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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4460/2017

ATA/1577/2017 du 06.12.2017 ( TAXIS ) , IRRECEVABLE

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4460/2017-TAXIS

" ATA/1577/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 6 décembre 2017

sur mesures provisionnelles

 

dans la cause

 

FÉDÉRATION A______ et B______
représentées par Me Thierry Ador, avocat

contre

SERVICE DE POLICE DU COMMERCE ET DE LUTTE CONTRE LE TRAVAIL AU NOIR



Attendu en fait :

1) Par décision du 24 octobre 2017, le service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir (ci-après : PCTN) a déclaré irrecevable la demande en constatation fondée sur l’art. 4A de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), présentée par B______ (ci-après : la société) et la Fédération A______ (ci-après : la fédération) le 13 octobre 2017. Dite requête, faisant suite à un échange de courriels intervenu du 31 août au 25 septembre 2017 entre le président de la société, également secrétaire de la fédération, et le directeur du PCTN, demandait à ce service de constater le caractère illicite des contrats de cession d’autorisation d’usage accru du domaine public (ci-après : AUADP) conclus par des cessionnaires qui n’étaient pas déjà titulaires d’une telle autorisation, ainsi que le caractère illicite de l’enregistrement des cessions précitées. Cet enregistrement devait être annulé.

La société et la fédération ne pouvaient se prévaloir d’un intérêt digne de protection au prononcé d’une décision de constatation. À supposer qu’elles puissent se prévaloir d’un tel intérêt, des intérêts privés prépondérant s’y opposaient, soit ceux des cessionnaires.

L’argumentation du PCTN sera détaillée ci-après dans la mesure utile.

2) Le 8 novembre 2017, la société et la fédération ont recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision susmentionnée, en concluant à son annulation. Les cessions litigieuses et leur enregistrement devaient en outre être déclarés illicites. Les enregistrements illicites devaient être annulés et révoqués. Obligation devait être faite au PCTN de s’abstenir désormais de procéder à de tels enregistrements.

À titre provisionnel, il devait être ordonné au PCTN de suspendre les enregistrements illicites jusqu’à droit jugé et de produire la liste des cessions illicites, étant précisé que la faculté de céder des AUADP n’existait que jusqu’au 31 décembre 2017.

L’argumentation des intéressés sera reprise ci-après en tant que de besoin.

3) Le 20 novembre 2017, le PCTN a conclu au rejet de la demande de mesures provisionnelles.

La société utilisait la loi à une fin qui lui était étrangère, à savoir empêcher ses chauffeurs salariés et fermiers de devenir indépendants. Ce faisant, elle commettait un abus de droit. Par ailleurs, la suspension des enregistrements des cessions aurait des effets importants pour les personnes concernées, qui ne pouvaient faire fructifier leur AUADP tout en devant s’acquitter des taxes annuelles pour le vendeur et des engagements financiers pour l’acquéreur. La société et la fédération ne démontraient pas subir de préjudice. Enfin, leur requête de mesures provisionnelles tendait à exercer une pression sur les cédants potentiels, en restreignant leur choix de contracter aux seuls détenteurs préalables d’une AUADP. Par ailleurs, la production de la liste des cessions n’était d’aucune utilité pour trancher le litige, et, en tout état, ne devait être remise à la société et à la fédération qui ne pouvaient se prévaloir d’un intérêt légitime à en avoir connaissance. Cette liste était couverte par le secret de fonction.

4) Le 28 novembre 2017, la société et la fédération ont répliqué. Il n’y avait pas d’abus de droit à demander que le PCTN applique correctement la loi, dès lors qu’elles avaient un intérêt digne de protection. Étant respectivement assujettie et représentante d’entités assujetties à la législation elles avaient le droit d’exiger que le PCTN n’interfère pas à leur détriment dans l’équilibre mis en place par le législateur en adoptant une pratique contra legem. Elles avaient également un intérêt de fait, dès lors que des chauffeurs employés ou fermiers avaient quitté les entreprises de taxi pour obtenir une AUADP conformément à la loi et que la pratique extensive du PCTN avait eu comme conséquence de limiter les possibilités de recrutement de nouveaux chauffeurs pouvant ainsi obtenir une AUADP à laquelle ils n’auraient pas droit.

5) Le 29 novembre 2017, la réplique précitée a été transmise au PCTN pour information et la cause a été gardée à juger sur mesures provisionnelles.

Considérant en droit :

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est, prima facie, recevable dans son principe (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05) ; art. 62 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

2) L’autorité peut d’office ou sur requête ordonner des mesures provisionnelles en exigeant au besoin des sûretés (art. 21 al. 1 LPA).

3) Selon la jurisprudence constante de la chambre administrative, des mesures provisionnelles – au nombre desquelles compte la restitution de l'effet suspensif (Philippe WEISSENBERGER/Astrid HIRZEL, Der Suspensiveffekt und andere vorsorgliche Massnahmen, in Isabelle HÄNER/Bernhard WALDMANN [éd.], Brennpunkte im Verwaltungsprozess, 2013, 61-85, p. 63) – ne sont légitimes que si elles s’avèrent indispensables au maintien d’un état de fait ou à la sauvegarde d’intérêts compromis (ATF 119 V 503 consid. 3 ; ATA/955/2016 du 9 novembre 2016 consid. 4 ; ATA/1244/2015 du 17 novembre 2015 consid. 2 ; ATA/1110/2015 du 16 octobre 2015 consid. 3).

4) L'octroi de mesures provisionnelles présuppose l'urgence, à savoir que le refus de les ordonner crée pour l'intéressé la menace d'un dommage difficile à réparer (ATF 130 II 149 consid. 2.2 ; 127 II 132 consid. 3 = RDAF 2002 I 405).

Elles ne sauraient, en principe tout au moins, anticiper le jugement définitif ni équivaloir à une condamnation provisoire sur le fond, pas plus qu’aboutir abusivement à rendre d’emblée illusoire la portée du procès au fond (arrêts précités). Ainsi, dans la plupart des cas, les mesures provisionnelles consistent en un minus, soit une mesure moins importante ou incisive que celle demandée au fond, ou en un aliud, soit une mesure différente de celle demandée au fond (Isabelle HAENER, Vorsogliche Massnahmen in Verwaltungsverfahren und Verwaltungsprozess, RDS 1997 II 253-420, p. 265).

5) En l’espèce, l’objet du litige est une décision du PCTN déclarant irrecevable une demande en constatation fondée sur l’art. 4A LPA et portant sur l’illicéité alléguée de cessions d’AUADP et de leur enregistrement par le PCTN lorsque le cessionnaire n’est pas déjà titulaire d’une AUADP.

6) Le 1er juillet 2016 sont entrés en vigueur la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 13 octobre 2016 (LTVTC - H 1 31) et le règlement d'exécution de la loi sur les taxis et les voitures de transport avec chauffeur du 21 juin 2017 (RTVTC - H 1 31 01).

a. La nouvelle loi a pour objet de réglementer les professions de chauffeur de taxi et de chauffeur de voiture de transports avec chauffeur, en tant que services complémentaires à ceux offerts par les transports publics (art. 1 al. 1 LTVTC). Elle prévoit notamment que les chauffeurs visés doivent être au bénéfice d’une carte professionnelle qui confère à son titulaire le droit d’exercer son activité en qualité d’indépendant ou d’employé, comme chauffeur de taxi ou comme chauffeur de voiture de transport avec chauffeur, conformément à la mention apposée sur la carte (art. 5 al. 1 LTVTC). Les titulaires de carte professionnelle de chauffeur de taxi ou de limousine sous l’ancienne législation, exerçant effectivement leur activité, se voient délivrer la nouvelle carte professionnelle avec la mention chauffeur de taxi (art. 43 al. 1 LTVTC).

b. Les voitures de taxi sont au bénéfice d’une AUADP, chaque autorisation correspondant à une immatriculation (art. 10 al. 1 LTVTC). Le nombre des AUADP est limité, le Conseil d’État devant fixer leur nombre maximal (art. 10 al. 2 et 3 LTVTC). Les AUADP sont attribuées sur requête à des personnes physiques titulaires d’une carte de chauffeur de taxi ou à des entreprises de transport de taxi, quelle que soit leur forme juridique (art. 11 al. 1 et 2 let. a LTVTC). Elles sont personnelles et incessibles (art. 11 al. 1 LTVTC). Les titulaires de permis de service public au sens de l’ancienne législation se voient délivrer un nombre correspondant d’AUADP et conservent la titularité de leurs numéros d’immatriculation, pour autant qu’ils poursuivent leur activité de chauffeur de taxi, respectivement d’entreprise de taxi (art. 46 al. 1 LTVTC). Tout titulaire de la carte professionnelle de chauffeur de taxi exploitant un taxi privé en qualité d’indépendant ou travaillant comme employé ou fermier d’un titulaire d’une autorisation d’exploiter un taxi ou une entreprise de taxis de service public au sens de l’ancienne législation, délivrée avant le 1er juin 2015 et exerçant effectivement sa profession, peut demander une AUADP dans les six mois suivant l’entrée en vigueur de la LTVTC (art. 46 al. 2 LTVTC).

c. Selon l’art. 47 al. 1 LTVTC, le titulaire d’une AUADP a la faculté, pendant une durée de six mois dès l’entrée en vigueur de la novelle, de céder « son autorisation à un autre titulaire d’autorisation ». La cession ne peut intervenir qu’une fois par autorisation et doit être faite en la forme écrite, un exemplaire original du contrat étant remis au département compétent – le DSE, soit pour lui le PCTN (art. 2 al. 1 et 2 RTVTC) –, et ne devient effective qu’après enregistrement formel par ce dernier (art. 47 al. 2 LTVTC).

7) Au vu de la systématique de la LTVTC, du vocabulaire utilisé, de la nature distincte de la carte professionnelle de chauffeur, rattachée à une personne physique et l’AUADP, correspondant à une immatriculation, d’une part, du fait qu’une des recourantes est une entreprise de taxi pouvant être touchée par les dispositions légales en cause, d’autre part et, de troisième part, que la décision querellée écarte la recevabilité de la demande en constatation en s’appuyant sur une argumentation répondant sur le fond, le recours n’apparaît pas d’entrée de cause dépourvu de chance de succès.

8) La possibilité de cession d’AUADP offerte par l’art. 46 al. 2 LTVTC à partir du 1er juillet 2017, prendra fin le 31 décembre 2017. Dès le 1er janvier 2018, la règlementation ordinaire de l’incessibilité prévu par l’art. 11 al. 2 LTVTC s’appliquera seul. La mesure transitoire est ainsi bientôt échue. L’urgence d’ordonner la suspension de l’enregistrement des cessions alléguées illicites doit ainsi être relativisée. Par la société démontre que plusieurs employés ont résilié, à fin août 2017, le contrat les liant à elle, celle-ci ne démontre pas que les intéressés avaient obtenu leur ancienne carte professionnelle après le 31 mai 2015 et ne rend pas vraisemblable qu’ils auraient depuis lors obtenu une AUADP ni qu’il en résulterait pour elle un dommage important, ne pouvant être réparé que par la mesure sollicitée puisqu’en tout état, cela ne ferait pas renaître sa relation contractuelle avec les chauffeurs en question. Aucune pièce n’établit non plus le nombre de véhicules inutilisés ou l’augmentation du prix des cessions d’AUADP dont les recourantes se plaignent. Quant à la fédération, elle ne fournit aucun élément rendant vraisemblable l’existence d’un tel dommage pour ses membres.

9) Pour ce qui est de la production de la liste des cessions d’AUADP enregistrées depuis le 1er juillet 2017, les recourantes ne démontrent pas en quoi leur production serait urgente et propre à empêcher un dommage important auxquelles elles seraient exposées, étant rappelé que les cessions sont autorisées par l’art. 47 al. 1 LTVTC depuis plus de cinq mois.

10) Au vu de ce qui précède, la demande de mesures provisionnelles sera déclarée irrecevable.

11) Le sort des frais sera réservé jusqu’à droit jugé au fond.

Vu l’art. 9 al. 1 du règlement de la chambre administrative du 26 septembre 2017 ;

 

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable la demande de mesures provisionnelles de B______ et de la Fédération A______ du 8 novembre 2017;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me Thierry Ador, avocat des recourantes ainsi qu'au service de police du commerce et de lutte contre le travail au noir.

 

 

La vice-présidente :

 

 

 

Christine Junod

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :