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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/595/2009

ATA/129/2010 du 02.03.2010 ( LCI ) , ADMIS

Parties : DEPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION / KREUTZER Christian, COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIERE ADMINISTRATIVE
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/595/2009-LCI ATA/129/2010

ARRÊT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

du 2 mars 2010

1ère section

dans la cause

 

DÉPARTEMENT DES CONSTRUCTIONS ET DES TECHNOLOGIES DE L'INFORMATION

contre

Monsieur Christian KREUTZER
représenté par Me Marc Oederlin, avocat

 

et

 

COMMISSION CANTONALE DE RECOURS EN MATIÈRE ADMINISTRATIVE



EN FAIT

1. Les parcelles n°s 3917 et 3919 de la commune de Genève-Plainpalais, à l’adresse 23 rue Eugène-Marziano, sont propriété de la fondation des terrains industriels (ci-après : FTI). Kronstructa S.A., dont Monsieur Christian Kreutzer est administrateur, en est la superficiaire. Ces terrains sont situés en zone industrielle et un bâtiment industriel, avec locaux administratifs, y est édifié.

2. A la demande de M. Kreutzer, le département des constructions et des technologies de l’information (ci-après : DCTI) a délivré, le 7 juin 2006, une autorisation de construire visant à surélever le bâtiment d’un étage. Cette décision est définitive et exécutoire.

3. Le 15 avril 2008, M. Kreutzer, agissant par la plume de son architecte, a demandé au DCTI la prolongation de la validité de l’autorisation de construire qui lui avait été délivrée.

4. Dans une note du 20 mai 2008, le domaine de l’aménagement du territoire du département du territoire (ci-après : DT) a indiqué au DCTI, après concertation avec la FTI, qu’il était défavorable à la prorogation de l’autorisation de construire, car la densité du projet restait faible et n’était pas cohérente avec le développement prévu dans le secteur du périmètre de la Praille-Acacias-Vernets ; l’importance de l’investissement dans des constructions existantes prétériterait les possibilités de développement sur les terrains concernés.

5. Le 10 juin 2008, le DCTI a refusé à M. Kreutzer de prolonger l’autorisation de construire qui lui avait été délivrée. Les parcelles concernées étaient situées dans le périmètre Praille-Acacias-Vernets, faisant l’objet d’une vaste étude d’aménagement. Il reprenait au surplus le préavis défavorable du DT. Cette décision mentionnait les art. 4 al. 7 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) et 13B de la loi d’application de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 4 juin 1987 (LaLAT - L 1 30).

6. Le 11 juillet 2008, M. Kreutzer a saisi la commission cantonale de recours en matière de constructions, devenue depuis le 1er janvier 2009 la commission cantonale de recours en matière administrative (ci-après : CCRA), d’un recours contre la décision précitée. La décision de réaménager et de développer le secteur Praille-Acacias-Vernets était antérieure à la délivrance de l’autorisation de construire initiale. Au moment du dépôt du recours, aucun plan localisé de quartier n’était en force pour le périmètre concerné. Les études d’aménagement n’en étaient qu’à leur début. Les conditions d’application de l’art. 13B al. 2 LaLAT n’étaient pas réunies et il était douteux que le projet compromette des objectifs d’urbanisme.

7. Entendues en audience de comparution personnelle le 7 novembre 2008, les parties ont campé sur leur position.

Le DCTI n’a pas pu préciser si la décision litigieuse était un refus définitif ou conservatoire. Il y avait une étude en cours concernant la densification du secteur, qui n’était pas accessible au public. En revanche, il n’y avait pas de projet concret. L’objectif du DCTI était que la construction soit plus haute.

8. Le 13 novembre 2008, le DCTI a précisé que la décision litigieuse était un refus définitif de prolonger l’autorisation de construire et non de prolongation conservatoire, impossible en l’état du droit. L’art. 13B LaLAT était mentionné car le refus était motivé par le développement important que le secteur allait connaître.

9. Par décision du 22 décembre 2008, communiquée aux parties le 20 janvier 2009, puis le 5 mars 2009 suite à la rectification d’une erreur matérielle au sens de l’art. 85 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), la CCRA a admis le recours et annulé la décision litigieuse. Le DCTI pouvait refuser de prolonger une autorisation pour des motifs objectifs et pertinents, les administrés n’ayant pas droit à une telle prolongation. La décision litigieuse était exclusivement fondée sur la volonté politique du Conseil d’Etat, alors que les études n’étaient pas accessibles au public. Dès lors que le projet était conforme à la zone et ne nécessitait aucune dérogation, la décision était arbitraire.

10. Les 20 février et 19 mars 2009, le DCTI a saisi le Tribunal administratif de recours contre la décision précitée, qui ont été joints par décision du 23 mars 2009 sous le n° A/595/2009.

La décision de refus de prolongation avait fait l’objet d’une instruction, notamment par l’obtention d’un préavis du DT. Une autorisation de construire pouvait faire l’objet d’un refus de prolongation lorsque l’examen, par le département, révélait des faits nouveaux, comme en l’espèce.

Un projet de modification des limites de zones du quartier Praille-Acacias-Vernets avait été mis à l’enquête publique du 15 décembre 2008 au 26 janvier 2009. La volonté politique du Conseil d’Etat était concrètement traduite par cet acte.

11. Le 20 avril 2009, M. Kreutzer s’est opposé aux recours. Dès lors que l’autorité invoquait des motifs conservatoires, son pouvoir d’appréciation ne pouvait s’exercer qu’aux conditions de l’art. 13B LaLAT, qui n’étaient pas remplies en l’espèce. Cette disposition était expressément mentionnée dans la décision litigieuse et le DCTI ne pouvait modifier après coup sa motivation.

12. Les parties ont été entendues en audience de comparution personnelle le 15 juin 2009.

Le DCTI a indiqué qu’un projet de loi avait été préparé par le Conseil d’Etat ; des référendums communaux avaient été lancés et cette autorité avait décidé d’attendre de savoir s’ils aboutissaient ou non. Le Conseil d’Etat désirait que ce projet de loi soit adopté durant l’automne. Il prévoyait que la parcelle litigieuse serait classée en zone de développement 2 avec une affectation mixte de logements, d’activités tertiaires et d’entreprises peu ou pas gênantes.

Des études d’urbanisme faisaient l’objet d’appels d’offres, sans pouvoir être rattachées à un instrument précis de la LaLAT.

M. Kreutzer a précisé qu’il contestait qu’il s’agisse d’un refus définitif. Ce refus était conservatoire. Il demandait subsidiairement que l’arrêt à rendre permette à l’autorisation de « revivre » au terme des deux ans d’attente.

13. A la demande du tribunal de céans, le DCTI a précisé, le 20 décembre 2009, que le référendum mentionné lors de l’audience de comparution personnelle avait abouti. La votation populaire était prévue au mois de mars 2010. Le projet de modification de zone n’avait pas été déposé au Grand Conseil. En tout état, le Conseil d’Etat était fermement décidé à déposer un tel projet.

14. Ledit courrier a été transmis à M. Kreutzer le 5 janvier 2010 et la cause gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables (art. 56A de la loi sur l’organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05 ; art. 63 al. 1 let. a LPA.

2. Selon l’art. 4 al. 5 LCI, les autorisations de construire délivrées par le DCTI sont caduques si les travaux ne sont pas entrepris dans les deux ans qui suivent la publication dans la Feuille d’avis officielle. L’al. 7 de la même disposition prévoit que, lorsque la demande est présentée un mois au moins avant l’échéance du délai fixé, le DCTI peut prolonger d’une année la validité de l’autorisation de construire, sans que la présentation de pièces ne soit requise. L’autorisation ne peut être prolongée que deux fois, sous réserve de circonstances exceptionnelles (art. 4 al. 8 LCI).

Il ressort des dispositions rappelées ci-dessus que, dans la règle, une autorisation de construire devient caduque après deux ans, si elle n'est pas prolongée. La possibilité de refuser la prolongation d'une autorisation à titre conservatoire, par une application analogique de l'art. 13B LaLAT, n'est pas envisageable. Cette disposition, qui vise une situation où aucune autorisation n’est délivrée, prévoit qu'au terme de la période de conservation, le propriétaire « reprend la libre disposition de son terrain » selon les normes en vigueur, sans que l'autorisation qui a été refusée ne soit délivrée automatiquement. Or, une autorisation de construire qui n'a pas été prolongée, ou ne peut pas l’être, est caduque et il n'est pas envisageable de la faire renaître après une certaine période, sans qu'une nouvelle requête en autorisation de construire ne soit déposée.

Au vu de ce qui précède, le refus de prolongation litigieux est un refus définitif et la conclusion subsidiaire de l'intimé doit en tout état être rejetée.

3. a. Selon la jurisprudence du Tribunal administratif, le réexamen du dossier lors de la requête de prolongation fournit à l'administration l'occasion de relever des faits nouveaux, voire de déceler que l'autorisation de construire souffre de vices susceptibles sinon d'entraîner sa révocation, du moins de justifier un refus de prorogation. Le législateur n'a toutefois pas institué en faveur des administrés, sous réserve de l'égalité devant la loi, le droit d'obtenir une prorogation d'une année. Le DCTI a la faculté de ne pas prolonger la validité d'une autorisation de construire pour des motifs objectifs et pertinents (cf. RDAF 1980 p. 329 et ss.). Le pouvoir de l'administration n'est pas sans limite et si la situation au moment de la demande de prolongation est identique à celle qui a prévalu au moment de la demande initiale, il ne serait pas compris que la première autorisation ne fût pas prolongée. L'administration ferait alors preuve d'arbitraire ou d'inconséquence si elle revenait sur son premier accord. Toutefois, l'administration, si elle entend revenir sur sa première décision, doit alors procéder à un réexamen de la situation et constater l'identité ou la disparité de situation (SJ 1982 p. 135). Ces jurisprudences, bien qu'anciennes, sont toujours d'actualité.

b. Le Tribunal fédéral a récemment exposé, dans une affaire vaudoise, que les règles applicables au refus de prolonger une autorisation de construire n'étaient pas celles de la révocation. L'autorité devait respecter, en particulier, le principe de la bonne foi découlant directement de l'art. 9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et valant pour l'ensemble de l'activité étatique. Le refus de prolonger une autorisation de construire, fondé sur une modification future du règlement régissant l'affectation des zones, pouvait certes prêter le flanc à la critique ; il n'était toutefois pas arbitraire, car les recourants n'avaient pas invoqué de circonstances particulières à l'appui de la demande de prolongation, en particulier de motif justifiant le retard pris dans l'exécution des travaux (Arrêt du Tribunal fédéral 1C.150/2008 du 8 juillet 2008).

4. La situation est, en l'espèce, absolument similaire à celle traitée dans l'arrêt du Tribunal fédéral précité. Lors de la délivrance d'autorisations de construire, les projets de développement du secteur Praille-Acacias-Vernet étaient seulement frémissants et ne pouvaient justifier un refus conservatoire de l'autorisation de construire. La situation s'est rapidement modifiée et les projets d'aménagement se sont précisés (cf. ATA/45/2008 du 5 février 2008, dans lequel le Tribunal administratif confirme un refus d'autorisation de construire fondé sur l'art. 13B LaLAT). Le projet de l'intimé est devenu contraire aux objectifs d'urbanisme poursuivi par le Conseil d'Etat dans ce secteur, principalement au niveau de la densification.

Au vu de ce qui précède, le DCTI était fondé, en 2008, à refuser la prolongation sollicitée ; le recours sera admis, la décision de la CCRA annulée, et la décision initiale restaurée.

Un émolument de procédure de CHF 1’500.- sera mis à la charge de M. Kreutzer, qui succombe (art. 87 LPA).

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

à la forme :

déclare recevables les recours interjetés les 20 février 2009 et 19 mars 2009 par le département des constructions et des technologies de l'information contre la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 22 décembre 2008 ;

au fond :

les admet ;

annule la décision de la commission cantonale de recours en matière de constructions du 22 décembre 2008, admettant le recours de M. Kreutzer ;

rétablit la décision de refus de prolongation d'autorisation de construire du département des constructions et des technologies de l’information du 10 juin 2008 ;

met à la charge de M. Kreutzer un émolument de CHF 1’500.- ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt au département des constructions et des technologies de l'information, à Me Marc Oederlin, avocat de Monsieur Christian Kreutzer, ainsi qu'à la commission cantonale de recours en matière administrative.

Siégeants : M. Thélin, président, Mmes Bovy et Junod, juges.

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste :

 

 

C. Del Gaudio-Siegrist

 

le vice-président :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :