Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/39/2009

ATA/175/2010 du 16.03.2010 ( ICC ) , ADMIS

Recours TF déposé le 28.04.2010, rendu le 07.10.2010, ADMIS, 2C_336/2010
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/39/2009-ICC ATA/175/2010

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 16 mars 2010

1ère section

dans la cause

 

Monsieur S______
représenté par Me Antoine E. Böhler, avocat

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

et

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE ADMINISTRATIVE



EN FAIT

1. Monsieur S______ s’est vu notifier par l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC), le 5 septembre 2006, les bordereaux suivants :

- « rappel d’impôts » pour l’impôt cantonal et communal (ci-après : ICC) 2002 de CHF 215'199,25 et CHF 11'259,70 d’intérêts de retard ;

- ICC 2003 de CHF 178'681,65 et CH 5'760,50 d’intérêts de retard ;

- « d’amende » de CHF 295'410.-.

A la suite d’une procédure de rappel d’impôts, l’AFC reprochait à M. S______ de ne pas avoir déclaré un abandon de créance octroyé par la banque Coop dans le cadre d’une opération immobilière menée avec un tiers sur la commune de Chavannes. La banque Coop lui avait ainsi remis CHF 2'130'500.-. L’amende était fixée à 0,75% de l’impôt soustrait, pour tenir compte de la bonne collaboration de l’intéressé ainsi que de celle de son mandataire.

2. Le 29 septembre 2006, M. S______ a déposé une réclamation visant uniquement le bordereau d’amende. Celui-ci devait être annulé, subsidiairement réduit à CHF 1'000.- au maximum.

Il menait de nombreuses opérations immobilières et l’une d’elles avait entraîné une perte de ses fonds propres. Lui-même n'ayant pas de compétence en matière fiscale et comptable, un accord avait été négocié par son associé, Monsieur G______, avec la banque Coop pour que l’immeuble soit vendu au prix du marché, et la créance abandonnée à concurrence de CHF 6'500'000.-. Les autorités fiscales vaudoises avaient constaté qu’aucun gain immobilier n’était taxable, l’opération ayant entraîné une perte totale, pour chacun des associés, de CHF 1'251'335,50. L’abandon de créance était conditionné au versement à la banque Coop de CHF 50'000.- par M. S______ et de CHF 250'000.- par M. G______.

L’abandon de créance avait été imputé directement dans le compte des deux associés. Il correspondait à une perte de capital. M. S______ n’avait pas réalisé qu’un tel acte pouvait être soumis à taxation. Il n’avait commis aucune négligence et n'avait pas eu l’intention de soustraire une partie de ses impôts. Les erreurs qu’il avait commises devaient être considérées comme la violation d’une obligation de procédure au sens de l’art. 68 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 (LPFisc - D 3 17) et non comme une soustraction d’impôts. L’amende maximum était dès lors de CHF 1'000.-.

3. Le 5 octobre 2006, l’AFC a maintenu le bordereau d’amende tel qu’il avait été notifié. Il s’agissait d’une soustraction consommée d’impôts. La sanction tenait compte de la bonne collaboration de M. S______ et de son mandataire.

4. Le 1er novembre 2006, M. S______ a recouru auprès de la commission cantonale de recours en matière d’impôts, devenue depuis le 1er janvier 2009 la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : CCRA), reprenant et développant ses conclusions antérieures. L’erreur qu’il avait commise avait été induite par une mauvaise appréciation des faits dont il ne pouvait se rendre compte en usant de précautions supplémentaires.

5. Le 17 août 2007, l’AFC s’est opposée au recours. L’amende avait été fixée à 0,75% de l’impôt éludé, en application de l’art. 69 LPFisc. L’infraction avait été commise à tout le moins par dol éventuel, dès lors qu’un abandon de constituait un revenu imposable. Le recourant était ingénieur-architecte, promoteur immobilier, ce qui impliquait qu’il n’était pas totalement ignorant dans le domaine fiscal. Si l’intéressé avait signé lui-même les déclarations 2002 et 2003, tous les contacts qu’il avait eus avec l’AFC s’étaient faits par l’intermédiaire d’un mandataire, comptable de profession. L’associé de M. S______ avait, quant à lui, indiqué l’abandon de créance dans sa déclaration fiscale 2002.

6. Par décision du 24 novembre 2008, la CCRA a rejeté le recours. Les faits qui étaient reprochés à M. S______ étaient saisis par l’art. 69 LPFisc et non par l’art. 68 de cette loi. En fixant l’amende à 0,75% de l’impôt éludé, l’AFC était restée dans le cadre du large pouvoir d’appréciation que la loi lui accordait.

7. Le 6 janvier 2009, M. S______ a saisi le Tribunal administratif d’un recours contre la décision précitée.

Lorsqu’il n’avait pas annoncé l’abandon de créance, il n’avait eu ni conscience, ni volonté, même par dol éventuel, d'omettre un élément qu’il savait imposable. Il s’était fait assister par son associé pour remplir la déclaration. Il ne pouvait réaliser qu’une opération, dont les autorités vaudoises admettaient qu’elle avait entraîné une perte, soit considérée comme un revenu dans le canton de Genève. L’opération s’était soldée par une perte pour lui et il ignorait que l’extinction partielle d'une dette, par un abandon de créance, devait être annoncée en tant que revenu. Il devait être sanctionné en tenant compte de son appréciation des faits, en application des art. 13 al. 1 et art. 19 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).

8. Le 10 février 2009, l’AFC s’est opposée au recours, reprenant et développant son argumentation antérieure. M. S______ ne pouvait se dégager de sa responsabilité du fait qu’il avait chargé un mandataire d’établir sa déclaration.

9. Le 20 février 2009, la CCRA a transmis son dossier, persistant dans les considérants et le dispositif de sa décision.

10. Le 20 avril 2009, les parties ont été entendues en audience de comparution personnelle.

a. M. S______ a expliqué que la comptabilité des opérations immobilières était gérée par lui-même, avec l’aide de M. G______. Un bureau comptable s’occupait de la comptabilité du bureau d’architecte et de la déclaration d’impôts, sur la base des informations reçues de son associé. Ils avaient construit environ deux cents immeubles, principalement des HLM, et agissaient en général comme entrepreneur général. Très concrètement, dans l’opération immobilière litigieuse, ils avaient investi des fonds propres et avaient dû réinvestir au terme de l’opération, sans être propriétaires de l’immeuble. Cette opération avait entraîné des pertes et non un revenu.

Son associé n’avait pas non plus indiqué la remise de dette dans sa déclaration fiscale mais l’avait rajoutée après avoir eu des contacts avec l’AFC.

b. Le même jour, M. G______ a été entendu en qualité de témoin.

Comptable de formation, il avait travaillé dans le domaine de l’immobilier, de la promotion ainsi que de l’évaluation des terrains. Il a expliqué en détails la promotion immobilière de H______ et les causes de la perte. La banque Coop avait trouvé un client disposé à acheter l’immeuble à un prix inférieur au prix de revient et avait accepté, moyennant le versement de CHF 300'000.- pour les deux associés, d'annuler le solde de la créance. Dans sa propre déclaration, M. G______ avait soustrait de la valeur de la promotion celle de la remise de dette, puis équilibré les comptes en diminuant les hypothèques. L’AFC l’avait interpellé, un an plus tard, pour connaître la cause de cette diminution. C’est à ce moment-là qu’il avait appris que la remise de dette était, du point de vue fiscal, un revenu. Il avait signalé à l'AFC qu’il y avait deux promoteurs et qu’il n’était imposable que pour la moitié de cette remise de dette. M. S______ étant déjà taxé définitivement, cela créait des problèmes. Le témoin tenait la comptabilité des promotions immobilières et remettait des états comptables à M. S______. Ce dernier les intégrait dans sa comptabilité et dans sa déclaration d’impôts.

S’il avait su que l'abandon de créance était considéré comme un revenu imposable, il n'aurait pas accepté que la banque vende l'immeuble, mais il aurait attendu de trouver un client qui accepte de verser un prix équivalent au prix de revient, ce qui n'était qu'une question de temps.

c. Au terme de l’audience, l’AFC s’est engagée à transmettre divers documents concernant le dossier fiscal de M. G______, avec l’accord de ce dernier.

11. Le 18 mai 2009, l’AFC a indiqué qu’elle ne retrouvait pas la déclaration fiscale 2002 de M. G______.

12. A la demande du Tribunal administratif, M. G______ a transmis, le 22 juin 2009, divers documents concernant la promotion H______, soit :

- un courrier que lui avait adressé l’AFC le 8 juillet 2005, demandant notamment des justificatifs concernant l’assainissement de la dette hypothécaire BCG-Chavannes ;

- la convention signée avec la banque Coop les 11 et 23 novembre 1994, concernant l’assainissement des créances hypothécaires de la promotion de H______ ;

- un courrier de la banque Coop l’informant d’un abandon de créance de CHF 4'561'000.- sur la promotion H______, moyennant versement par M. S______ de CHF 50'000.- et par lui-même de CHF 250'000.- avant le 31 juillet 2002 ;

- une décision de l’AFC du 10 mai 2006 lui notifiant un bordereau d’impôts rectificatif tenant compte de l’abandon de créance de l’opération H______.

13. Le 14 juillet 2009, l’AFC a indiqué qu’elle n’avait pas d’observations à faire au sujet des documents précités.

14. Le 26 août 2009, M. S______ a maintenu ses conclusions, demandant principalement que l’amende soit annulée et, subsidiairement, qu’elle soit fixée à CHF 1'000.- maximum, en application de l’art. 68 al. 2 LPFisc.

Les conditions d’une soustraction d’impôts au sens de l’art. 69 al. 1 LPFisc n’étaient pas remplies. Il n’avait pas eu l’intention de se soustraire à l’impôt et n’avait pas les connaissances lui permettant de se rendre compte de son erreur. Cette même erreur avait été commise par M. G______, alors que ce dernier connaissait mieux la matière que lui.

15. Le 27 août 2009, les parties ont été informées que la procédure était gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. En matière d’ICC, le contribuable qui, intentionnellement ou par négligence, fait en sorte qu'une taxation ne soit pas effectuée alors qu'elle aurait dû l'être, est puni d'une amende en cas de soustraction consommée (art. 69 al. 1 LPFisc) ainsi qu'en cas de tentative (art. 70 LPFisc).

b. La preuve d'un comportement intentionnel doit être considérée comme rapportée lorsqu'il est établi avec une sécurité suffisante que le contribuable était conscient que les informations données étaient incorrectes ou incomplètes. Si cette conscience est établie, il faut présumer qu'il a volontairement voulu tromper les autorités fiscales ou du moins qu'il a agi par dol éventuel afin d'obtenir une taxation moins élevée. Cette présomption ne se laisse pas facilement renverser car l'on a de la peine à imaginer quel autre motif pourrait conduire un contribuable à fournir à l'autorité fiscale des informations qui sont incorrectes ou incomplètes (Arrêt du Tribunal fédéral 2A. 351/2002 du 5 novembre 2002, consid. 3. 1 ; ATA/196/2009 du 21 avril 2009 et les références citées).

c. Il y a dol éventuel lorsque l'auteur, en l'espèce le contribuable, envisage le résultat dommageable, mais agit néanmoins, même s'il ne le souhaite pas, parce qu'il s'en accommode au cas où il se produirait (ATF 130 IV 58 consid. 8.2 p. 61 et les références citées). Parmi les éléments extérieurs permettant de conclure que l'auteur a accepté le résultat dommageable pour le cas où il se produirait figurent notamment la probabilité (connue de l'auteur) de la réalisation du risque et l'importance de la violation du devoir de prudence. Plus celles-ci sont grandes, plus sera fondée la conclusion que l'auteur, malgré d'éventuelles dénégations, avait accepté l'éventualité de la réalisation du dommage (ATF 119 IV 1 consid. 5a p. 2 s.).

d. En matière de soustraction par négligence, l'auteur de la soustraction a agi soit sans se rendre compte (négligence inconsciente), soit sans tenir compte des conséquences de ses actes ou omissions (négligence consciente). Pour que l'imprévoyance soit coupable, il faut en premier lieu, objectivement, que l'auteur n'ait pas usé des précautions qui étaient commandées par les circonstances. Il faut en outre que, subjectivement, l'auteur de l'acte incriminé ait omis d'user des précautions commandées par sa situation personnelle. Pour apprécier celles-ci, l'administration, cas échéant, le juge, devront donc tenir compte non seulement des circonstances objectives du cas d'espèce, mais aussi de tout ce qui, in concreto, constitue la situation personnelle du contribuable : par exemple l'intelligence et les connaissances de celui-ci, sa formation personnelle, sa situation économique et sociale et naturellement sa profession (ATA/588/2009 du 17 novembre 2009 ; J.-M. RIVIER, Droit fiscal suisse, 2e éd. 1998, p. 271ss).

3. En l'espèce, le recourant n'a pas contesté le rappel d'impôts et admet que l'abandon de créance dont il a bénéficié aurait dû être indiqué comme un revenu dans sa déclaration fiscale.

Cela dit, les pièces produites à la procédure et l'instruction de cette dernière ont montré que l'intéressé n'a pas de connaissance particulière dans le domaine de la fiscalité. En ce qui concerne le contenu de ses déclarations d'impôts, il reporte les chiffres que lui communique son associé, comptable de profession. Ce dernier a aussi omis de mentionner l'abandon de créance en tant que revenu, mais il a pu rectifier cette erreur avant que son bordereau d'impôts ne devienne définitif, évitant de ce fait le prononcé d'une amende.

De plus, les spécificités du droit fiscal rendent parfois ce dernier quelque peu ardu à comprendre pour le commun des mortels. Ainsi, dans la présente affaire, le recourant et son associé ont perdu d'importantes sommes d'argent dans une promotion immobilière, vendue à perte. La banque qui a fourni les fonds nécessaires au financement de l'opération a préféré prendre en charge une partie des pertes - par l'abandon de créance - afin de liquider l'opération, plutôt que d'attendre qu'un client soit disposé à acheter l'immeuble au prix de revient. Malgré cette opération, le recourant et son associé ne se sont concrètement pas enrichis, bien au contraire. Les autorités fiscales vaudoises ont admis que ni l’un ni l’autre n’avaient réalisé de bénéfice et elles n’ont pas perçu d'impôts sur les gains immobiliers.

En l'espèce, le recourant a rempli sa déclaration fiscale en se fondant sur ces éléments, sans réaliser que l'abandon de créance l'avait, dans la logique fiscale, enrichi.

Dans ces circonstances, le Tribunal administratif constatera que l'omission, dans la déclaration d'impôts 2002, de l'abandon de créance en tant que revenu n'apparaît pas fautive, même par négligence. Le contribuable s'était entouré d'auxiliaires compétents et avait pris les précautions nécessaires, tant objectivement que subjectivement, au vu de la situation.

4. En conséquence, le bordereau d'amende litigieux sera annulé. Au vu de cette issue, un émolument de procédure de CHF 1’000.- sera mis à la charge de l'AFC, qui succombe. Une indemnité de procédure de CHF 1’500.- sera allouée au recourant, à la charge de l'Etat de Genève (art. 87 LPA).

* * * * *


PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 26 février 2009 par Monsieur S______ contre la décision de la commission cantonale de recours en matière d'impôts du 24 novembre 2008 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision attaquée ;

annule le bordereau d'amende notifiée par l'administration fiscale cantonale à M. S______ le 5 septembre 2006 ;

alloue à M. S______ une indemnité de procédure de CHF 1’500.-, à la charge de l'Etat de Genève ;

met à la charge de l'administration fiscale cantonale un émolument de procédure de CHF 1’000.- ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Antoine E. Böhler, avocat du recourant, ainsi qu'à l'administration fiscale cantonale et à la commission cantonale de recours en matière administrative.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Bovy et Junod, juges.

 

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le vice-président :

 

 

Ph. Thélin

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

la greffière :