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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1367/2022

ATA/188/2023 du 28.02.2023 sur JTAPI/1147/2022 ( PE ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1367/2022-PE ATA/188/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 28 février 2023

2ème section

 

dans la cause

 

Madame A______, agissant en son nom et celui de ses enfants mineures B______ et C______
représentées par Me Christophe Levet, avocat recourantes

contre

OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS intimé

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 1er novembre 2022 (JTAPI/1147/2022)


EN FAIT

A. a. Madame A______, née le ______ 1977, est ressortissante de Grande-Bretagne. Elle s'est mariée en 2002 avec Monsieur D______.

b. Ils ont d'abord vécu en Angleterre, puis se sont installés en décembre 2007 à Genève, où sont nées leurs deux filles, B______, le ______ 2008, et C______, le ______ 2011.

c. En raison du parcours professionnel de M. D______, la famille a annoncé son départ de Suisse à l'office cantonal de la population et des migrations (ci-après : OCPM) pour le 31 août 2012, s'est déplacée à Dubaï, puis en 2016 à Hambourg.

B. a. Par courrier du 28 avril 2021, Mme A______ a annoncé à l’OCPM qu'elle souhaitait revenir à Genève avec ses filles pour la rentrée scolaire 2021, celles-ci étant déjà inscrites auprès de E______ pour y reprendre les cours dès le 25 août. Son mari resterait les premières années en Allemagne, leur rendrait visite les week-ends et assurerait leur entretien. Grâce à leur précédent séjour à Genève, elle retrouverait son réseau d'amis. Elle avait l'intention de travailler à plein temps.

b. Par courrier du 17 mai 2021, Mme A______ a formé auprès de l'OCPM une demande d'autorisation de séjour sans activité lucrative « avec regroupement familial » en faveur de ses filles. Elle a donné quelques explications supplémentaires sur son propre parcours professionnel ainsi que sur la situation financière de la famille.

c. L'OCPM l’a informée qu’elle ne remplissait pas les conditions d'une autorisation de séjour, ni sous l'angle du cas de rigueur, ni en vue de recherche d'emploi, et l'a invitée à indiquer si elle maintenait sa demande.

d. Après quelques échanges de courriels, Mme A______ a adressé des observations à l'OCPM. Les ressortissants britanniques en recherche d'emploi en Suisse pouvaient se voir appliquer le même régime que les ressortissants de l’Union européenne. Elle avait souffert, dans ses recherches d'emploi, de la confusion qui s'était emparée des employeurs au sujet de la possibilité d'engager des ressortissants britanniques. Il n'était pas concevable que ses filles soient déracinées pendant leur année scolaire et elle n'avait plus d'attaches au Royaume-Uni.

e. L'OCPM a informé Mme A______ de son intention de refuser de lui octroyer, ainsi qu'à ses filles, une autorisation de séjour pour cas individuel d'extrême gravité.

f. Dans le cadre de l’exercice de son droit d’être entendue, Mme A______ a exposé que son mari lui avait annoncé le 20 octobre 2021 son intention de se séparer d'elle avec effet immédiat et de refaire sa vie avec sa nouvelle compagne, qui habitait comme lui à Hambourg. Un divorce amiable était en cours. Depuis son arrivée à Genève, elle avait multiplié les démarches afin de trouver un emploi. Elle avait poursuivi son intégration. Elle travaillait bénévolement pour l'association F______ qui venait en aide à des enfants ayant des difficultés d'apprentissage, elle accompagnait bénévolement un enfant ayant des difficultés d'apprentissage et était active au sein d'une organisation d'aide aux réfugiés œuvrant dans les centres d'accueil. Elle maîtrisait très bien le français (niveau B2) et s'était inscrite à un cours de perfectionnement afin de parler couramment. Elle disposait d'un cercle d'amis en Suisse, qu'elle connaissait pour la plupart depuis son premier séjour en 2007.

Elle n'avait plus d'attaches en Angleterre, pays qu'elle avait quitté plus de quinze ans auparavant. Elle avait coupé tous les ponts avec les membres de sa famille, soit ses parents et son frère aîné, notamment en raison du fait que ce dernier s'était rendu coupable d'agissements pénalement répréhensibles à son encontre pendant plusieurs années lorsqu'elle était enfant et en raison de la réaction de ses parents lorsqu'elle leur avait parlé de ces faits. Son pays d'origine était donc lié pour elle à un traumatisme profond et elle y retournait le moins souvent possible. Son dernier séjour, d'une semaine, remontait à trois ans.

Ses filles, nées à Genève, y étaient naturellement attachées. Elles étaient parfaitement intégrées dans l'école qu'elles fréquentaient depuis août 2021. Elles allaient prochainement intégrer des cours de karaté et participaient en hiver, depuis de nombreuses années, à des cours collectifs de ski à Samoëns (France). Depuis le début de leur scolarité, elles suivaient le cursus du baccalauréat international (« International Baccalaureate » ou « IB »), qui était très éloigné du cursus standard en Grande-Bretagne, lequel était un système archaïque ne correspondant pas au système d'éducation dont elle entendait faire profiter ses filles. Très peu d'écoles proposaient un cursus IB en Angleterre et elles n'acceptaient pour la plupart plus d'étudiants supplémentaires, ou uniquement dans la tranche d'âge de 16 à 18 ans.

Ces éléments rendaient un retour en Angleterre extrêmement difficile, en raison du déracinement que subirait la famille si elle quittait la Suisse, mais également en raison des conséquences de sa réintégration dans son pays d'origine.

g. Par décision du 16 mars 2022, l'OCPM a refusé d'octroyer une autorisation de séjour à Mme A______ et à ses filles et leur a imparti un délai au 22 juillet 2022 pour quitter la Suisse. Quand bien même Mme A______ avait vécu en Suisse entre février 2008 et août 2012, soit durant un peu plus de quatre ans, ce séjour remontait à neuf ans. Il fallait donc fortement le relativiser en comparaison avec le nombre d'années passées hors de Suisse. Elle ne pouvait pas non plus se prévaloir d'une intégration sociale ou professionnelle particulièrement marquée. Les conditions d'une autorisation de séjour pour cas individuel d'extrême gravité n'étaient pas réunies.

h. Par acte du 2 mai 2022, Mme A______ a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) contre cette décision, concluant à son annulation et au renvoi du dossier à l'OCPM en vue de l'octroi d'autorisations de séjour pour elle-même et pour ses filles. Préalablement, elle demandait son audition pour qu'elle puisse s'exprimer de manière plus circonstanciée sur ce qu'elle avait vécu auprès de sa famille, vu le caractère sensible des faits.

Elle a insisté sur son intégration et celles de ses filles en Suisse ainsi que sur les raisons pour lesquelles le parcours scolaire de ces dernières en « IB » était incompatible avec le système standard en Grande-Bretagne. En cas de retour dans ce pays et en raison des restrictions posées par les établissements « IB » sur l'admission de nouveaux élèves, B______ et C______, jusqu'à leurs 16 ans, devraient retourner dans le système de base avant de pouvoir de nouveau basculer dans leur cursus « IB », ce qui mettrait en péril leur éducation.

B______ était déjà adolescente. En doutant que ses filles se soient réellement intégrées durant leur scolarisation en Suisse, l'OCPM avait arbitrairement apprécié les faits, car une scolarisation dans une école internationale en anglais n'empêchait nullement l'intégration des enfants en Suisse. L'OCPM aurait dû davantage investiguer le traumatisme qu’elle avait subi et qui constituait un aspect de l'impossibilité d'un retour au Royaume-Uni. Plus généralement, l'OCPM avait sous-estimé les éléments démontrant l'intégration de B______ et d'C______ en Suisse, ainsi que celle de leur mère, de sorte qu'il avait fait une mauvaise application des dispositions légales sur le cas individuel d'extrême gravité

i. Par jugement du 1er novembre 2022, le TAPI a rejeté le recours.

L’intéressée et ses filles ne remplissaient pas les conditions d’un cas d’extrême gravité permettant de déroger aux conditions ordinaires d’octroi d’une autorisation de séjour. Mme A______ ne pouvait se targuer d’une intégration sociale ou professionnelle remarquable. La très brève durée du séjour des filles en Suisse ne permettait pas de retenir que leur départ leur causerait une profonde détresse. Leur mère avait choisi de les retirer de leur environnement habituel à Hambourg et s'installer à Genève sans attendre la réponse à sa demande d’autorisation de séjour, mettant ainsi lesdites autorités devant le fait accompli. Dans ces conditions, elle devait s'attendre à ce que l'autorité se préoccupe davantage de rétablir une situation conforme au droit plutôt que des inconvénients résultant pour elle-même et ses filles de l'obligation de quitter la Suisse.

C. a. Par acte expédié le 2 décembre 2022, Mme A______, agissant pour elle et ses filles, a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice contre ce jugement dont elle a demandé l’annulation. Elle a requis, à titre préalable, l’effet suspensif et, à titre principal, le renvoi de la cause à l’OCPM pour octroi d’une autorisation de séjour.

Elle oeuvrait bénévolement pour une organisation d’aide aux réfugiés, avait commencé un cours de perfectionnement en français et disposait d’un cercle d’amis étendu en Suisse. Après l’annonce de la séparation, elle avait redoublé d’efforts pour « recréer un centre de vie » pour elle et ses filles. Celles-ci étaient parfaitement intégrées dans leur école, suivaient des cours de français tant dans le cadre scolaire qu’extra-scolaire, jouaient au netball dans un club sportif, n’avaient jamais vécu en Grande-Bretagne, étaient souvent revenues à Genève lorsque la famille habitait à Dubaï et Hambourg et suivaient les cours de « IB » qui n’existait pas en Grande-Bretagne. Elle a insisté sur le fait qu’elle avait, en raison du traumatisme subi, coupé toute attache avec ce pays. Ses recherches d’emploi en Suisse se heurtaient toutes à l’écueil de l’absence d’autorisation de séjour ; son employabilité ne faisait cependant aucun doute. Enfin, B______ suivait un traitement psychologique et avait un traitement contre l’anxiété et le stress depuis octobre 2022. Un départ de la Suisse mettrait à mal le lien de confiance tissé avec son thérapeute, ce qui était contraire à l’art. 3 de la Convention relative aux droits de l'enfant du 2 novembre 1989 (CDE - RS 0.107).

b. L’OCPM a conclu au rejet du recours, relevant que le programme de « IB » était très populaire au Royaume-Uni comme cela ressortait du site https://www.world-schools.com/fr/the-best-ib-schools-in-the-uk/. L’office cantonal de l’inspection et des relations du travail (ci-après : OCIRT) avait rendu une décision négative le 9 décembre 2022 relative à la demande d’autorisation de séjour avec activité lucrative indépendante.

c. Dans sa réplique, la recourante a fait état d’un fait nouveau, à savoir que son mari voyait le plus souvent ses filles dans leur résidence secondaire sise à Samoëns. Un renvoi de Suisse rendrait plus difficile les relations personnelles de ses filles avec leur père et priveraient celles-ci d’une certaine stabilité durant la période de divorce de leurs parents. Des investigations étaient en cours, B______ souffrant potentiellement d’un trouble du spectre autistique. Ses filles, parfaitement intégrées dans leur école, se trouvaient dans une période charnière de leur existence et avaient besoin d’un cadre stable, à défaut de quoi leurs performances scolaires pouvaient en pâtir. Si, certes, les programmes « IB » existaient au Royaume-Uni, les délais d’attente étaient d’un à deux ans.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2.             La recourante cite dans sa réplique, à titre de preuve, son audition.

2.1 Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit pour l'intéressé d'offrir des preuves pertinentes et d'obtenir qu'il y soit donné suite (ATF 132 II 485 consid. 3.2 ; 127 I 54 consid. 2b). Ce droit n'empêche pas la juge de renoncer à l'administration de certaines preuves et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, si elle acquiert la certitude que celles-ci ne l'amèneront pas à modifier son opinion ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF138 III 374 consid. 4.3.2 ; 131 I 153 consid. 3). En outre, il n'implique pas le droit à une audition orale (ATF 140 I 285 consid. 6.3.1).

2.2 En l’espèce, la recourante a eu l'occasion d'exposer ses arguments et de produire des pièces, tant devant l'OCPM que le TAPI et la chambre de céans. Son audition n’est pas de nature, en tant que telle, à établir les faits qu’elle allègue. Elle n’explique pas non plus en quoi son audition serait de nature à apporter d’autres éléments que ceux allégués par ses soins. Pour le surplus, le dossier apparaît complet et permet à la chambre de céans de statuer en connaissance de cause. Il n’y a donc pas lieu de procéder à l’audition de la recourante.

3.             La recourante fait valoir que les conditions d’un cas de rigueur justifiant l’octroi d’une autorisation de séjour pour elle et ses filles sont remplies.

3.1 Le 1er janvier 2019 est entrée en vigueur une modification de la LEI et de l’OASA. Conformément à l'art. 126 al. 1 LEI, les demandes déposées, comme en l’espèce, après le 1er janvier 2019 sont régies par le nouveau droit.

3.2 L'art. 30 al. 1 let. b LEI permet de déroger aux conditions d'admission en Suisse, telles que prévues aux art. 18 à 29 LEI, notamment aux fins de tenir compte des cas individuels d'une extrême gravité ou d'intérêts publics majeurs.

3.3 Les dispositions dérogatoires des art. 30 LEI et 31 OASA présentent un caractère exceptionnel, et les conditions pour la reconnaissance d'une telle situation doivent être appréciées de manière restrictive (ATF 128 II 200 consid. 4). Elles ne confèrent pas de droit à l'obtention d'une autorisation de séjour (ATF 138 II 393 consid. 3.1 ; 137 II 345 consid. 3.2.1). L'autorité doit néanmoins procéder à l'examen de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce pour déterminer l'existence d'un cas de rigueur (ATF 128 II 200 consid. 4 ; 124 II 110 consid. 2). La question est ainsi de savoir si, en cas de retour dans le pays d'origine, les conditions de sa réintégration sociale, au regard de la situation personnelle, professionnelle et familiale de l'intéressé, seraient gravement compromises (arrêts du Tribunal fédéral 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 5.2.1 ; 2C_369/2010 du 4 novembre 2010 consid. 4.1).

3.4 L'art. 31 al. 1 OASA prévoit que pour apprécier l'existence d'un cas individuel d'extrême gravité, il convient de tenir compte notamment de l'intégration du requérant sur la base des critères d’intégration définis à l’art. 58a al. 1 LEI (let. a), de sa situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants (let. c), de sa situation financière (let. d), de la durée de sa présence en Suisse (let. e), de son état de santé (let. f) ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance (let. g). Les critères énumérés par cette disposition, qui doivent impérativement être respectés, ne sont toutefois pas exhaustifs, d'autres éléments pouvant également entrer en considération, comme les circonstances concrètes ayant amené un étranger à séjourner illégalement en Suisse (directives LEI, état au 1er janvier 2021, ch. 5.6.12).

3.5 Lorsque l'étranger réside légalement depuis plus de dix ans en Suisse, il y a lieu de partir de l'idée que les liens sociaux qu'il y a développés sont suffisamment étroits pour qu'il bénéficie d'un droit au respect de sa vie privée au sens de l'art. 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) ; lorsque la durée de la résidence est inférieure à dix ans, mais que l'étranger fait preuve d'une forte intégration en Suisse, le refus de prolonger ou la révocation de l'autorisation de rester en Suisse peut également porter atteinte au droit au respect de la vie privée (ATF 144 I 266). Les années passées en Suisse dans l'illégalité ou au bénéfice d'une simple tolérance ne sont pas déterminantes (ATF 137 II 1 consid. 4.3 ; 134 II 10 consid. 4.3).

3.6 Les enfants mineurs partagent, du point de vue du droit des étrangers, le sort des parents qui en ont la garde (arrêts du Tribunal fédéral 2C_529/2020 du 6 octobre 2020 consid. 5.3 ; 2C_257/2020 du 18 mai 2020 consid. 6.1). Afin de tenir compte de la situation spécifique des familles, une présence de cinq ans en Suisse doit être retenue comme valeur indicative (Directive LEI, ch. 5.6.10.4). Comme pour les adultes, il y a lieu de tenir compte des effets qu'entraînerait pour les enfants un retour forcé dans leur pays d'origine. Il faut prendre en considération qu'un tel renvoi pourrait selon les circonstances équivaloir à un véritable déracinement, constitutif d'un cas personnel d'extrême gravité. Pour déterminer si tel serait le cas, il faut examiner plusieurs critères. La situation des membres de la famille ne doit pas être considérée isolément, mais en relation avec le contexte familial global (ATF 123 II 125 consid. 4a ; ATA/434/2020 du 30 avril 2020 consid. 10a).

3.6.1 D'une manière générale, lorsqu'un enfant a passé les premières années de sa vie en Suisse, il reste encore attaché dans une large mesure à son pays d'origine, par le biais de ses parents. Son intégration au milieu socioculturel suisse n'est alors pas si profonde et irréversible qu'un retour dans sa patrie constituerait un déracinement complet. Avec la scolarisation, l'intégration au milieu suisse s'accentue. Dans cette perspective, il convient de tenir compte de l'âge de l'enfant lors de son arrivée en Suisse et au moment où se pose la question du retour, des efforts consentis, de la durée, du degré et de la réussite de la scolarité, de l'état d'avancement de la formation professionnelle ainsi que de la possibilité de poursuivre ou d'exploiter, dans le pays d'origine, la scolarisation ou la formation professionnelle entamée en Suisse. Un retour dans la patrie peut, en particulier, représenter une rigueur excessive pour des adolescents ayant suivi l'école durant plusieurs années et achevé leur scolarité avec de bons résultats.

3.6.2 L'adolescence, une période comprise entre 12 et 16 ans, est en effet une période importante du développement personnel, scolaire et professionnel, entraînant souvent une intégration accrue dans un milieu déterminé (ATF 123 II 125 consid. 4b ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_75/2011 du 6 avril 2011 consid. 3.4). Le Tribunal fédéral a considéré que cette pratique différenciée réalisait la prise en compte de l'intérêt supérieur de l'enfant, telle qu'elle est prescrite par l'art. 3 al. 1 CDE (arrêts du Tribunal fédéral 2A.679/2006 du 9 février 2007 consid. ; 2A.43/2006 du 31 mai 2006 consid. 3.1 ; ATA/434/2020 précité consid. 10a).

3.6.3 Aux termes de l'art. 9 § 3 CDE, « les États parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant (...) ». Aucune prétention directe à l'octroi d'une autorisation de droit des étrangers ne peut toutefois être déduite des dispositions de la CDE (ATF 126 II 377 consid. 5 ; 124 II 361 consid. 3b).

3.7 Selon l'art. 96 al. 1 LEI, les autorités compétentes tiennent compte, en exerçant leur pouvoir d'appréciation, des intérêts publics, de la situation personnelle de l'étranger ainsi que de son intégration.

3.8 En l’espèce, la recourante et ses filles ont vécu à Genève de 2007 à 2012. Les deux enfants y sont nées. La recourante et ses filles ne sont revenues s’installer à Genève que neuf ans plus tard, soit à la fin de l'été 2021. Vu la longue interruption de séjour continu à Genève, il ne peut être tenu compte du premier séjour dans la computation de la durée du séjour effectif à Genève. Celui-ci a donc pris effet à la fin de l'été 2021 et est, ainsi, de très courte durée.

Par ailleurs, la recourante ne peut se prévaloir d’une intégration socio-professionnelle remarquable au sens de la jurisprudence. Certes, elle s’engage de manière bénévole à Genève, a une maîtrise de la langue française du niveau B2, ne dépend pas de l’aide sociale, ne fait l'objet d'aucune poursuite et dispose d'un casier judiciaire vierge. Ces éléments témoignent d'une bonne intégration, mais ne permettent pas de retenir une intégration sociale particulièrement marquée. La recourante ne soutient en outre pas qu’elle aurait noué à Genève des relations amicales ou affectives d’une intensité telle qu’il ne pourrait être exigé de sa part qu’elle les poursuive, de retour dans son pays d’origine, par le biais des moyens de télécommunication moderne. Il ressort d’ailleurs des attestations produites par ses soins qu’elle a su maintenir des contacts avec les amies qu’elle s’était faites en Suisse lors des neuf années passées d’abord à Dubaï, puis à Hambourg. En outre, l’intégration professionnelle de la recourante fait défaut, celle-ci n’exerçant pas d’activité professionnelle.

La recourante soutient, certes, qu’elle n’a plus d’attaches au Royaume-Uni et y associe le traumatisme qu’elle allègue y avoir subi. Ce seul élément ne permet cependant pas de considérer que sa réintégration dans ce pays serait gravement compromise. En effet, selon ses indications, elle a vécu en Angleterre jusqu’en 2007, soit jusqu’à l’âge de 30 ans. Y ayant passé toute son enfance, son adolescence et une partie de sa vie d’adulte, elle connaît les us et coutume et la mentalité de son pays. Il ressort également du dossier et des attestations qu’elle a produites qu’elle a une grande capacité d’adaptation à son environnement. Dans ces conditions, le retour dans son pays ne devrait pas présenter des difficultés insurmontables.

B______, désormais âgée de 14 ans et demi, se trouve en pleine adolescence, soit une période importante dans le développement de la personnalité. Pendant les quatre premières années de sa vie où elle a vécu à Genève, son intégration sociale n’a pu être que très limitée au vu de son jeune âge. Elle a ensuite passé plusieurs années à Dubaï, puis à Hambourg et n’est de retour à Genève pour y séjourner de manière continue que depuis l’été 2021. Son intégration sociale dans le canton est donc très récente. Bien qu’elle soit très appréciée et bien intégrée dans son école, la très courte durée de son séjour à Genève ne permet pas de retenir qu’elle y soit à ce point intégrée qu’un départ dans le pays d’origine de ses parents constituerait un véritable déracinement. En raison des lieux d’activité professionnelle de son père, qui l’ont conduite à devoir s’adapter à des cultures et environnements très variés, l’intégration de la jeune fille dans le pays dont sont originaires ses parents et dont elle parle la langue n’apparaît pas gravement compromise, même si ce nouveau changement exigera de sa part un nouvel effort d’adaptation et d’intégration. En outre, il est notoire qu’il existe également la possibilité d’obtenir un suivi psychologique et d’investiguer l’existence de troubles du spectre autistique en Angleterre.

C______ est désormais âgée de 11 ans et demi et se trouve ainsi au seuil de sa puberté. Elle n’a pas pu développer une quelconque forme d’intégration à Genève pendant la première année de sa vie, étant alors trop jeune. Comme sa sœur, elle ne vit de manière continue à Genève que depuis l’été 2021, soit une très courte durée. Quand bien même elle a su s’intégrer dans son école, elle ne peut avoir développé à Genève dans la très brève durée de son séjour des liens et une intégration avec son nouveau lieu de vie d’une intensité telle, qu’un départ constituerait pour elle un véritable déracinement. Il convient aussi de relever qu’elle ne partira pas seule, mais accompagnée de sa sœur et de sa mère, pour se rendre dans le pays d’origine de ses parents et dont elle maîtrise la langue.

Contrairement à ce qu’a soutenu la recourante dans un premier temps, le cursus de « IB » existe également au Royaume-Uni, comme cela ressort du lien fourni par l’OCPM, mais également de la demande que la recourante a adressée à une école proposant le « IB ». Le simple fait que les écoles ont des places limitées ne signifie ainsi pas que le cursus entamé à Genève ne serait pas disponible en Angleterre. Sachant que ni elle ni ses filles ne disposaient d’un droit de séjour en Suisse, la recourante a déplacé son lieu de vie et celui de ses enfants prenant ainsi le risque qu’en cas de rejet de sa demande d’autorisation de séjour, elle doive quitter la Suisse avec elles, avec toutes les conséquences qui en découleraient pour elles.

Enfin, la recourante et ses filles ne seront pas séparées, la décision prévoyant la même solution pour chacune d’elles. Le père de B______ et C______ vivant au Nord de l’Allemagne, le retour de la recourante avec ses filles dans son pays d’origine n’est pas de nature à rendre l’exercice des relations personnelles entre les enfants et leur impossible ou particulièrement compliqué. Il est à cet égard relevé que le calendrier de l’exercice du droit de visite produit par la recourante ainsi que l’attestation de soutien financier de son mari en faveur de la famille démontrent que les enfants et leur père ont l’habitude que les unes ou l’autre se déplacent dans un autre pays pour se voir, ce que leur situation financière permet.

Au vu de ce qui précède, l’OCPM n’a pas violé la loi, ni la CDE ni l’art 8 CEDH ni commis d’abus de son pouvoir d’appréciation en retenant que la recourante et ses filles ne remplissaient pas les conditions restrictives justifiant de déroger aux règles ordinaires permettant de bénéficier d’une autorisation de séjour.

4.             Selon l'art. 64 al. 1 let. c LEI, l'autorité compétente rend une décision de renvoi ordinaire à l'encontre d'un étranger auquel l'autorisation de séjour est refusée. Elle ne dispose à ce titre d'aucun pouvoir d'appréciation, le renvoi constituant la conséquence du rejet d'une demande d'autorisation (ATA/1798/2019 du 10 décembre 2019 consid. 6).

Ayant refusé de délivrer une autorisation de séjour à la recourante et à ses filles, l'OCPM devait ordonner leur renvoi de Suisse. Pour le surplus, aucun élément ne laisse penser que l'exécution de cette mesure serait impossible, illicite ou ne pourrait être raisonnablement exigée (art. 83 LEI).

Mal fondé, le recours sera ainsi rejeté.

5.             Le présent arrêt rend sans objet la demande d’effet suspensif, étant relevé que la décision de l’OCPM n’avait pas été déclarée exécutoire nonobstant recours.

6.             Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 400.- sera mis à la charge de la recourante, qui ne peut se voir allouer une indemnité de procédure (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 2 décembre 2022 par Madame A______, agissant pour elle et ses filles mineures B______ et C______, contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 1er novembre 2022 ;

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 400.- à la charge de Madame A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que les éventuelles voies de recours contre le présent arrêt, les délais et conditions de recevabilité qui leur sont applicables, figurent dans la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), dont un extrait est reproduit ci-après. Le mémoire de recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Christophe Levet, avocat de la recourante, à l'office cantonal de la population et des migrations, au Tribunal administratif de première instance ainsi qu'au secrétariat d'État aux migrations.

Siégeant : M. Mascotto, président, Mmes Krauskopf et Michon Rieben, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

 

le président siégeant :

 

 

C. Mascotto

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

Genève, le 

 

 

la greffière :

Extraits de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110)
consultable sur le site: http://www.admin.ch/ch/f/rs/c173_110.html

Recours en matière de droit public
(art. 82 et ss LTF)

Recours constitutionnel subsidiaire
(art. 113 et ss LTF)

Art. 82 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours :

a. contre les décisions rendues dans des causes de droit public ;

Art. 83 Exceptions

Le recours est irrecevable contre :

c. les décisions en matière de droit des étrangers qui concernent :

1. l’entrée en Suisse,

2. une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit,

3. l’admission provisoire,

4. l’expulsion fondée sur l’art. 121, al. 2, de la Constitution ou le renvoi,

5. les dérogations aux conditions d’admission,

6. la prolongation d’une autorisation frontalière, le déplacement de la résidence dans un autre canton, le changement d’emploi du titulaire d’une autorisation frontalière et la délivrance de documents de voyage aux étrangers sans pièces de légitimation ;

d. les décisions en matière d’asile qui ont été rendues :

1. par le Tribunal administratif fédéral,

2. par une autorité cantonale précédente et dont l’objet porte sur une autorisation à laquelle ni le droit fédéral ni le droit international ne donnent droit ;

Art. 89 Qualité pour recourir

1 A qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire ;

b. est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué, et

c. a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification.

Art. 95 Droit suisse

Le recours peut être formé pour violation :

a. du droit fédéral ;

b. du droit international ;

c. de droits constitutionnels cantonaux ;

d. de dispositions cantonales sur le droit de vote des citoyens ainsi que sur les élections et votations populaires ;

e. du droit intercantonal.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Art. 113 Principe

Le Tribunal fédéral connaît des recours constitutionnels contre les décisions des autorités cantonales de dernière instance qui ne peuvent faire l’objet d’aucun recours selon les art. 72 à 89.

Art. 115 Qualité pour recourir

A qualité pour former un recours constitutionnel quiconque :

a. a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire et

b. a un intérêt juridique à l’annulation ou à la modification de la décision attaquée.

Art. 116 Motifs de recours

Le recours constitutionnel peut être formé pour violation des droits constitutionnels.

Art. 100 Recours contre une décision

1 Le recours contre une décision doit être déposé devant le Tribunal fédéral dans les 30 jours qui suivent la notification de l’expédition complète.

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Recours ordinaire simultané (art. 119 LTF)

1 Si une partie forme contre une décision un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

2 Le Tribunal fédéral statue sur les deux recours dans la même procédure.

3 Il examine les griefs invoqués selon les dispositions applicables au type de recours concerné.