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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2212/2005

ATA/161/2006 du 21.03.2006 ( TPE ) , REJETE

Parties : REYMOND André / COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE DE CONSTRUCTIONS, DEPARTEMENT DE L'AMENAGEMENT, DE L'EQUIPEMENT ET DU LOGEMENT, ASLOCA ASSOCIATION GENEVOISE DE DEFENSE DES LOCATAIRES
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2212/2005-TPE ATA/161/2006

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 21 mars 2006

dans la cause

 

Monsieur André REYMOND
représenté par Me Jean-Franklin Woodtli, avocat

 

 

contre

 

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE DE CONSTRUCTIONS

 

 

et

 

 

ASLOCA, ASSOCIATION GENEVOISE DE DÉFENSE DES LOCATAIRES

 

 


et

 

 

DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION


1. La SI Meinier résidence-ouest (ci-après : la SI) était propriétaire de la parcelle 1281, feuille 8 de la commune de Meinier. Située en zone de développement 4B protégée, au 12-14-16, rue de l'Ancien-Tir, la parcelle supporte un immeuble d'habitation construit dans les années soixante de deux étages sur rez comportant trente-six logements.

2. Monsieur André Reymond était l'actionnaire unique de la SI.

3. Le 11 mars 1980, l'immeuble a été soumis au régime de la propriété par étages.

4. La SI a été liquidée le 2 février 1998. Ses actifs et passifs ont été cédés à titre universel.

5. Suite à la liquidation, M. Reymond a acquis, en son nom personnel, 15 appartements dont le No 3.01 qui fait l'objet de la présente procédure. Le prix convenu pour cet appartement était de CHF 139'403.-. Sis au 1er étage de l'immeuble, 16, rue de l'Ancien-Tir, cet appartement de trois pièces et d'une surface de 49 m2 représente une part de copropriété de 23,7/1000.

6. Le 23 février 1998, M. Reymond a été inscrit en qualité de propriétaire auprès du registre foncier.

7. De septembre 1999 à novembre 2004, M. Reymond a bénéficié de 7 autorisations de vente délivrées par le département de l'aménagement, de l'équipement et du logement, devenu depuis le département des constructions et des technologies de l'information (ci-après : le département). Il demeure le propriétaire de 8 appartements, dont l'appartement No 3.01.

8. Le 11 octobre 2004, M. Reymond a requis du département l'autorisation de vendre l'appartement No 3.01 pour le prix de CHF 235’000.-.

Le précédent locataire était décédé le 28 mai 2004.

Monsieur Bernard Stolz, qui habitait depuis l'appartement à titre de locataire, souhaitait l'acquérir. Il était de plus propriétaire d'un autre appartement de même surface, soit 49 m2, situé au deuxième étage de l'immeuble.

9. Le 1er novembre 2004, le département a autorisé l'aliénation de l'appartement No 3.01 sur la base de l'article 39 alinéa 4 de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20). L'autorisation a été publiée dans la FAO du 3 novembre 2004.

10. a. Par acte posté le 6 décembre 2004, l'Association genevoise de défense des locataires (ci-après : l'ASLOCA) a recouru auprès de la commission cantonale de recours en matière de constructions (ci-après : la CCRMC) en concluant à l'annulation de l'autorisation délivrée.

Le département avait violé l'article 39 alinéa 4 LDTR. Même s'il était soumis à la propriété par étages depuis 1980, l'appartement No 3.01 n'avait jamais été cédé de manière individualisée avant le 30 mars 1985.

b. M. Reymond a répondu le 7 janvier 2005.

La vente devait être autorisée sur la base de l'article 39 alinéa 4 lettre b LDTR. Le Tribunal administratif avait rendu un arrêt le 14 mars 1989 dans une affaire similaire qui devait s'appliquer, mutatis mutandis, à la présente cause.

c. La CCRMC a entendu les parties lors d'une audience de comparution personnelle, le 4 février 2005.

d. Le département s'est déterminé par courrier du 4 mars 2005. Il conclut au rejet du recours et à la confirmation de son autorisation du 1er novembre 2004.

Changeant d’argumentation, le département a soutenu que M. Reymond ne pouvait être mis au bénéfice de l'article 39 alinéa 4 LDTR, aucune des hypothèses n'étant réalisée en l'occurrence.

La clef du litige résidait par conséquent dans une pesée des intérêts, conformément à l'article 39 alinéa 2 LDTR. L'intérêt public revêtait un caractère prépondérant lorsqu'aucun appartement d'un immeuble n'avait été cédé de manière individualisée et diminuait lorsqu'un nombre important d'appartements avait été vendu. En l'occurrence, sur les 36 logements que comptait l'immeuble, les 77 % avait été acquis par des tiers si bien que l'intérêt privé du vendeur devait l'emporter.

e. M. Reymond a persisté dans ses conclusions.

Il appuyait celles prises par le département. Aucun intérêt public prépondérant ne s'opposait à ce que M. Stolz acquiert un second appartement dans l'immeuble.

f. Le 18 mars 2005, l'Asloca a maintenu l'intégralité de ses conclusions.

Le département n'était pas autorisé à modifier sa motivation en cours de procédure. Les 8 appartements que détenait encore M. Reymond ne devaient pas être soustraits du marché locatif. Etant donné la pénurie de logements, les intérêts privés devaient s'effacer devant l'intérêt public au maintien de l'affectation locative des appartement loués.

11. Par décision du 11 mai 2005, la CCRMC a annulé la décision entreprise.

L'arrêt du tribunal de céans du 14 mars 1989 n'était pas applicable mutatis mutandis au cas d'espèce. Les parties avaient à juste titre considéré que la vente de l'appartement ne pouvait être autorisée sur la base de l'article 39 alinéa 4 LDTR. L'intérêt public au maintien de l'affectation locative des appartements loués était prépondérant.

12. a. Par acte posté le 22 juin 2005, M. Reymond a recouru auprès du Tribunal administratif. Il conclut à l'annulation de la décision de la CCRMC du 11 mai 2005, reçue le 25 mai 2005, et à la confirmation de la décision du département du 1er novembre 2004.

La vente de l'appartement No 3.01 devait lui permettre de réduire son endettement. Les trois quarts des appartements de l'immeuble avaient déjà été vendus à des tiers avant et après la liquidation de la SI. Partant, l'intérêt public protégé par la LDTR ne revêtait plus un caractère prépondérant. Quant à l'intérêt de M. Stolz à l'acquisition de l'appartement, il devait également être pris en considération.

b. Dans son mémoire réponse du 29 juillet 2005, l'ASLOCA conclut à la confirmation de la décision entreprise, en reprenant la même argumentation que celle développée devant la CCRMC.

c. Par courrier du 11 juillet 2005, le département s'en est rapporté à justice.

13. Faisant suite à la requête du juge délégué, M. Stolz a informé le Tribunal administratif, par courrier du 12 décembre 2005, qu'il souhaitait habiter personnellement l'appartement, objet du présent litige. Il en était actuellement le locataire. Il était propriétaire depuis une quinzaine d'année d'un autre appartement au 2ème étage du même immeuble, occupé par son amie, Madame Marielle Grosjean, depuis plusieurs années. Comme celle-ci, il désirait continuer à résider à Meinier. L'acquisition de ce second appartement lui permettrait de réaliser cet objectif.

14. Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 litt. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. L'ancienne LDTR du 22 juin 1989 a été abrogée et remplacée par les dispositions actuelles qui sont entrées en vigueur le 23 mars 1996 (art. 50 al. 1 LDTR).

Le litige est donc entièrement soumis à la nouvelle LDTR.

3. Le recourant affirme que l'arrêt du Tribunal administratif du 14 mars 1989 - dans une cause l’opposant au département - s'appliquerait mutatis mutandis au cas d'espèce.

Or, la LDTR a été modifiée depuis. L'ancien article 9 LDTR sur lequel se fondait le raisonnement du tribunal de céans dans l'arrêt du 14 mars 1989 a été abrogé et remplacé en 1996 par l'actuel 39 LDTR, dont la dernière modification est entrée en vigueur le 2 juin 2001.

Par conséquent, cet arrêt n’est d’aucun secours au recourant.

4. L’aliénation d’un appartement à usage d’habitation jusqu’alors offert en location, est soumise à autorisation dans la mesure où l’appartement entre, à raison de son loyer ou de son type, dans une catégorie de logements où sévit la pénurie (art. 39 al. 1 LDTR).

Le Conseil d'Etat a déclaré qu'il y avait pénurie au sens des articles 25 et 39 LDTR dans toutes les catégories d'appartements de 1 à 7 pièces inclusivement si bien que la vente de l'appartement No 3.01 est soumise à autorisation (arrêté du Conseil d'Etat déterminant les catégories d'appartements où sévit la pénurie en vue de l'application des articles 25 à 39 de la LDTR - état au 1er janvier 2005 - L 5 20.03).

L’appartement 3.01 entre dans ces catégories.

5. A teneur de l’article 39 alinéa 4 LDTR, le département autorise l’aliénation d’un appartement si celui-ci :

a) a été dès sa construction soumis au régime de la propriété par étages ou à une forme de propriété analogue ;

b) était, le 30 mars 1985, soumis au régime de la propriété par étages ou à une forme de propriété analogue et qu’il avait déjà été cédé de manière individualisée ;

c) n’a jamais été loué ;

d) a fait une fois au moins l’objet d’une autorisation d’aliéner en vertu de la présente loi. L’autorisation ne porte que sur un appartement à la fois. Une autorisation de vente en bloc peut toutefois être accordée en cas de mise en vente simultanée, pour des motifs d’assainissement financier, de plusieurs appartements à usage d’habitation ayant été mis en propriété par étages et jusqu’alors offerts en location, avec pour condition que l’acquéreur ne peut les revendre que sous la même forme, sous réserve de l’obtention d’une autorisation individualisée au sens du présent alinéa.

En outre, selon l'article 39 alinéa 3 LDTR, un locataire, occupant effectivement son logement depuis 3 ans au moins, peut acquérir ledit logement pour autant que le 60% des locataires en place acceptent formellement cette acquisition. Dans ce cas cependant, les locataires restants devront obtenir la garantie de ne pas être contraints d’acheter leur appartement ou de partir.

En l'occurrence, aucune des conditions de l'article 39 alinéa 4 LDTR ne trouve application en l'espèce. De plus, M. Stolz ne saurait être mis au bénéfice de l'alinéa 3 de l'article 39 LDTR étant donné qu'il occupe depuis moins de 3 ans l'appartement qu'il souhaite acquérir.

6. a. Selon la jurisprudence fédérale, même si aucun des motifs d'autorisation expressément prévus par l'article 39 alinéa 4 LDTR n'est réalisé, il y a encore lieu de rechercher si l'intérêt public l'emporterait sur l'intérêt privé du recourant à aliéner l'appartement dont il est propriétaire. (Arrêt du Tribunal fédéral UBS du 19 avril 1999; ATA/852/2004 du 2 novembre 2004).

b. Le département refuse l’autorisation lorsqu’un motif prépondérant d’intérêt public ou d’intérêt général s’y oppose. L’intérêt public et l’intérêt général résident dans le maintien, en période de pénurie de logements, de l’affectation locative des appartements loués (art. 39 al. 2 LDTR).

c. La LDTR a pour but de préserver l'habitat et les conditions de vie existant, en restreignant notamment le changement d'affectation des maisons d'habitation et l'aliénation des appartements destinés à la location, ce qui procède d'un intérêt public important. Le refus de l'autorisation de vendre un appartement loué lorsqu'un motif prépondérant d'intérêt public ou d'intérêt général s'y oppose n'est pas contraire au principe de proportionnalité, pourvu que l'autorité administrative effectue une pesée des intérêts en présence et évalue l'importance du motif de refus au regard des intérêts privés en jeux (Arrêt du Tribunal fédéral non publié 1P.19/2003 du 8 avril 2003).

En effet, l'autorité ne peut refuser une autorisation d'aliéner qu'après avoir effectué une pesée des intérêts en présence. Elle doit donc prendre en considération les intérêts privés légitimes qui peuvent exister dans certaines circonstances (ATF 113 Ia 134 ; ATA/852/2004 du 2 novembre 2004 ; ATA/787/2002 du 10 décembre 2002 ; ATA/761/2002 du 3 décembre 2002 ; ATA/731/2002 du 26 novembre 2002).

d. Un intérêt purement économique doit en général céder le pas face à l'intérêt public au maintien de l'affectation locative des logements.

In casu, l'intérêt public à la préservation du parc locatif genevois est essentiel. Il s'oppose à l'intérêt du recourant à la vente de l'appartement ainsi qu'à celui de M. Stolz à son acquisition.

En ce qui concerne l'intérêt privé du recourant, le fait que 77 % des logements ont été vendus ne diminue en rien la prépondérance de l'intérêt public à la préservation du marché locatif, particulièrement en ces temps de pénurie de logements. Ceci est d'autant plus important que, sur les 15 appartements acquis par le recourant lors de la liquidation de la SI en 1998, il est encore propriétaire de 8 logements - dont l'appartement No 3.01 -  qui ne sauraient être tels quels soustraits au marché locatif. En outre, même si le recourant avait établi par pièces que son endettement nécessitait d'être réduit, cet intérêt n'aurait pu, à lui seul, l'emporter sur l'intérêt public à la protection du parc locatif. S'agissant d'un intérêt purement économique, il aurait tout aussi bien pu être satisfait par une vente en bloc des 8 appartements restants.

L'intérêt privé de l'acquéreur est de pure convenance. Le refus de l'autorisation de vente ne saurait l'empêcher d'habiter Meinier puisqu'il y demeure déjà. De plus, le fait qu'il loue actuellement l'appartement qu'il souhaite acquérir alors qu’il en loue ou en prête un qu’il possède n'est pas non plus déterminant.

En conséquence, les intérêts privés du recourant et de l'acquéreur doivent céder le pas devant l'intérêt public protégé par la loi.

7. Le recours sera ainsi rejeté.

Un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant. Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à l'Asloca, à la charge du recourant (art. 87 LPA).

 

 

* * * * *

 

 

 

 

 

 

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 22 juin 2005 par Monsieur André Reymond contre la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 11 mai 2005 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge du recourant un émolument de CHF 1'000.- ;

alloue à l’Asloca une indemnité de procédure de CHF 1’000.-, à la charge du recourant ;

communique le présent arrêt à Me Jean-Franklin Woodtli, avocat du recourant, à l'Asloca, à la commission cantonale de recours en matière de constructions ainsi qu’au département des constructions et des technologies de l’information.

Siégeants : M. Paychère, président, Mmes Bovy et Hurni, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le président :

 

 

F. Paychère

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :