont ce dernier était administrateur président en répondant solidairement, pour infractions à la LDTR à la suite de quatre arrêts, confirmés par le Tribunal fédéral. Le but des opérations montées par le recourant consistait à éluder l'examen visant à la protection du parc locatif et donc à violer l'art. 39 al. 1 LDTR. L'amende pouvait aller jusqu'à CHF 225'000.- compte tenu du concours d'infractions. La faute était très lourde et relevait d’un mépris total du but de la loi et des intérêts publics protégés. La solidarité entre les quatre entreprises était toutefois réduite proportionnellement au nombre d'appartements concernés leur appartenant.

6) En l’espèce, la recourante conteste la circonstance aggravante de la cupidité et se prévaut des nombreux dons qu’elle effectue chaque année à des œuvres caritatives.

a. La recourante ne conteste pas l’existence de travaux, l’absence d’autorisation et par voie de conséquence la fixation de loyers sans l’approbation, pourtant nécessaire, de l’État. L’utilisation qu’a faite la recourante des loyers indûment encaissés est sans incidence sur le fait qu’elle ait voulu ou à tout le moins accepté de percevoir des montants indus. En l’absence de tout lien entre l’infraction et l’utilisation du produit de celle-ci, l’argument de la recourante sera écarté. La circonstance aggravante de la cupidité est en conséquence établie même si la recourante a par la suite fait donation des montants encaissés.

b. Il sera encore observé que la recourante a versé à la procédure une liasse de pièces, sous numéro 21, devant le TAPI pour attester de ses différents versements. Certaines pièces sont produites plusieurs fois. Certaines sont à nouveau produites devant la chambre de céans. Plusieurs n’attestent nullement d’un versement, s’agissant seulement d’une facture avec la mention manuscrite « payé ».

La majorité des versements plus importants est effectuée en faveur de la SA de la recourante. Cette dernière prouve ses versements au moyen d’attestations de dons. CHF 60’000.-, comptabilisés par la recourante au titre de ses dons personnels, lesquels apparaissent avoir été versés à la maison E______ par la SA.

7) La recourante conteste qu’une récidive puisse être retenue à son encontre. Sans nier avoir fait l’objet de deux amendes, elle allègue que les bases légales n’étant pas similaires, car fondées sur la LCI, elles ne peuvent pas être considérées comme des antécédents.

Or, la LDTR renvoie expressément aux mesures et sanctions prévues par la LCI. De même, la décision querellée évoquait tant l’art. 44 LDTR que les art. 129 et ss LCI. De surcroît, il s’agit dans tous les cas de travaux effectués sans autorisation, certains étant, en sus de la LCI, soumis aussi à la LDTR et aux autres conséquences prévues par la loi, telles que la restitution de loyers perçus en trop.

La recourante ayant deux antécédents au moment du prononcé de la décision dont est recours, le DT était fondé à retenir la circonstance aggravante de la récidive.

8) La recourante conteste la gravité de la faute.

La faute est objectivement lourde. Le résultat de la faute a été le paiement par plus de treize locataires de loyers indus pendant plusieurs années. Ce résultat était voulu par la recourante, qui ne s’est à tout le moins jamais questionnée sur l’assujettissement des travaux de son immeuble à la LDTR, ni d’ailleurs à la LCI. Le mode opératoire est objectivement grave puisqu’il consiste à mettre les autorités devant le fait accompli avec l’éventualité que celles-ci ne découvrent que tardivement, voire pas, les infractions. Les mobiles de la recourante consistent dans l’appât du gain et un mépris du respect des dispositions légales applicables dans le canton en matière de constructions. Ceci est d’autant plus grave qu’elle est propriétaire de plusieurs immeubles et se doit, à ce titre, d’être bien informée et respectueuse de ses obligations et des contraintes légales.

L’autorité intimée était fondée à retenir la gravité de l’acte et de la faute.

9) La recourante conteste la quotité de la sanction.

Il est établi que les circonstances aggravantes de la cupidité, de la récidive et de la gravité de la faute ont été à juste titre retenues par le DT.

La recourante ne conteste pas que l’infraction concerne quinze appartements, le DT ayant reconnu que l’amende était prescrite pour deux d’entre eux. Elle ne conteste pas non plus avoir été sanctionnée à deux reprises, la première fois d’une amende à hauteur de CHF 1'000.- et la seconde de CHF 3'000.-. Ces infractions ne portaient que sur un seul logement.

Il apparaît dès lors conforme à la jurisprudence qu’une nouvelle série d’infractions soit sévèrement sanctionnée, les précédentes amendes n’ayant pas eu l’effet escompté sur la recourante, qui a persisté à violer la loi, cette fois-ci à beaucoup plus large échelle, compte tenu de la durée (trois ans), du nombre d’appartements concernés et partant de la répétition des agissements, et a commis de la sorte une faute lourde.

Au vu des circonstances aggravantes que sont la cupidité, les antécédents, et la gravité de la faute, ainsi que du nombre de cas concernés, la quotité globale de l’amende, soit CHF 100'000.-, apparait d’autant plus proportionnée qu’elle correspond à moins de la moitié des montants indûment encaissés.

Le département doit par ailleurs veiller à détourner un propriétaire ayant déjà commis des infractions d’en commettre de nouvelles. À ce titre, le montant de l’amende est apte à atteindre ce but, apparaît nécessaire pour que la recourante se conforme dorénavant au respect de la LDTR et est proportionné au sens étroit afin de garantir le but de la LDTR, soit notamment des restrictions à la transformation des maisons d’habitation, l’encouragement à des travaux d’entretien et de rénovation raisonnables et proportionnés, tout en assurant la protection des locataires (art. 1 al. 2 let. a et b LDTR).

Enfin, la recourante ne donne aucune indication sur sa situation financière et ne prétend pas que le montant de l’amende ne serait pas compatible avec celle-ci.

Dès lors que les juridictions de recours ne modifient le montant de l’amende qu’en cas de violation de la loi ou d’abus du pouvoir d’appréciation, compte tenu du large pouvoir d’appréciation laissé à l’autorité intimée, l'amende telle que réduite par le TAPI à CHF 100'000.- sera confirmée tant dans son principe que dans son montant et le recours sera rejeté.

10) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.- sera mis à la charge de la recourante (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée
(art. 87 al. 2 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 3 janvier 2022 par Madame A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 16 novembre 2021 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge de Madame A______ ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me François Bellanger, avocat de la recourante, au département du territoire-oac ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeant : M. Mascotto, président, M. Verniory, Mmes Payot Zen-Ruffinen. Lauber et Michon Rieben.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :