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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3561/2006

ATA/277/2007 du 05.06.2007 ( DT ) , ADMIS

Parties : D'IPPOLITO Enrico / COMMISSION FONCIERE AGRICOLE
En fait
En droit
Par ces motifs

 

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3561/2006-DT ATA/277/2007

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 5 juin 2007

dans la cause

 

Monsieur Enrico D’IPPOLITO
représenté par Me Grégoire Rey, avocat

contre

COMMISSION FONCIÈRE AGRICOLE


 


1. Monsieur Enrico D’Ippolito (ci-après : M. D’Ippolito) est le fils de Monsieur Mario D’Ippolito (ci-après : M. D’Ippolito père). Ce dernier est propriétaire de la parcelle n° 6855 de la commune de Satigny, sise en zone agricole, sur laquelle sont édifiés une maison d’habitation et deux bâtiments agricoles.

2. Le 16 mars 2006, M. D’Ippolito a déposé auprès de la commission foncière agricole du canton de Genève (ci-après : la commission ou la CFA) une requête en constatation de sa qualité d’exploitant à titre personnel au sens de l’article 9 de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR - RS 211.412.11), en vue d’acquérir la parcelle n° 6780, contiguë à la parcelle n° 6855.

3. Par ordonnance préparatoire du 23 mai 2006, la commission a invité l'intéressé à produire ses déclarations fiscales portant sur les quatre dernières années.

4. Le 1er juin 2006, l’intéressé a conclu avec son père un contrat de bail à ferme portant sur la parcelle n° 6855. Seuls les immeubles agricoles, soit la bergerie et le hangar, étaient affermés.

5. Dans sa lettre du 14 juillet 2006 à la commission, M. D’Ippolito a précisé que ses déclarations fiscales ne faisaient pas état de l’activité agricole qu’il avait déployée à temps partiel et à titre gracieux jusqu’en décembre 2005. Ce n’était qu’à cette date, en raison de l’invalidité de son père et du grand âge de celui-ci, qu’il avait repris de manière soutenue l’activité de l’entreprise familiale. Il avait alors augmenté son cheptel et démissionné de son emploi de garagiste en mars 2006.

6. Le 28 août 2006, la commission a refusé à M. D’Ippolito la qualité d’exploitant à titre personnel, au motif qu’il n’était pas titulaire d’un diplôme dans le domaine agricole. Il avait en effet une formation de mécanicien et avait travaillé à plein temps pour un garagiste avant de démissionner pour le 31 mars 2006.

Cette démission faisait suite à la décision de la commission du 13 décembre 2005, confirmée par le Tribunal administratif le 23 mai 2006, refusant à son père la qualité d’exploitant à titre personnel pour deux raisons : d’une part, l’assurance-invalidité lui avait reconnu un degré d’invalidité à 71% le 2 avril 2001 et, d’autre part, il avait exercé une activité dépendante à 25% auprès d’un tiers viticulteur jusqu’au 30 novembre 2005.

Enfin, les bâtiments agricoles édifiés sur la parcelle n° 6855 étaient en grande partie occupés par de vieilles voitures appartenant au requérant.

7. Le 28 septembre 2006, M. D’Ippolito a recouru auprès du Tribunal administratif contre la décision précitée en concluant à son annulation. Il remplissait toutes les conditions lui permettant de se voir reconnaître la qualité d’exploitant à titre personnel et devait être autorisé à acquérir la parcelle n° 6870. En lui refusant le statut en question, la commission ruinait toute perspective de rentabilité de l’exploitation familiale.

8. Diverses pièces concernant l’intéressé figurent au dossier :

a. Le 14 janvier 2006, le syndicat d’élevage du menu bétail de Genève a attesté que le recourant en était membre actif depuis 1989. Après avoir élevé des moutons de la race "blanc des Alpes", il avait opté dès 1996 pour la race "rouge de l’ouest". Cet élevage était intégré au troupeau familial préexistant.

b. Le 20 janvier 2006, Monsieur Mirek Kubicek, employeur du recourant jusqu’en mars 2006, a déclaré que ce dernier avait bénéficié d’un horaire souple et de congés octroyés sans planification, afin de lui permettre d’exercer son activité agricole au gré des besoins de l’exploitation familiale.

c. Le maire de Satigny a confirmé le 27 février 2006 que le recourant et son père exploitaient depuis de nombreuses années un élevage de moutons dans des conditions irréprochables.

d. Le 21 juin 2006, le syndicat précité a attesté que M. D’Ippolito avait importé dix brebis et un bélier de la race "rouge de l’ouest".

e. En août 2006, un exploitant du domaine viticole de la comtesse Eldegarde a déclaré que le recourant avait aidé à l’exploitation pendant plus de vingt ans, avec son père, lui-même employé à un taux d’activité de 25% depuis 1959. Le recourant avait en outre aidé son père à élever des moutons présents en partie sur le domaine. L’intéressé était parfaitement intégré à l’exploitation susmentionnée.

f. Par plis des 22 et 29 septembre 2006, la commission de formation professionnelle agricole de l’association des groupements et organisations romands de l’agriculture (AGORA) a confirmé la préinscription du recourant à une formation continue en agriculture donnant droit aux paiements directs. Cette formation s’adressait aux personnes sans diplôme reconnu pour bénéficier de tels paiements directs, mais au bénéfice d’un CFC ou d’une équivalence dans une autre profession, qui avaient plus de vingt-cinq ans et au minimum un an d’expérience professionnelle au moment des examens.

g. Caprovis Data S.A. a certifié que l’intéressé était membre du « herb-book ovin » depuis 1989.

9. Le 6 novembre 2006, la commission a persisté dans sa décision et conclu au rejet du recours.

10. Le 11 décembre 2006, le Tribunal administratif a organisé un transport sur place.

Le juge délégué a constaté que deux immeubles agricoles et une maison d’habitation étaient édifiés sur la parcelle n° 6855. Sur la parcelle contiguë n° 6780, se trouvaient plusieurs bâtiments, en ruine pour certains ou désaffectés pour d’autres, qui appartenaient à l’ancien propriétaire.

L’un de ces immeubles agricoles abritait une étable. A l’intérieur, se trouvaient de grands containers avec de la nourriture pour le bétail et des enclos. Dans l’un d’entre eux il y avait deux ânes et des agnelles destinées à la reproduction et, dans un autre enclos, une cinquantaine de moutons en stabulation libre. M. D’Ippolito a exposé qu’il possédait encore d’autres moutons se trouvant sur des terrains qui mis à sa disposition par des voisins.

Le recourant a aussi relevé que le deuxième immeuble agricole devait être rénové pour pouvoir accueillir des bêtes. En attendant, il s’en servait comme entrepôt pour sa collection de voitures et comme atelier de mécanique. En l’état, cet immeuble n’était pas exploitable car il y avait de l’amiante dans les murs. De petits silos sous plastique ainsi que des balles de foin étaient entreposés au bout du bâtiment.

Un troisième bâtiment abritait des lapins ainsi que des réserves de foin et de paille. Des voitures étaient stationnées dans une partie de l’immeuble.

Le recourant a exposé qu’il détenait encore 20’000 mètres carrés à l’entrée de Satigny et 10’000 mètres carrés à Bourdigny. Les agneaux étaient élevés soit pour la reproduction soit pour la boucherie. Il souhaitait agrandir le troupeau afin de s’en sortir financièrement, raison pour laquelle il voulait acquérir la parcelle n° 6780. Il avait engagé des travaux de terrassement pour consolider le talus donnant sur l’Ardère, un ruisseau coulant à cet endroit. Ces travaux avaient été suspendus, car il ne voulait pas les poursuivre "gratis pro Deo".

Sur question du juge, le recourant a confirmé qu’il n’avait pas de CFC d’agriculteur. En revanche, il avait toujours travaillé à la ferme avec ses parents. Son CFC de mécanicien sur autos lui était très utile dans le cadre de son activité agricole, car il lui arrivait fréquemment de procéder à de petites réparations. Il avait travaillé pendant treize ans, à savoir jusqu’en mai 2006, en tant que mécanicien auprès d’Autobrit et pendant deux ans dans un petit garage. En 1989, il s’était lancé dans l’élevage de moutons et, depuis mai 2006, il avait prévu de suivre des cours pour les agriculteurs qui n’étaient pas au bénéfice d’une formation, ce qui lui permettrait d’obtenir le diplôme en question.

11. Sur quoi, l’affaire a été gardée à juger.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 13 de la loi d’application de la loi fédérale sur le droit foncier rural du 16 décembre 1993 - LaLDFR - M 1 10 ).

2. Le Tribunal fédéral a récemment rappelé l’articulation des dispositions liées à la qualité d’exploitant à titre personnel au sens de l’article 9 LDFR (Arrêt du Tribunal fédéral 5A. 17/2006 du 21 décembre 2006).

Ainsi, celui qui entend acquérir un immeuble agricole entrant dans le champ d’application de la LDFR (art. 2 et 6 LDFR) ou une entreprise agricole (art. 7 et 8 LDFR) doit obtenir une autorisation (art. 61 al. 1 LDFR). Celle-ci est accordée lorsqu’il n’existe aucun motif de refus (art. 61 al. 2 LDFR). Selon l’article 63 alinéa 1 lettre a LDFR, l’acquisition d’une entreprise ou d’un immeuble agricole est refusée, notamment lorsque l’acquéreur n’est pas un exploitant à titre personnel (Arrêt du Tribunal fédéral 5A. 17/2006 précité).

La concrétisation de la notion d’exploitant à titre personnel ressort du droit public et relève donc en principe de la compétence matérielle des autorités administratives, notamment du Tribunal administratif. Elle peut faire l’objet d’une décision de constatation au sens de l’article 84 LDFR (ATA/288/2006 du 23 mai 2006).

En l’espèce, le recourant a déposé une requête auprès de la commission en vue d’acquérir la parcelle n° 6780. La décision contestée porte uniquement sur l’existence de la qualité d’exploitant.

3. a. Selon l’article 9 LDFR, est exploitant à titre personnel quiconque cultive lui-même des terres agricoles et, s’il s’agit d’une entreprise agricole, dirige personnellement celle-ci (al. 1). Est capable d’exploiter à titre personnel quiconque a les aptitudes usuellement requises dans l’agriculture de notre pays pour cultiver lui-même les terres agricoles et diriger personnellement une entreprise agricole (al. 2).

b. Le requérant doit remplir les conditions posées par les deux alinéas de l’article 9 LDFR pour avoir les qualités de l’exploitant à titre personnel (ATA/445/2006 du 31 août 2006).

Restent pertinentes les notions de l’article 9 LDFR définies et développées par la jurisprudence du Tribunal fédéral (Arrêt du Tribunal fédéral 5A. 17/2006 précité) sous l’empire de l’ancien droit successoral paysan.

c. La qualité d’exploitant exige de ce dernier qu’il accomplisse en personne, de façon substantielle, les travaux inhérents à un domaine agricole et qu’il dirige en plus l’entreprise. Par exemple, dans une entreprise agricole exploitée à plein temps avec quatre cents jours/homme de travail et plus, l’exploitant à titre personnel doit travailler pour l’essentiel dans l’exploitation agricole. Il doit être prêt à abandonner une activité principale hors agriculture. Toutefois, une telle activité n’est pas exclue, à condition de rester accessoire (ATA/445/2006 précité).

d. La capacité d’exploiter à titre personnel présuppose une moyenne des qualités tant professionnelles que morales et physiques qui, d’après les usages propres à l’agriculture et les conceptions locales, sont requises pour exploiter convenablement un domaine agricole. Cette capacité n’existe, en règle générale, que si l’intéressé a fréquenté une école d’agriculture (Arrêt du Tribunal fédéral 5A. 17/2006 précité).

e. Cependant, la nouvelle teneur de l’article 9 LDFR, qui résulte de la révision du 26 juin 1998 (RO 1998 3009 3001, FF 1996 IV 1), prévoit que quiconque cultive lui-même un immeuble agricole, sans que ce dernier constitue ou fasse partie d’une entreprise agricole, est aussi considéré comme exploitant à titre personnel (Arrêt du Tribunal fédéral 5A. 9/2001 du 30 juillet 2001).

Cette révision vise à obtenir une application uniforme du droit, dans la mesure où certains cantons, appliquaient à la lettre l’ancienne disposition qui ne se référait qu’à l’entreprise agricole et ne reconnaissaient comme exploitant à titre personnel, dans la procédure d’autorisation d’acquisition d’un immeuble agricole, que celui qui dirigeait déjà personnellement une entreprise agricole (Arrêt du Tribunal fédéral 5A.9/2001 précité).

La révision doit ainsi permettre à un paysan amateur d’acquérir une parcelle de terrain, par exemple pour élever des moutons. Cela étant, celui qui sollicite l’autorisation d’acquérir un immeuble agricole doit toujours établir qu’il est capable de cultiver lui-même les terres en question, même si l’on ne peut évidemment pas exiger des agriculteurs exerçant cette activité dans le cadre de leurs loisirs qu’ils aient suivi une formation agricole complète. Ainsi, selon la doctrine, une exploitation à titre personnel est admise lorsque le requérant prouve qu’il a une formation agricole adéquate pour exploiter l’immeuble agricole qu’il entend acquérir ou qu’il a exploité dans les règles de l’art un immeuble comparable (Arrêt du Tribunal fédéral 5A.9/2001 précité).

En l’espèce, il y a lieu de considérer que le recourant disposait, au moment où la décision a été prise, de la qualité d’exploitant à titre personnel. En effet, bien qu’il n’ait pas de formation spécifique dans le domaine agricole, il connaît bien cette activité, tout comme celle d’éleveur de bétail, pour les avoir exercées toute sa vie dans sa famille, ce qu’établissent les diverses pièces figurant au dossier. En parallèle à sa profession de mécanicien, il a toujours secondé son père dans les travaux agricoles. Depuis l’invalidité de ce dernier et en raison de son âge, le recourant a cessé toute activité lucrative dans son métier de base, et se consacre entièrement à l’exploitation agricole familiale pour en garantir la survie. Dans cette optique, il a agrandi son cheptel et souhaite acquérir la parcelle voisine, ce qui lui permettra d’augmenter la rentabilité de son entreprise et s’assurer un revenu suffisant.

Partant, le fait qu’il ne soit pas titulaire du CFC d’agriculteur, ne saurait faire obstacle à sa capacité d’exploiter à titre personnel une entreprise agricole. Toutes les années passées aux côtés de son père lui valent aujourd’hui une solide expérience qui peut être considérée équivalente à une formation agricole adéquate. Par ailleurs, aucun élément du dossier ne permet de douter de sa volonté d’exercer l’activité agricole à titre principal. L’entreposage de sa collection de vieilles voitures dans le hangar n’est pas de nature à modifier cette appréciation.

4. Au vu de ce qui précède, le Tribunal administratif considère que le recourant remplit les conditions d’exploitant à titre personnel. Partant, le recours sera admis et la décision de la commission annulée. L'affaire sera renvoyée à la CFA pour nouvelle décision (art. 69 al. 3 LPA).

5. Un émolument de CHF 1’000.- sera mis à la charge de la commission (art. 87 LPA). Aucune indemnité ne sera octroyée au recourant, qui n’y conclut pas.

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 28 septembre 2006 par Monsieur Enrico D’Ippolito contre la décision de la commission foncière agricole du 28 août 2006 ;


au fond :

l’admet ;

renvoie la cause à la commission foncière agricole pour nouvelle décision ;

annule la décision de la commission foncière agricole du canton de Genève ;

met à la charge de la commission foncière agricole du canton de Genève un émolument de CHF 1’000.- ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Grégoire Rey, avocat du recourant, ainsi qu’à la commission foncière agricole et à l’office fédéral de la justice.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le la greffière :