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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1420/2013

ATA/207/2014 du 01.04.2014 ( AIDSO ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1420/2013-AIDSO ATA/207/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 1er avril 2014

1ère section

 

dans la cause

 

M. S______

contre

HOSPICE GÉNÉRAL

 



EN FAIT

1) M. S______, né le ______ 1965, a été au bénéfice de l’aide sociale depuis le 1er novembre 2003, sauf durant quelques périodes.

Après la dissolution d’une précédente union, de laquelle étaient nés deux enfants, il s’est marié le 6 mai 2005 avec Mme S______, née X______.

Les époux et leurs trois enfants, nés en 2007, 2008 et 2009, étaient domiciliés dans un appartement de deux pièces au ______, rue de la F______ à Genève.

2) Par décision du 9 juin 2009, l’Hospice général (ci-après : l’hospice) a mis un terme, dès le 1er mai 2009, à l’aide et au subside partiel de l’assurance-maladie qu’il accordait aux époux S______, au motif que le mari avait refusé de présenter son passeport tunisien à l’enquêteur de l’hospice, alors que l’épouse était allée à quatre reprises, entre le 31 août 2007 et le 19 février 2009, en Tunisie, pays dont elle avait également la nationalité.

A la suite de l’opposition formée par Mme S______ et aux informations du 30 juin 2009 de celle-ci selon lesquelles elle avait quitté le logement conjugal avec ses trois enfants et logeait depuis le 29 juin 2009 dans un foyer, l’hospice a reconsidéré sa décision du 9 juin 2009 et repris le versement de l’aide financière uniquement en faveur de l’épouse et des trois enfants, à l’exclusion de M. S______.

Depuis le 1er août 2009, les suivis de M. et Mme S______ ont fait l’objet de deux dossiers distincts auprès de l’hospice.

3) Par décision du 30 novembre 2009, non frappée d’opposition, l’hospice a réclamé à M. S______ le remboursement de la somme de CHF 62’847,20 au titre de prestations versées indûment, l’intéressé ne l’ayant pas informé avoir procédé à dix immatriculations de véhicules, dont quatre autorisations d’exportation.

4) En date du 1er décembre 2009, M. S______ a, à titre individuel, déposé une nouvelle demande de prestations d’aide financière et de subside de l’assurance-maladie, déclarant faire ménage avec son épouse et leur trois enfants, pour lesquels il assumait des frais de garde, et ne disposer d’aucun revenu.

5) Selon les allégations de l’hospice, M. S______ lui avait, le 6 janvier 2010, déclaré vivre avec sa famille dans le logement sis à la rue de la F______ et souhaiter réintégrer le dossier social familial, ajoutant que son épouse n’avait pas vraiment l’intention de se séparer de lui.

Par ailleurs, il ressort de la base de données de l’administration que Mme S______ a été domiciliée dans un foyer pour femmes au ______, rue M______ à Genève, dès le 8 janvier 2010.

6) Par jugement du 17 février 2010, le Tribunal de première instance, entérinant l’accord entre les époux S______, a prononcé leur séparation, attribué à l’épouse la garde à l’égard de leurs trois enfants, réservé au mari un droit de visite devant s’exercer, sauf accord contraire entre les époux, deux journées par semaine, instauré une curatelle d’organisation et de surveillance du droit de visite et constaté que l’état des ressources de M. S______ ne lui permettait pas de contribuer à l’entretien des trois enfants.

7) M. S______ s’est vu reconnaître un droit à l’aide sociale à titre individuel, sous forme d’un montant d’entretien de base, d’une participation à son loyer, d’un subside réduit de l’assurance-maladie et d’une participation aux frais de séjour de ses enfants à son domicile, à compter du 1er décembre 2009.

8) Depuis le 21 juin 2010, Mme S______ habite avec ses enfants au ______, rue de la N______ à Genève.

9) Le 20 novembre 2010, M. S______ a déposé une nouvelle demande d’aide auprès de l’hospice.

Il y indiquait notamment être séparé judiciairement et ne pas avoir de revenus, et mentionnait ses trois enfants sous le titre « Données personnelles des enfants mineurs ou à charge vivant avec le demandeur ». Il ressort toutefois du dossier que l’hospice a, malgré cette mention, continué à lui verser des prestations pour lui seul à titre individuel, accompagnées de prestations pour « frais liés aux enfants » ou « séjour temporaire enfant », jusqu’à la cessation de l’aide.

Dans le formulaire intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière à l’Hospice général » et signé le même jour, il s’engageait entre autres à « informer immédiatement et spontanément l’Hospice général de tout fait nouveau de nature à entraîner une modification du montant de [ses] prestations d’aide financière, notamment de toute modification de [sa] situation personnelle, familiale et économique tant en Suisse qu’à l’étranger », et « [prenait] acte qu’en cas de violation de la loi et en particulier du présent engagement, l’Hospice général se [réservait] de réduire ou de supprimer les prestations d’aide financière qu’il [lui accordait], le cas échéant de déposer une plainte pénale à [son] encontre ».

10) Par lettre recommandée du 9 octobre 2012, l’hospice a reproché à M. S______ de ne pas s’être présenté aux rendez-vous qui lui avaient été fixés à plusieurs reprises entre mai et septembre 2012, le dernier ayant été appointé au 24 septembre 2012, lui rappelant en outre son devoir de collaboration et l’engagement qu’il avait pris de se soumettre en tout temps et sur simple demande de l’hospice à une enquête de son service des enquêtes sur sa situation personnelle et économique. L’hospice a demandé à l’intéressé de le contacter dans les dix jours et de répondre à ses demandes dans les plus brefs délais, l’informant qu’un défaut à cette collaboration entraînerait la cessation des prestations dès le 1er novembre 2012.

11) Le 14 février 2013, le service des enquêtes de l’hospice a établi un rapport concernant M. S______, dont il ressort notamment les éléments suivants :

-         l’intéressé avait été auditionné les 10 décembre 2012 et 7 janvier 2013 et avait, à ces occasions, déclaré vivre seul au ______, rue de la F______ à Genève, pour un loyer mensuel avec les charges de CHF 612.-, et passer beaucoup de temps à Nyon et Coppet chez ses sœurs, afin de se rendre au chevet de son père fréquemment hospitalisé dans cette région ; il avait en outre dit que ses cinq enfants vivaient avec leurs mères respectives aux adresses de celles-ci et qu’il n’avait plus payé de pension alimentaire depuis 2005 ;

-         M. S______ ne s’était pas opposé à une visite à son domicile de l’inspectrice ayant rédigé le rapport d’enquête, le 10 janvier 2013 ; selon les constatations de l’inspectrice, le logement était composé d’une kitchenette avec un frigo, qui était quasiment dépourvu de nourriture et ne fonctionnait pas, d’une chambre à coucher avec un grand lit ainsi que d’une salle de bain ; le manque d’affaires personnelles de l’intéressé ne permettait pas à l’inspectrice de témoigner que ce logement constituait son domicile effectif ;

-         Lors d’un pointage inopiné, le mercredi 13 février 2013, à 7h25, au domicile de Mme S______, cette dernière avait ouvert la porte à l’inspectrice et lui avait dit que M. S______ était là ; elle était allée le chercher dans la chambre et celui-ci en était sorti en pyjama et pieds nus, admettant dans un premier temps vivre là, puis se rétractant.

12) Par décision du 5 mars 2013, exécutoire nonobstant réclamation, l’hospice, plus précisément le centre d’action sociale et de santé (ci-après : CAS) de Plainpalais-Acacias, a pris acte, au vu des constatations faites par l’inspectrice lors des visites susmentionnées des 10 janvier et 13 février 2013, de ce que M. S______ faisait de nouveau ménage commun avec son épouse et ses enfants. Il a, en conséquence, décidé, en application de l’art. 32 de la loi sur l’insertion et l’aide sociale individuelle du 22 mars 2007 (LIASI - J 4 04), de mettre un terme à son aide financière et au versement du subside partiel de l’assurance-maladie (en tant qu’il était effectué à la demande de l’hospice), dès le 1er avril 2013. Mme S______ ayant un dossier ouvert auprès de l’hospice, M. S______ avait la possibilité de régulariser son domicile réel et de solliciter une aide dans le cadre familial.

13) Par acte du 22 mars 2013, M. S______ a formé opposition contre cette décision, contestant habiter avec son épouse et indiquant habiter à un domicile séparé.

Sa présence dans la matinée du mercredi 13 février 2013 au domicile de son épouse se justifiait par le fait qu’il venait s’occuper de ses trois enfants en bas âge (3, 4, respectivement 6 ans) car Mme S______, qui en avait la garde, était malade depuis le 7 février 2013, comme le prouvaient deux certificats joints en copie. En effet, les enfants ayant congé le mercredi, il fallait s’en occuper à la maison et il ne pouvait pas les recevoir à son domicile, car il habitait un petit studio.

S’agissant des constatations de l’inspectrice effectuées le 10 janvier 2013 selon lesquelles son domicile était peu fourni en affaires personnelles et son frigo presque vide, M. S______ a exposé être en situation financière difficile, mettre toute son énergie dans la recherche d’un emploi, vivre très modestement et aller souvent manger chez des amis ou auprès de sa famille afin d’éviter une solitude pesante et de conserver les liens sociaux.

Les deux certificats produits, datés des 19 janvier (sic) 2013, respectivement 19 mars 2013, émanaient d’un médecin généraliste auprès d’une permanence médico-chirurgicale et attestaient d’une capacité de travail du deuxième enfant des époux S______ nulle en raison d’une maladie dès le 7 février 2013 et totale dès le 11 février 2013, une capacité de travail de Mme S______, nulle en raison d’une maladie dès le 7 février 2013 et totale dès le 12 février 2013.

14) Par décision sur opposition du 16 avril 2013, la direction de l’hospice, citant entre autres les art. 33 al. 1 et 35 al. 1 let. d LIASI, a confirmé la décision du CAS du 5 mars 2013.

Il était retenu que, conformément notamment à ses premières déclarations faites le 13 février 2013 à l’inspectrice, M. S______ vivait avec sa famille au domicile de son épouse. Le second certificat médical produit attestait que Mme S______ avait recouvré sa capacité de travail le 12 février 2013, la présence de l’intéressé au domicile de celle-ci afin de s’occuper de leurs enfants n’étant ainsi pas justifiée. De même, la taille du logement de M. S______ ne permettait pas d’expliquer qu’il soit resté chez son épouse pour garder leurs enfants, dès lors qu’il déclarait les accueillir régulièrement à son domicile afin d’obtenir l’octroi d’une participation aux frais liés à leur séjour chez lui.

15) Par acte expédié le 6 mai 2013 au greffe de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative), M. S______, contestant une reprise de la vie commune avec son épouse et leurs enfants, a conclu à l’annulation de cette décision et au renvoi du dossier à l’hospice afin que celui-ci lui ré-octroie une aide sociale à titre individuel.

Contrairement à ce qui était indiqué dans la décision attaquée, il était, au domicile de son épouse lors de la visite du 13 février 2013, habillé en survêtement de sport et non en pyjama. En outre, il était venu à ce domicile tous les matins pendant quatre à cinq jours en février 2013 afin de s’occuper du repas des enfants. Il se rendait tous les matins à la mosquée vers 5h00 afin d’effectuer la première prière de la journée et en sortait à 5h30 environ, puis allait boire un café avant d’aller chez son épouse pour s’occuper du petit-déjeuner et du repas de midi des enfants. Actuellement, son épouse se portant mieux, il ne se rendait plus au domicile de cette dernière, laquelle était prête à venir témoigner.

Etait produite une attestation manuscrite signée le 6 mai 2013 par Mme S______, déclarant que M. S______ était venu chez elle à sa demande du 9 au 15 février 2013 pour des raisons de santé. Elle était très malade et ne pouvait pas assumer la responsabilité de ses trois enfants toute seule. La présence de son époux à la maison ces jours-là était provisoire.

Etait également joint au recours un certificat établi le 23 avril - l’année étant illisible - par un autre médecin de la permanence susmentionnée, certifiant que Mme S______ avait une capacité de travail nulle dès le 7 février et totale dès le 20 février, les années indiquées étant illisibles. Dans son recours, le recourant souhaitait qu’en cas de doute, ce médecin soit entendu.

16) Dans sa réponse du 14 juin 2013, l’hospice a conclu au rejet du recours, subsidiairement à l’audition de l’inspectrice ayant rédigé le rapport du 14 février 2013.

17) Une audience s’est tenue le 6 novembre 2013 devant le juge délégué de la chambre administrative.

a. M. S______ a notamment déclaré qu’il n’avait pas de contact avec son épouse, excepté en cas d’urgence ou lorsqu’elle était malade, et seulement pour s’occuper des enfants. Il voyait leurs trois enfants tous les week-ends ; ceux-ci mangeaient dans son petit logement, au ______, rue de la F______, puis ils sortaient et les enfants dormaient chez son épouse.

Depuis la séparation, il n’avait jamais habité avec son épouse, avec laquelle il n’avait pas de problème de relations. Lorsqu’il avait été vu chez elle le 13 février 2013, c’était une période, la seule, où il venait chez elle chaque matin à 6h00, après la mosquée, pour préparer le petit-déjeuner des enfants. Il restait environ 1h30, puis repartait. « C’était à sa demande ». Il ne se souvenait pas précisément de quoi Mme S______ souffrait. A son souvenir, c’était un mal de dos et une sorte de grippe, qui l’empêchaient de faire grand-chose pour les enfants.

Le fait qu’il y avait deux certificats médicaux différents avec deux dates différentes de reprise de la capacité de travail totale concernant son épouse s’expliquait par le fait qu’elle avait demandé la preuve qu’elle était vraiment malade pendant la période d’incapacité de travail.

Par rapport au constat fait le 10 janvier 2013 par l’inspectrice, M. S______ a répondu qu’il ne mangeait jamais chez lui, sauf le week-end, quand les enfants venaient. Le frigo était branché, mais il n’y avait rien à l’intérieur. Dans sa chambre, il y avait seulement les choses nécessaires, c’est-à-dire les vêtements qu’il mettait chaque jour et qui se trouvaient dans des valises, à l’intérieur de l’armoire. Il avait aussi une armoire pleine de livres. Il dormait les soirs dans ce logement. Il était rarement dans son appartement à cause de ses recherches de travail. Il avait un colocataire qui finançait une partie du logement, à défaut de quoi il ne pourrait pas payer son loyer. Ce colocataire, de nationalité tunisienne, n’était pas tous les jours avec lui, mais seulement une ou deux semaines par mois.

b. Entendue à titre de renseignement, Mme S______ a notamment indiqué que le recourant voyait leurs enfants le samedi et le dimanche, de 9h00 à 17h00, lesquels dormaient toujours chez elle. Concernant ses relations avec son mari, elle a répondu « ça va ».

Dès le 7 février 2013, elle avait demandé à son mari de venir préparer le petit-déjeuner pour les enfants, ainsi que les repas de midi et du soir, d’amener l’aîné à l’école et les filles au jardin d’enfants. C’était pour le 7 et le 8 février 2013 parce qu’ils avaient l’école. Ensuite, ils avaient les vacances scolaires. Après le 8 février 2013, M. S______ avait continué à préparer le petit-déjeuner et les repas pour le midi et le soir, et repartait vers 11h30-12h00 après les avoir préparés, sans manger avec la famille. Cela avait duré jusqu’au vendredi de la même semaine. Elle-même était en traitement contre des maux de gorge et de tête et avait aussi mal au dos (des disques dorsaux qui bougeaient). Ce n’était pas la première fois qu’elle avait demandé de l’aide à M. S______. Il était arrivé qu’elle lui demande de l’aide de nombreuses fois en 2011, après avril 2011, ainsi que plusieurs fois en 2012 et en 2013. Il ne dormait jamais chez elle.

Le fait qu’il y avait eu deux certificats médicaux concernant son incapacité de travail en février 2013, avec deux dates différentes, s’expliquait pas le fait qu’entre le 7 et le 20 février 2013, elle était allée voir deux fois le médecin à la permanence médico-chirurgicale et qu’elle n’avait pas de médecin privé.

c. L’inspectrice du service des enquêtes de l’hospice, a confirmé le contenu de son rapport du 14 février 2013 concernant une visite du 10 janvier 2013 chez M. S______ et une autre du 13 février 2013 chez son épouse. Elle se souvenait en particulier que, le 13 février 2013, M. S______ portait un tee-shirt et un pantalon (ce dernier étant plutôt bleu clair), qui étaient amples et légers, du genre pyjama. M. S______ a immédiatement répondu qu’il ne portait pas un pyjama, mais une tenue de sport, et qu’il n’avait pas de vêtements chez son épouse. L’inspectrice a par ailleurs précisé que l’intéressé s’était, lors de sa visite du 13 février 2013, opposé à ce qu’elle fasse une visite domiciliaire dans le logement de son épouse, ce que celui-ci a immédiatement contesté.

Lors de sa venue le 10 janvier 2013 dans le logement de M. S______, le frigo était vide et cassé. Celui-ci a immédiatement contesté qu’il était cassé et a précisé qu’il s’agissait d’un frigo neuf. L’inspectrice a ajouté avoir, le 10 janvier 2013, demandé à l’intéressé de lui montrer des vêtements, des affaires personnelles comme des documents ou courriers, mais il n’avait rien pu lui montrer. Son appartement était vide de toutes ces choses, en tout cas dans les grandes lignes, car elle ne pouvait pas se souvenir de tous les objets qu’il pouvait y avoir. Il y avait un livre sur sa table de nuit. M. S______ a immédiatement rétorqué que c’était normal que sa chambre soit vide puisqu’il n’avait pas d’argent et qu’il faisait laver ses habits par sa famille. A cause de la cessation de l’aide de l’hospice, il vivait depuis huit mois dans la misère.

d. A l’issue de l’audience, le juge délégué a imparti aux parties un délai au 6 décembre 2013 pour déposer leurs éventuelles écritures après enquêtes et d’éventuelles nouvelles pièces, après quoi la cause serait gardée à juger.

18) Le recourant n’a rien adressé à la chambre administrative dans ce délai.

19) Par écriture du 6 décembre 2013, l’hospice a relevé des contradictions entre les propos de M. S______ et ceux de son épouse lors de l’audience, et il a fait part à la chambre administrative notamment des résultats suivants d’un complément d’enquête :

-         au 30 novembre 2013, M. S______ était à jour dans le paiement de ses loyers pour son logement du ______, rue de la F______, comme attesté par la régie ;

-         les 25, 26 et 27 novembre 2013, sur la porte palière de cet appartement figuraient en lettres imprimées le nom de M. S______ ainsi qu’en lettres manuscrites, le nom de celui qui était, selon ses déclarations faites à l’audience, son « colocataire », alors que sur la boîte aux lettres était seulement inscrit le nom de M. S______ ;

-         lors de passages impromptus de collaborateurs du service des enquêtes à ces trois dates et à cette adresse, avec sonnerie à la porte, M. S______ ne s’était pas présenté, étant relevé que, le 25 novembre 2013, le « colocataire » était présent et avait informé le collaborateur que l’intéressé était absent et serait de retour le lendemain, et que, le 26 novembre 2013, le collaborateur avait entendu le « colocataire » parler derrière la porte, mais n’avait vu personne lui ouvrir la porte après qu’il eut sonné ;

-         le 29 novembre 2013, le contrôleur du service des enquêtes de l’hospice avait constaté qu’au ______, rue de la N______, seul le nom de Mme S______ figurait sur la boîte aux lettres et sur la porte palière, et que lorsqu’il avait sonné à la porte, Mme S______ était présente, mais ne lui avait pas permis de pénétrer dans l’appartement, affirmant en outre que son mari n’y logeait pas, mais qu’il habitait au ______, rue de la F______.

20) Invité par le juge délégué à formuler d’éventuelles observations sur les nouveaux éléments de fait et moyens de preuve présentés par l’hospice, M. S______ a, par écriture du 3 février 2014, contesté que son frigo fût vide et cassé ; il n’y avait en effet pas grand-chose à manger chez lui car, ayant peu d’argent, il mangeait le plus souvent chez sa sœur. Lors de la visite de l’inspectrice au domicile de Mme S______, il était en training, qu’il portait normalement pour s’occuper des enfants et de leur repas. Concernant l’absence de meubles et d’effets personnels, il n’avait pas suffisamment d’argent pour payer des meubles, et ses habits étaient chez sa sœur, où il vivait la plupart du temps. Il ignorait pourquoi Mme S______ avait refusé « les visites de l’inspectrice ». Enfin, faute d’argent depuis la cessation des versements, il habitait chez sa sœur et essayait de s’acquitter du loyer du studio en le sous-louant à des connaissances.

21) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 52 LIASI ; art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La LIASI a pour but de prévenir l’exclusion sociale et d’aider les personnes qui en souffrent à se réinsérer dans un environnement social et professionnel (art. 1 al. 1 LIASI). A ces titres, elle vise à soutenir les efforts des bénéficiaires de la loi à se réinsérer sur le marché du travail et dans la vie sociale en général ; elle vise aussi à garantir à ceux qui se trouvent dans la détresse matérielle et morale des conditions d’existence conformes à la dignité humaine (art. 1 al. 2 LIASI). Les prestations de l’aide sociale individuelle sont fournies sous forme d’accompagnement social, de prestations financières et d’insertion professionnelle (art. 2 LIASI). La personne majeure qui n’est pas en mesure de subvenir à son entretien ou à celui des membres de la famille dont il a la charge a droit à des prestations d’aide financière (art. 8 al. 1 LIASI). Les prestations d’aide financière versées en vertu de la LIASI sont subsidiaires à toute autre source de revenu (art. 9 al. 1 LIASI).

3) a. Les prestations d’aide financière sont accordées au demandeur et au groupe familial dont il fait partie ; le groupe familial est composé du demandeur, de son conjoint, concubin ou partenaire enregistré vivant en ménage commun avec lui, et de leurs enfants à charge (art. 13 al. 1 et 2 LIASI). La prestation due à une personne qui vit en ménage commun avec un ascendant ou un descendant est calculée selon les dispositions sur la communauté de majeurs prévue par règlement du Conseil d’Etat (art. 26 al. 1 LIASI).

b. Il s’ensuit que le fait de vivre seul ou en ménage commun avec d’autres personnes a des conséquences sur l’ampleur des prestations octroyées. Notamment, une personne seule reçoit proportionnellement une prestation mensuelle de base plus élevée que si elle était en ménage commun (art. 2 al. 1 du règlement d’exécution de la loi sur l’insertion et l’aide sociale individuelle du 25 juillet 2007 - RIASI - J 4 04.01) et son loyer individuel est pris en compte intégralement (art. 3 al. 1 RIASI).

Ces différences évidentes ne pouvaient pas échapper à la connaissance du recourant.

4) Aux termes de l’art. 32 LIASI (collaboration du demandeur), le demandeur ou son représentant légal doit fournir gratuitement tous les renseignements nécessaires pour établir son droit et fixer le montant des prestations d’aide financière (al. 1) ; il doit autoriser l’hospice à prendre des informations à son sujet qui sont nécessaires pour déterminer son droit ; en particulier, il doit lever le secret bancaire et fiscal à la demande de l’hospice (al. 2) ; il doit se soumettre à une enquête de l’hospice lorsque celui-ci le demande (al. 3) ; ces obligations valent pour tous les membres du groupe familial (al. 4).

En vertu de l’art. 33 LIASI (information obligatoire en cas de modification des circonstances), le bénéficiaire ou son représentant légal doit immédiatement déclarer à l’hospice tout fait nouveau de nature à entraîner la modification du montant des prestations d’aide financière qui lui sont allouées ou leur suppression (al. 1) ; en outre, il doit signaler immédiatement à l’hospice les droits qui peuvent lui échoir, notamment par une part de succession, même non liquidée ; la même obligation s’applique à tous les legs ou donations (al. 2) ; ces obligations valent pour tous les membres du groupe familial (al. 3).

Le document intitulé « Mon engagement en demandant une aide financière à l’Hospice général » concrétise cette obligation de collaborer en exigeant du demandeur qu’il donne immédiatement et spontanément à l’hospice tout renseignement et toute pièce nécessaires à l’établissement de sa situation personnelle, familiale et économique tant en Suisse qu’à l’étranger (ATA/66/2014 du 4 février 2014 consid. 4 ; ATA/756/2013 du 12 novembre 2013 consid. 2).

Selon l’art. 35 al. 1 LIASI, les prestations d’aide financière peuvent être réduites, suspendues, refusées ou supprimées notamment lorsque le bénéficiaire, intentionnellement, ne s’acquitte pas de son obligation de collaborer telle que prescrite par l’art. 32 LIASI (let. c) ou refuse de donner les informations requises (art. 7 et 32 LIASI), donne des indications fausses ou incomplètes ou cache des informations utiles (let. d).

5) En l’espèce, le recourant a été vu par l’inspectrice du service des enquêtes de l’hospice intimé au domicile de son épouse et de ses enfants, au ______, rue de la N______, en date du 13 février 2013, à 7h25. Entendu par le juge délégué, il a déclaré qu’il s’agissait de la seule période à laquelle il venait chaque matin à 6h00 chez son épouse, pour préparer le petit-déjeuner des enfants, et y restait environ 1h30, soit jusqu’à 7h30 environ. Or, selon les déclarations de son épouse, il était arrivé qu’elle demande de l’aide au recourant de nombreuses fois en 2011, après avril 2011, ainsi que plusieurs fois en 2012 et en 2013, et, durant la période incluant le 13 février 2013, il repartait vers 11h30 ou 12h00 après avoir préparé le petit-déjeuner et les repas de midi et du soir. Ces divergences, portant sur des points essentiels, ne peuvent pas résulter d’oublis de la part des époux et sont de nature, déjà à elles seules et même si plusieurs autres déclarations concordent, à enlever toute crédibilité aux assertions du recourant selon lesquelles il ne vivrait pas au domicile de son épouse avec leurs enfants. Au demeurant, rien ne permet d’expliquer pour quels motifs, si la séparation des époux était réelle et effective, les enfants ne venaient pas, en cas de maladie de leur mère, au domicile de leur père, le recourant, pour prendre notamment leurs petits-déjeuners et repas, comme ils le faisaient les week-ends, à tout le moins concernant les repas, selon les déclarations concordantes des époux sur ce point.

Par ailleurs, le recourant ne conteste pas que son frigo était vide lors de la visite de l’inspectrice du 10 janvier 2013 à son studio du ______, rue de la F______, et habituellement, sauf les week-ends pour les visites de ses enfants, ni que sa chambre était pour l’essentiel dépourvue d’affaires personnelles. Entendu tout d’abord hors la présence de l’inspectrice, il a précisé que ses vêtements se trouvaient dans des valises ou à l’intérieur de l’armoire, et qu’il avait aussi une armoire pleine de livres. Puis, en réponse aux déclarations de l’inspectrice selon lesquelles il n’avait pas pu lui montrer, malgré sa demande, ses vêtements et ses affaires personnelles telles que des documents ou courriers, il a expliqué cette absence d’objets dans sa chambre par son manque d’argent, vu la cessation de l’aide de l’intimé, ainsi que par le fait qu’il faisait laver ses habits par ses sœurs ou ses parents dans le canton de Vaud voisin. Ces explications sont dénuées de crédibilité. En effet, d’une part, au 10 janvier 2013, le recourant bénéficiait encore des prestations de l’intimé et, d’autre part, le fait de faire laver ses habits par des tiers ne permet pas de justifier leur absence dans le logement de celui qui les porte. Sur ce dernier point, le recourant a, dans son écriture du 3 février 2014, fourni une autre explication, selon laquelle ses habits étaient chez sa sœur où il vivait la plupart du temps, sans du reste le démontrer.

Enfin, le recourant s’est contredit en déclarant, lors de l’audience du 6 novembre 2013, qu’il dormait les soirs dans son studio du ______, rue de la F______, puis en indiquant, dans son écriture du 3 février 2014, qu’il habitait chez sa sœur et essayait de s’acquitter du loyer du studio en le sous-louant à des connaissances.

6) Au regard de ces divergences et contradictions patentes portant sur des faits qui sont essentiels et qui constituent une part importante des circonstances pertinentes, il n’apparaît pas nécessaire d’examiner s’il existe encore d’autres éléments de fait invraisemblables, voire d’auditionner les médecins ayant établi les certificats relatifs à l’incapacité de travail pour maladie de son épouse, incapacité qui, même si elle était avérée, n’exclurait nullement une vie commune du recourant avec son épouse, au domicile de celle-ci.

Il y a lieu en revanche de retenir que le recourant a refusé de donner les informations requises (art. 32 LIASI), a donné des indications fausses ou incomplètes ou a caché des informations utiles au sens de l’art. 35 al. 1 let. d LIASI.

Le recourant a, de ce fait, également violé intentionnellement son engagement pris le 20 novembre 2010 d’ « informer immédiatement et spontanément [l’hospice] de tout fait nouveau de nature à entraîner une modification du montant de [ses] prestations d’aide financière, notamment de toute modification de [sa] situation personnelle, familiale et économique tant en Suisse qu’à l’étranger ».

Par leur caractère intentionnel et leur gravité particulière, ces manquements conduisent à penser que le recourant a dissimulé des faits qui excluraient toute aide sociale versée pour lui individuellement, vraisemblablement le fait qu’il vit au domicile de son épouse avec leurs enfants - depuis une date que la chambre de céans ignore, et justifient dès lors pleinement la suppression, dès le 1er avril 2013, de toutes prestations d’aide sociale en sa faveur à titre individuel.

7) En conséquence, le recours, infondé, sera rejeté.

8) En matière d’assistance sociale, la procédure est gratuite pour les recourants (art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Vu l’issue du litige, aucune indemnité de procédure au sens de l’art. 87 al. 2 LPA ne sera allouée au recourant.

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 6 mai 2013 par M. S______ contre la décision de l’Hospice général du 16 avril 2013 ;

au fond :

le rejette ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à M. S______, ainsi qu’à l’Hospice général.

Siégeants : M. Thélin, président, MM. Verniory et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :